Métrique en Ligne
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e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
LAC_2/LAC80
Auguste LACAUSSADE
Poèmes et Paysages
1852
POÈMES ET PAYSAGES
XLIX
Ma Fille
PREMIÈRE PARTIE
Le Berceau
Fraîche plante à la fraîche haleine, 8 a
Fleur éclose sur mon écueil ; 8 b
O toi qui de la vie à peine 8 a
Viens de franchir le triste seuil ; 8 b
5 Fragile enfant, jeune âme blanche, 8 a
Premier bouton de mon été, 8 b
Que Dieu suspendit à ma branche 8 a
Pour en voiler l'aridité ; 8 b
Douce ignorante de la vie, 8 a
10 Pur vase à la pure liqueur, 8 b
Dans mon ombre aube épanouie 8 a
Pour verser le jour à mon cœur ; 8 b
Sœur des anges au blond visage, 8 a
Qui demi-nus, aux bords du ciel, 8 b
15 Se bercent dans l'or d'un nuage 8 a
Sur les toiles de Raphaël ; 8 b
Esprit de quelque sphère heureuse, 8 a
Qui sur les neiges de ton corps 8 b
Gardes la trace lumineuse 8 a
20 Du monde inconnu d'où tu sors ; 8 b
Toi qui de cette coupe amère 8 a
Où l'homme puise et se nourrit, 8 b
Ne sais que le lait dont ta mère 8 a
Blanchit ta lèvre qui sourit ; 8 b
25 D'où vient, jeune âme à peine née, 8 a
Qu'arbre penché sur l'arbrisseau, 8 b
Sondant déjà ta destinée, 8 a
Je rêve auprès de ton berceau ? 8 b
D'où vient qu'à l'heure des étoiles, 8 a
30 Quand le sommeil est sur tes yeux, 8 b
De ton sort entr'ouvrant les voiles, 8 a
Je veille austère et soucieux ? 8 b
Pourtant tout te sourit, tout fête, 8 a
Enfant, ta bienvenue au jour ; 8 b
35 Pour baiser ta soyeuse tête 8 a
Les anges quittent leur séjour. 8 b
Ta joue a l'incarnat des roses, 8 a
Tes yeux ont la couleur du ciel, 8 b
Et tes cheveux, boucles écloses, 8 a
40 Sont doux et blonds comme le miel. 8 b
Sais-tu pourquoi mon âme est sombre 8 a
En évoquant ton avenir ? 8 b
Pourquoi dans mes yeux baignés d'ombre 8 a
Je sens presque des pleurs venir ? 8 b
45 C'est qu'à travers jeunesse et grâces, 8 a
Moi qui sais la vie et ses pleurs, 8 b
Je vois accourir sur tes traces 8 a
L'essaim des humaines douleurs. 8 b
Bientôt — peine cuisante et vive ! — 8 a
50 Tes dents de perle au frais émail 8 b
Feront, en ouvrant ta gencive, 8 a
Pâlir tes lèvres de corail. 8 b
Faible, sur ta mère affaissée, 8 a
Tu penches ton front abrité, 8 b
55 Comme une tige qu'a blessée 8 a
Le dard brûlant d'un jour d'été. 8 b
Contre le sort frêle et sans armes, 8 a
De ton mal tu te plains à Dieu ; 8 b
Et le flot cuisant de tes larmes 8 a
60 Ruisselle sur ta joue en feu. 8 b
Ta mère, hélas ! la pauvre femme, 8 a
Berce ton corps souffrant et cher ; 8 b
Et moi je sens pleurer mon âme 8 a
Et gémir la chair de ma chair. 8 b
65 Oh ! quel spectacle pour nos doutes, 8 a
Nous qu'oppresse un poids étouffant, 8 b
Que des larmes à larges gouttes 8 a
Pleuvant des beaux yeux d'un enfant ! 8 b
Dieu ! ta justice est un mystère ! 8 a
70 Les plantes, les oiseaux, les fleurs 8 b
Ainsi que nous sur cette terre, 8 a
Ne croissent point dans les douleurs. 8 b
Tout est heureux dans la nature, 8 a
Tout vient et s'en va sans souffrir ; 8 b
75 Et ta plus noble créature 8 a
Souffre pour naître et pour mourir ! 8 b
Pourquoi faire souffrir l'enfance ? 8 a
Seigneur ! quel est ton but caché ? 8 b
Cet âge est faible et sans défense, 8 a
80 Cet âge est blanc de tout péché ! 8 b
Pourquoi dans un même anathème, 8 a
Confondant nos jours désolés, 8 b
Des pleurs infliger le baptême 8 a
A ces beaux fronts immaculés ? 8 b
85 Hélas ! pourquoi te faire craindre ? 8 a
Nés pour sourire et pour aimer, 8 b
Ils sont sans force pour se plaindre, 8 a
Comme sans voix pour blasphémer. 8 b
Vêtus de leur sainte innocence, 8 a
90 D'un nimbe invisible embellis, 8 b
Ils vivent nus en ta présence, 8 a
Comme les anges et les lys. 8 b
Lacs de céleste azur dont l'onde 8 a
Réfléchit ta sérénité, 8 b
95 Ils sont encor dignes d'un monde 8 a
Jamais perdu ni racheté. 8 b
O souffrance ! breuvage austère, 8 a
Coupe pleine de châtiment 8 b
Que l'homme et l'enfant sur la terre 8 a
100 Doivent vider également ; 8 b
Souffrance ! ta main est cruelle, 8 a
Car tu frappes des mêmes coups 8 b
Le plus robuste et le plus frêle, 8 a
Le plus méchant et le plus doux ! 8 b
DEUXIÈME PARTIE
L'Enfance
105 Mais déjà plus souple et plus belle, 8 a
La tige commence à grandir ; 8 b
Brisant son écorce rebelle, 8 a
Du bouton la fleur va sortir. 8 b
O folle enfance ! ô tête blonde ! 8 a
110 Baisant tes yeux à leur réveil, 8 b
En vain je boude, et je te gronde, 8 a
Enfant, de courir au soleil ; 8 b
Toi, t'envolant avec l'aurore, 8 a
Par nos vallons pleins de douceurs, 8 b
115 Tu veux voir les bourgeons éclore, 8 a
Avec les abeilles tes sœurs. 8 b
Quand l'aube à la molle paupière, 8 a
Aux yeux d'azur comme la mer, 8 b
Des flots lactés de sa lumière 8 a
120 Blanchit le cristal bleu de l'air ; 8 b
A l'heure où l'insecte qui rôde 8 a
Sent le jour dorer ses habits, 8 b
Où sur les feuilles d'émeraude 8 a
Luisent les mouches de rubis ; 8 b
125 A l'heure des chastes délices, 8 a
Où tout renaît pour embaumer, 8 b
Où les âmes et les calices 8 a
S'ouvrent pour vivre et pour aimer ; 8 b
Joyeuse, avant nous tu t'éveilles, 8 a
130 Et tu vas au milieu des champs 8 b
Mêler à toutes ces merveilles 8 a
Ton âme, tes jeux et tes chants. 8 b
Du gazon verdoyant et lisse 8 a
Effleurant l'humide velours, 8 b
135 Fille de l'air et du caprice, 8 a
Sans but, tu fuis, tu viens, tu cours. 8 b
Ainsi qu'un papillon de soie 8 a
Qui nage dans l'air transparent, 8 b
Par la vallée où l'aube ondoie, 8 a
140 Je vois passer ton vol errant. 8 b
L'herbe par le ciel arrosée, 8 a
Et l'arbuste ami de tes jeux, 8 b
Sèment leurs larmes de rosée 8 a
Sur les fils d'or de tes cheveux. 8 b
145 Là, parmi les vertes ramées, 8 a
Tu vois, sur des rameaux pendants, 8 b
De belles grappes parfumées 8 a
Qui font rire tes belles dents. 8 b
Là, les bibaciers aux fleurs blanches, 8 a
150 Chargés des gouttes de la nuit, 8 b
Laissent pour toi choir de leurs branches 8 a
Les perles d'ambre de leur fruit. 8 b
Là, tu bois une eau vive et fraîche, 8 a
Qui reflète en ses flots moirés 8 b
155 Ton beau visage au teint de pêche 8 a
Et tes yeux bleus aux cils dorés. 8 b
Ici, splendide comme un rêve, 8 a
La plaine au jour vient de s'ouvrir ; 8 b
Plaine où toute aile qui s'élève 8 a
160 Semble t'inviter à courir. 8 b
Ici, sur le bambou qui ploie, 8 a
Roseau sonore et frémissant, 8 b
Comme un cactus ardent, flamboie 8 a
Le cardinal éblouissant. 8 b
165 Ici, l'arbre au superbe ombrage, 8 a
Déployant ses larges rameaux, 8 b
Berce au vent son vaste feuillage 8 a
Où pendent des grappes d'oiseaux. 8 b
Ainsi tout t'appelle et t'enchante, 8 a
170 Tout invite et séduit tes yeux, 8 b
L'eau qui parle, le nid qui chante, 8 a
Le soleil qui remplit les cieux. 8 b
O joie ! ô fleurs ! ô mélodie ! 8 a
Mais l'astre monte et, plus puissant, 8 b
175 Au ciel que sa marche incendie 8 a
Roule son disque incandescent. 8 b
Déjà dans les grands champs de cannes, 8 a
Dans les déserts du firmament, 8 b
Et sur les monts, dans les savanes, 8 a
180 Déjà tout n'est qu'embrasement. 8 b
Nul vent, nul souffle qui balance 8 a
L'oiseau gazouillant sur l'épi : 8 b
Partout plane un ardent silence, 8 a
L'ardent silence de midi ! 8 b
185 Sous le soleil, mornes et calmes, 8 a
Les palmiers aux fronts panachés 8 b
Laissent traîner leurs larges palmes 8 a
Sur les bœufs à leurs pieds couchés. 8 b
Cherchant l'ombre pour leurs paupières, 8 a
190 Aux rayons pleuvant du zénith 8 b
Le lézard glisse entre les pierres, 8 a
Le bengali vole à son nid. 8 b
Dans l'arbre où sa voix se recueille, 8 a
Le ramier n'a plus un soupir ; 8 b
195 L'herbe même ferme sa feuille, 8 a
Se penche et semble s'assoupir. 8 b
O poids du jour ! ô lassitude ! 8 a
Pâtres et fleurs ont clos les yeux. 8 b
Le soleil dans sa plénitude 8 a
200 Brûle immobile au fond des cieux ! 8 b
Mais, tandis que la plante et l'homme, 8 a
Courbés sous un ciel étouffant, 8 b
Par ce soleil font un doux somme, 8 a
Toi, que fais-tu, ma douce enfant ? 8 b
205 Assise au plus creux des ravines, 8 a
Près de quelque source où tu bois, 8 b
Tu goûtes ces fraîcheurs divines, 8 a
Mystère des eaux et des bois. 8 b
Du dôme épais que l'astre inonde, 8 a
210 Mobile et vivant parasol, 8 b
Filtre une clarté molle et blonde 8 a
Sur la mousse fine du sol. 8 b
Toi, du pied frappant l'eau captive, 8 a
Tu troubles de tes joyeux bonds 8 b
215 La poule d'eau bleue et furtive 8 a
Qui sommeille au milieu des joncs. 8 b
Folâtre, rieuse, éveillée, 8 a
Glanant des fruits, cueillant des fleurs, 8 b
Tu fais partir sous la feuillée 8 a
220 Le vol lourd des merles siffleurs. 8 b
Fraîche oasis, tiède Élysée, 8 a
Oh ! ne versez, arbres cléments, 8 b
Qu'une lumière tamisée 8 a
Sur cette tête aux jeux charmants ! 8 b
225 Cependant le soleil qui baisse 8 a
De moins de flamme emplit les airs ; 8 b
Chargé d'arôme et de mollesse, 8 a
Un vent plus frais souffle des mers. 8 b
Voici que le morne aux pics sombres, 8 a
230 Debout là-bas comme une tour, 8 b
Étend ses gigantesques ombres 8 a
Sur les savanes d'alentour. 8 b
Voici que le Blanc des montagnes, 8 a
Le Blanc, effroi du Noir marron, 8 b
235 Revient au loin par les campagnes 8 a
Vers les palmiers de sa maison. 8 b
Voici qu'aux feux crépusculaires, 8 a
Des flots quittant les profondeurs, 8 b
Vers les caps où pendent leurs aires 8 a
240 Revolent les oiseaux pêcheurs. 8 b
Dans son lit de pourpre et de lame 8 a
L'astre se couche, large et pur ; 8 b
Avec lenteur son œil de flamme 8 a
Ferme ses paupières d'azur. 8 b
245 Tel qu'un grand vol d'esprits funèbres, 8 a
Sur la terre où s'éteint tout bruit, 8 b
D'un bond s'abattent les ténèbres… 8 a
C'était le jour, et c'est la nuit. 8 b
Reine des soirs, vierge au front pâle, 8 a
250 Fuyant son humide prison, 8 b
Dans sa nef de nacre et d'opale 8 a
La lune monte à l'horizon. 8 b
Salut à toi, beauté sereine, 8 a
Rêveuse aux regards amollis ! 8 b
255 Verse-nous, verse, ô vierge-reine, 8 a
Tes rayons blancs comme le lys ! 8 b
Et le tableau s'éclaire et change, 8 a
Et sous l'ambiante lueur 8 b
Tout se confond, tout se mélange, 8 a
260 Ombre et contour, forme et couleur. 8 b
Et telles que des pâquerettes, 8 a
Filles du nocturne zéphyr, 8 b
Mille étoiles s'ouvrent discrètes, 8 a
Blanches sur un champ de saphir. 8 b
265 Et tout est repos et mystère, 8 a
Et le silence est solennel, 8 b
Et l'on sent respirer la terre, 8 a
Et l'on voit sourire le ciel. 8 b
Alors, à la chaste lumière 8 a
270 Des belles étoiles de Dieu, 8 b
L'enfant au ciel fait sa prière, 8 a
A son ange elle dit adieu, 8 b
Et, loin de tout souffle profane, 8 a
Elle dort, rose de santé, 8 b
275 D'un sommeil pur et diaphane 8 a
Comme nos claires nuits d'été. 8 b
Oh ! dors ton sommeil d'innocence, 8 a
Ce pur sommeil des heureux jours ! 8 b
Des bonheurs calmes de l'enfance, 8 a
280 Vois-tu, l'on se souvient toujours. 8 b
Gerbes d'or ou gerbes fanées, 8 a
Quelques épis qu'on glane ailleurs, 8 b
Les épis des jeunes années, 8 a
O ma fille ! sont les meilleurs. 8 b
285 Quand vient la vieillesse morose, 8 a
Quand vient l'âge aux soucis rongeurs, 8 b
Vers son enfance gaie et rose 8 a
On se tourne les yeux en pleurs. 8 b
Et l'on s'arrête avec envie 8 a
290 A cet âge aimé du Sauveur, 8 b
Qui joue aux portes de la vie 8 a
Sans se douter de son bonheur. 8 b
Chante, oiseau ! ton jour vient d'éclore. 8 a
Vis dans les champs ! vis dans les bois ! 8 b
295 Sois jeune ! il en est temps encore. 8 a
L'homme, hélas ! ne l'est qu'une fois. 8 b
Bientôt viendront les jours d'études 8 a
Les jours d'école et de leçons. 8 b
Adieu les vertes solitudes ! 8 a
300 Adieu la plaine et les buissons ! 8 b
Alors, plus de jeux, plus de course ! 8 a
Il te faudra, dès le matin, 8 b
Porter ton esprit à la source 8 a
D'où coule le savoir humain. 8 b
305 Buvant de cette veine austère 8 a
Le flot lent et silencieux, 8 b
Souvent à son eau salutaire 8 a
Se mêlera l'eau de tes yeux. 8 b
Mais, crois-moi, tous tant que nous sommes, 8 a
310 Nous fécondons avec nos pleurs ; 8 b
Et le grain qui nourrit les hommes 8 a
Ne mûrit que par nos sueurs. 8 b
Va ! toute noble créature 8 a
Du travail connut les rigueurs ; 8 b
315 Et l'étude est la nourriture 8 a
Dont s'alimentent les grands cœurs. 8 b
A sa clarté sereine et sûre 8 a
Elle agrandit notre horizon. 8 b
Du cœur elle endort la blessure 8 a
320 En s'adressant à la raison. 8 b
Oh ! ne nous laissons point surprendre 8 a
Par l'heure où rien ne peut germer. 8 b
Il n'est qu'un âge pour apprendre, 8 a
Comme il n'est qu'un temps pour semer. 8 b
TROISIÈME PARTIE
L'Adolescence
325 Mais voici venir un autre âge : 8 a
Déjà la sève au jet puissant 8 b
Éclate en gerbes de feuillage 8 a
Au front de l'arbre adolescent. 8 b
Déjà dans son nid qui chancelle 8 a
330 L'oiseau, que l'ombre aime à voiler, 8 b
Sent, avec sa force et son aile, 8 a
Venir le temps de s'envoler. 8 b
Déjà la vierge humble et splendide, 8 a
Cœur chaste au vent du ciel éclos, 8 b
335 Sort de son enfance candide 8 a
Comme Vénus sortit des flots. 8 b
Jeune arbuste de mon parterre, 8 a
Trop frêle encor pour les hivers, 8 b
A quelle brise de la terre 8 a
340 Ouvriras-tu tes rameaux verts ? 8 b
Jeune oiseau que le ciel convie, 8 a
Toi dont l'aile est si tendre encor, 8 b
A quelle haleine de la vie 8 a
Dois-tu confier ton essor ? 8 b
345 Vierge de grâces couronnée, 8 a
Tête, mes plus saintes amours, 8 b
A quel vent de la destinée, 8 a
Dis-moi, vas-tu livrer tes jours ? 8 b
Dans ton sort que je voudrais lire ! 8 a
350 Du travail subissant les lois, 8 b
Est-ce l'aiguille, est-ce la lyre, 8 a
Qui doit frémir entre tes doigts ? 8 b
Oh ! que ce soit plutôt l'aiguille ! 8 a
Borne ton vol et ton désir. 8 b
355 La Muse a pour vivre, ô ma fille ! 8 a
Besoin d'air libre et de loisir. 8 b
Son noble sein qui nous épanche 8 a
Le lait de l'âme et des accords, 8 b
Coupe où du beau la soif s'étanche, 8 a
360 N'apaise point la soif du corps. 8 b
Si la tige qui nourrit l'âme 8 a
Monte et fleurit en ses vallons, 8 b
Le fruit que notre faim réclame 8 a
Ne germe point en ses sillons. 8 b
365 Son arbre grandit solitaire, 8 a
Rien ne croît sous son dais vainqueur : 8 b
Du laurier l'ombre est délétère 8 a
A toutes les plantes du cœur. 8 b
Amante inquiète et jalouse, 8 a
370 Déesse et femme tour à tour, 8 b
La Muse, à l'esprit qu'elle épouse, 8 a
Demande un exclusif amour. 8 b
Dès qu'à son culte sans mélange 8 a
Un culte étranger veut s'unir, 8 b
375 Fière, elle ouvre ses ailes d'ange 8 a
Et part pour ne plus revenir. 8 b
Et l'esprit que son vol délaisse, 8 a
Morne, au silence condamné, 8 b
Se vêt de lierre et de tristesse, 8 a
380 Ainsi qu'un temple abandonné. 8 b
Veuf et rêvant au divin hôte 8 a
Dont il a reçu les adieux, 8 b
Il sent que sa voûte est trop haute 8 a
Pour qu'elle abrite de faux dieux. 8 b
385 La terre, où son labeur l'enchaîne, 8 a
Lui prodigue en vain tout son miel ; 8 b
Rien ne peut adoucir sa peine 8 a
Ni lui faire oublier son ciel. 8 b
Nouvel Adam après sa chute, 8 a
390 Pleurant un Paradis perdu, 8 b
Sur ce sol d'angoisse et de lutte 8 a
Il jette un regard éperdu ! 8 b
Ah ! se plier, superbe athlète, 8 a
Aux lois de la nécessité ! 8 b
395 Courber sa pensée et sa tête 8 a
Au joug de la réalité ! 8 b
Au char des choses de la terre 8 a
Se voir forcément atteler ! 8 b
Languir exilé de sa sphère ; 8 a
400 Ramper, quand on pourrait voler ! 8 b
Savoir que l'on porte en son âme 8 a
Un intarissable trésor, 8 b
Et soi-même étouffer sa flamme, 8 a
Tout perdre, faute d'un peu d'or ! 8 b
405 Assister à son agonie, 8 a
Compter ses heures par ses maux, 8 b
Et voir l'arbre de son génie 8 a
S'ébrancher rameaux à rameaux ! 8 b
Sacrifier plus que sa vie 8 a
410 Sur l'autel de la pauvreté : 8 b
Abraham de la poésie, 8 a
Immoler sa postérité ! 8 b
Sentir sous des serres cruelles 8 a
Mourir le dieu ! sentir et voir 8 b
415 Tomber les plumes de ses ailes 8 a
Sous le froid ciseau du devoir ! 8 b
Sentir au charbon du prophète 8 a
S'ouvrir ses lèvres et ses yeux ; 8 b
Se sentir créé pour le faîte 8 a
420 Et végéter loin des hauts lieux ! 8 b
Et vivre avec de petits hommes ! 8 a
Marcher dans leurs sentiers étroits ! 8 b
Grand Dieu ! pour ce peu que nous sommes, 8 a
C'est trop d'une aussi lourde croix ! 8 b
425 O ma fille ! ô ma bien-aimée, 8 a
Blonde muse de ma maison, 8 b
Au prisme de la renommée 8 a
Ferme tes yeux et ta raison ! 8 b
Si Dieu, — présent funeste et triste ! — 8 a
430 T'illuminant d'un jour nouveau, 8 b
Du rêve étoilé de l'artiste 8 a
Embrasait ton jeune cerveau ; 8 b
Voilant les dons que Dieu te garde, 8 a
Cache à tous tes nobles penchants ; 8 b
435 Et, la lèvre close, sois barde 8 a
Par l'âme et non point par les chants ! 8 b
Il est plus d'une voix profonde 8 a
Qui dut s'éteindre sans échos ; 8 b
Il est plus d'un cœur dont ce monde 8 a
440 N'a jamais connu les sanglots. 8 b
Il est, il est bien des poètes, 8 a
— Ce sont peut-être les meilleurs ! — 8 b
Qui, brisant leurs plumes muettes, 8 a
N'ont jamais écrit leurs douleurs. 8 b
445 Dédaigneux de se faire entendre 8 a
A des cœurs stériles ou morts, 8 b
Grands pour sentir et grands pour rendre, 8 a
Ils ont étouffé leurs accords. 8 b
Esprits qu'un souffle large anime, 8 a
450 Trop vrais pour un monde imposteur, 8 b
Ils n'ont point à la foule infime 8 a
Ouvert le livre de leur cœur. 8 b
En vain le dieu de l'harmonie 8 a
Dans leur sein grondait irrité, 8 b
455 Ils ont gardé sur leur génie 8 a
Le sceau de la virginité. 8 b
Et quand la tombe eut en ses voiles 8 a
Endormi leurs têtes de feu, 8 b
Dans le chœur sacré des étoiles 8 a
460 Ils sont allés chanter pour Dieu. 8 b
ENVOI
A Pierre Legras
Ainsi, pendant que l'ombre amie 8 a
Plane paisible sur nos murs, 8 b
Auprès de ma fille endormie, 8 a
Je songe à ses destins futurs. 8 b
465 Rêveur tendre aux promptes alarmes, 8 a
Je la suis dans ses pas divers, 8 b
Et chaque goutte de mes larmes 8 a
Coule et se cristallise en vers. 8 b
Mais dans quel sein, mais dans quelle urne, 8 a
470 Mais dans quelle âme jeune encor, 8 b
Poète, de mon chant nocturne 8 a
Verser l'harmonieux trésor ? 8 b
Ami, que ce soit dans la vôtre, 8 a
A vous qui, vivant à l'écart, 8 b
475 Portez dans votre sein d'apôtre 8 a
L'amour de l'enfance et de l'Art. 8 b
Votre nature exquise et tendre 8 a
Des enfants comprend la candeur, 8 b
Et chez vous le cœur sait entendre 8 a
480 Les vers qui jaillissent du cœur. 8 b
Grand et simple, peu vous connaissent ; 8 a
Mais moi, qui vous suis en tout lieu, 8 b
Je sais qu'il est des lys qui naissent 8 a
Et ne fleurissent que pour Dieu. 8 b
485 Votre âme sereine et voilée, 8 a
A l'abri des vents importuns, 8 b
Parmi ses sœurs de la vallée, 8 a
Humble, est la plus riche en parfums. 8 b
Mais sobre au sein de l'opulence, 8 a
490 Mais calme et clos dans sa pudeur, 8 b
Votre esprit, amant du silence, 8 a
Ne s'ouvre que pour le Seigneur. 8 b
Oh ! gardez votre solitude, 8 a
Oh ! gardez votre obscurité, 8 b
495 Modeste ami, sur qui l'étude 8 a
Répand sa féconde clarté ! 8 b
Dans l'infortune ou dans la joie, 8 a
Restez toujours épris du beau ; 8 b
Et pour éclairer votre voie, 8 a
500 Que l'Art vous serve de flambeau ! 8 b
Aimez les livres et les roses, 8 a
Aimez tout ce qui fait rêver, 8 b
Les cieux, les bois, toutes ces choses 8 a
Que l'on ne saurait trop aimer ! 8 b
505 Aimez l'homme pour sa tristesse, 8 a
Et l'oiseau pour ses joyeux chants ; 8 b
Mais plus que tout aimez sans cesse 8 a
La poésie et les enfants ! 8 b
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