Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
LAM_10/LAM169
Alphonse de LAMARTINE
RECUEILLEMENTS POÉTIQUES
1839
III
ÉPILOGUE DE JOCELYN
VARIANTE
Là, sans doute la mort | avait fermé le livre. 6+6 a
Je voulus engager | la servante à me suivre, 6+6 a
Elle me répondit | en me montrant du doigt 6+6 b
L'arbuste enraciné | dans les fentes du toit ; 6+6 b
5 « A ces murs, comme lui, | ma vie a pris racines, 6+6 a
« On me laissera bien | vieillir sous ses ruines. 6+6 a
« Qu'est-ce qui soignerait | ce seuil abandonné ? 6+6 b
« On m'y rapportera | le pain que j'ai donné. » 6+6 b
Je sifflai vainement | le chien du jeune prêtre, 6+6 a
10 Il s'émut à la voix | de l'ami de son maître, 6+6 a
Mais flairant le sentier | qui menait au cercueil, 6+6 b
Sans faire un pas plus loin | il me suivit de l'œil ; 6+6 b
Les oiseaux affranchis | revinrent à leur cage, 6+6 a
Et je n'emportai rien | de son pauvre héritage, 6+6 a
15 Que sur sa croix de bois | son vieux Christ de laiton, 6+6 b
Ces feuillets déchirés, | sa Bible et son bâton. 6+6 b
Six mois après, au temps | où l'on coupe les seigles, 6+6 a
Je vins herboriser | aux montagnes des aigles, 6+6 a
Et de mon pauvre ami, | le récit à là main, 6+6 b
20 De la grotte en lisant | je cherchais le chemin. 6+6 b
Du drame de ses jours | j'explorais le théâtre, 6+6 a
Lorsque je rencontrai | par hasard le vieux pâtre ; 6+6 a
Je m'assis près de lui, | sur l'herbe, au bord des flots ; 6+6 b
Nous causâmes ensemble | à peu près en ces mots : 6+6 b
LE PATRE
Qui cherchez-vous, Monsieur, | dans ces déserts ?
MOI
25 La place 6+6 a
D'une histoire d'amour | que ce livre retrace, 6+6 a
La grotte où deux enfans, | sous les yeux du Seigneur, 6+6 b
Eurent tant d'innocence | avec tant de bonheur ; 6+6 b
Montrez-moi le tombeau | de la dame inconnue. 6+6 a
LE PATRE
30 Quoi ! cette histoire aussi | jusqu'à vous est venue ? 6+6 a
MOI
J'étais le seul ami | de l'un des deux amans, 6+6 b
(En lui montrant le manuscrit.)
Et j'ai là le récit | de tous leurs sentimens. 6+6 b
LE PATRE
Je voudrais bien savoir | si ce livre me nomme ? 6+6 a
MOI
Vous ?
LE PATRE
Oui, moi.
MOI
Et comment ? |
LE PATRE
Je ne suis qu'un pauvre homme, 6+6 a
35 Et c'est moi qui fus cause, | hélas ! sans le savoir, 6+6 b
De leur bonheur trop court | et de leur désespoir. 6+6 b
MOI
Quoi ! vous seriez ?…
LE PATRE
C'est moi | qui leur montrai la route 6+6 a
De la grotte, et deux ans | les cachai sous sa voûte ; 6+6 a
C'est moi qui les nourris, | elle et lui, de mon pain. 6+6 b
40 Tenez, voyez là-haut, | au-dessus du sapin, 6+6 b
A droite, un peu plus bas | que cette aiguille blanche, 6+6 a
Vous suivrez le ravin | comblé par l'avalanche, 6+6 a
Par une gorge étroite, | après vous descendrez 6+6 b
Jusqu'aux rives du lac | bordé de petits prés, 6+6 b
45 Et là, près de la grève | où son écume flotte, 6+6 a
Vous verrez trois tombeaux | à deux pas d'une grotte. 6+6 a
MOI
Trois tombeaux ? Le récit | ne parle que de deux, 6+6 b
Le proscrit et Laurence. |
LE PATRE
Et leur ami près d'eux. 6+6 b
MOI
Quoi ! Jocelyn ici ? | Vous vous trompez.
LE PATRE
Lui-même. 6+6 a
50 Il repose en ces lieux | auprès de ce qu'il aime. 6+6 a
Instruite, on ne sait trop | comment, des grands secrets, 6+6 b
Quand Marthe eut tout trahi | par dès mots indiscrets, 6+6 b
Ses pauvres paroissiens, | par pitié pour son ame, 6+6 a
Rapportèrent son corps | au tombeau de la dame, 6+6 a
55 Et depuis deux saisons | ils sont couchés tous trois 6+6 b
Aux lieux qu'ils ont aimés | et sous la même croix. 6+6 b
MOI
Ah ! vers ces trois tombeaux, | berger, menez-moi vite ; 6+6 a
J'aime à fouler le sol | que sa dépouille habite, 6+6 a
Comme on aime à s'asseoir | sur le bloc attiédi 6+6 b
60 Où le rayon du jour | à peine est refroidi. 6+6 b
Allons ! le jour encore | éclaire la montagne ! 6+6 a
LE PATRE
N'attendez pas, Monsieur, | que je vous accompagne ; 6+6 a
Pour la dernière fois | j'ai foulé ces sommets, 6+6 b
Allez-y seul ; mes pieds | n'y monteront jamais ! 6+6 b
MOI
65 Avez-vous donc, berger, | peur de ce coin de terre ? 6+6 a
LE PATRE
Il se passe, Monsieur, | là-haut quelque mystère 6+6 a
Que l'homme encor pécheur | profane en regardant ; 6+6 b
C'est comme un Dieu caché | dans un buisson ardent. 6+6 b
MOI
Qu'avez-vous vu ? Parlez ! |
LE PATRE
O ! des choses étranges, 6+6 a
70 Et faites seulement | pour les regards des anges ! 6+6 a
MOI
Ne m'ouvrez pas ainsi | votre cœur à demi, 6+6 b
Je crois en Dieu, berger, | et j'étais leur ami ! 6+6 b
LE PATRE
Vous voulez donc, Monsieur, | que je vous la raconte ? 6+6 a
Dieu sait si je vous mens, | et pourtant j'en ai honte ; 6+6 a
75 Vous direz, c'est un rêve ! | et je ne dormais pas ! 6+6 b
Un jour, près des tombeaux | j'avais porté mes pas, 6+6 b
Pour ces trois chers défunts | j'avais dit mes prières, 6+6 a
Fait trois signes de croix | et baisé leurs trois pierres, 6+6 a
Puis, les yeux par mes pleurs | encor tout obscurcis, 6+6 b
80 Non loin, au bord du lac, | pensif, j'étais assis. 6+6 b
Aucun vent n'en frôlait | la surface limpide, 6+6 a
L'eau profonde y dormait, | transparente et sans ride, 6+6 a
Et je laissais mes yeux, | qui regardaient sans voir, 6+6 b
Avec distraction | flotter sur ce miroir : 6+6 b
85 La cime des glaciers | avec ses neiges blanches, 6+6 a
La grotte et ses tombeaux, | les chênes et leurs branches, 6+6 a
Et le dôme serein | d'un pan de firmament, 6+6 b
Tout s'y réfléchissait, | clair, dans l'éloignement ; 6+6 b
Soudain l'onde immobile , | où mon regard se plonge, 6+6 a
90 S'illumine ; et je vois, | comme l'on voit en songe, 6+6 a
Deux figures sortir | du ciel resplendissant, 6+6 b
Aux cimes du glacier | descendre en s'embrassant, 6+6 b
Et, comme deux oiseaux | dont l'aile' est éclairée, 6+6 a
S'abattre sur là grotte | et planer à l'entrée. 6+6 a
95 Ébloui des clartés | que l'eau semblait darder, 6+6 b
Sans haleine, j'osais | à peine regarder ; 6+6 b
Mais l'image dans l'eau | s'éclairant à mesure, 6+6 a
Je reconnus, Monsieur, | l'une et l'autre figure. 6+6 a
MOI
Et c'était ?…
LE PATRE
Jocelyn ! | et Laurence avec lui ! 6+6 b
100 Si j'avais pu marcher | je me serais enfui, 6+6 b
Mais je restai cloué | de terreur à ma place, 6+6 a
Et mes yeux, malgré moi, | les voyaient dans la glace. 6+6 a
Vêtus d'air et de jour | au lieu de vêtements, 6+6 b
Se tenant parla main | ainsi que deux amans ; 6+6 b
105 Sur l'herbe qui frémit | leurs pieds joints s'arrêtèrent, 6+6 a
Et, de là, sans parler, | leurs regards se portèrent 6+6 a
Sur les sites, les eaux, | les arbres du beau lieu, 6+6 b
Comme quand on arrive, | ou qu'on va dire adieu ; 6+6 b
Tour à tour l'un à l'autre, | ils se montraient du geste, 6+6 a
110 Du temps de leurs amours, | hélas ! le peu qui reste, 6+6 a
Les plantes, les rochers, | les chênes éclaircis, 6+6 b
La mousse au bord du lac | où l'on s'était assis, 6+6 b
La source extravasée | et les nids d'hirondelles, 6+6 a
Et la plume par terre | arrachée à leurs ailes ; 6+6 a
115 Fuis ils se regardaient, | souriant, elle cl lui, 6+6 b
Comme quelqu'un qui voit | son idée en autrui, 6+6 b
Et Laurence, abaissant | une main jusqu'aux herbes, 6+6 a
Des mille fleurs des prés | cueillait de grosses gerbes, 6+6 a
Feuille à feuille, au hasard, | nuançait leurs couleurs, 6+6 b
120 Et de la tète aux pieds | se vêtissait de fleurs, 6+6 b
Comme une aurore au ciel | se revêt de la nue ; 6+6 a
Et l'amant embaumé | s'enivrait de sa vue. 6+6 a
Et comme pour venir | assister à leurs jeux, 6+6 b
Tout ce qu'ils appelaient, | ressuscitait pour eux, 6+6 b
125 Et les plantes croissaient | à leur seule pensée, 6+6 a
Et la biche accourait | lécher leur main baissée, 6+6 a
Elle chien au soleil | se couchait à leurs pieds, 6+6 b
Et les pigeons enfuis | de leurs nids effrayés 6+6 b
Par Laurence nommés | revenaient d'un coup d'aile 6+6 a
130 Becqueter son épaule | et planer autour d'elle ; 6+6 a
Et puis je vis venir | d'en haut, monter d'en bas, 6+6 b
Hommes, femmes, enfans, |que je ne connus pas ; 6+6 b
A ces noces du ciel, | foule que Dieu convie, 6+6 a
Qui viennent retracer | et bénir une vie ! 6+6 a
135 Jocelyn, lui du moins, | tous les reconnaissait, 6+6 b
Car par son nom mortel | chacun le bénissait ; 6+6 b
Et deux anges de Dieu | sur l'herbe descendirent, 6+6 a
Sur le couple béni | leurs ailes s'étendirent, 6+6 a
Et ces ailes formaient | comme un grand dôme bleu 6+6 b
140 Pour ombrager leurs fronts | d'un invisible feu ; 6+6 b
Et j'entendis les voix | d'un million de génies 6+6 a
Se répandre sur l'onde | en vagues d'harmonies ; 6+6 a
Et pendant qu'ils chantaient, | les anges du Seigneur, 6+6 b
Aux doigts des deux amans, | rougissant de bonheur, 6+6 b
145 Passaient le double anneau | des noces éternelles, 6+6 a
Et sur leurs fronts baissés, | ouvrant un peu leurs ailes, 6+6 a
Laissaient percer du ciel | un rayon de l'amour ; 6+6 b
Et mes yeux, foudroyés | de ce céleste jour, 6+6 b
Virent les deux amans | ne former qu'un seul être 6+6 a
150 Où l'un ne pouvait plus | de l'autre se connaître, 6+6 a
Et dans un lumineux | évanouissement 6+6 b
Fondre comme une étoile | au jour du firmament ! 6+6 b
Et comme pour mieux voir | je détournais la tête, 6+6 a
Tout le lac frissonna | du vol de la tempête 6+6 a
155 Et roula dans ses bruits | avec solennité 6+6 b
Laurence ! Jocelyn ! | amour ! éternité ! 6+6 b
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