Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
LAC_3/LAC125
Auguste LACAUSSADE
Les Épaves
1876
INSANIA
VII
Insania
Sois gai, secoue au vent ta tête libre et fière ; 6+6 a
Respire à pleins poumons ta brise printanière ; 6+6 a
Ris aux beaux jours ; jouis, rimeur insoucieux, 6+6 b
Des parfums de la terre et de l'azur des cieux ; 6+6 b
5 De ton avril cueillant les plaisirs et les roses, 6+6 a
Raille nos soins jaloux, nos souvenirs moroses, 6+6 a
Et, d'une lèvre vive où rit ta liberté, 6+6 b
De tes bonheurs premiers bois le vin enchanté ! 6+6 b
Ton heure aussi viendra… Sur cette blonde tête, 6+6 a
10 Oiseau de flamme, un jour s'abattra la tempête. 6+6 a
Comme en un ciel d'été, sans pluie et sans éclairs, 6+6 b
La foudre tout à coup éclate au fond des airs, 6+6 b
Un jour, enveloppé d'un invisible orage, 6+6 a
Tu sentiras pâlir et mourir ton courage. 6+6 a
15 Subitement frappé, sous le trait acéré 6+6 b
S'affaissera ton cœur en proie au mal sacré. 6+6 b
Tu blêmiras, tes yeux perdront leur jeune flamme ; 6+6 a
Une indicible angoisse habitera ton âme. 6+6 a
Vaste et morne, un désir sans fond comme la mer 6+6 b
20 Ballottera tes jours dans un délire amer. 6+6 b
Vague, sombre, rongé d'une âpre inquiétude, 6+6 a
Pour y souffrir en paix cherchant la solitude, 6+6 a
Tu fuiras tes amis. Ton esprit studieux 6+6 b
Dans les livres, dans l'art aux plaisirs sérieux 6+6 b
25 Ne mettra plus sa joie ; et la Muse elle-même, 6+6 a
Celle qui nous est douce et mérite qu'on l'aime, 6+6 a
La Muse aura perdu sur ton cœur tout pouvoir. 6+6 b
Ta fierté, le présent, l'avenir, le devoir, 6+6 b
Tout sera délaissé. Sans flamme et sans génie, 6+6 a
30 Tu ne penseras plus. La fiévreuse insomnie 6+6 a
Envahira ta couche. Un songe sans réveil, 6+6 b
De ta paupière sèche écartant le sommeil, 6+6 b
Embrasera tes nuits : dans ton cerveau débile 6+6 a
Brûlera fixe et belle une image immobile ! 6+6 a
35 Implorant l'aube, hélas ! pour rafraîchir tes maux, 6+6 b
Tu chercheras la paix et l'ombre des rameaux. 6+6 b
Devant le calme auguste et le bonheur des choses, 6+6 a
Tu sentiras tes yeux s'emplir de pleurs sans causes. 6+6 a
Les grands bois, leur silence aux charmes apaisants 6+6 b
40 Berceront, mais en vain, tes souvenirs cuisants. 6+6 b
Ni l'haleine des eaux ni le vent des pelouses 6+6 a
N'éteindront l'âpre feu de tes veines jalouses. 6+6 a
La paix des bois, la paix immuable des cieux, 6+6 b
Impassible ironie, irriteront tes yeux. 6+6 b
45 Alors, ô déplorable, ô triste créature ! 6+6 a
Comme la Muse et l'art tu fuiras la nature. 6+6 a
Par la douleur aigri, de toi-même lassé, 6+6 b
Traînant partout au flanc le trait qui t'a blessé, 6+6 b
A des pas adorés rivé comme un esclave, 6+6 a
50 Sans vertu pour porter ou briser ton entrave, 6+6 a
Tu vivras… jusqu'au jour où, sous l'âcre poison, 6+6 b
Après ton cœur sentant défaillir ta raison, 6+6 b
Sentant, sous l'action rongeante de ta peine, 6+6 a
Se fausser ta nature et naître en toi la haine, 6+6 a
55 Toi-même, épouvanté qu'on doive tant souffrir, 6+6 b
Tu maudiras ton mal sans en vouloir guérir. 6+6 b
Et tant de désespoir, pourquoi ?… pour peu de chose : 6+6 a
Pour un sourire éclos sur quelque lèvre rose, 6+6 a
Pour quelque tête vide aux cheveux parfumés, 6+6 b
60 Pour deux yeux bleus ou noirs par l'enfer allumés. 6+6 b
O vous par qui le mal est entré dans le monde, 6+6 a
Race en calamités, en misères féconde, 6+6 a
De qui l'instinct cruel et plein de vanité 6+6 b
Nous sait tout prendre, tout, jusqu'à notre fierté ; 6+6 b
65 Race d'enchantements et de ruse pourvue, 6+6 a
Le curieux désir de voir et d'être vue 6+6 a
Est tout votre cœur ! Mère et fille du péché, 6+6 b
Comme Ève, votre esprit frivole n'est touché 6+6 b
Que par l'éclat du faux ; vous aimez l'imposture, 6+6 a
70 Ce qui flatte ou reluit ! Si le sort en pâture 6+6 a
Vous livre une âme ouverte à l'infini désir, 6+6 b
Vous trouvez à la perdre un étrange plaisir : 6+6 b
Vous brisez, vous brûlez dans cette âme flétrie 6+6 a
L'idéal, cette fleur de l'Éden, sa patrie ! 6+6 a
75 Et vous, nos compagnons de trouble et de douleurs, 6+6 b
Vous dont la lèvre sait l'amertume des pleurs ; 6+6 b
Hommes, têtes encor de cheveux couronnées, 6+6 a
Vieillards, fronts qu'a blanchis la neige des années, 6+6 a
Jeunes et vieux, parlez, et, la main sur le cœur, 6+6 b
80 Dites, en est-il un parmi vous qui, vainqueur 6+6 b
De la Vipère, ait su porter sans perdre haleine 6+6 a
Le poids de son amour ou le poids de sa haine ? 6+6 a
En est-il parmi vous un seul qui, mâle et fier, 6+6 b
Ait pu sans défaillir boire le miel amer, 6+6 b
85 Et qui, l'angoisse au flanc, éperdu de souffrance, 6+6 a
N'ait blasphémé jamais la vie et l'espérance ? 6+6 a
En est-il un, un seul, doux et fort jusqu'au bout, 6+6 b
Job de la passion, sur son fumier debout, 6+6 b
Qui n'ait un jour maudit le Dieu de sa jeunesse ? 6+6 a
90 S'il en est un, eh bien, que notre œil le connaisse ! 6+6 a
Que pour nous enseigner il se lève entre nous ! 6+6 b
Que je le voie, et l'aime, et l'envie à genoux ! 6+6 b
Muse, dès le berceau toi qui fus ma nourrice, 6+6 a
Toi la mère et la sœur et la consolatrice, 6+6 a
95 Si ton culte jamais à mon esprit fut cher, 6+6 b
Entends ce cri poussé par mon âme et ma chair. 6+6 b
Ce n'est point, aujourd'hui, pour moi que je t'implore, 6+6 a
Mon cœur ne saigne plus, bien qu'il palpite encore : 6+6 a
Ma veine est desséchée et mon jour est rempli. 6+6 b
100 Ce qu'il me faut cueillir, c'est la fleur de l'oubli… 6+6 b
Eh bien, soit ! levez-vous, croissez sur mes ruines, 6+6 a
O roses sans parfums, mais aussi sans épines ! 6+6 a
Dans mon sentier désert, sur mon stérile écueil, 6+6 b
Berçant aux vents des nuits vos emblèmes de deuil, 6+6 b
105 Levez-vous ! — Et toi, meurs, jeunesse inassouvie ! 6+6 a
Rêve impossible à qui, mon nom, mon art, ma vie, 6+6 a
J'avais tout immolé ! Longtemps, lâche énervé, 6+6 b
J'ai pâli, j'ai langui d'un bonheur introuvé. 6+6 b
J'ai pu longtemps, ô Muse ! ô ma seconde mère ! 6+6 a
110 Te préférer une ombre, une aride chimère ; 6+6 a
Mais ils sont loin, ces jours d'ardente oisiveté : 6+6 b
Avec mon cœur tu m'as rendu ma liberté, 6+6 b
Clémente amie ! eh bien, par mon retour sincère, 6+6 a
Par mes jours expiés de honte et de misère, 6+6 a
115 Par ces pleurs dont toi seule as su tarir les flots, 6+6 b
Par ton sein maternel qui berça mes sanglots, 6+6 b
Par ton culte sacré, par notre amour suprême, 6+6 a
Entends ma voix priant pour un autre moi-même, 6+6 a
Pour l'un des tiens, ô Muse ! une âme dans sa fleur, 6+6 b
120 L'enfant spirituel que s'est donné mon cœur. 6+6 b
De tes tristes élus il porte au front le signe : 6+6 a
Garde pour tes lacs bleus, garde les jours du cygne ! 6+6 a
Que ton oiseau divin n'aille point à son tour 6+6 b
Saigner, proie innocente, aux serres du vautour ! 6+6 b
125 Contre l'homme et la vie, et le monde et son piège, 6+6 a
Défends ce jeune esprit, ô Muse ! et le protège. 6+6 a
Que ce lys virginal à ton ombre bercé 6+6 b
Du ver au dard mortel ne soit jamais blessé ! 6+6 b
Close aux vents d'ici-bas, que cette âme choisie 6+6 a
130 Ne s'ouvre qu'à ta brise heureuse, ô Poésie ! 6+6 a
De la femme sans cœur épargne-lui les fers ! 6+6 b
Sauve au moins, sauve un fils des maux par tous soufferts ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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