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LAC_3/LAC242
Auguste LACAUSSADE
Les Épaves
1876
POÈMES NATIONAUX
II
Le Rossignol pendant le Siège de Paris
Quand tu dormais sous la ramée, 8 a
Frêle oiseau, sans ailes encor, 8 b
Invisible et de ruse armée, 8 a
Une main sur toi s'est fermée 8 a
5 Et du ciel priva ton essor. 8 b
Et tu grandis dans l'esclavage, 8 a
Exilé de l'air et des bois, 8 b
Rêvant peut-être un lieu sauvage 8 a
Plein de silence et de feuillage, 8 a
10 Où libre pût monter ta voix. 8 b
Quand tu parus dans ma retraite, 8 a
Que ta voix devait réjouir, 8 b
Heureux d'abriter un poète, 8 a
Mon humble toit se mit en fête, 8 a
15 Chanteur ailé, pour t'accueillir. 8 b
Rêvant pour toi paix et bien-être, 8 a
Je t'installai près du foyer, 8 b
D'où l'on peut voir par ma fenêtre 8 a
Au vent se bercer le vieux hêtre ; 8 a
20 Au ciel le nuage ondoyer. 8 b
Mais d'abord, farouche, irascible, 8 a
Comme un captif chez son geôlier, 8 b
Poète au silence invincible, 8 a
Tu restas froid, morne, insensible, 8 a
25 A mon accueil hospitalier. 8 b
« Sois libre ! je hais l'esclavage ! 8 a
Loin d'ici veux-tu t'envoler ? 8 b
Pars ! retourne au natal bocage ! » 8 a
J'ouvris la fenêtre et ta cage ; 8 a
30 Tu refusas de t'en aller ! 8 b
Reste donc, et sois béni, frère ! 8 a
Tu n'as pas fui mon amitié. 8 b
Le sort m'est si dur et contraire, 8 a
Que j'ai besoin, cœur solitaire, 8 a
35 D'un cœur qui me prenne en pitié ! 8 b
Et dès lors ma sollicitude 8 a
Veilla sur toi sans t'alarmer. 8 b
De me voir tu pris l'habitude, 8 a
Et, soit instinct, soit gratitude, 8 a
40 Tu finis, je crois, par m'aimer. 8 b
Chaque jour ma main fraternelle, 8 a
Te prodiguant les soins jaloux, 8 b
T'offrait le grain et l'eau nouvelle ; 8 a
Et sur moi ta noire prunelle 8 a
45 Dardait un regard vif et doux. 8 b
L'hiver, l'horrible hiver du Siège, 8 a
Quand tout Paris manquait de pain, 8 b
Cerné par le Hun sacrilège, 8 a
Malgré la disette et la neige, 8 a
50 Toi du moins tu n'eus froid ni faim. 8 b
Jours d'angoisse ! ô malheurs célèbres 8 a
Dont mon cœur saigne avec orgueil ! 8 b
Toi, pendant ces heures funèbres, 8 a
Hôte muet de mes ténèbres, 8 a
55 Ton deuil répondait à mon deuil. 8 b
Au bruit sinistre de la bombe 8 a
Qui passe effleurant la maison, 8 b
D'un vivant partageant la tombe, 8 a
Tu me rappelais la colombe, 8 a
60 La colombe d'Anacréon. 8 b
Ta présence en ma nuit morose 8 a
Évoquait mon soleil natal, 8 b
La plaine où mûrit la jam-rose, 8 a
Nos monts d'azur que l'aube arrose, 8 a
65 Tout mon beau ciel oriental ; 8 b
Mon île austère, mais sereine, 8 a
L'oasis des grands flots amers 8 b
Où de l'Inde erre la Sirène, 8 a
Baignant dans l'or son front de reine, 8 a
70 Ses pieds dans le saphir des mers. 8 b
O vision éblouissante ! 8 a
Mirage aux lointaines clartés ! 8 b
Dans le passé mon âme absente 8 a
Oubliait de l'heure présente 8 a
75 Les navrantes réalités. 8 b
J'entendais au pied des collines, 8 a
Dans l'herbe en fleur ensevelis, 8 b
Se berçant au vent des ravines, 8 a
Les chœurs ailés aux voix divines 8 a
80 De nos frères les bengalis. 8 b
Chante comme eux ! que ma pensée, 8 a
Pleurant les maux de mon pays, 8 b
O rossignol ! par toi bercée, 8 a
Revole vers l'aube éclipsée 8 a
85 De mes bonheurs évanouis ! 8 b
Le chant, bien mieux que la parole, 8 a
Sait du sort adoucir les coups ; 8 b
Avec lui la douleur s'envole : 8 a
Il berce, il endort, il console 8 a
90 Ce qui souffre et gémit en nous. 8 b
En ces temps d'atroce tuerie, 8 a
Où le Hun fourbe et carnassier 8 b
Promène en nos champs sa furie, 8 a
Heureux qui peut pour la patrie 8 a
95 Mourir aux éclairs de l'acier ! 8 b
Mais la mort, cette mort qu'on brave 8 a
En plein soleil, sous les cieux purs, 8 b
Nous fuit ! c'est l'hiver, la faim hâve 8 a
Qui nous frappent, bétail esclave, 8 a
100 Enfermés dans nos propres murs ! 8 b
Inexorable Destinée ! 8 a
Forfaits par l'enfer applaudis !… 8 b
C'en en est trop ! viens, Muse obstie, 9 a
Voile à mon âme consternée 8 a
105 La hideur de ces temps maudits ! 8 b
La force ici ment au courage, 8 a
Le Droit est trahi par le sort. 8 b
D'un vainqueur défions la rage : 8 a
Comme l'Alcyon dans l'orage, 8 a
110 Rossignol ! chantons dans la mort. 8 b
Laissons s'ouvrir et se détendre 8 a
Nos cœurs par l'angoisse envahis. 8 b
Chante, oiseau ! que je croie entendre 8 a
La voix mélancolique et tendre 8 a
115 De nos frères les bengalis ! 8 b
Que ton chant limpide et sonore 8 a
Ouvre à mon esprit enchaîné 8 b
Ce libre azur que l'astre dore, 8 a
Nos horizons baignés d'aurore, 8 a
120 Le beau rivage où je suis né ! 8 b
Mais non : morne, farouche, austère, 8 a
Tant que l'hiver planant au ciel 8 b
D'un blanc linceul couvrit la terre, 8 a
Sachant souffrir, sachant te taire, 8 a
125 Tu restas sourd à mon appel. 8 b
C'est bien, je comprends ton silence : 8 a
Quand du talon de l'étranger 8 b
Notre sol subit l'insolence, 8 a
Quand de partout ce cri s'élance : 8 a
130 « Sauvons la patrie en danger ! » 8 b
Quand au bruit strident des mitrailles 8 a
Qui sur nos toits pleuvent des cieux, 8 b
Se mêle, au sein de nos murailles, 8 a
Le glas sonnant les funérailles 8 a
135 D'un peuple trahi par ses dieux ; 8 b
Quand l'obus sème l'incendie 8 a
Et dans nos murs et dans nos champs, 8 b
Non ! ce n'est point, ô Poésie ! 8 a
Ton heure à toi, l'heure choisie 8 a
140 Pour les rêves et pour les chants. 8 b
C'est l'heure où le cœur se replie 8 a
Dans un amer recueillement, 8 b
L'heure, où des maux de la patrie 8 a
Chacun, dans son âme meurtrie, 8 a
145 Couve l'altier ressentiment ; 8 b
L'heure des détresses communes 8 a
Où chacun à tous doit s'unir, 8 b
Et, navré des mêmes fortunes, 8 a
Des représailles opportunes 8 a
150 Attend le jour lent à venir. 8 b
Vienne ce jour, ô mère ! ô France ! 8 a
Jour trois fois cher à tes enfants, 8 b
Et des cœurs vibrant d'espérance 8 a
Jaillira pour ta délivrance 8 a
155 La strophe aux mètres triomphants ! 8 b
Alors, sans fureur qui t'égare, 8 a
Mais sur tous levant ton flambeau, 8 b
Le Hun fratricide et barbare 8 a
Pourra te voir, comme Lazare, 8 a
160 Sortir vivante du tombeau ! 8 b
Alors… Trêve aux paroles vaines ! 8 a
Le silence au vaincu sied mieux. 8 b
Laissons le soleil dans nos veines, 8 a
Comme la sève aux troncs des chênes, 8 a
165 Refaire le sang des aïeux ! 8 b
Or, le froid déjà diminue, 8 a
L'air a des souffles caressants, 8 b
Un soleil pâle, ouvrant la nue, 8 a
Fond la neige, et la glèbe nue 8 a
170 Se verdit de gazons naissants. 8 b
Du printemps, de la paix prochaine 8 a
On voit les signes précurseurs ; 8 b
L'air s'azure et se rassérène, 8 a
Et, là-bas, décroît dans la plaine 8 a
175 Le flot noir des envahisseurs. 8 b
Lourds de butin, légers de gloire, 8 a
Qu'ils partent repus ! L'avenir, 8 b
O vous qui souillez la victoire, 8 a
Un jour fera dire à l'histoire 8 a
180 Si nous savons nous souvenir. 8 b
Bientôt les lilas vont éclore, 8 a
Du sol vont poindre les moissons ; 8 b
L'alouette au gosier sonore 8 a
Dans l'azur que l'aube colore 8 a
185 Déjà s'élance des buissons. 8 b
Déjà planent les hirondelles 8 a
Autour de nos toits mutilés, 8 b
Saluant de leurs cris fidèles 8 a
Nos clochers et nos citadelles 8 a
190 Par l'Aigle noire, hélas ! souillés. 8 b
Les gais moineaux à ma fenêtre 8 a
Ont repris leurs jeux querelleurs, 8 b
Leur vol réjouit le vieux hêtre, 8 a
L'aïeul pensif qui les vit naître 8 a
195 Et les berça parmi ses fleurs. 8 b
Au soleil dissipant la brume, 8 a
Cher hôte avec moi prisonnier, 8 b
Ton œil noir aussi se rallume, 8 a
Et tu sens glisser sous ta plume 8 a
200 Les tiédeurs du vent printanier. 8 b
Tu contemples de ma croisée, 8 a
Pensif en ta cage d'osier, 8 b
La cour de lierre pavoisée, 8 a
Le bassin à l'onde irisée, 8 a
205 La haute tige du rosier. 8 b
L'esprit du chant en toi s'agite, 8 a
Ton aile en trahit le frisson, 8 b
Au cœur le sang te bat plus vite, 8 a
Du printemps la muse t'invite 8 a
210 A lancer au ciel ta chanson. 8 b
L'ivresse dont ton âme est pleine 8 a
Dilate et soulève ton corps ; 8 b
J'écoute, respirant à peine : 8 a
Enfin, de ta gorge d'ébène 8 a
215 Jaillit le flot de tes accords. 8 b
Flot lumineux, gammes ailées, 8 a
Flèches du son au large éclair, 8 b
Vocalise aux notes perlées 8 a
Tombant en grappes étoilées 8 a
220 Dans le silence ému de l'air ; 8 b
Hymne où la volupté soupire 8 a
Sa riche lamentation, 8 b
Cris d'amour que le cœur inspire, 8 a
Musique où palpite et respire 8 a
225 Le clavier de la passion ; 8 b
Tous ces secrets, doux ou sublimes, 8 a
Qu'à rendre l'homme est impuissant, 8 b
Désirs, transports, langueurs intimes, 8 a
O roi du chant ! tu les exprimes 8 a
230 Dans ta langue au multiple accent ; 8 b
Bruits de la source au frais murmure, 8 a
Soupirs du vent au sein des bois, 8 b
Toutes les voix de la nature, 8 a
Mélodieuse créature, 8 a
235 Tu les résumes dans ta voix ! 8 b
Verse-la donc en mon oreille, 8 a
Ta voix aux magiques douceurs ! 8 b
Évoque en mon âme et réveille 8 a
La vision et la merveille 8 a
240 D'un Éden fleurissant ailleurs ! 8 b
Verse, verse à pleine poitrine 8 a
L'ivresse qui déborde en toi ! 8 b
Qu'à ton chant ma nuit s'illumine ! 8 a
Traduis dans ta langue divine 8 a
245 L'idéal qui soupire en moi ! 8 b
Dis le printemps, dis l'espérance, 8 a
Le départ du dévastateur ! 8 b
Dis le jour de la délivrance ! 8 a
Dis !… Tout mon être fait silence 8 a
250 Pour t'écouter, divin chanteur ! 8 b
Divin chanteur au noir plumage, 8 a
Suave artiste au gosier d'or, 8 b
La lyre envîrait ton ramage, 8 a
Et tout barde en toi rend hommage 8 a
255 A la Muse au lyrique essor. 8 b
Et tu chantes, et ma retraite 8 a
S'emplit d'accords et de clarté, 8 b
Et ton hymne étoilé, poète, 8 a
De ma solitude muette 8 a
260 A payé l'hospitalité. 8 b
Sois béni, barde prophétique, 8 a
Toi qui dans nos jours de malheurs, 8 b
Devant mon deuil patriotique, 8 a
Évoques, vision stoïque, 8 a
265 L'avenir aux espoirs vengeurs ; 8 b
Toi de qui la voix inspirée, 8 a
Du printemps fêtant le retour, 8 b
Annonce à la Cité sacrée 8 a
Votre départ, horde exécrée, 8 a
270 Horde du Hun et du vautour ; 8 b
Toi qui dans mon âme meurtrie 8 a
Ravives, au jour du danger, 8 b
Ma double et haute idolâtrie : 8 a
Le saint amour de la patrie, 8 a
275 La sainte horreur de l'étranger ! 8 b
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