Métrique en Ligne
LAM_10/LAM181
Alphonse de LAMARTINE
RECUEILLEMENTS POÉTIQUES
1839
XV
TOAST
PORTÉ DANS UN BANQUET NATIONAL
DES GALLOIS ET DES BRETONS1,
A ABEGAVENNY DANS LE PAYS DE GALLES
Quand ils se rencontraient sur la vague ou la grève 6+6 a
En souvenir vivant d'un antique départ, 6+6 b
Nos pères se montraient les deux moitiés d'un glaive 6+6 a
Dont chacun d'eux gardait la symbolique part. 6+6 b
5 Frère ! se disaient-ils, reconnais-tu la lame ? 6+6 c
Est-ce bien là l'éclair ? l'eau, la trempe et le fil ? 6+6 d
Et l'acier qu'a fondu le même jet de flamme 6+6 c
Fibre à fibre se rejoint-il ? 8 d
Et nous, nous vous disons : O fils des mêmes plages ! 6+6 a
10 Nous sommes un tronçon de ce glaive vainqueur ; 6+6 b
Regardez-nous aux yeux, aux cheveux, aux visages, 6+6 a
Nous reconnaissez-vous à la trempe du cœur ?… 6+6 b
N'est-ce pas cet œil bleu comme la mer profonde 6+6 c
Qui brise entre nos caps sur des écueils pareils ? 6+6 d
15 Où notre ciel brumeux réfléchit dans son onde 6+6 c
Plus de foudres que de soleils ? 8 d
Le vent ne fait-il pas battre sur vos épaules 6+6 a
Au branle de vos pas ces forêts de cheveux, 6+6 b
Crinière aux nœuds dorés du vieux lion des Gaules, 6+6 a
20 Où le soleil sanglant fait ondoyer ses feux ? 6+6 b
Ne résonnent-ils pas au souffle des tempêtes 6+6 c
Comme ce crin épais par les lances porté, 6+6 d
Étendards naturels que font flotter nos têtes 6+6 c
Sur les clans de la liberté ? 8 d
25 De nos robustes mains quand la paume vous serre, 6+6 a
Ce langage muet, n'est-il pas un serment 6+6 b
Que jure l'amitié, l'alliance ou la guerre, 6+6 a
Que nul revers ne lasse et nul jour ne dément ? 6+6 b
Nos langues, où le bruit de nos grèves domine, 6+6 c
30 Ne vibrent-elles pas, rudes du même son, 6+6 d
Ainsi que deux métaux nés dans la même mine 6+6 c
Rendent l'accord à l'unisson ? 8 d
Ne nous jouons-nous pas où le dauphin se joue ? 6+6 a
N'entrelaçons-nous pas, comme d'humbles.roseaux, 6+6 b
35 Le pin durci du pôle au chêne qui le noue 6+6 a
Pour nous bercer aux vents dans les vallons des eaux ? 6+6 b
N'emprisonnons-nous pas dans la toile sonore 6+6 c
L'aile de la tempête ? et, sur les flots amers, 6+6 d
N'aimons-nous pas à voir le jour nomade éclore 6+6 c
40 De toutes les vagues des mers ? 8 d
Le coursier aux crins noirs, trône vivant des braves, 6+6 a
Ne nous nomme-t-il pas dans ses hennissemens ? 6+6 b
Nos bardes n'ont-ils pas des chants tristes et graves, 6+6 a
Des harpes de Morven vieux retentissemens ? 6+6 b
45 N'en composent-ils pas les cordes les plus douces 6+6 c
Avec les pleurs de l'homme et le sang des héros, 6+6 d
Le vent plaintif du nord qui siffle sur les mousses, 6+6 c
Le chien qui hurle aux bords des flots ? 8 d
Le poli de l'acier, l'éclair de l'arme nue, 6+6 a
50 Ne caressent-ils pas nos mains et nos regards ? 6+6 b
Est-il un horizon plus doux à noire vue 6+6 a
Qu'un soleil de combats sur des épis de dards ? 6+6 b
Le passé dans nos cœurs n'a-t-il pas des racines 6+6 c
Qu'on ne peut extirper ni secouer du sol ? 6+6 d
55 Et ne restons-nous pas rochers sous les ruines 6+6 c
Quand la poussière a pris son vol ? 8 d
Reconnaissons-nous donc, ô fils des mêmes pères ! 6+6 a
Le sang de nos aïeux là-haut nous avoûra, 6+6 b
Que l'hydromel natal écume dans nos verres, 6+6 a
60 Et poussons dans le ciel trois sublimes hourra ! 6+6 b
Hourra pour l'Angleterre et ses falaises blanches ! 6+6 c
Hourra pour la Bretagne aux côtes de-granit ! 6+6 d
Hourra pour le Seigneur qui rassemble les branches 6+6 c
Au tronc d'où tomba le vieux nid ! 8 d
65 Que ce cri fraternel gronde sur nos montagnes 6+6 a
Comme l'écho joyeux d'un tonnerre de paix ! 6+6 b
Que l'Océan le roule entre les deux Bretagnes ! 6+6 a
Que le vaisseau l'entende entre ses flancs épais ? 6+6 b
Et qu'il fasse tomber dans la mer qui nous baigne. 6+6 c
70 Avec l'orgueil jaloux de nos deux pavillons, 6+6 d
L'aigle engraissé de mort, dont le bec encor saigne 6+6 c
De la chair de nos bataillons !2 8 d
L'esprit des temps rejoint ce que la mer sépare, 6+6 a
Le titre de famille est écrit en tout lieu. 6+6 b
75 L'homme n'est plus français, anglais, romain, barbare, 6+6 a
Il est concitoyen de l'empire de Dieu ! 6+6 b
Les murs des nations s'écroulent en poussières, 6+6 c
Les langues de Babel ! retrouvent l'unité, 6+6 d
L'Évangile refait avec toutes ces pierres 6+6 c
80 Le temple de l'humanité ! 8 d
Réjouissons-nous donc dans lé jour qu'il nous prête ; 6+6 a
L'aube des jours nouveaux fait poindre ses rayons ; 6+6 b
Vous serez dans les temps, monts à la verte crête, 6+6 a
Un Sinaï de paix entre les nations ! 6+6 b
85 Sous nos pas cadencés faisons sonner là terre, 6+6 c
Jetons nos gants de fer et donnons-nous la main, 6+6 d
C'est nous qui conduisons aux conquêtes du père 6+6 c
Les colonnes du genre humain ! 8 d
Dans le drame des temps nous avons deux grands rôles. 6+6 a
90 A nous les champs d'argile, à vous les champs amers ! 6+6 b
Pour répandre de Dieu la semence aux' deux pôles 6+6 a
Creusons-nous deux sillons sur la terre et les mers ! 6+6 b
Dans toute glèbe humaine où sa race fourmille, 6+6 c
Premiers-nés d'Occident, à la neuve clarté, 6+6 d
95 Marchons, distribuant à l'immense famille 6+6 c
Dieu, la paix et la liberté ! 8 d
Dans notre coupe pleine où l'eau du ciel déborde, 6+6 a
Désaltérés déjà, buvons aux nations ! 6+6 b
Îles ! ou continens ! que l'onde entoure ou borde, 6+6 a
100 Ayez part sous le ciel à nos libations ! 6+6 b
Oui, buvons ! et, passant notre coupe à la ronde 6+6 c
Aux convives nouveaux du festin éternel, 6+6 d
Faisons boire après nous tous les peuples du monde 6+6 c
Dans le calice fraternel ! 8 d
On sait que les Gallois et les Bretons, d'origine celtique, se reconnaissent comme une seule famille et célèbrent de temps en temps la commémoration de cette communauté de race
A Waterloo.
mètre profils métriques : 8, 6+6
forme globale type : suite périodique
schéma : 13(ababcdcd)
logo du CRISCO logo de l'université