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LAM_10/LAM172
Alphonse de LAMARTINE
RECUEILLEMENTS POÉTIQUES
1839
VI
A M. WAP,
POÈTE HOLLANDAIS
EN RÉPONSE À UNE ODE ADRESSÉE À L'AUTEUR
SUR LA MORT DE SA FILLE
Que le ciel et mon cœur bénissent ta pensée, 6+6 a
Toi qui pleures de loin ce que la mort m'a pris ! 6+6 b
Et que par la pitié cette larme versée 6+6 a
Devienne une perte sans prix ! 8 b
5 Que l'ange de ton cœur devant Dieu la suspende, 6+6 c
Pour la faire briller de la splendeur des cieux, 6+6 d
Et qu'en larmes de joie un jour il te les rende 6+6 c
Ces pleurs, aumône de tes yeux ! 8 d
Oh ! quand j'ai lu ce nom qui remplissait naguère 6+6 a
10 De joie et de clarté mon oreille et mon cœur, 6+6 b
Ce nom que j'ai scellé sur mes lèvres de père 6+6 a
Comme un mystère de douleur ! 8 b
Quand je l'ai lu gravé sur ta funèbre page, 6+6 c
Un nuage âmes yeux de mon cœur a monté, 6+6 d
15 Et j'ai dit en moi-même : Il n'est donc nulle plage 6+6 c
Où quelque ange ne l'ait porté ? 8 d
Et qu'ai-je fait, dis-moi, pour mériter, ô barde, 6+6 a
Que ton front se couvrît de cendre avec le mien ? 6+6 b
Dieu n'avait pas remis cette enfant sous ta garde, 6+6 a
20 Mon bonheur n'était pas le tien ! 8 b
Nous parlons ici-bas des langues étrangères ; 6+6 c
L'onde de mes torrens n'est pas l'eau que tu bois ; 6+6 d
Mais l'ame comprend l'âme, et la, pitié rend frères 6+6 c
Tous ceux dont le cœur est la voix. 8 d
25 Toute voix qui la nomme entre au fond de mon, ame, ; 6+6 a
Je ne puis sans pâlir en entendre le son, 6+6 b
Et j'adore de l'œil jusqu'aux lettres de flamme 6+6 a
Qui composaient son divin nom ! 8 b
Le jour, la nuit, tout haut ma bouche les épelle 6+6 c
30 Comme si dans leurs sens ces lettres l'enfermaient ! 6+6 d
Il semble à mon amour que quelque chose d'elle. 6+6 c
Vit dans ces sons qui la nommaient. 8 d
Oh ! si comme mon cœur ! si tu l'avais connue !, 6+6 a
Si dans le plus divin de tes songes d'amant 6+6 b
35 Cette forme angélique une heure était venue 6+6 a
Luire devant toi seulement ! 8 b
Si le rayon vivant de son regard céleste, 6+6 c
Ce rayon, dont mon œil douze ans fut réjoui, 6+6 d
Eût plongé dans le tien comme un éclair qui reste 6+6 c
40 A jamais dans l'œil ébloui. 8 d
Si ses cheveux, pareils aux rayons de l'aurore, 6+6 a
Dont sa mère lissait les soyeux écheveaux, 6+6 b
Déployant les reflets du cuivre qui les dore, 6+6 a
Avaient déroulé leurs anneaux, 8 b
45 Si tu les avais vus en deux ailes de femme, 6+6 c
Sur sa trace en courant après elle voler 6+6 d
Et découvrir ce front où les baisers de l'ame 6+6 c
Allaient d'eux-mêmes se coller ! 8 d
Si ton oreille avait entendu l'harmonie 6+6 a
50 De sa voix où déjà vibraient à l'unisson 6+6 b
L'innocence et l'amour, le cœur et le génie, 6+6 a
Modulés dans un même son ! 8 b
Si de ce doux écho ton oreille était pleine, 6+6 c
Et si, passant ton doigt sur ton front incertain, 6+6 d
55 Comme moi tu sentais encor la tiède haleine 6+6 c
De ses longs baisers du matin ! 8 d
Comme moi tu n'aurais qu'un seul nom sur la bouche, 6+6 a
Qu'une blessure au cœur, qu'une image dans l'œil, 6+6 b
Qu'une ombre sur tes pas, qu'un rêve dans ta couche, 6+6 a
60 Qu'une lampe au fond du cercueil ! 8 b
Elle, elle, et toujours elle, elle dans chaque aurore ! 6+6 c
Elle dans l'air qui flotte afin d'y respirer ! 6+6 d
Elle dans le passé pour s'y tourner encore, 6+6 c
Elle au ciel pour le désirer. 8 d
65 C'était l'unique fleur de l'Éden de ma vie 6+6 a
Où le parfum du ciel ne se corrompît pas, 6+6 b
Le seul esprit d'en haut que la mort assouvie 6+6 a
N'eût point éloigné de mes pas ! 8 b
C'était de mes beaux jours la plus pure pensée 6+6 c
70 Que Dieu, d'un vœu d'amour me permit d'animer, 6+6 d
Pour que dans ce beau corps, mon ame retracée 6+6 c
Pût se réfléchir et s'aimer ! 8 d
Je la vois devant moi, la nuit, comme une étoile 6+6 a
Dont la lueur me cherche et vient me caresser ; 6+6 b
75 Le jour, comme un portrait détaché de la toile 6+6 a
Qui s'élance pour m'embrasser ! 8 b
Je la vois s'enfuyant dans mon sein qui l'adore, 6+6 c
Faire éclater, de là, son rire triomphant, 6+6 d
Ou du sein de sa mère, à mon baiser sonore 6+6 c
80 Apporter ses lèvres d'enfant ! 8 d
Je la vois, grandissant sous les palmiers d'Asie, 6+6 a
Se mûrir aux rayons de ces soleils nouveaux, 6+6 b
Et rêveuse déjà, lutter de poésie 6+6 a
Avec le chant de ses oiseaux. 8 b
85 J'entends à son insu se révéler son ame, 6+6 c
Dans ces vagues soupirs d'un cœur qui se pressent, 6+6 d
Préludes enchantés de ses accords dé femme 6+6 c
Où l'ame va donner l'accent ! 8 d
Oui, pour revivre encor, je vis dans son image. 6+6 a
90 Le cœur plein d'un objet ne croit pas à la mort ; 6+6 b
Elle est morte pour vous qui cherchez son visage, 6+6 a
Mais pour nous elle est près, elle vit, elle dort ; 6+6 b
Je l'entends, je l'appelle, et je sais que chaque heure 6+6 c
Avance l'heure fixe où je vais la revoir, 6+6 d
95 Et je dis chaque jour, au penser qui la pleure : 6+6 c
A demain peut-être à ce soir ! 8 d
Oh ! si de notre amour l'espoir était le rêve ! 6+6 a
Si nous ne devions pas retrouver dans les cieux 6+6 b
Ces êtres adorés qu'un ciel jaloux enlève, 6+6 a
100 Que nous suivons du cœur, que nous cherchons de yeux, 6+6 b
Si je ne devais plus revoir, toucher, entendre, 6+6 c
Elle ! elle qu'en esprit, je sens, j'entends, je vois, 6+6 d
A son regard d'amour encore me suspendre, 6+6 c
Frissonner encore à sa voix. 8 d
105 Si les hommes, si Dieu me le disait lui-même, 6+6 a
Lui, le maître-, le Dieu, je ne le croirais pas, 6+6 b
Ou je lui répondrais par l'éternel blasphème ; 6+6 a
Seule réponse du trépas ! 8 b
Oui, périsse et moi-même et tout ce qui respire, 6+6 c
110 Et ses mondes et lui, lui dans son ciel moqueur ! 6+6 d
Plutôt que ce regard, plutôt que ce sourire, 6+6 c
Que cette image dans mon cœur ! 8 d
Mais toi qui m'as compris, toi dont la voix mortelle 6+6 a
Rend la voix dans mon sein à des échos si chers ! 6+6 b
115 Toi qui me dis son nom, toi qui fais parler d'elle 6+6 a
La langue immortelle des vers ! 8 b
Que les anges du ciel recueillent ta parole ! 6+6 c
Cette parole aida mes larmes à sortir ! 6+6 d
Et que le chant du ciel dont ta voix me console 6+6 c
120 Dans ta vie aille retentir. 8 d
Pour ce tribut pieux, de ta paupière humide, 6+6 a
Puisses-tu, jusqu'au soir de tes jours de bonheur, 6+6 b
Ne voir à ton foyer jamais de place vide, 6+6 a
D'abîme creusé dans ton cœur ! 8 b
125 Et puisse à ton chevet, veillant ton agonie, 6+6 c
Une enfant dans son sein recevoir tes adieux ; 6+6 d
Essuyer ta sueur, et comme un doux génie 6+6 c
Cacher la mort, et montrer Dieu ! 8 d
mètre profils métriques : 8, 6+6
forme globale type : suite périodique
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