Métrique en Ligne
LAC_2/LAC116
Auguste LACAUSSADE
Poèmes et Paysages
1852
POÈMES ET PAYSAGES
LXXXV
Le Cap Bernard
A …
Jetons des fleurs sur nos amitiés mortes.
.
Si nos barques jamais, par la vague entraînées, 6+6 a
Devaient sur d'autres mers ensemble dériver ; 6+6 b
Dans cette île lointaine où nos âmes sont nées, 6+6 a
Si nous devions jamais, ami, nous retrouver ; 6+6 b
5 Emportons, emportons nos dieux et notre culte ! 6+6 a
Ne changeons point d'amour en changeant d'horizon. 6+6 b
N'imitons point ceux-là dont la vieillesse insulte 6+6 a
Le rêve qu'adora leur première saison. 6+6 b
N'oublions point nos dieux sur les plages natales, 6+6 a
10 Sur les autels de l'Art veillons jusqu'au tombeau ! 6+6 b
Comme ce feu sacré que gardaient les Vestales, 6+6 a
Gardons vivant en nous l'amour sacré du beau. 6+6 b
Amants de l'Idéal, à l'Idéal fidèles, 6+6 a
L'un sur l'autre appuyés, montons notre chemin ! 6+6 b
15 Vers le mont trois fois saint des Muses immortelles 6+6 a
Gravissons côte à côte et la main dans la main. 6+6 b
N'écoutons point ce monde aux intérêts sordides : 6+6 a
En nous sont des ardeurs qui ne sont point en lui. 6+6 b
L'Art seul est vrai ! l'Art seul et ses songes splendides 6+6 a
20 Peuvent de notre cœur tromper l'ardent ennui ! 6+6 b
Puisque le sort qui tient nos ailes enchaînées 6+6 a
Nous refusa ces biens qui font la liberté, 6+6 b
Au travail demandant le pain de nos journées, 6+6 a
Luttons, résignés fiers, contre l'adversité. 6+6 b
25 Luttons ! mais, quand viendra la nuit aux molles trêves, 6+6 a
La nuit libératrice et douce aux bras lassés, 6+6 b
Affranchis d'un long jour, vers le ciel de nos rêves, 6+6 a
Heureux amis, tournons le vol de nos pensers. 6+6 b
Quittons l'homme et la ville aux passions mauvaises, 6+6 a
30 Allons baigner nos fronts dans l'air calmant du soir ; 6+6 b
Comme l'oiseau pêcheur, hôte ailé des falaises, 6+6 a
Montons sur quelque cap ensemble nous asseoir. 6+6 b
O cap Bernard ! géant dressant sur le rivage 6+6 a
Tes mornes flancs voilés de mornes filaos, 6+6 b
35 Solitaire falaise, où la vague sauvage 6+6 a
Vient battre et prolonger ses éternels sanglots ! 6+6 b
Cime à mes pas connue, austère solitude, 6+6 a
D'où l'œil monte ébloui dans l'infini des airs, 6+6 b
O cap ! sur tes flancs noirs, loin de la multitude, 6+6 a
40 Nous viendrons chaque nuit rêver au bruit des mers. 6+6 b
Le soleil est couché : les placides montagnes 6+6 a
Plongent leur front sublime au fond des vastes cieux ; 6+6 b
La paix vague des soirs plane sur les campagnes ; 6+6 a
Les astres dans l'azur ouvrent leurs chastes yeux. 6+6 b
45 Des mornes et des bois lointains et des ravines, 6+6 a
Et de la gorge ombreuse où dorment les oiseaux, 6+6 b
S'élèvent jusqu'à nous des haleines divines 6+6 a
Que la brise des nuits porte au loin sur les eaux. 6+6 b
Là-haut, dans leur splendeur, les étoiles sereines 6+6 a
50 Versent sur l'Océan leurs paisibles clartés ; 6+6 b
Là-bas, les lourds vaisseaux aux puissantes carènes 6+6 a
Se meuvent lentement sur les flots argentés. 6+6 b
Et nous, sur le grand cap miné par les tempêtes, 6+6 a
Aspirant enivrés le charme des hauts lieux, 6+6 b
55 Muets, nous contemplons sous nos pieds, sur nos têtes, 6+6 a
L'immensité des mers, l'immensité des cieux ! 6+6 b
O blancheurs de nos nuits ! o tiédeurs de nos grèves ! 6+6 a
Des monts, des bois, des eaux souffles inspirateurs ! 6+6 b
Éblouis, nous sentons les vagues de nos rêves 6+6 a
60 Se lever, à leur tour, et chanter dans nos cœurs. 6+6 b
Et nous mêlons nos voix aux voix calmes et graves 6+6 a
Qui montent de la terre et descendent du ciel ; 6+6 b
Et moi, j'évoque, ami, sur vos lèvres suaves 6+6 a
La strophe au flot limpide et doux comme le miel. 6+6 b
65 Oh ! vous tenez du ciel un ample et beau génie. 6+6 a
Pour en doter vos vers vous avez emprunté 6+6 b
A l'Océan sa mâle et puissante harmonie, 6+6 a
Aux monts leur grande ligne et leur placidité. 6+6 b
Si la Muse, pour vous, poète au rythme antique, 6+6 a
70 Fut prodigue, au berceau, de ses dons maternels, 6+6 b
Moi, le ciel m'a doué d'une âme sympathique 6+6 a
Qui pour votre âme aura des échos fraternels. 6+6 b
Épanchez donc en moi vos espoirs et vos songes, 6+6 a
Cet idéal cherché dont mon cœur est épris. 6+6 b
75 Ensemble abreuvons-nous de célestes mensonges ; 6+6 a
Dans l'absolu divin confondons nos esprits ! 6+6 b
Parlons des hauts objets de notre haute ivresse, 6+6 a
Des vieux maîtres de l'art, — Dante, Homère, Milton ! — 6+6 b
Parlons-en, comme, un soir, deux enfants de la Grèce 6+6 a
80 En auraient su parler sous le ciel de Platon. 6+6 b
Soulevons ces grands noms, ces gloires pacifiques, 6+6 a
Guides chanteurs portant la lyre pour flambeau, 6+6 b
Harmonieux songeurs aux lèvres séraphiques, 6+6 a
Qui menaient l'homme à Dieu par les chemins du beau. 6+6 b
85 Parlons de tous ces rois de la pensée humaine, 6+6 a
Premiers-nés de la Muse, augustes éprouvés, 6+6 b
Qui de l'Art ont pour l'homme agrandi le domaine, 6+6 a
Et que l'homme a partout de larmes abreuvés. 6+6 b
Et devant ces grands cœurs, ces souffrances sublimes, 6+6 a
90 Devant ces flots, ces monts, ces déserts étoilés, 6+6 b
De la vie oubliant les misères infimes, 6+6 a
Nous bénirons nos jours que l'Art a consolés. 6+6 b
Nous bénirons Celui qui nous a fait une âme 6+6 a
Pour t'aimer, ô nature ! et sentir ta beauté ; 6+6 b
95 Qui dans nos yeux a mis la poétique flamme, 6+6 a
Et sur nos fronts le sceau de l'idéalité. 6+6 b
Nous bénirons Celui qui fit ces globes chastes, 6+6 a
Mondes flottants qu'un jour nous irons habiter ; 6+6 b
Qui fit les vastes cieux et les horizons vastes 6+6 a
100 Pour le traduire à nous, — et nous, pour le chanter. 6+6 b
Et nous le chanterons, lui, le Maître paisible, 6+6 a
Qui nous sourit là-haut dans ces radieux corps ; 6+6 b
Et nos voix, exhalant l'hymne de l'Invisible, 6+6 a
A l'orgue de la mer uniront leurs accords. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite périodique
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