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LAC_3/LAC239
Auguste LACAUSSADE
Les Épaves
1876
LES AUTOMNALES
XI
La Mort de l'Oiseau Cardinal
L'heure charmante, au vol rapide, au souffle pur, 6+6 a
Le crépuscule ouvrait ses ailes dans l'azur. 6+6 a
L'astre était descendu derrière la montagne, 6+6 b
Et du grand cap Bernard l'ombre sur la campagne 6+6 b
5 S'allongeait. Dans la rade, à la crête des flots 6+6 a
Le soleil éteignait l'or de ses javelots ; 6+6 a
Et les barques au loin, dans le couchant en flammes, 6+6 b
Comme des cygnes noirs se berçaient sur les lames ; 6+6 b
Et l'ombre des beaux soirs, de la plaine aux coteaux, 6+6 a
10 Du vallon aux sommets, de plateaux en plateaux 6+6 a
Montait, enveloppant de brunes mousselines 6+6 b
Les ondulations fuyantes des collines ; 6+6 b
Et partout, dans le ciel, et sous les bois épais, 6+6 a
L'ineffable silence et l'ineffable paix… 6+6 a
15 Cependant, des pitons ardus aux pics sublimes 6+6 b
La lumière expirante illuminait les cimes, 6+6 b
Et des arbres altiers dont nos monts sont couverts, 6+6 a
Molle et vague, dorait encor les dômes verts. 6+6 a
Sur un tamarinier géant dont la racine 6+6 b
20 Et le vaste feuillage emplissaient la ravine, 6+6 b
Un cardinal, l'oiseau flamboyant, au bec noir, 6+6 a
Se berçait en plein ciel à la brise du soir. 6+6 a
Dans la verte épaisseur de l'arbre au large ombrage 6+6 b
Brillait comme une fleur de pourpre son corsage : 6+6 b
25 L'écarlate poitrail de l'hôte ailé des bois 6+6 a
Révélait le chanteur que révélait sa voix. 6+6 a
Tourné vers le couchant, enivré de lumière, 6+6 b
Il chantait le soleil dans la clarté dernière. 6+6 b
Tandis que l'orbe d'or à l'horizon baissait, 6+6 a
30 Pour le voir de plus haut, plus haut il s'élançait ; 6+6 a
Et son bec, grand ouvert, sur le mont et la plaine 6+6 b
Versait l'hymne du soir dont son âme était pleine, 6+6 b
Hymne où le crépuscule, éteignant ses couleurs, 6+6 a
Mêlait aux rythmes clairs ses mourantes pâleurs ; 6+6 a
35 Et l'ombre se faisait au ciel et sur la terre, 6+6 b
Où de la nuit dé planait le grand mystère. 6+6 b
Soudain, un coup de feu dans l'azur retentit ; 6+6 a
La voix se tut ; de branche en branche s'abattit 6+6 a
L'inoffensif oiseau de la forêt paisible… 6+6 b
40 Un chasseur attardé, subitement visible, 6+6 b
Surgit de la ravine. — En ses doigts teints de sang 6+6 a
Palpitait, tiède encor, le chanteur innocent ; 6+6 a
Et la main sacrilège ouvrant la gibecière, 6+6 b
Y mit l'oiseau de pourpre ami de la lumière ; 6+6 b
45 Puis, distrait et béat, placide meurtrier, 6+6 a
Il reprit de la plaine à pas lourds le sentier. 6+6 a
J'étais jeune, oh ! bien jeune encor. Ce drame agreste, 6+6 b
Enfant, m'eut pour témoin. Le souvenir m'en reste, 6+6 b
Aujourd'hui comme alors, vivant et douloureux. 6+6 a
50 A travers les climats, les jours, les ans nombreux, 6+6 a
De mon passé lointain quand j'évoquais l'histoire, 6+6 b
Ce souvenir toujours attrista ma mémoire. 6+6 b
O révolte du Bien que le cœur seul m'apprit !… 6+6 a
Un doute amer dès lors entra dans mon esprit ; 6+6 a
55 Ma jeune conscience, à tout jamais blessée, 6+6 b
De pourquoi sans réponse obséda ma pensée. 6+6 b
Pourquoi le Mal ?… Pourquoi la mort et la douleur ?… 6+6 a
Pour s'étonner du Mal, l'homme d'un lieu meilleur 6+6 a
Est-il donc descendu ?… Que voit-il sur la terre ?… 6+6 b
60 Aux triomphes du Mal convive involontaire, 6+6 b
Il s'indigne !… Ici, là, partout, la cruauté !… 6+6 a
De la création absente est la bonté ! 6+6 a
Sourde à ses vains soupirs, l'impassible Nature 6+6 b
Livre en tous lieux aux forts les faibles en pâture… 6+6 b
65 Ainsi faite, la vie est-elle un châtiment ? 6+6 a
La rançon d'une chute ?… ou le pressentiment 6+6 a
D'un monde autre et plus juste ?Insolubles problèmes ! 6+6 b
Les cœurs en sont meurtris, les fronts en restent blêmes. 6+6 b
Pour moi, contre le Mal, enfant, j'ai protesté, 6+6 a
70 Et la mort d'un oiseau m'a fait un révolté ! 6+6 a
Harmonieux enfant de ma douce vallée, 6+6 b
Que de fois ma pitié vers toi s'en est allée ! 6+6 b
De te plaindre pourtant, ô chanteur ! j'avais tort. 6+6 a
Las des jours, j'ai depuis, frère ! envié ton sort. 6+6 a
75 Foudroyé, tu tombas de l'arbre au grand feuillage, 6+6 b
Dans tout l'éclat, dans la beauté de ton plumage, 6−6 b
Le gosier plein de chants, tourné vers le soleil, 6+6 a
Et baigné des splendeurs de son coucher vermeil. 6+6 a
Dans ton œuvre d'oiseau qui poursuit sa carrière, 6+6 b
80 Pleine encor de rayons s'est close ta paupière !… 6+6 b
Heureux qui, comme toi, de nul remords souillé, 6+6 a
N'a pas vu, de ses dons lentement dépouillé, 6+6 a
Les tristesses de l'âge et sa décrépitude ; 6+6 b
Ni connu des longs jours la lourde lassitude ; 6+6 b
85 Qui, fidèle à son rôle et fervent jusqu'au bout, 6+6 a
Meurt jeune, foudro dans sa force et debout ! 6+6 a
mètre profil métrique : 6−6
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