Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
LAM_10/LAM167
Alphonse de LAMARTINE
RECUEILLEMENTS POÉTIQUES
1839
I
CANTIQUE
SUR LA MORT DE MADAME LA DUCHESSE DE B***
Quand le printemps a mûri l'herbe 8 a
Qui porte la vie et le pain, 8 b
Le moissonneur liant la gerbe 8 a
L'emporte à l'aire du bon grain ; 8 b
5 Il ne regarde pas | si l'herbe qu'il enlève 6+6 a
Verdit encore au pied | de jeunesse et de sève, 6+6 a
Ou si, sous les épis | courbés en pavillon, 6+6 a
Quelques frêles oiseaux | à qui l'ombre était douce 6+6 b
Du soleil ou du vent | s'abritaient sur la mousse, 6+6 b
10 Dans le nid caché du sillon ? 8 a
Que lui fait la fleur bleue ou blanche 8 a
Qui, liée en faisceau doré, 8 b
Sur le bras qui l'emporte, penche 8 a
Son front mort et décoloré. 8 b
15 « Portez les blonds épis | sur mon aire d'argile ! 6+6 a
« Faites jaillir le blé | de la paille fragile ! 6+6 a
« La fleur parfumera | le froment de son miel, 6+6 a
« Et broyé sous la meule | où Dieu fait sa mouture, 6+6 b
« Ce grain d'or deviendra | la sainte nourriture 6+6 b
20 « Que rompent les enfans du ciel ! » 8 a
Seigneur ! ainsi tu l'as cueillie, 8 a
Aux jours de sa félicité, 8 b
Cette femme qui multiplie 8 a
Ton nom dans sa postérité ! 8 b
25 En vain dans le lit d'or | dont ses jours étaient l'onde, 6+6 a
On voyait resplendir | l'eau limpide et profonde, 6+6 a
En vain sa chevelure | à ses pieds ruisselait, 6+6 a
En vain un tendre enfant, | dernier fruit de sa couche, 6+6 b
Ouvrait lés bras à peine | et s'essuyait la bouche 6+6 b
30 Teinte encor de son chaste lait. 8 a
Tu vois celle ame printanière, 8 a
Fructifiant avant l'été, 8 b
Répandre en dons, comme en prière, 8 a
Son parfum de maturité. 8 b
35 Et lu dis à la mort, | ministre de ta grâce : 6+6 a
Laisse tomber sur elle | un rayon de ma face, 6+6 a
Qu'elle sèche d'amour | pour mes biens immortels ! 6+6 a
Et la mort t'obéit | et t'apporte son ame, 6+6 b
Comme le vent enlève | une langue de flamme 6+6 b
40 De la flamme de tes autels ! 8 a
O Dieu ! que ta loi nous est rude ! 8 a
Que nos cœurs saignent de tes coups ! 8 b
Quel vide et quelle solitude 8 a
Fait celle absence autour de nous ! 8 b
45 Par quel amour jaloux, | par quel cruel mystère, 6+6 a
De tout ce qui l'ornait | dépouilles-tu la terre ? 6+6 a
N'avons-nous pas besoin | d'exemple et de flambeau ? 6+6 a
Et pour que ton regard | sans trop d'horreur s'y pose, 6+6 b
Dieu saint ! ne faut-il pas | que quelque sainte rose 6+6 b
50 Te parfume ce vil tombeau ? 8 a
Elle était ce thym des collines 8 a
Que l'aurore semble attirer, 8 b
Que pour embaumer nos poitrines 8 a
Nos lèvres venaient respirer ! 8 b
55 Dans cet air froid du monde | infecté de nos vices 6+6 a
Ses lèvres de corail | étaient deux frais calices 6+6 a
D'où coulait la parole | en célestes accens ! 6+6 a
Combien de fois moi-même, | embaumé de ses grâces, 6+6 b
Comme en sortant d'un temple, | en sortant de ses traces, 6+6 b
60 Je sentis mon cœur plein d'encens ! 8 a
Oh ! qui jamais s'approcha d'elle 8 a
Sans éprouver sur son tourment, 8 b
D'une brise surnaturelle 8 a
Le divin rafraîchissement ? 8 b
65 Au timbre de sa voix, | au jour de sa paupière, 6+6 a
Amis ! qui ne sentit | fondre son cœur de pierre ? 6+6 a
Et ne dit en soi-même, | en l'écoutant parler, 6+6 a
Ce que disait l'apôtre | au disciple incrédule : « 6+6 b
Ne sens-tu pas, mon cœur, | quelque chose qui brûle, 6+6 b
70 « Et qui demande à s'exhaler ?» 8 a
Elle était née un jour | de largesse et de fête, 6+6 a
D'une femme immortelle, | au verbe de prophète ; 6+6 a
Le génie et l'amour | la conçurent d'un vœu ! 6+6 a
On sentait à l'élan | que retenait la règle 6+6 b
75 Que sa mère l'avait | couvée au nid de l'aigle 6+6 b
Sous une poitrine de feu ! 8 a
Les palpitations | de l'ame maternelle 6+6 a
Au-delà du tombeau | se ressentaient en elle ; 6+6 a
Elle aimait les hauts lieux | et le libre horizon ; 6+6 a
80 Un élan naturel | l'emportait vers les cimes 6+6 b
Où la création | donne aux âmes sublimes 6+6 b
Les vertiges de là raison ! 8 a
Dès qu'un seul mot rompait | le sceau de ses pensées 6+6 a
On les voyait monter | vers le ciel élancées, 6+6 a
85 Jusqu'où monte au très-Haut | la contemplation ; 6+6 a
Son œil avait l'éclair | du feu sur une armure, 6+6 b
Et le son de sa voix | vibrait comme un murmure 6+6 b
Dés grandes harpes de Sion. 8 a
Elle montait ainsi | jusqu'où l'on perd de vue 6+6 a
90 L'ame contemplative | à son Dieu confondue,] 6+6 a
Perçant avec la foi | les voiles de la mort ; 6+6 a
Et revenait semblable | à l'oiseau du déluge 6+6 b
Rapporter un rameau | de paix et de refuge 6+6 b
Aux faibles qui doutaient du bord ! 8 a
95 L'amour qui l'enlevait | la ramenait au monde, 6+6 a
Non pas pour s'abreuver | comme nous de son onde, 6+6 a
Non pas pour se nourrir | du pain qu'il a levé, 6+6 a
Mais pour faire choisir | parmi la graine amère 6+6 b
A ces petits enfans, | dont elle était la mère, 6+6 b
100 Quelques liges de sénevé ! 8 a
Ce grain qu'elle cherchait | comme la poule gratte 6+6 a
Le froment ou le mil | sur une terre ingrate, 6+6 a
C'était, Seigneur, c'était | les lettres de la loi ; 6+6 a
C'était le sens caché | dans les mois du saint livre 6+6 b
105 Dont le silence parle | et dont l'esprit fait vivre 6+6 b
Ceux qui se nourrissent de foi ! 8 a
🙫
Au bruit du monde qui l'admire 8 a
Et se pressait pour l'escorter, 8 b
Comme l'onde autour du navire 8 a
110 Pour l'engloutir ou le porter, 8 b
Aux nœuds d'une gloire importune 8 a
Qui l'enchaînait à sa fortune, 8 a
Elle, éprise d'autre trésor ! 8 a
A l'œil de l'amitié ravie 8 b
115 Qui regardait luire sa vie 8 b
Humble dans un chandelier d'or ! 8 a
Aux roulis inconstans de l'onde 8 a
Où le souffle orageux des airs 8 b
L'agitait sur la mer du monde 8 a
120 A la lueur de nos éclairs ; 8 b
A ces foudres, à ces naufrages 8 a
Qui jettent sur tous nos rivages 8 a
Nos respects avec nos débris, 8 a
A ces tempêtes populaires 8 b
125 Qui font sombrer dans leurs colères 8 b
Ceux que soulevaient leurs mépris ! 8 a
Elle échappait rêveuse et tendre 8 a
Par ce divin recueillement . 8 b
Qui fait silence pour entendre 8 a
130 Le vol de l'ange au firmament ! 8 b
Grâce au bras que son Christ lui prête, 8 a
Elle marchait sur la tempête 8 a
Sans tremper ses pieds au milieu ; 8 a
Et cette figuré céleste 8 b
135 Esprit et corps n'étaient qu'un geste 8 b
Qui foulait l'onde et montrait Dieu ! 8 a
Quelle ombre du Très-Haut sur elle ! 8 a
Quelle auguste et sainte pudeur 8 b
Comme un séraphin sous son aile 8 a
140 La vêtissait de sa splendeur ! 8 b
Comme toute profane idée 8 a
Disparaissait intimidée 8 a
Sous le rayon de sa beauté ! 8 a
Comme le vent de pure flamme 8 b
145 Balayait de devant cette ame 8 b
Toute cendre de volupté ! 8 a
🙫
Ton amour, ô Seigneur ! | est dans l'amour suprême ! 6+6 a
L'amour de ces enfans | en qui le chrétien t'aime ! 6+6 a
Sur leurs cœurs ulcérés | cette huile de ta foi ! 6+6 a
150 Ces aumônes d'esprit | en pages de ta loi ! 6+6 a
Ces pains multipliés | pour nourrir leurs misères, 6+6 a
Ces conversations | la nuit avec ses frères 6+6 a
Pour charmer leur exil | en se parlant de toi ; 6+6 a
Ces cœurs fertilisés | se fondant en prières 6+6 b
155 Aux hymnes du prophète-roi ! 8 a
C'était là de ses nuits | les voluptés sévères. 6+6 b
Anges qui les voiliez, | oh ! redites-les moi ! 6+6 a
Dites, oiseaux évangéliques, 8 a
Passereaux du sacré jardin, 8 b
160 Dont les notes mélancoliques 8 a
Enchantent les flots du Jourdain ? 8 b
Saintes colombes de ses saules 8 a
Qui joignant vos pieds de rubis 8 b
Veniez percher sur les épaules 8 a
165 Du pasteur des douces brebis ! 8 b
Oiseaux cachés parmi les branches 8 a
Sur les bords du sacré vivier, 8 b
Qui couvrez de vos ailes blanches 8 a
Le Thérébinthe et l'Olivier ! 8 b
170 Vous qui même à son agonie, 8 a
Accourant à sa sainte voix, 8 b
Veniez mêler votre harmonie 8 a
Aux gémissemens de sa croix ! 8 b
Dites quels amoureux messages 8 a
175 Ou de tristesse ou de douceur, 8 b
Du désert et des saints rivages 8 a
Vous apportiez à cette sœur ? 8 b
Dites quelles saintes pensées 8 a
Sous l'arbre de la passion, 8 b
180 Dites quelles larmes versées 8 a
Sur la poussière de Sion, 8 b
Vous remportiez sur les racines 8 a
Du jardin des saintes douleurs, 8 b
Et vous versiez dans les piscines 8 a
185 Où Jésus répandit ses pleurs ? 8 b
Ces colombes un jour | aux rives immortelles 6+6 a
Emmenèrent d'ici | cette sœur avec elles 6+6 a
Pour goûter, ô Seigneur ! | combien ton ciel est doux ! 6+6 a
Elle alla se poser | sur les rosiers mystiques 6+6 b
190 Que le Siloé baigne | au jardin des cantiques, 6+6 b
Et ne revint plus parmi nous ! 8 a
Elle n'est plus ! le jour | a pâli de sa perte ! 6+6 a
Où son cœur comblait tout, | que la place est déserte ! 6+6 a
Berceau de ses enfans ! | maison de son époux ! 6+6 a
195 Seuils des temples sacrés | où pliaient ses genoux ! 6+6 a
Prisons dont sa clé d'or | écartait les verroux ! 6+6 a
Porte des malheureux | par son aumône ouverte ! 6+6 b
Comment vous consolerez-vous ? 8 a
Et nous, cœurs ténébreux | dont la lampe est couverte. 6+6 b
200 Nous ses amis, que ferons-nous ? 8 a
Remplirons-nous les cieux | du cri de nos alarmes ? 6+6 a
Nous inonderons-nous | de cendres et de larmes ? 6+6 a
Répandrons-nous notre ame | en lamentations ? 6+6 a
Comme ceux qui n'ont pas | l'espoir dans leurs calices, 6+6 b
205 Et qui ne mêlent pas | le sel des sacrifices 6+6 b
A l'eau de leurs afflictions ? 8 a
Non, nos yeux souilleraient | d'une tâche profane 6+6 a
De l'immortalité | la robe diaphane ; 6+6 a
Pleurer la mort des saints | c'est la déshonorer ! 6+6 a
210 Quand Dieu cueille son fruit | mûr sur l'arbre de vie, 6+6 b
A qui donc appartient | la douleur ou l'envie ? 6+6 b
Qui donc a le droit de pleurer ? 8 a
Non ! nous élargissons | les ailes de notre ame 6+6 a
Pour aimer l'esprit pur | où nous aimions la femme ; 6+6 a
215 Époux, enfans, amis, | point de pleurs, point d'adieu ! 6+6 a
Celle dont ici bas | l'ombre s'est éclipsée 6+6 b
Devient pour nos esprits | une sainte pensée 6+6 b
Par qui notre ame monte à Dieu ! 8 a
🙫
Gloire à Dieu ! grâce à la terre ! 7 a
220 Qui s'ornant de si beaux dons, 7 b
Par un terrible mystère 7 a
Te rend ceux que nous perdons ! 7 b
Gloire à ce morceau d'argile 7 a
Où dans une chair fragile 7 a
225 Qu'anime un sacré levain 7 a
Avec un souffle de vie 7 b
Prêtée un jour et ravie 7 b
Tu fais un être divin ! 7 a
Frères ! qu'elle sera belle 7 a
230 La société des saints 7 b
Où va nous attirer celle 7 a
Qui vit encor dans nos seins ! 7 b
Où s'uniront dans la gloire 7 a
Comme dans cette mémoire 7 a
235 Génie, amour et beauté,. 7 a
Ces trois sublimes images 7 b
De tes plus parfaits ouvrages, 7 b
Symbolique Trinité ! 7 a
Là ces âmes fugitives 7 a
240 Qui, sans se poser au sol, 7 b
Ne font, cherchant d'autres rives, 7 a
Qu'effleurer nos flots du vol ; 7 b
Là ces natures célèbres 7 a
Qui traversent nos ténèbres 7 a
245 En y jetant leur éclair ! 7 a
Là ces enfans et ces femmes, 7 b
Toute cette fleur des âmes 7 b
Qui laisse un parfum dans l'air ! 7 a
Vous y souriez ensemble 7 a
250 A ceux qui cherchent vos pas, 7 b
Divins esprits que rassemble 7 a
Le cher souci d'ici-bas ! 7 b
J'y vois ta grâce, ô ma mère ! 7 a
Et toi goutte trop amère 7 a
255 De mon calice de fiel, 7 a
Fleur à ma lige enlevée 7 b
Et dans mon cœur retrouvée, 7 b
Qui donnez son nom au ciel ! 7 a
Apparitions célestes, 7 a
260 Disparaissant tour à tour, 7 b
Qui d'en haut nous font les gestes 7 a
Que fait l'amour à l'amour ! 7 b
Tendresses ensevelies 7 a
Sous tant de mélancolies 7 a
265 Qu'un jour doit ressusciter ! 7 a
Feux que notre nuit voit poindre ! 7 b
Oh ! mourons pour les rejoindre ! 7 b
Vivons pour les mériter ! 7 a
🙫
Un jour elle disait | à celui qui la pleure : 6+6 a
270 Le monde n'a qu'un son, | la gloire n'a qu'une heure, 6+6 a
Suspendez votre harpe | aux piliers du saint lieu ! 6+6 a
Mélodieux écho | des accords prophétiques, 6+6 b
Chantez aux jours nouveaux | les éternels cantiques ; 6+6 b
Dieu donc n'est-il pas toujours Dieu ? 8 a
275 Je lui jurai, Seigneur ! | de célébrer ta gloire ; 6+6 a
Et le vent de la vie | emporta ma mémoire, 6+6 a
Et le courant du monde | effaça ses accens ; 6+6 a
Et le foyer divin | où ta flamme tressaille, 6+6 b
Dans mon cœur oublieux | brûla l'herbe et la paille 6+6 b
280 Au lieu de brûler ton encens ! 8 a
Et maintenant je viens | comme Marthe, et Marie, 6+6 a
Qui portaient à Jésus | l'encens de Samarie, 6+6 a
Et trouvèrent ses bras | morts et crucifiés, 6+6 a
Acquitter au Seigneur | mon denier sur ta tombe, 6+6 b
285 Et gémir tristement | ce cantique qui tombe 6+6 b
Comme une larme sur ses piés. 8 a
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