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Alphonse de LAMARTINE
MÉDITATIONS POÉTIQUES
PREMIÈRES MÉDITATIONS
1820
DIX-NEUVIÈME MÉDITATION
LA PRIÈRE
Le roi brillant du jour, se couchant dans sa gloire, 6+6 a
Descend avec lenteur de son char de victoire : 6+6 a
Le nuage éclatant qui le cache à nos yeux 6+6 b
Conserve en sillons d’or sa trace dans les cieux, 6+6 b
5 Et d’un reflet de pourpre inonde l’étendue. 6+6 a
Comme une lampe d’or dans l’azur suspendue, 6+6 a
La lune se balance aux bords de l’horizon ; 6+6 b
Ses rayons affaiblis dorment sur le gazon, 6+6 b
Et le voile des nuits sur les monts se déplie. 6+6 a
10 C’est l’heure où la nature, un moment recueillie, 6+6 a
Entre la nuit qui tombe et le jour qui s’enfuit, 6+6 b
S’élève au créateur du jour et de la nuit, 6+6 b
Et semble offrir à Dieu, dans son brillant langage, 6+6 a
De la création le magnifique hommage. 6+6 a
15 Voilà le sacrifice, immense, universel ! 6+6 b
L’univers est le temple, et la terre est l’autel ; 6+6 b
Les cieux en sont le dôme, et ses astres sans nombre, 6+6 a
Ces feux demi-voilés, pâle ornement de l’ombre, 6+6 a
Dans la voûte d’azur avec ordre semés, 6+6 b
20 Sont les sacrés flambeaux pour ce temple allumés : 6+6 b
Et ces nuages purs qu’un jour mourant colore, 6+6 a
Et qu’un souffle léger, du couchant à l’aurore, 6+6 a
Dans les plaines de l’air repliant mollement, 6+6 b
Roule en flocons de pourpre aux bords du firmament, 6+6 b
25 Sont les flots de l’encens qui monte et s’évapore 6+6 a
Jusqu’au trône du Dieu que la nature adore. 6+6 a
Mais ce temple est sans voix. Où sont les saints concerts ? 6+6 b
D’où s’élèvera l’hymne au roi de l’univers ? 6+6 b
Tout se tait : mon cœur seul parle dans ce silence. 6+6 a
30 La voix de l’univers, c’est mon intelligence. 6+6 a
Sur les rayons du soir, sur les ailes du vent, 6+6 b
Elle s’élève à Dieu comme un parfum vivant, 6+6 b
Et, donnant un langage à toute créature, 6+6 a
Prête, pour l’adorer, mon âme à la nature. 6+6 a
35 Seul, invoquant ici son regard paternel, 6+6 b
Je remplis le désert du nom de l’Éternel ; 6+6 b
Et celui qui, du sein de sa gloire infinie, 6+6 a
Des sphères qu’il ordonne écoute l’harmonie, 6+6 a
Écoute aussi la voix de mon humble raison, 6+6 b
40 Qui contemple sa gloire et murmure son nom. 6+6 b
Salut, principe et fin de toi-même et du monde ! 6+6 a
Toi qui rends d’un regard l’immensité féconde, 6+6 a
Âme de l’univers, Dieu, père, créateur, 6+6 b
Sous tous ces noms divers je crois en toi, Seigneur ; 6+6 b
45 Et, sans avoir besoin d’entendre ta parole, 6+6 a
Je lis au front des cieux mon glorieux symbole. 6+6 a
L’étendue à mes yeux révèle ta grandeur ; 6+6 b
La terre, ta bonté ; les astres, ta splendeur. 6+6 b
Tu t’es produit toi-même en ton brillant ouvrage ! 6+6 a
50 L’univers tout entier réfléchit ton image, 6+6 a
Et mon âme à son tour réfléchit l’univers. 6+6 b
Ma pensée, embrassant tes attributs divers, 6+6 b
Partout autour de toi te découvre et t’adore, 6+6 a
Se contemple soi-même, et t’y découvre encore : 6+6 a
55 Ainsi l’astre du jour éclate dans les cieux, 6+6 b
Se réfléchit dans l’onde, et se peint à mes yeux. 6+6 b
C’est peu de croire en toi, bonté, beauté suprême ! 6+6 a
Je te cherche partout, j’aspire à toi, je t’aime ! 6+6 a
Mon âme est un rayon de lumière et d’amour 6+6 b
60 Qui, du foyer divin détaché pour un jour, 6+6 b
De désirs dévorants loin de toi consumée, 6+6 a
Brûle de remonter à sa source enflammée. 6+6 a
Je respire, je sens, je pense, j’aime en toi ! 6+6 b
Ce monde qui te cache est transparent pour moi ; 6+6 b
65 C’est toi que je découvre au fond de la nature, 6+6 a
C’est toi que je bénis dans toute créature. 6+6 a
Pour m’approcher de toi, j’ai fui dans ces déserts : 6+6 b
Là, quand l’aube, agitant son voile dans les airs, 6+6 b
Entr’ouvre l’horizon qu’un jour naissant colore, 6+6 a
70 Et sème sur les monts les perles de l’aurore, 6+6 a
Pour moi c’est ton regard qui, du divin séjour, 6+6 b
S’entrouvre sur le monde et lui répand le jour. 6+6 b
Quand l’astre à son midi, suspendant sa carrière, 6+6 a
M’inonde de chaleur, de vie et de lumière, 6+6 a
75 Dans ses puissants rayons, qui raniment mes sens, 6+6 b
Seigneur, c’est ta vertu, ton souffle que je sens ; 6+6 b
Et quand la nuit, guidant son cortége d’étoiles, 6+6 a
Sur le monde endormi jette ses sombres voiles, 6+6 a
Seul, au sein du désert et de l’obscurité, 6+6 b
80 Méditant de la nuit la douce majesté, 6+6 b
Enveloppé de calme, et d’ombre, et de silence, 6+6 a
Mon âme de plus près adore ta présence ; 6+6 a
D’un jour intérieur je me sens éclairer, 6+6 b
Et j’entends une voix qui me dit d’espérer. 6+6 b
85 Oui, j’espère, Seigneur, en ta magnificence : 6+6 a
Partout à pleines mains prodiguant l’existence, 6+6 a
Tu n’auras pas borné le nombre de mes jours 6+6 b
À ces jours d’ici-bas, si troublés et si courts. 6+6 b
Je te vois en tous lieux conserver et produire : 6+6 a
90 Celui qui peut créer dédaigne de détruire. 6+6 a
Témoin de ta puissance et sûr de ta bonté, 6+6 b
J’attends le jour sans fin de l’immortalité. 6+6 b
La mort m’entoure en vain de ses ombres funèbres, 6+6 a
Ma raison voit le jour à travers ses ténèbres ; 6+6 a
95 C’est le dernier degré qui m’approche de toi, 6+6 b
C’est le voile qui tombe entre ta face et moi. 6+6 b
Hâte pour moi, Seigneur, ce moment que j’implore ; 6+6 a
Ou si dans tes secrets tu le retiens encore, 6+6 a
Entends du haut du ciel le cri de mes besoins ! 6+6 b
100 L’atome et l’univers sont l’objet de tes soins : 6+6 b
Des dons de ta bonté soutiens mon indigence, 6+6 a
Nourris mon corps de pain, mon âme d’espérance ; 6+6 a
Réchauffe d’un regard de tes yeux tout-puissants 6+6 b
Mon esprit éclipsé par l’ombre de mes sens ; 6+6 b
105 Et, comme le soleil aspire la rosée, 6+6 a
Dans ton sein à jamais absorbe ma pensée ! 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite de distiques
schéma : 53((aa))
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