Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
LAC_1/LAC5
Auguste LACAUSSADE
Les Salaziennes
1839
V
Le Lac des goyaviers et le Piton d'Anchaine
A M. Gaudin, Ingénieur en chef à l'île Bourbon.
I
Salut, beau lac d'azur, | dont l'onde paresseuse 6+6 a
Caresse en murmurant | sa rive harmonieuse ! 6+6 a
Dans ton sein calme et pur | comme un vaste miroir 6+6 b
Le ciel aime à mirer | les étoiles du soir ; 6+6 b
5 Et, dans son vol léger, | la joyeuse hirondelle 6+6 a
Aime à toucher tes flots | du duvet de son aile ; 6+6 a
L'oiseau capricieux, | en son rapide essor, 6+6 b
Les franchit d'un seul trait | pour les franchir encor, 6+6 b
Sur ton sein endormi | se berce et se balance, 6+6 a
10 Et cent fois dans les airs | en se jouant s'élance. 6+6 a
On dirait cet insecte | aux brillantes couleurs, 6+6 b
Qui promène en tous lieux | ses volages ardeurs, 6+6 b
Passe, comme un zéphyr, | de corolle en corolle, 6+6 a
Et, fécondant les fleurs | de son amour frivole, 6+6 a
15 Boit leur suave haleine | et leurs gouttes de miel, 6+6 b
Et, sylphe aux ailes d'or, | remonte vers le ciel. 6+6 b
II
Beau lac, sur les gazons | que ton flot calme arrose 6+6 a
La colombe des bois | s'arrête et se repose ; 6+6 a
Et, voilant ses amours | dans l'ombre des rameaux, 6+6 b
20 Suspend son nid à l'arbre | incliné sur tes eaux. 6+6 b
Pour embellir tes bords | la jam-rose odorante 6+6 a
Ombrage de son fruit | ton onde murmurante, 6+6 a
Pour charmer tes échos | l'arbrisseau du maïs 6+6 b
Berce parmi ses fleurs | le chant des bengalis ; 6+6 b
25 Et, ridant ton azur, | la poule d'eau sauvage 6+6 a
Montre sur tes flots bleus | son bleuâtre corsage. 6+6 a
L'ouragan déchaîné, | qui mugit dans les monts, 6+6 b
Quand son souffle orageux | descend dans ces vallons, 6+6 b
Épargne le bassin | où ta vague demeure 6+6 a
30 Et son courroux charmé | te caresse et t'effleure. 6+6 a
Phœbé, de ses lueurs | blanchissant tes roseaux 6+6 b
S'arrête aux bords du ciel | pour contempler tes eaux. 6+6 b
Tout s'embaume en ces lieux | d'amour et d'harmonie. 6+6 a
N'es-tu pas le séjour | de quelque heureux génie ? 6+6 a
35 Des ondes et des bois | respirant la douceur, 6+6 b
Je t'écoute, et je crois | être auprès d'une sœur 6+6 b
Qui gronde en souriant, | dont la voix jeune et pure 6+6 a
Douce comme ton eau | qui se plaint et murmure, 6+6 a
Semble, en me caressant, | me reprocher tout bas 6+6 b
40 De vivre dans un monde | où le bonheur n'est pas ; 6+6 b
Et mon âme, à sa voix, | s'abat sur ton rivage, 6+6 a
Comme un cygne battu | par les vents et l'orage, 6+6 a
Et, rêvant au doux bruit | de tes mourants accords 6+6 b
Voudrait se faire un nid | à l'ombre de tes bords. 6+6 b
III
45 Mais comme un chaste amant | du calme et du mystère, 6+6 a
Comme un cœur exilé | du reste de la terre, 6+6 a
Goûtant le doux repos | des bois silencieux, 6+6 b
Quel est l'heureux mortel | habitant de ces lieux ? 6+6 b
C'est vous, mon vieil ami, | de votre humble chaumière 6+6 a
50 Votre main vint m'ouvrir | la porte hospitalière. 6+6 a
C'est ici qu'incliné | sous le fardeau des ans, 6+6 b
Débarrassé du poids | de ces travaux pesants 6+6 b
Qu'a portés jusqu'au but | votre noble courage, 6+6 a
Vous avez élevé | dans un endroit sauvage 6+6 a
55 Ce solitaire abri, | ce modeste séjour, 6+6 b
Où vous coulez en paix, | au déclin de vos jours, 6+6 b
Les heures que les cieux | vous réservent encore. 6+6 a
Dans cet humble réduit | que nul faste décore, 6+6 a
La main qui vous guida | fut celle du malheur ; 6+6 b
60 Mais le revers jamais | n'abattit un grand cœur ! 6+6 b
La plainte et les regrets | sont indignes du sage, 6+6 a
Eh ! qu'importe ! ô mortels, | qu'un oiseau de passage 6+6 a
Ne trouve dans les lieux | qu'il effleure en passant 6+6 b
Que des rochers battus | du flot retentissant, 6+6 b
65 Que d'incultes déserts | et de sombres ruines ? 6+6 a
S'il délasse un moment | ses pieds sur les épines, 6+6 a
Il rêve à son retour | les gazons et les fleurs ; 6+6 b
Puis il reprend son vol, | car son but est ailleurs. 6+6 b
IV
Salut mon vieil ami ! | de mes œuvres novices, 6+6 a
70 Lisant à votre goût | les modestes prémices, 6+6 a
Au censeur éclairé | de mes secrets travaux 6+6 b
Je ne viens pas offrir | quelques essais nouveaux ; 6+6 b
Mais comme un barde enfant | sur les monts de l'Écosse 6+6 a
Marchant accompagné | de ma muse précoce, 6+6 a
75 De ces mornes je viens | admirer la hauteur, 6+6 b
Respirer des hauts lieux | le souffle inspirateur 6+6 b
Et, dérobant mon front | sous le dais des nuages 6+6 a
Rêver au bruit lointain | des vents et des orages ; 6+6 a
Et, suivre du regard, | comme l'esprit des airs 6+6 b
80 Qui plane incessamment | sur ces rochers déserts 6+6 b
L'oiseau blanc du tropique | errant de cime en cime 6+6 a
Et dépassant leurs fronts | de son aile sublime. 6+6 a
V
Asseyons-nous ensemble | à l'ombre des palmiers… 6+6 b
Ceux qui dans ces rochers | sont venus les premiers, 6+6 b
85 Intrépides chasseurs, | pour gravir sur ces pentes, 6+6 a
Aux racines d'affouches, | aux lianes rampantes, 6−6 a
S'attachaient, et portaient | dans leurs abris secrets 6+6 b
La mort aux habitants | de nos sombres forêts. 6+6 b
Mais aux lieux où jadis | une forêt sauvage 6+6 a
90 Déployait dans les airs | son luxe de feuillage, 6+6 a
Des caféiers en fleurs, | de jeunes orangers, 6+6 b
Balancent aujourd'hui | leurs rameaux étrangers ; 6+6 b
Et pour le voyageur | brisé de lassitude, 6+6 a
Forment une oasis | de votre solitude. 6+6 a
95 Aux veines du rocher | qui filtre ses cristaux, 6+6 b
Recueillant avec soin | le blanc filet des eaux, 6+6 b
Le lit creusé par vous | pour l'onde errante et pure 6+6 a
Vous porte sa fraîcheur | et son léger murmure ; 6+6 a
Et l'oiseau que son bruit | avertit en passant, 6+6 b
100 S'abreuve et dans les airs | monte en vous bénissant. 6+6 b
Sa faim glane après vous | dans votre champ prospère, 6+6 a
Les grains qu'y laisse exprès | votre bonté de père ; 6+6 a
Il vous aime, il vous chante, | et les zéphyrs surpris 6+6 b
S'étonnent dans ces monts | de bercer des épis. 6+6 b
105 Cependant sous leurs fruits | dont le poids les incline 6+6 a
Vos arbres inégaux | penchent sur la colline ; 6+6 a
Où la pêche offre à l'œil | son tendre velouté, 6+6 b
Comme la joue en fleur | de la jeune beauté. 6+6 b
Mais des champs paternels | qu'habita votre enfance 6+6 a
110 Votre cœur a gardé | la douce souvenance ; 6+6 a
Et, plein du souvenir | de vos premiers beaux ans, 6+6 b
Respirant le passé | dans les parfums présents, 6+6 b
Vous prodiguez vos soins | à ces tiges légères, 6+6 a
Fleurs d'un autre climat | et pour nous étrangères. 6+6 a
115 Sur le cours murmurant | des limpides ruisseaux 6+6 b
Vos lilas odorants | suspendent leurs berceaux, 6+6 b
Et dans l'ombre et l'oubli | la tendre violette, 6+6 a
Comme vous simple et douce | et comme vous discrète 6+6 a
Verse dans vos gazons | sa timide senteur. 6+6 b
120 O Dieu, soyez touché | de son humble bonheur ! 6+6 b
Oh ! gardez-lui toujours | d'aussi chastes délices ! 6+6 a
Que le vent de ses fleurs | respecte les calices, 6+6 a
Et de ses bananiers | que le fruit nourrissant 6+6 b
Jaunisse aux chauds rayons | d'un soleil mûrissant ! 6+6 b
125 Dans son lac calme et bleu | que le flot soit limpide, 6+6 a
Que l'aquilon jamais | ne le trouble et le ride ; 6+6 a
Que ses jours soient exempts | d'amertume et de fiel 6+6 b
Qu'il partage longtemps | avec l'oiseau du ciel 6+6 b
L'ombrage et les épis | de ses bois romantiques ! 6+6 a
130 Conservez-lui, mon Dieu, | leurs grâces poétiques, 6+6 a
Et, que tout soit propice | à ses travaux heureux ! 6+6 b
VI
Au fond de ces ravins, | par un temps orageux, 6+6 b
Les eaux ayant grossi | le cours de la rivière, 6+6 a
Quinze fois le soleil, | reprenant sa carrière, 6+6 a
135 Vous a vu seul, errant, | vous faisant un abri, 6+6 b
Ou d'un boukan désert, | pittoresque débri, 6+6 b
Que l'esclave marron | laissa sur son passage ; 6+6 a
Ou d'un rocher miné | par le temps et l'orage, 6+6 a
Qui peut-être a servi | de refuge au chasseur ; 6+6 b
140 Et sous lequel alors, | mon noble ingénieur, 6+6 b
Vous avez, satisfait | de votre humble retraite, 6+6 a
Dormi le doux sommeil | d'un chaste anachorète. 6+6 a
VII
Mais quel est ce piton | dont le front sourcilleux 6+6 b
Se dresse, monte et va | se perdre dans les cieux ? 6+6 b
145 Ce mont pyramidal, | c'est le piton d'Anchaine. 6+6 a
De l'esclave indompté | brisant la lourde chaîne, 6+6 a
C'est à ce mont inculte, | inaccessible, affreux, 6+6 b
Que dans son désespoir | un nègre malheureux 6+6 b
Est venu demander | sa liberté ravie. 6+6 a
150 Il féconda ces rocs | et leur donna la vie ; 6+6 a
Car, pliant son courage | à d'utiles labeurs, 6+6 b
Il arrosait le sol | de ses libres sueurs. 6+6 b
Il vivait de poissons, | de chasse et de racines : 6+6 a
Parfois, dans la forêt | ou le creux des ravines, 6+6 a
155 Aux abeilles des bois | il ravissait leur miel, 6+6 b
Ou prenait dans ses lacs | le libre oiseau du ciel. 6+6 b
Séparé dans ces lieux | de toute créature, 6+6 a
Se nourrissant des dons | offerts par la nature, 6+6 a
Africain exposé | sur ces mornes déserts 6+6 b
160 Aux mortelles rigueurs | des plus rudes hivers, 6+6 b
Il préférait sa vie | incertaine et sauvage 6+6 a
A des jours plus heureux | coulés dans l'esclavage ; 6+6 a
Et, debout sur ces monts | qu'il prenait à témoins, 6+6 b
Souvent il s'écriait : | Je suis libre du moins ! 6+6 b
165 Cependant, comme l'aigle | habitant des montagnes, 6+6 a
Qui du trône des airs | descend vers les campagnes, 6+6 a
Sur la terre et les champs | plane avec majesté, 6+6 b
Et, s'approchant du sol | par sa proie habité, 6+6 b
La ravissant au ciel | dans sa puissante serre, 6+6 a
170 Reprend son vol royal | et remonte à son aire ; 6+6 a
Le noble fugitif, | abandonnant les bois, 6+6 b
De son mont escarpé | descendait quelquefois ; 6+6 b
Il parcourait les champs, | butinait dans la plaine, 6+6 a
Et revolant ensuite | à son affreux domaine 6+6 a
175 Par l'âpre aspérité | d'un sentier rude et nu, 6+6 b
Invisible aux regards | et de lui seul connu, 6+6 b
Il regagnait bientôt | sa hutte solitaire. 6+6 a
VIII
Hélas ! ô liberté, | pour te voir sur la terre, 6+6 a
Il faut gravir des monts | les rocs abandonnés ! 6+6 b
180 Tu ne te montres plus | sur les bords fortunés 6+6 b
Où la Grèce à ta voix, | brisant la tyrannie, 6+6 a
Rayonnait de splendeur, | de gloire et de génie. 6+6 a
Où trouver désormais | la trace de tes pas ? 6+6 b
Tes enfants sont tombés | sous le fer du trépas ; 6+6 b
185 Et Salamine encor | pleure sur son rivage 6+6 a
Ses beaux jours oubliés | dans un vil esclavage. 6+6 a
Sur ce globe asservi | tu n'as plus de séjour. 6+6 b
Quel peuple est aujourd'hui | digne de ton amour ? 6+6 b
Les habitants du Nord, | ces Vandales sans gloire, 6+6 a
190 N'ont pas même en leur cœur | conservé ta mémoire 6+6 a
Chaque jour se vautrant | dans la fange et les fers, 6+6 b
Ils ajoutent des rois | aux rois qu'ils ont soufferts 6+6 b
Des illustres Germains | ces bâtards sans courage 6+6 a
Ne sont bons qu'à croupir | dans un lâche esclavage ! 6+6 a
195 Tu vins, en t'exilant | des champs de Marathon, 6+6 b
Demander un refuge | au sol de Washington, 6+6 b
Et, prenant ton essor | des plaines de l'Attique, 6+6 a
Sur les bords arrosés | par le flot atlantique, 6+6 a
Tu portas ton amour | à ces nouveaux mortels, 6+6 b
200 Dont les mains à ta gloire | élevaient des autels. 6+6 b
Mais ils te proclamaient | en rivant des entraves, 6+6 a
En foulant à leurs pieds | des millions d'esclaves, 6+6 a
Et ces libres d'hier | ne savaient qu'opprimer ! 6+6 b
En les voyant si vils | tu n'as pu les aimer ; 6+6 b
205 Et, rejetant l'encens | de leur culte adultère, 6+6 a
Tu répandis des pleurs | et tu quittas la terre. 6+6 a
Un peuple… mais hélas ! | son astre s'est éteint. 6+6 b
De tes fils la victoire | a trahi le destin ; 6+6 b
Et la Pologne a vu | la hyène des batailles 6+6 a
210 De ses derniers enfants | dévorer les entrailles. 6+6 a
Et, les maîtres du Nord | ont applaudi des mains ! 6+6 b
Oui ! tyrans sans pitié, | tigres à traits humains, 6+6 b
Vous avez applaudi ! | votre bouche infernale 6+6 a
A souri dans sa joie, | à cette heure fatale 6+6 a
215 Où le Cosaque affreux, | de son bras triomphant, 6+6 b
En violant la mère, | égorgeait son enfant ! 6+6 b
Et nous, peuples abjects, | nous, vils troupeaux d 'esclaves 6+6 a
Nous n'avons pas su vaincre | ou mourir pour ces braves ! 6+6 a
Et le ciel, sans s'armer | de ses foudres vengeurs 6+6 b
220 A souffert les forfaits | de ces rois égorgeurs ! 6+6 b
Et les esprits heureux, | les martyrs et les anges 6+6 a
N'ont pas uni contre eux | leurs célestes phalanges ! 6+6 a
Et l'Éternel a vu | des attentats pareils 6+6 b
Sans leur lancer aux fronts | ses cieux et ses soleils ! 6+6 b
225 Non ! le ciel n'eut pour eux | ni foudre ni tempête 6+6 a
Ah ! quels pensers alors | je roule dans ma tête 6+6 a
Doutant d'un juste Dieu | pour la première foi, 6+6 b
J'étouffe dans mon cœur | tout sentiment de foi ; 6+6 b
Et je maudis la terre | et l'homme et le ciel même 6+6 a
230 Et dans mon désespoir | vomissant le blasphème, 6+6 a
Je ne vois dans celui | qui créa l'univers 6+6 b
Que le soutien du crime | et le Dieu des pervers ! 6+6 b
Tes fils sont tous tombés ; | ils dorment sous leurs armes ; 6+6 a
O liberté, le barde | ira verser des larmes 6+6 a
235 Aux lieux où s'éteignit | ton règne le plus beau. 6+6 b
La Pologne n'est plus | qu'un immense tombeau, 6+6 b
Et pleurant sur leurs fers, | ses vierges désolées 6+6 a
Dans les antres du nord | gémissent exilées. 6+6 a
Leurs yeux flétris, hélas ! | s'éteignent dans les pleurs, 6+6 b
240 Comme on voit par degrés | le doux éclat des fleurs 6+6 b
Passer et se faner | sous des gouttes d'orage. 6+6 a
Mais c'est en vain, tyrans, | que gorgés de carnage, 6+6 a
Vous vous osez flatter | que vos glaives sanglants 6+6 b
Ont de la liberté | frappé tous les enfants, 6+6 b
245 Et pour jamais éteint | dans le sang des victimes 6+6 a
D'un feu noble et sacré | les ardeurs légitimes ! 6+6 a
Sachez qu'il est encor | de généreux mortels 6+6 b
Qui de la liberté | serviront les autels ! 6+6 b
Qu'il lui reste les cœurs | de ces nobles Anchaines, 6+6 a
250 Qui sauront secouer | le vil poids de leurs chaînes 6+6 a
Et, loin de leurs tyrans, | des débris de leurs fers, 6+6 b
Lui bâtiront un temple | au milieu des déserts ! 6+6 b
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