Métrique en Ligne
LAF_2/LAF73
Jules LAFORGUE
Les Complaintes
1885
COMPLAINTE DU TEMPS ET DE SA COMMÈRE L'ESPACE
────
Je tends mes poignets universels dont aucun 12 a
N'est le droit ou le gauche, et l'Espace, dans un 6+6 a
Va-et-vient giratoire, y détrame les toiles 6+6 b
D'azur pleines de cocons à fœtus d'Étoiles. 12 b
5 Et nous nous blasons tant, je ne sais où, les deux 6+6 a
Indissolubles nuits aux orgues vaniteux 6+6 a
De nos pores à Soleils, où toute cellule 8+4 b
Chante : Moi ! Moi ! Puis s'éparpille, ridicule ! 4+4+4 b
Elle est l'infini sans fin, je deviens le temps 6−6 a
10 Infaillible. C'est pourquoi nous nous perdons tant. 8+4 a
Où sommes-nous ? Pourquoi ? Pour que Dieu s'accomplisse ? 6+6 b
Mais l'Éternité n'y a pas suffi ! Calice 6+6 b
Inconscient, où tout cœur crevé se résout, 6+6 a
Extrais-nous donc alors de ce néant trop tout ! 6+6 a
15 Que tu fisses de nous seulement une flamme, 6+6 b
Un vrai sanglot mortel, la moindre goutte d'âme ! 6+6 b
Mais nous bâillons de toute la force de nos 4+8 a
Touts, sûrs de la surdité des humains échos. 12 a
Que ne suis-je indivisible ! Et toi, douce Espace, 8+4 b
20 Où sont les steppes de tes seins, que j'y rêvasse ? 6−6 b
Quand t'ai-je fécondée à jamais ? Oh ! Ce dut 6+6 a
Être un spasme intéressant ! Mais quel fut mon but ? 8+4 a
Je t'ai, tu m'as. Mais où ? Partout, toujours. Extase 6+6 b
Sur laquelle, quand on est le Temps, on se blase. 6−6 b
25 Or, voilà des spleens infinis que je suis en 8+4 a
Voyage vers ta bouche, et pas plus à présent 6+6 a
Que toujours, je ne sens la fleur triomphatrice 6+6 b
Qui flotte, m'as-tu dit, au seuil de ta matrice. 6+6 b
Abstraites amours ! Quel infini mitoyen 6+6 a
30 Tourne entre nos deux Touts ? Sommes-nous deux ? Ou bien 6+6 a
(tais-toi si tu ne peux me prouver à outrance, 6+6 b
Illico, le fondement de la connaissance, 12 b
Et, par ce chant : Pensée, Objet, Identité ! 6+6 a
Souffler le Doute, songe d'un siècle d'été) 8+4 a
35 Suis-je à jamais un solitaire Hermaphrodite, 4+4+4 b
Comme le Ver solitaire, ô ma Sulamite ? 4+4+4 b
Ma complainte n'a pas eu de commencement, 6+6 a
Que je sache, et n'aura nulle fin ; autrement, 6+6 a
Je serais l'anachronisme absolu. Pullule 12 b
40 Donc, azur possédé du mètre et du pendule ! 6+6 b
Ô Source du Possible, alimente à jamais 6+6 a
Des pollens des soleils d'exil, et de l'engrais 6+6 a
Des chaotiques hécatombes, l'automate 4+4+4 b
Universel où pas une loi ne se hâte. 6+6 b
45 Nuls à tout, sauf aux rares mystiques éclairs 6−6 a
Des Élus, nous restons les deux miroirs d'éther 6+6 a
Réfléchissant, jusqu'à la mort de ces Mystères, 6−6 b
Leurs Nuits que l'Amour jonche de fleurs éphémères. 6−6 b
mètre profil métrique : 6÷6
forme globale type : suite de distiques
logo du CRISCO logo de l'université