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12 longueur métrique
6-6 mètre
LAC_2/LAC47
Auguste LACAUSSADE
Poèmes et Paysages
1852
POÈMES ET PAYSAGES
XVI
Les Bois détruits
A la mémoire de mon ami Louis Féry d'Esclands de l'île Bourbon
I
J'ai vu des nobles filsde nos forêts superbes 6+6 a
Les grands troncs abattusdispersés dans les herbes, 6+6 a
Et de l'homme en ces lieuxj'ai reconnu les pas. 6+6 b
Renversant de ses mainsl'œuvre des mains divines, 6+6 c
5 Partout sur son passageil sème et les ruines 6+6 c
Et l'incendie et le trépas. 8 b
Que de jours ont passésur ces monts, que d'années 6+6 a
Pour voiler de frcheurleurs cimes couronnées 6+6 a
D'arbres aux troncs d'airain,aux feuillages mouvants ! 6+6 b
10 S'il faut, hélas ! au tempsdes siècles pour produire, 6+6 c
A l'homme un jour suffitpour abattre et détruire 6+6 c
L'œuvre séculaire des ans. 8 b
Sur ces sommets boisésqu'un souffle tiède embaume, 6+6 a
Ma muse, blonde enfantqui naquit sous le chaume, 6+6 a
15 Vers des cieux bleus et clairsessaya son essor ; 6+6 b
Et butinant leur mielaux fleurs de Salazie, 6+6 c
Elle errait et cueillaitsa frche poésie, 6+6 c
Légère abeille aux ailes d'or. 8 b
Peut-être avant le jour ma tête blanchie 6+6 a
20 Penchera vers le sol,pesante et réfléchie, 6+6 a
Revenant à ces lieuxdemander leurs abris, 6+6 b
Je reverrai des montssans verdure et sans ombres, 6+6 c
Et, pleurant en secretnos solitudes sombres, 6+6 c
Je gémirai sur leurs débris. 8 b
25 Je veux fermer mon cœuraux douloureux présages… 6+6 a
O gigantesques monts dorment les nuages, 6+6 a
De vos arbres sur nousbalancez les arceaux ! 6+6 b
Défendant vos beaux flancsdes haches meurtrières, 6+6 c
Que notre main conserveà vos têtes altières 6+6 c
30 Leurs chevelures de rameaux ! 8 b
Et vous, doux habitantsde ces lieux solitaires, 6+6 a
Hommes simples et purs,aux mœurs hospitalières, 6+6 a
Respectez-les, ces boisqu'ont respectés les ans ! 6+6 b
Laissez sous leur verdureet leurs ombres profondes 6+6 c
35 Errer les couples blancs,jouer les têtes blondes 6+6 c
Des colombes et des enfants. 8 b
Joignez à l'arbre fierde sa haute stature 6+6 a
L'humble arbuste l'oiseautrouve sa nourriture ; 6+6 a
Aux marges du torrentqui bouillonne argenté, 6+6 b
40 Laissez rougir la fraiseet la framboise éclore ; 6+6 c
Que la pêche y suspendeau soleil et colore 6+6 c
Son fruit au duvet velouté. 8 b
Que la brise, agitantvos touffes de jam-roses, 6+6 a
Épanche autour de vousla douce odeur des roses ; 6+6 a
45 Que leur dôme embaumés'incline sur les eaux ; 6+6 b
Sous leur vte cachezvos maisonnettes blanches, 6+6 c
Comme on voit, suspendusdans l'épaisseur des branches, 6+6 c
Les nids ombragés des oiseaux. 8 b
Restez sourds aux conseilsd'une avide opulence ; 6+6 a
50 De sagesse et d'amourvivez dans le silence. 6+6 a
Le trésor le plus purvient de la paix des cœurs. 6+6 b
Mais chassez l'étrangerde vos bois centenaires, 6+6 c
Car il profaneraitde ses mains mercenaires 6+6 c
Vos forêts vierges et vos mœurs ! 8 b
II
55 Qu'ont-ils fait de nos bois,qu'ont-ils fait de nos terres, 6+6 a
Ces défricheurs venusdes plages étrangères, 6+6 a
Par un vent de malheursur nos grèves jetés ? 6+6 b
Ne voulant voir en euxque des déshérités, 6+6 b
Notre île hospitalièreaccueillit leur détresse 6+6 a
60 En mère, et sur leurs deuilsmesura sa tendresse. 6+6 a
Abritant leurs fronts las,de son ciel tiède et pur 6+6 b
Elle étendit sur euxla coupole d'azur ; 6+6 b
Sous leurs pieds écartantles épines jalouses, 6+6 a
Elle ouvrit le veloursde ses molles pelouses, 6+6 a
65 Fit chanter, pour bercerleurs souvenirs amers, 6+6 b
Les oiseaux de ses boiset les flots de ses mers, 6+6 b
Et leur prouva par l'acteet non par la parole 6+6 a
La chaude loyautéde l'amitié créole. 6+6 a
Mais tes fils adoptifsont trahi tes bontés. 6+6 a
70 Ils ont porté la mortdans tes champs dévastés. 6+6 a
Le froid amour de l'oréteignant dans leurs âmes 6+6 b
Le foyer virginalet noble aux belles flammes, 6+6 b
Ils ont privé ton cielde ses peuples d'oiseaux, 6+6 a
Tes plaines de leurs fleurs,tes nymphes de leurs eaux ; 6+6 a
75 Et, sapant tes forêts,ô ma mère ! leur glaive 6+6 b
Fit tomber de ton frontta chevelure d' Ève. 6+6 b
Et nous avons permisque leurs bras éhontés 6+6 a
Missent à nu les flancsqui nous ont enfantés ! 6+6 a
Et sous nos yeux ils ont,de leurs mains libertines, 6+6 b
80 Profané les secretsde tes formes divines ! 6+6 b
Et nous l'avons souffert !et nos justes fureurs 6+6 a
N'ont pas honni, chasséces durs dévastateurs 6+6 a
Que la vague en courroux,rebuts d'un autre monde, 6+6 b
Déposa sur nos bordscomme une vase immonde ! 6+6 b
85 O misère ! ô douleur !Ce n'est pas tout encor, 6+6 a
Car ils nous ont léguéleur appétit pour l'or : 6+6 a
A leur souffle glacénotre âme s'est flétrie ; 6+6 b
Nous n'avons plus au cœurl'amour de la patrie ! 6+6 b
De la terre natale dorment nos aïeux 6+6 a
90 Nous éloignons nos pas,nous détournons les yeux ; 6+6 a
Nous n'aspirons qu'à l'heure gorgés de richesses, 6+6 b
Fuyant ces lieux, berceauxde nos pures jeunesses, 6+6 b
Nous pourrons dans le seindes lointaines cités 6+6 a
Étaler au grand journos sottes vanités ! 6+6 a
95 Et pour voler au but notre espoir s'attache, 6+6 b
Nous portons en tous lieuxet la flamme et la hache ; 6+6 b
Et l'on ne voit partoutque des champs dépouillés, 6+6 a
Que d'arides plateauxaux rocs noirs et pelés, 6+6 a
Qu'une herbe rare et jauneet des arbustes fauves 6+6 b
100 Sur les flancs décharnésde nos montagnes chauves ; 6+6 b
Et, courbés vers le sol,chaque jour dans son sein 6+6 a
Nous fouillons de la piocheet du pic assassin. 6+6 a
De nos champs épuisés,sans remords et sans trêve, 6+6 b
Notre lèvre acharnéea bu toute la sève ; 6+6 b
105 Et, desséchant ce seinqui nous a tous nourris, 6+6 a
Quand il n'est plus de laitdans ses vaisseaux taris, 6+6 a
Tout gonflés et repusdu sang de notre mère, 6+6 b
Nous faisons voile, hélas !vers la rive étrangère, 6+6 b
Et nous allons aux yeuxdes superbes cités 6+6 a
110 Étaler au grand journos sottes vanités ! 6+6 a
III
O mère malheureuse !ô mère délaissée ! 6+6 a
Oui, garde sur tes yeuxta paupière baissée. 6+6 a
Je comprends ta tristesseet comprends tes douleurs, 6+6 b
Et mêle à tes regretsmes regrets et mes pleurs. 6+6 b
115 Plus de verte savaneet d'ombreuses collines, 6+6 a
s'ouvrait la grenadeaux perles purpurines ; 6+6 a
Plus de hauts cocotierset de beaux orangers 6+6 b
S'affaissant sous le poidsde leurs rameaux chargés ; 6+6 b
Et tu ne verses plussur la mer langoureuse 6+6 a
120 Qui vient baiser tes piedsde sa vague amoureuse, 6+6 a
Les souffles parfuméset les frches senteurs 6+6 b
De tes arbres si beauxque les oiseaux pêcheurs, 6+6 b
Fuyant des flots émusles rumeurs éternelles, 6+6 a
Venaient s'y reposerpour embaumer leurs ailes ! 6+6 a
125 Mais tout n'est pas perdu,mère, console-toi ! 6+6 b
Il te reste des filsqui t'ont gardé leur foi, 6+6 b
Qui, n'empruntant jamaisleur vol aux hirondelles, 6+6 a
Quand tout te trahiraitte resteraient fidèles, 6+6 a
Et qui, pour te servirjusqu'à leur dernier jour, 6+6 b
130 A défaut du génieauront du moins l'amour ! 6+6 b
Et près d'eux j'en sais unqui, sevré de tendresses, 6+6 a
Du sort n'a point connules prodigues caresses ; 6+6 a
Mais qui, fils de tes flancs,fidèle humilié, 6+6 b
Se consolant en toi-de lutter oublié, 6−6 b
135 Se souviendra toujoursque ses lèvres jumelles 6+6 a
Ont sucé l'existenceà tes brunes mamelles. 6+6 a
Il ira, cet enfantdont le front révolté 6+6 a
Porte un natal refletde ta mâle âpreté, 6+6 a
Il ira sur tes monts siègent les nuages, 6+6 b
140 Bleus-palais éthérésde l'esprit des orages ; 6+6 b
Et là, seul avec toi,si dans l'ombre des nuits 6+6 a
Il exhale en secretl'hymne de ses ennuis, 6+6 a
Mère, à sa voix pardonneun accent de colère : 6+6 b
Cette voix dut flétrirta honte séculaire. 6+6 b
145 S'il naquit pour chanterles bois, les eaux, les fleurs, 6+6 a
Le sort ne lui fut pasavare de douleurs ; 6+6 a
Enfant né pour le jour,persécuté par l'ombre, 6+6 b
Il sait ce que la viea de dégts sans nombre ; 6+6 b
Aussi, triste, mais calmeet bravant tout écueil, 6+6 a
150 Il va seul à son butdans son tranquille orgueil. 6+6 a
Sur les sommets altiers,sur la montagne austère, 6+6 b
Il marche loin des pasdes heureux de la terre ; 6+6 b
Leurs injustes dédainsà son âme ont appris 6+6 a
A payer leurs dédainsd'un trop juste mépris ; 6+6 a
155 Mais de ce cœur blessél'indulgence hautaine 6+6 b
N'est jamais descendueau niveau de la haine ; 6+6 b
Vers des dieux plus clémentsil aspira toujours, 6+6 a
Et toujours la natureeut ses hautes amours. 6+6 a
Les torrents écumeux,la foudre et ses ravages 6+6 b
160 Ont façonné son âmeà leurs concerts sauvages ; 6+6 b
Mais son verbe attendri,pour célébrer tes bords, 6+6 a
O mon île ! oublierales farouches accords. 6+6 a
Pour chanter sur les montsta verte Salazie 6+6 b
Sa lèvre épancherale miel de poésie ; 6+6 b
165 Et le jour , donnantdans un dernier adieu 6+6 a
Sa dépouille à la tombeet son esprit à Dieu, 6+6 a
Il se reposerad'une existence amère, 6+6 b
Tu verseras peut-êtreune larme, ô ma mère ! 6+6 b
mètre profils métriques : 8, 6−6
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