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| = césure
LAM_10/LAM182
Alphonse de LAMARTINE
RECUEILLEMENTS POÉTIQUES
1839
XVI
A UNE JEUNE FILLE POÈTE*
Quand assise le soir au bord de ta fenêtre 6+6 a
Devant un coin du ciel qui brille entre les toits, 6+6 b
L'aiguille matinale a fatigué tes doigts, 6+6 b
Et que ton front comprime une ame qui veut naître ; 6+6 a
5 Ta main laisse échapper le lin brodé de Heurs 6+6 c
Qui doit parer le front d'heureuses fiancées, 6+6 d
Et de peur de tacher ses teintes nuancées 6+6 d
Tes beaux yeux retiennent leurs pleurs. 8 c
Sur les murs blancs et nus de ton modeste asile, 6+6 a
10 Pauvre enfant ! d'un coup d'œil tout ton destin se lit ! 6+6 b
Un crucifix de bois au-dessus de ton lit, 6+6 b
Un réséda jauni dans un vase d'argile, 6+6 a
Sous tes pieds délicats la terre en froids carreaux, 6+6 c
Et près du pain du jour que la balance pèse 6+6 d
15 Pour ton festin du soir le raisin ou la fraise 6+6 d
Que partagent les passereaux. 8 c
Tes mains sur tes genoux un moment se délassent, 6+6 a
Puis tu vas t'accouder sur le fer du balcon 6+6 b
Où le pampre grimpant, le lierre au noir flocon 6+6 b
20 A tes cheveux épars, amoureux s'entrelacent ; 6+6 a
Tu verses l'eau de-source à ton pâle rosier ; 6+6 c
Tu gazouilles son air à ton oiseau fidèle 6+6 d
Qui becqueté ta lèvre en palpitant de l'aile 6+6 d
A travers les barreaux d'osier. 8 c
25 Tu contemples le ciel que le soir décolore, 6+6 a
Quelque dôme lointain de lumière écumant, 6+6 b
Ou plus haut, seule au fond du vide firmament 6+6 b
L'étoile, comme toi que Dieu seul voit éclore ; 6+6 a
L'odeur des champs en fleurs monte à ton haut séjour, 6+6 c
30 Le vent fait ondoyer tes boucles sur la tempe, 6+6 d
La nuit ferme le ciel, tu rallumes la lampe,' 6+6 d
Et le passé t'efface un jour !… 8 c
Cependant le bruit monte et la ville respire, 6+6 a
L'heure sonne appelant tout un monde au plaisir, 6+6 b
35 Dans chaque son confus que ton cœur croit saisir 6+6 b
C'est le bonheur,qui vibre ou l'amour qui respire. 6+6 a
Les chars grondent en bas et font frissonner l'air ; 6+6 c
Comme des flots pressés dans le lit des tempêtes, 6+6 d
Ils passent emportant les heureux à leurs fêtes, 6+6 d
40 Laissant sous la roue un éclair. 8 c
Ceux-là versent au seuil de la scène ravie 6+6 a
Cette foule attirée au vent des passions 6+6 b
Et qui veut aspirer d'autres sensations 6+6 b
Pour oublier le jour et pour doubler la vie ; 6+6 a
45 Ceux-là rentrent des champs, sur de plians aciers, 6+6 c
Berçant les maîtres las d'ombrage et de murmure, 6+6 d
Des fleurs sur les coussins, des festons de verdure 6+6 d
Enlacés aux crins des coursiers. 8 c
La musique du bal sort des salles sonores, 6+6 a
50 Sous les pas des danseurs l'air ébranlé frémit, 6+6 b
Dans des milliers de voix le cœur chante ou gémit ; 6+6 b
La ville aspire et rend le bruit par tous les pores. 6+6 a
Le long des murs dans l'ombre on entend retentir 6+6 c
Des pas aussi nombreux que des gouttes de pluie, 6+6 d
55 Pas indécis d'amant où l'amante s'appuie, 6+6 d
Et pèse pour le ralentir. 8 c
Le front dans les deux mains, pensive tu te penches ; 6+6 a
L'imagination te peint de verts coteaux 6+6 b
Tout résonnans du bruit des forêts et des eaux, 6+6 b
60 Où s'éteint un beau soir sur des chaumières blanches, 6+6 a
Des sources aux flots bleus voilés de liserons, 6+6 c
Des prés où quand le pied dans la grande herbe nage, 6+6 d
Chaque pas, aux genoux fait monter un nuage 6+6 d
D'étamine et de moucherons. 8 c
65 Des vents sur les guérets, ces immenses coups d'ailes, 6+6 a
Qui donnent aux épis leurs sonores frissons, 6+6 b
L'aubépine neigeant sur les nids des buissons, 6+6 b
Les verts étangs rasés du vol des hirondelles ; 6+6 a
Les vergers allongeant leur grande ombre du soir, 6+6 c
70 Les foyers des hameaux ravivant leurs lumières, 6+6 d
Les arbres morts couchés près du seuil des chaumières 6+6 d
Où les couples viennent s'asseoir. 8 c
Ces conversations à voix que l'amour brise, 6+6 a
Où le mol commen s'arrête et se repent, 6+6 b
75 Où l'avide bonheur que le doute suspend 6+6 b
S'envole après l'aveu que lui ravit la brise ; 6+6 a
Ces danses où l'amant prenant l'amante au vol, 6+6 c
Dans le ciel qui s'entr'ouvre elle croit fuir en rêve 6+6 d
Entre le bond léger qui du gazon l'enlève, 6+6 d
80 Et son pied qui retombe au sol ! 8 c
Sous la tente de soie ou dans ton nid de feuille 6+6 a
Tu vois rentrer le soir, altéré de tes yeux, 6+6 b
Un jeune homme au front mâle, au regard studieux ; 6+6 b
Votre bonheur tardif dans l'ombre se recueille. 6+6 a
85 Ton épaule s'appuie à celle de l'époux, 6+6 c
Sous son front déri ton front nu se renverse, 6+6 d
Son œil luit dans ton œil pendant que ton pied berce 6+6 d
Un enfant blond sur tes genoux ! 8 c
De tes yeux dessillés quand ce voile retombe, 6+6 a
90 Tu sens la joue-humide et les mains pleines d'eau ; 6+6 b
Les murs de ce réduit où-flottait ce tableau 6+6 b
Semblent se rapprocher pour vter une tombe ; 6+6 a
Ta lampe y jette à peine un reste de clarté, 6+6 c
Sous les beaux pieds d'enfant les parures s'écoulent, 6+6 d
95 Et tes cheveux épars et les ombres déroulent 6+6 d
Leurs ténèbres sur la beauté. 8 c
Cependant le temps fuit, la jeunesse s'écoule, 6+6 a
Tes beaux yeux sont cernés d'un rayon de pâleur, 6+6 b
Des roses sans soleil ton teint prend la couleur, 6+6 b
100 Sur ton cœur amaigri ton-visage se moule, 6+6 a
Ta lèvre a replié le sourire, la voix 6+6 c
A perdu cet te note où le bonheur tressaille ; 6+6 d
Des airs lents et plaintifs mesurent maille à maille 6+6 d
Le lin qui grandit sous tes doigts. 8 c
105 Eh ! quoi ! ces jours passés dans un labeur vulgaire 6+6 a
A gagner miette à miette un pain trempé de fiel, 6+6 b
Cet espace sans air, cet horizon sans ciel, 6+6 b
Ces amours s'envolant au son d'un vil salaire, 6+6 a
Ces désirs refoulés dans un sein étouffant, 6+6 c
110 Ces baisers, de ton front chassés comme la mouche 6+6 d
Qui bourdonne l'é sur les coins de la bouche, 6+6 d
C'est donc là vivre, ô belle enfant ! 8 c
Nul né verra briller, celle étoile nocturne ! 6+6 a
Nul n'entendra chanter ce muet rossignol ! 6+6 b
115 Nul ne respirera ces haleines du sol , 6+6 b
Que la fleur du désert laisse mourir dans l'urne ! 6+6 a
Non, Dieu ne brise pas sous ses fruits immortels 6+6 c
L'arbre dont le génie a fait courber la tige ; 6+6 d
Ce qu'oublia le temps, ce que l'homme néglige, 6+6 d
120 Il le réserve à ses autels ! 8 c
Ce qui meurt dans les airs, c'est le ciel qui l'aspire : 6+6 a
Les anges amoureux recueillent flots à flots 6+6 b
Cette vie écoulée en stériles sanglots : 6+6 b
Leur aile emporte ailleurs ce que la voix soupire, 6+6 a
125 Et ces langueurs de l'ame où gémit ton destin, 6+6 c
Et les pleurs sur ta joue, hélas ! jamais cueillies, 6+6 d
Et ces espoirs trompés, et ces mélancolies, 6+6 d
Qui pâlissent ton pur malin. 8 c
Ils composent tes chants, mélodieux murmure, 6+6 a
130 Qui s'échappe du cœur par le cœur répondu ; 6+6 b
Comme l'arbre d'encens que le fer a fendu 6+6 b
Verse en baume odorant le sang de sa blessure ! 6+6 a
Aux accords du génie, à ces divins concerts, 6+6 c
Ils mêlent étonnés ces pleurs déjeune fille 6+6 d
135 Qui tombent de ses yeux et baignent son aiguille, 6+6 d
Et tous les soupirs sont des vers ! 8 c
Savent-ils seulement si le monde l'écoute ? 6+6 a
Si l'indigence énerve un génie inconnu ? 6+6 b
Si le céleste encens au foyer contenu 6+6 b
140 Avec l'eau de ses yeux dans l'argile s'égoutte ? 6+6 a
Qu'importe aux voix du ciel l'humble écho d'ici-bas ? 6+6 c
Les plus divins accords qui moulent de la terre, 6+6 d
Sont les élans muets de l'ame solitaire 6+6 d
Que le vent même n'entend pas. 8 c
145 Non, je n'ai jamais vu la pâle giroflée, 6+6 a
Fleurissant au sommet de quelque vieille tour 6+6 b
Que bat le vent du nord ou l'aile du vautour, 6+6 b
Incliner sur le mur sa tige échevelée ; 6+6 a
Non, je n'ai jamais vu la stérile beauté, 6+6 c
150 Pâlissant sous ses pleurs sa fleur décolorée, 6+6 d
S'exhaler sans amour et mourir ignorée, 6+6 d
Sans croire à l'immortalité ! 8 c
Passe donc les doigts blancs sur tes yeux, jeune fille ! 6+6 a
Et laisse évaporer ta vie avec les chants ; 6+6 b
155 Le souffle du Très-Haut sur chaque herbe des champs 6+6 b
Cueille la perle d'or où l'aurore scintille ; 6+6 a
Toute vie est un flot de la mer de douleur ; 6+6 c
Leur amertume un jour sera ton ambroisie ; 6+6 d
Car l'urne de la gloire et de la poésie 6+6 d
160 Ne se remplit que de nos pleurs ! 8 c
Ces vers furent adressés à mademoiselle Antoinette Quarré, jeune ouvrière de Dijon, qui avait envoyé à l'auteur plusieurs pièces de vers imprimées depuis, qui ont vivement excité l'étonnement et l'admiration du public,
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