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LAC_2/LAC56
Auguste LACAUSSADE
Poèmes et Paysages
1852
POÈMES ET PAYSAGES
XXV
À un jeune Poète créole
S'il est une heure fortunée 8 a
Parmi nos heures d'ici-bas, 8 b
Une heure de paix couronnée, 8 a
Et de trêve à nos vains débats, 8 b
5 C'est l'heure, entre toutes bénie, 8 a
Où la strophe aux fraîches senteurs, 8 b
Pour nous, au vent de l'harmonie, 8 a
S'épanouit en vers chanteurs ; 8 b
C'est l'heure où quelque âme inconnue, 8 a
10 Sœur par l'accent et par le luth, 8 b
A notre muse inculte et nue 8 a
Adresse un fraternel salut ; 8 b
Où des mains que Dieu même inspire, 8 a
Nous consolant de tout affront, 8 b
15 Jettent des fleurs sur notre lyre, 8 a
Et des lauriers sur notre front. 8 b
O fleurs au poétique arôme, 8 a
Aumône d'accords et d'encens, 8 b
Dont l'haleine enivrante embaume 8 a
20 Les plus intimes de nos sens ; 8 b
Parfums sans prix, voix cadencée, 8 a
Lauriers aux rameaux toujours verts, 8 b
Strophe pieuse où la pensée 8 a
Parle encor plus haut que le vers ; 8 b
25 Offrande sainte du poète, 8 a
Dons vrais du cœur, chants ingénus, 8 b
Dans mon humble et pauvre retraite, 8 a
Soyez, soyez les bienvenus ! 8 b
Et toi, toi qui me les envoies, 8 a
30 Ces dons cueillis sur les hauts lieux, 8 b
Toi qui fais sur mes sombres voies 8 a
Chanter ton vers mélodieux ; 8 b
Barde frère, dont le courage, 8 a
Réveillant mon luth endormi, 8 b
35 A traversé ma nuit d'orage 8 a
Pour m'apporter tes chants d'ami ; 8 b
Puisse le sort, pour moi sévère, 8 a
Clément et facile à tes vœux, 8 b
Dans ta course à travers la terre, 8 a
40 Vouloir les choses que tu veux ! 8 b
As-tu dans ton cœur de jeune homme 8 a
Quelque beau rêve aux plis flottants, 8 b
Vierge que tout bas ta voix nomme, 8 a
Vierge qu'implorent tes vingt ans ? 8 b
45 Blonde et jeune de chevelure, 8 a
Vois-tu, dans l'ombre de tes nuits, 8 b
Une lumineuse figure 8 a
Sourire à tes chastes ennuis ? 8 b
Eh bien, qu'à l'heure où, lente et pâle, 8 a
50 La lune, oiseau mystérieux, 8 b
Ouvrant ses deux ailes d'opale, 8 a
Prend son vol à travers les cieux ; 8 b
L'onde au mélodieux ramage, 8 a
La brise aux murmures sacrés, 8 b
55 Bercent pour toi sa molle image 8 a
Sur un nuage aux flancs nacrés ; 8 b
Et que l'ange des doux mensonges 8 a
Fasse éclore, dans sa beauté, 8 b
Du blanc calice de tes songes, 8 a
60 Une blanche réalité ! 8 b
Es-tu de ceux qu'un souffle enflamme, 8 a
Esprits épars dans l'univers, 8 b
Qui portent caché dans leur âme 8 a
Le mal de la muse et des vers ; 8 b
65 De ceux qu'une âpre soif altère, 8 a
Et qui, troublés jusqu'au tombeau, 8 b
S'en vont inquiets par la terre, 8 a
Malades de l'amour du beau ? 8 b
Eh bien, qu'une large harmonie, 8 a
70 Berçant le cours de tes pensers, 8 b
Pour en alléger ton génie, 8 a
Les roule à flots toujours pressés ! 8 b
Qu'aux pieds ombreux des ravinales, 8 a
Dans quelque île aux flots caressants, 8 b
75 Ta vie aux brises virginales 8 a
S'exhale en lumineux accents ! 8 b
Que de son onde au ciel puisée 8 a
L'aube, mouillant l'herbe des champs, 8 b
Roule ses perles de rosée 8 a
80 Sur la jeunesse de tes chants ! 8 b
Que chaque jour, plus riche encore, 8 a
Éblouissante ascension, 8 b
Sur ton esprit, comme une aurore, 8 a
Se lève l'inspiration ! 8 b
85 Qu'enfin sur ta route choisie, 8 a
Rencontrant un bonheur rêvé, 8 b
Tu trouves dans la poésie 8 a
Ce qu'hélas ! je n'ai point trouvé. 8 b
Bonheur ! éternelle chimère ! 8 a
90 L'homme, jouet d'un sort railleur, 8 b
Ne quitte le sein de sa mère 8 a
Que pour apprendre la douleur. 8 b
Une expérience fatale, 8 a
L'abreuvant de déceptions, 8 b
95 Effeuille pétale à pétale 8 a
La fleur de ses illusions. 8 b
Combien d'amis de ma jeunesse 8 a
Ont déjà fui de mon chemin ! 8 b
Leur main, que pressait ma tendresse, 8 a
100 Hélas ! ne presse plus ma main. 8 b
Comme de gais oiseaux qu'assemble 8 a
Un même nid dans les buissons, 8 b
Par les airs nous allions ensemble, 8 a
Unis d'amour et de chansons. 8 b
105 D'un même arbre branches jumelles, 8 a
Nous mêlions nos rameaux aimés ; 8 b
Mais la vie aux bises cruelles 8 a
De toutes parts nous a semés. 8 b
Les uns, troupe joyeuse et blonde, 8 a
110 Les plus rieurs de ma saison, 8 b
Sont partis pour un autre monde, 8 a
Avides d'un autre horizon. 8 b
Ceux-ci, vains oiseaux de passage, 8 a
Oubliant leurs jours de frimas, 8 b
115 Ont changé d'âme et de visage, 8 a
Hélas ! en changeant de climats. 8 b
Ceux-là, groupe stérile et louche, 8 a
Renégats au cœur sec et mort, 8 b
Unissent leur bouche à la bouche 8 a
120 Qui ment, qui calomnie et mord ! 8 b
Et pourtant leur voix qui m'accuse 8 a
Devrait plutôt sur moi gémir ! 8 b
Pourtant ce qu'a flétri la Muse, 8 a
Tout noble cœur doit le flétrir ! 8 b
125 Nègres, mes frères ! peuple esclave ! 8 a
J'ai vu votre joug détesté, 8 b
Et de mon sein, bouillante lave, 8 a
A jailli mon vers irrité ! 8 b
Non ! votre mal n'est pas un thème 8 a
130 A moduler de vains concerts ! 8 b
Ma lèvre a connu l'anathème, 8 a
Car ma main a pesé vos fers ! 8 b
De ceux-la que votre souffrance 8 a
Avait émus en d'autres jours, 8 b
135 J'espérais… candide espérance ! 8 a
A ma voix ils sont restés sourds ! 8 b
Plongés dans un sommeil de pierre, 8 a
Lorsque vint l'heure des combats, 8 b
L'un a renié comme Pierre, 8 a
140 L'autre a trahi comme Judas. 8 b
Est-ce impuissance, orgueil, envie ? 8 a
Dieu le sait ! — mais mon cœur est las ; 8 b
Et sur les ronces de la vie 8 a
Je tombe, enfin ! je saigne, hélas ! 8 b
145 Ainsi partout deuil et tristesse ! 8 a
L'homme, d'espoir découronné, 8 b
Au mont désert de la vieillesse, 8 a
Marche des siens abandonné. 8 b
Étouffons donc notre délire, 8 a
150 Et laissons nos pleurs seuls parler ! 8 b
Il est des douleurs que la lyre 8 a
Est impuissante à consoler ! 8 b
Mais pourquoi d'un triste nuage 8 a
Assombrir l'azur de ton ciel ? 8 b
155 Pourquoi, dégoûté du breuvage, 8 a
Mêler mon absinthe à ton miel ? 8 b
Sauve du doute qui m'assiège 8 a
Ton avril au rêve enchanté ; 8 b
Lys, garde ta robe de neige ! 8 a
160 Cygne, ton plumage argenté ! 8 b
De ta foi n'éteins pas les flammes ; 8 a
Aime et chante au milieu des pleurs : 8 b
Le chant est le parfum des âmes ! 8 a
L'amour est le parfum des cœurs ! 8 b
165 Il est vrai, nos tiges sont nées 8 a
Dans les gazons d'un sol pareil ; 8 b
Mais, ami ! sur nos destinées 8 a
Ne luit pas un même soleil. 8 b
Un même rocher vert de mousse 8 a
170 De son onde allaita nos jours ; 8 b
Mais ton eau chante, heureuse et douce, 8 a
La mienne gémit dans son cours. 8 b
Sur des mers où l'aube étincelle, 8 a
Ta muse aux fraîches visions 8 b
175 Monte une odorante nacelle 8 a
Où rament les illusions ; 8 b
La mienne au choc des vents contraires 8 a
Soutient la lutte du devoir, 8 b
Car ma nef d'un peuple de frères 8 a
180 Porte la fortune et l'espoir. 8 b
Toi, tu vois sur de blanches grèves 8 a
Des bords aimés poindre et fleurir ; 8 b
Moi, je vois, par delà mes rêves, 8 a
Nos libertés à conquérir ! 8 b
185 Donc sur leurs routes opposées 8 a
Laissons voguer nos deux esquifs : 8 b
A toi les ondes apaisées ! 8 a
A moi la vague aux noirs récifs ! 8 b
Mais si jamais, pour les tempêtes 8 a
190 Désertant de paisibles bords, 8 b
Tu voulais, rêvant nos conquêtes, 8 a
Dans mes eaux risquer tes sabords ; 8 b
Si, bravant les fureurs sauvages 8 a
Du présent contre l'avenir, 8 b
195 Pour tenter les mêmes rivages, 8 a
Tes mâts aux miens voulaient s'unir ; 8 b
Fendant la vague échevelée 8 a
Qui me roule dans ses brouillards, 8 b
Viens avec moi, dans la mêlée, 8 a
200 Affronter les mêmes hasards ; 8 b
Et dans nos barques fraternelles, 8 a
Sous l'œil de Dieu, couple indompté, 8 b
Nageons de la rame et des ailes 8 a
Vers les mers de la Liberté ! 8 b
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