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LAC_2/LAC42
Auguste LACAUSSADE
Poèmes et Paysages
1852
POÈMES ET PAYSAGES
XI
le Lac des Goyaviers et le Piton d'Enchaine
(Seconde Version.)
À M. Gaudin, ingénieur en chef de l'île Bourbon.
Ô lac des Goyaviers, dont l'onde paresseuse 6+6 a
Caresse mollement sa rive lumineuse ! 6+6 a
Dans ton sein calme et bleu, comme en un clair miroir, 6+6 a
Le ciel aime à mirer les étoiles du soir ; 6+6 a
5 Et dans son vol léger la rapide hirondelle 6+6 a
Aime à toucher tes flots du duvet de son aile : 6+6 a
L'oiseau capricieux, en son agile essor, 6+6 a
Les franchit d'un seul trait pour les franchir encor ; 6+6 a
Sur ta nappe endormie il glisse ou se balance, 6+6 a
10 Et cent fois dans les airs en se jouant s'élance. 6+6 a
Ainsi la libellule aux brillantes couleurs 6+6 a
Va, fuit, revient parmi tes nymphéas en fleurs. 6+6 a
Beau lac, sur les gazons que ton flot calme arrose 6+6 a
La colombe des bois s'arrête et se repose 6+6 a
15 Et, voilant ses bonheurs dans l'ombre des rameaux, 6+6 a
Suspend son nid à l'arbre incliné sur tes eaux. 6+6 a
Pour embellir tes bords la jam-rose odorante 6+6 a
Ombrage de son fruit ton onde transparente ; 6+6 a
Pour charmer tes échos l'aigrette du maïs 6+6 a
20 Berce parmi ses fleurs le chant des bengalis ; 6+6 a
Et, ridant ton azur, la poule d'eau sauvage 6+6 a
Montre sur tes flots bleus son bleuâtre corsage. 6+6 a
L'ouragan déch qui rugit sur les monts, 6+6 a
Quand son souffle orageux descend dans ces vallons, 6+6 a
25 Épargne le bassin où ta vague demeure ; 6+6 a
Son courroux désarmé te caresse et t'effleure. 6+6 a
La lune, à son zénith, blanchissant tes roseaux, 6+6 a
S'arrête dans le ciel pour contempler tes eaux. 6+6 a
Tout s'embaume en ces lieux d'amour et d'harmonie. 6+6 a
30 N'es-tu pas le séjour de quelque heureux génie ? 6+6 a
Des ondes et des bois respirant la douceur, 6+6 a
Je t'écoute et je crois écouter une sœur, 6+6 a
Qui gronde en souriant, dont la voix douce et pure, 6+6 a
Fraîche comme ton eau qui se plaint et murmure, 6+6 a
35 Semble, en me consolant, me reprocher tout bas 6+6 a
De vivre dans un monde où le bonheur n'est pas ; 6+6 a
Et mon âme à ta voix descend vers ce rivage 6+6 a
Comme un oiseau battu par le vent et l'orage 6+6 a
Et, rêvant au long bruit de tes mourants accords, 6+6 a
40 Voudrait se faire un nid à l'ombre de tes bords. 6+6 a
Comme un amant des bois et de leur frais mystère, 6+6 a
Comme un cœur qui s'isole et qu'a déçu la terre, 6+6 a
Fuyant les bruits d'en bas pour la paix des hauts lieux, 6+6 a
Dans la séréni des monts silencieux 6+6 a
45 Vous habitez, ami ! De l'agreste chaumière 6+6 a
Votre main vint m'ouvrir la porte hospitalière. 6+6 a
C'est ici qu'incli sous la neige des ans, 6+6 a
Libre enfin du fardeau de ces labeurs pesants 6+6 a
Qu'a portés sans faiblir votre mâle courage, 6+6 a
50 Vous vous êtes bâti, dans un site sauvage, 6+6 a
Ermite de nos bois, ce rustique séjour 6+6 a
D'où vous voyez tomber le soir de votre jour. 6+6 a
Content des humbles biens que Dieu vous garde encore, 6+6 a
Dans ce modeste abri qu'un blanc jasmin décore, 6+6 a
55 La main qui vous guida fut celle du malheur ; 6+6 a
Mais l'exil accepté n'arrache à votre cœur 6+6 a
Ni plaintes ni regrets, ô doux penseur ! ô sage ! 6+6 a
Qu'importe que l'oiseau dont l'aile au loin voyage, 6+6 a
Ne trouve sur les bords qu'il effleure en passant 6+6 a
60 Que des rochers battus du flot retentissant, 6+6 a
Que d'incultes déserts ou de sombres ruines ! 6+6 a
S'il délasse un moment ses pieds sur les épines, 6+6 a
Il rêve à son retour les gazons et les fleurs, 6+6 a
Puis il reprend son vol, car son but est ailleurs. 6+6 a
65 Salut, mon vieil ami ! d'une lyre novice 6+6 a
Vous l'indulgent conseil, vous l'arbitre propice. 6+6 a
Au censeur éclai de mes jeunes travaux 6+6 a
Je ne viens pas offrir quelques essais nouveaux ; 6+6 a
Mais, comme un barde enfant sur les monts de l'Écosse 6+6 a
70 Errant accompagné de sa muse précoce, 6+6 a
De ces mornes je viens contempler la hauteur, 6+6 a
Respirer des hauts lieux le souffle inspirateur 6+6 a
Et, regardant courir à mes pieds les nuages, 6+6 a
Rêver au bruit lointain du vent dans les feuillages, 6+6 a
75 Et suivre du regard, comme l'esprit des airs 6+6 a
Qui plane incessamment sur ces sommets déserts, 6+6 a
L'oiseau blanc du tropique errant de cime en cime 6+6 a
Et dépassant leur front de son aile sublime. 6+6 a
Voici le pic altier dont le front sourcilleux 6+6 a
80 Se dresse, monte et va se perdre au fond des cieux. 6+6 a
Ce morne au faîte ardu, c'est le Piton d'Anchaîne. 6+6 a
De l'esclave indompté brisant un jour la chaîne, 6+6 a
C'est à ce bloc de lave, inculte, aux flancs pierreux, 6+6 a
Que dans son désespoir un nègre malheureux 6+6 a
85 Est venu demander sa liberté ravie. 6+6 a
Il féconda ces rocs et leur donna la vie ; 6+6 a
Car, pliant son courage à d'utiles labeurs, 6+6 a
Il arrosa le sol de ses libres sueurs. 6+6 a
Il vivait de poissons, de chasse, de racines : 6+6 a
90 Dans l'ombreuse futaie ou le creux des ravines 6+6 a
Aux abeilles des bois il ravissait leur miel ; 6+6 a
Il surprenait au nid ou frappait dans le ciel 6+6 a
Sa proie. Et seul, tout seul, et fière créature 6+6 a
Disputant chaque jour sa vie à la nature, 6+6 a
95 Africain expo sur ces pitons déserts 6+6 a
Aux cruelles rigueurs des plus rudes hivers, 6+6 a
Il préférait la lutte incertaine et sauvage 6+6 a
À des jours plus cléments passés dans l'esclavage, 6+6 a
Et debout sur ces monts qu'il avait pour témoins, 6+6 a
100 Souvent il s'écriait : « Je suis libre du moins ! » 6+6 a
Cependant comme l'aigle habitant des montagnes, 6+6 a
Qui du fond bleu des airs descend vers les campagnes, 6+6 a
Sur les sillons mouvants plane avec majesté, 6+6 a
Et s'approchant du sol par sa proie habité, 6+6 a
105 La ravissant au ciel dans sa puissante serre, 6+6 a
Reprend son vol farouche et remonte à son aire ; 6+6 a
Le hardi fugitif, abandonnant les bois, 6+6 a
Loin de son pic altier s'aventurait parfois ; 6+6 a
Il butinait de nuit dans le champ et la plaine, 6+6 a
110 Puis remontant, furtif, à son abrupt domaine 6+6 a
Par l'âpre aspéri d'un sentier roide et nu, 6+6 a
Invisible au regard et de lui seul connu, 6+6 a
Des bonheurs de l'esclave exilé volontaire, 6+6 a
Il regagnait là-haut sa hutte solitaire. 6+6 a
115 Je suis venu m'asseoir, ami, sous vos palmiers. 6+6 a
Ceux qui dans ces rochers sont montés les premiers, 6+6 a
Intrépides chasseurs, pour gravir sur ces pentes, 6+6 a
Aux racines d'affouche, aux lianes rampantes, 6+6 a
Grimpaient, et poursuivaient sous leurs abris secrets 6+6 a
120 Et le merle et la huppe, hôtes de nos forêts. 6+6 a
Mais aux lieux où jadis un monde de feuillage 6+6 a
Déployait ses verdeurs et son luxe d'ombrage, 6+6 a
De jeunes caféiers, de jeunes orangers 6+6 a
Balancent aujourd'hui leurs rameaux étrangers, 6+6 a
125 Et font au voyageur brisé de lassitude 6+6 a
Une tiède oasis de cette solitude. 6+6 a
Aux veines du rocher qui filtre ses cristaux, 6+6 a
Recueillant avec soin le blanc filet des eaux, 6+6 a
Le lit creusé par vous pour l'onde éparse et pure 6+6 a
130 Vous porte sa frcheur et son vivant murmure ; 6+6 a
Et l'oiseau, que son bruit avertit en passant, 6+6 a
S'abreuve et dans les airs monte en vous bénissant. 6+6 a
Sa faim glane après vous dans votre champ prospère 6+6 a
Les grains qu'y laisse exprès votre bonté de père ; 6+6 a
135 Il vous aime, il vous chante, et les grands vents surpris 6+6 a
S'étonnent sur ces monts de bercer des épis. 6+6 a
Cependant sous leurs fruits dont le poids les incline 6+6 a
Vos arbres inégaux penchent sur la colline, 6+6 a
Où la pêche de pourpre au duvet velou 6+6 a
140 Rougit comme la joue en fleur de la beauté. 6+6 a
Mais des champs paternels qu'habita votre enfance 6+6 a
Votre cœur a gardé la longue souvenance ; 6+6 a
Et plein des beaux soleils de vos premiers beaux ans, 6+6 a
Respirant le passé dans les parfums présents, 6+6 a
145 Vous prodiguez vos soins à ces tiges légères, 6+6 a
Fleurs d'un autre climat et pour nous étrangères. 6+6 a
Sur le cours diligent des rapides ruisseaux 6+6 a
Vos odorants lilas suspendent leurs berceaux, 6+6 a
Et sous les framboisiers la brune violette, 6+6 a
150 Comme vous simple et douce et comme vous discrète, 6+6 a
Verse dans vos gazons sa timide senteur… 6+6 a
Ô Dieu ! soyez touché de son humble bonheur ! 6+6 a
Oh ! gardez-lui toujours d'aussi chastes délices ! 6+6 a
Que de ses fleurs le vent respecte les calices, 6+6 a
155 Et de ses bananiers que le fruit nourrissant 6+6 a
Jaunisse aux chauds rayons d'un soleil mûrissant ! 6+6 a
Dans son lac tiède et bleu que le flot soit limpide, 6+6 a
Que l'aquilon l'ignore et jamais ne le ride ! 6+6 a
Esprit hospitalier et cœur exempt de fiel, 6+6 a
160 Dans cette solitude aux rêves poétiques, 6+6 b
Qu'il partage longtemps avec l'oiseau du ciel 6+6 a
L'ombrage et les épis de ses bois romantiques ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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