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LAC_3/LAC229
Auguste LACAUSSADE
Les Épaves
1876
LES AUTOMNALES
I
Les Soleils de Juin
À Jules Levallois
Come, long sought !
SHELLEY.
I
Le soleil, concentrant les feux de sa prunelle, 6+6 a
Incendiait les cieux de sa gloire éternelle ; 6+6 a
Dans les bois, sur le fleuve aux marges de gazon, 6+6 b
Et sur les monts lointains, lumineux horizon, 6+6 b
5 Partout, resplendissant dans sa verdeur première, 6+6 c
Juin radieux donnait sa fête de lumière. 6+6 c
II
Sous la forêt et seul, triste enfant des cités, 6+6 a
Un rêveur s'enivrait d'ombrage et de clartés. 6+6 a
Sur son front qui fléchit bien que jeune d'années, 6+6 b
10 Les précoces douleurs, les luttes obstinées, 6+6 b
Sillon laborieux, avaient tracé leur pli. 6+6 a
Pour l'heure, il s'abreuvait d'air limpide et d'oubli. 6+6 a
Fils d'un siècle d'airain, sans jeunesse et sans rêve, 6+6 b
Son âme aux lourds soucis pour un jour faisait trêve ; 6+6 b
15 A longs traits il buvait des grands bois les senteurs, 6+6 a
Écoutant la fauvette et les cours d'eau chanteurs, 6+6 a
Et l'abeille posée aux ramures fleuries, 6+6 b
Et l'hymne qu'en son cœur chantaient ses rêveries. 6+6 b
III
Cependant, par degrés, a vol de ses pensers, 6+6 a
20 Il sentait s'éveiller l'essaim des jours passés. 6+6 a
Des étés disparus la fauvette invisible 6+6 b
Disait l'hymne enivrant d'un amour impossible ; 6+6 b
Ses rêves, ses candeurs, les beaux printemps défunts 6+6 a
Sur son front éprou secouaient leurs parfums ; 6+6 a
25 Jour à jour, fleur à fleur, effeuillant ses années, 6+6 b
Longtemps il respira leurs promesses fanées ; 6+6 b
Et plus il remontait vers ses espoirs éteints, 6+6 a
Plus l'idéal éclat de ses riants matins 6+6 a
Lui montrait froide et sombre, hélas ! sa vie austère. 6+6 b
30 Le soleil, cependant, ruisselait sur la terre !… 6+6 b
Alors, sentant monter les brumes de son cœur, 6+6 a
Ces deuils mystérieux de l'homme intérieur, 6+6 a
Sous les clartés dont l'astre au loin dorait les plaines, 6+6 b
Tranquille, il épancha ses tristesses sereines : 6+6 b
IV
35 Limpidité des cieux, resplendissant azur, 6+6 a
Paix des bois, ô forêt qui dans ton sein m'accueilles ; 6+6 b
Soleil dont le regard ruisselle auguste et pur, 6+6 a
Dans la splendeur de l'herbe et la gloire des feuilles ; 6+6 b
Nature éblouissante aux germes infinis, 6+6 a
40 Silence lumineux des ramures discrètes, 6+6 b
Voix qui flottez des eaux, chants qui montez des nids, 6+6 a
Illuminez en nous les ténèbres secrètes ! 6+6 b
Dissipez de nos cœurs la froide obscurité, 6+6 a
Rayons qui ravivez et fécondez les sèves ! 6+6 b
45 Souffles des bois, ruisseaux vivants, flammes d'été, 6+6 a
Faites éclore en nous la fleur des premiers rêves ! 6+6 b
Nos rêves, où sont-ils ? L'un sur l'autre brisés, 6+6 a
Nous les avons tous vus tomber, gerbe éphémère. 6+6 b
Chacun de nous, pleurant ses jours stérilisés, 6+6 a
50 Porte en secret le deuil d'une auguste chimère. 6+6 b
Celui-ci dans l'amour et cet autre dans l'art, 6+6 a
Ceux-là plus haut encore avaient placé leur vie ; 6+6 b
Mais, trahis par leur siècle, enfants venus trop tard, 6+6 a
Eux-même ils ont éteint leur flamme inassouvie. 6+6 b
55 En vain, autour de nous fleurissent les étés, 6+6 a
Esprits déçus, cœurs morts, il nous faut nous survivre ! 6+6 b
A qui n'a plus l'amour que font les voluptés ? 6+6 a
Je bois avec horreur le vin dont je m'enivre ! 6+6 b
Après la foi, le doute, hélas ! et le dégoût. 6+6 a
60 Plus de fleurs désormais, même au prix des épines ! 6+6 b
De tout ce qui fut cher rien n'est resté debout : 6+6 a
Le désenchantement erre sur nos ruines ! 6+6 b
Ruines sans passé, néant sans souvenir, 6+6 a
Ténèbres et déserts des jeunesses arides. 6+6 b
65 L'air du siècle a brû nos germes, l'avenir 6+6 a
Ne doit rien moissonner aux sillons de nos rides. 6+6 b
Chacun, dans le secret de ses avortements, 6+6 a
Sans avoir combattu médite ses défaites. 6+6 b
Heureux ceux qui sont nés sous des astres cléments ! 6+6 a
70 Notre astre s'est couché, même avant nos prophètes. 6+6 b
Des désillusions l'ombre envahit les cieux. 6+6 a
A quoi se rattacher désormais ? à qui croire ? 6+6 b
Le but manque à nos pas : pèlerins soucieux, 6+6 a
Sans guide, nous errons dans la nuit vide et noire. 6+6 b
75 Où sont nos dieux ? où sont les cultes immortels ? 6+6 a
L'art, veuf de l'idéal, s'accouple à la matière ; 6+6 b
L'esprit cherche, éploré, les antiques autels ; 6+6 a
Loi, mœurs, foi des aïeux, tout est cendre et poussière ! 6+6 b
Au veau d'or l' athéisme offre un cupide encens ; 6+6 a
80 Le fait, voilà le dieu que notre orgueil adore. 6+6 b
L'âme et l'amour, vains mots ! nous vivons par les sens : 6+6 a
Ève raille, ô Psyché ! l'ardeur qui te dévore. 6+6 b
Plus d'idéale ardeur, plus d'altiers dévments, 6+6 a
De flamme incorruptible où raviver nos flammes ! 6+6 b
85 Plus d'espoirs étoilés au fond des firmaments ! 6+6 a
La nuit inexorable au ciel et dans les âmes ! 6+6 b
Qui donc, illuminant le vide ténébreux, 6+6 a
Rendra, vivant symbole, un culte à nos hommages ? 6+6 b
Pour enseigner leur voie aux esprits douloureux, 6+6 a
90 Qui te rallumera, blanche étoile des Mages ? 6+6 b
Sont-ils venus, ces jours dont l'aigle de Pathmos 6+6 a
Sondait la profondeur de ses yeux prophétiques ? 6+6 b
Le ciel, ouvrant l'abîme aux insondables maux, 6+6 a
Va-t-il livrer la terre aux coursiers fatidiques ? 6+6 b
95 Est-ce la nuit sans terme ? est-ce la fin des temps ? 6+6 a
L'homme et le monde ont-ils vécu leurs destinées ? 6+6 b
Faut-il, croisant les mains sur nos fronts pénitents, 6+6 a
Chanter le Requièm des ères terminées ?… — 6+6 b
O christ ! ton homme est jeune encor ; l'humanité, 6+6 a
100 Rameau qu'ont émon tes mains fortes et sages, 6+6 b
Doit grandir pour atteindre à son suprême été : 6+6 a
Ton arbre, ô Christ ! n'a pas donné tous ses feuillage. 6+6 b
Cet idéal humain, type divinisé, 6+6 a
Dans ta vie et ta mort ont prouvé le mystère, 6+6 b
105 O maître ! parmi nous qui l'a réalisé ? 6+6 a
L'homme a-t-il incarné ton Verbe sur la terre ? 6+6 b
Mœurs, famille et cité, tout lui reste à finir ; 6+6 a
Nous n'avons qu'ébauché ton œuvre sur le monde. 6+6 b
Dieux de paix et d'amour, ton règne est à venir ! 6+6 a
110 Pour des siècles encor ta parole est féconde ! 6+6 b
Et nous passons. Qu'importe ! Empire et royau 6+6 a
Avant nous ont passé, vaine écorce des choses. 6+6 b
Mais ta pensée en nous fermente, ô Vérité ! 6+6 a
L'homme élabore un Dieu dans ses métamorphoses. 6+6 b
115 Nous passerons : il est des germes condamnés. 6+6 a
Eh bien ! consolons-nous, fils des jours transitoires ; 6+6 b
D'autres moissonneront nos espoirs ajournés : 6+6 a
Des vainqueurs les vaincus ont semé les victoires ! 6+6 b
Abdiquons le présent, mais non point l'avenir ; 6+6 a
120 Du sort, résignés fiers, acceptons le partage. 6+6 b
Que ceux qui vont s'éteindre à ceux qui vont venir 6+6 a
Transmettent en partant leur foi pour héritage ! 6+6 b
Tournés vers d'autres jours, effaçons-nous du temps ; 6+6 a
Que l'oubli sur nos noms répande sa poussière. 6+6 b
125 Le ciel garde à la terre encor de longs printemps ; 6+6 a
Rassurons-nous : après l'éclipse, la lumière ! 6+6 b
Les radieux étés après les noirs hivers !… 6+6 a
Poète, autour de toi resplendit la nature. 6+6 b
Que la beauté du jour resplendisse en tes vers ! 6+6 a
130 Chante la bienvenue à la race future ! 6+6 b
Pourquoi désespérer lorsque tout rajeunit, 6+6 a
Lorsque la vie en tout éclate et se révèle ? 6+6 b
Pourquoi se lamenter quand l'oiseau sur son nid 6+6 a
Dit sa chanson d'amour à la saison nouvelle ? 6+6 b
135 Comment douter du jour en face du soleil ? 6+6 a
Comment croire au néant en face de la vie ? 6+6 b
Brille en nos cœurs, flamboie, astre au regard vermeil ! 6+6 a
Monte et palpite en nous, sève qui vivifie ! 6+6 b
Nous vieillissons, — au loin, verdissent les épis. 6+6 a
140 Nous gémissons, ici, la fleur s'ouvre et l'eau coule. 6+6 b
Nous nous troublons, — là-bas, sous les bois assoupis, 6+6 a
Dans la paix du bonheur la colombe roucoule. 6+6 b
Tout aime à nos côtés, tout sourit, tout renaît ; 6+6 a
L'air chaud et pur circule imprégné de lumière. 6+6 b
145 Tes ombres, ô poète ! ici, qui les connaît ? 6+6 a
Chante, espère, éblouis de clartés ta paupière ! 6+6 b
La sagesse est d'aimer, la force est d'espérer. 6+6 a
D'ombres n'attristons pas le mois brillant des roses 6+6 b
Et, détournant les yeux de ce qui fait pleurer, 6+6 a
150 Absorbons-nous, pensifs, dans le bonheur des choses. 6+6 b
Des grands blés verdoyants s'élançant dans l'azur, 6+6 a
L'alouette là-haut vole et chante éperdue ; 6+6 b
Fais comme elle, ô mon âme ! et loin d'un monde impur 6+6 a
Monte et répands ta voix de Dieu seul entendue ! 6+6 b
155 Comme elle, enivre-toi de tes propres concerts ; 6+6 a
Oublie, et pour un jour fais trêve à ta souffrance. 6+6 b
Dût ta voix en son vol heurter des cieux déserts, 6+6 a
Jette vers l'avenir un long cri d'espérance ! 6+6 b
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