Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
LAC_1/LAC30
Auguste LACAUSSADE
Les Salaziennes
1839
XXX
A mon frère
Comme l'oiseau qui craint | l'hiver et les orages, 6+6 a
Pour de plus doux climats | déserte nos rivages 6+6 a
Quand il voit s'envoler | la saison des beaux jours ; 6+6 b
Suivant dans tes avis | l'avis de la sagesse, 6+6 c
5 Dans ce monde incertain | ma docile jeunesse 6+6 c
A voulu prendre un autre cours. 8 b
Mais avec la craintive | et prudente hirondelle, 6+6 a
Mon frère, je n'ai pu | par un vol infidèle 6+6 a
Éviter de mon sort | les plaisirs ou les pleurs ; 6+6 b
10 Et, semblable au ruisseau | que son courant domine, 6+6 c
J'irai peut-être, hélas ! | m'éteindre sous l'épine, 6+6 c
Ou promener mes flots | sous l'ombrage des fleurs. 6+6 b
Car un secret penchant, | une ardeur inquiète, 6+6 a
Me porte à ressaisir | le luth que je rejette, 6+6 a
15 Et me force à chanter | quand j'étouffe ma voix. 6+6 b
Ainsi l'oiseau du soir | séduit par le silence, 6+6 c
Prélude à ses concerts | d'amour et de souffrance 6+6 c
Sous l'ombre nocturne des bois. 8 b
Et sans s'inquiéter | qu'on l'écoute et l'admire, 6+6 a
20 Exhalant dans sa voix | qui s'égaie ou soupire 6+6 a
De son cœur oppressé | les amoureux transports, 6+6 b
Il chante pour chanter | quand son instinct le pousse ; 6+6 c
Comme une eau qui murmure | en glissant sur la mousse, 6+6 c
Ne sait pas si ses bruits | enchanteront ses bords. 6+6 b
25 Mon cœur désabusé | d'un éclat illusoire, 6+6 a
Plus que le barde ailé | n'a pas rêvé la gloire ; 6+6 a
Et, voyageur pensif | sur le fleuve des jours, 6+6 b
Si j'élève la voix | dans ma mélancolie, 6+6 c
C'est afin d'assoupir | des pensers que j'oublie 6+6 c
30 Dans mes jeunes rêves d'amours. 8 b
Les enfants d'Israël, | assis dans les vallées 6+6 a
Dont l'Euphrate arrosait | les rives isolées, 6+6 a
Détachaient pour charmer | leur exil malheureux 6+6 b
La harpe de Sion | aux saules suspendue, 6+6 c
35 Et sentaient leur douleur | dans leurs chants répandue 6+6 c
S'évanouir avec | les sons mélodieux. 6+6 b
Et comme eux opprimé, | dans les lieux où nous sommes, 6+6 a
Portant l'injuste poids | des préjugés des hommes, 6+6 a
Si parfois dans mes yeux | je sens rouler des pleurs, 6+6 b
40 A de tristes pensers | si mon cœur s'abandonne, 6+6 c
Comme eux, pour oublier | une autre Babylone, 6+6 c
Laisse-moi chanter mes malheurs ! 8 b
Le poète qui cède | au penchant qui l'entraîne, 6+6 a
D'un joug triste et honteux | ne ressent plus la chaîne ; 6+6 a
45 Pour adoucir ses maux | il chante dans les fers. 6+6 b
Ainsi la fleur des champs | sous la ronce et l'épine 6+6 c
Exhale, humble et cachée, | une senteur divine 6+6 c
Dont les zéphyrs légers | vont parfumant les airs. 6+6 b
A tes yeux cependant | ne crois pas que j'excuse 6+6 a
50 Le séduisant orgueil | d'un espoir qui m'abuse : 6+6 a
Cette ardeur de survivre | aux siècles à venir, 6+6 b
A qui ne veut qu'aimer | fut toujours étrangère ; 6+6 c
Et je n'aspire pas | à l'éclat éphémère, 6+6 c
Dont brille un mortel souvenir. 8 b
55 Oh ! qu'il m'importe peu | qu'oublié de la gloire, 6+6 a
Dans la paix des tombeaux | je dorme sans mémoire ! 6+6 a
Qu'un autre, sur les temps | s'élançant en vainqueur, 6+6 b
Rêve dans l'avenir | une noble chimère ! 6+6 c
Mon nom, pour échapper | à l'oubli de la terre, 6+6 c
60 O vous que je chéris, | n'a-t-il pas votre cœur ? 6+6 b
Mais humble en mes désirs, | pauvre enfant solitaire, 6+6 a
Si je n'ai pas nourri | dans l'ombre et le mystère 6+6 a
De l'immortalité | le rêve ambitieux, 6+6 b
J'en caresse un plus doux, | dont la vague pensée, 6+6 c
65 Ranimant l'espérance | où mon âme est bercée, 6+6 c
Me fait voir l'avenir | sous un jour amoureux. 6+6 b
Ah ! posséder un ange | au front pur et timide, 6+6 a
Se suspendre d'amour | à sa lèvre candide, 6+6 a
Comme l'abeille aux fleurs | pour s'enivrer de miel ! 6+6 b
70 Sentir sous ses baisers | s'évaporer son âme, 6+6 c
Comme on voit sur l'autel | une odorante flamme 6+6 c
S'éteindre et monter vers le ciel ! 8 b
Aimer, aimer, aimer | et puis aimer encore, 6+6 a
Aimer quand la nuit vient, | aimer quand naît l'aurore 6+6 a
75 Ne vivre que d'aimer ! | et quand luira le jour 6+6 b
Où j'abandonnerai | ma dépouille à la tombe, 6+6 c
N'exhaler en mourant, | comme une fleur qui tombe, 6+6 c
Qu'un céleste parfum | d'innocence et d'amour ! 6+6 b
Ah ! voilà le désir | qui seul remplit mon âme ! 6+6 a
80 Le rêve que poursuit | sur des ailes de flamme 6+6 a
Un cœur jeune et brûlant, | qu'on flétri tour à tour 6+6 b
L'injustice et l'orgueil | et les dédains du monde, 6+6 c
Et qui, sous les dégoûts | dont la terre l'inonde, 6+6 c
N'a plus de foi que dans l'amour ! 8 b
85 Sans amour, sans espoir, | qu'est-ce donc que la vie ? 6+6 a
Des jours indifférents | que l'on voit sans envie, 6+6 a
Des matins sans parfums | et des cieux sans flambeaux ; 6+6 b
Les rayons languissants | d'un froid soleil d'automne, 6+6 c
Un songe épais et lourd, | une onde monotone 6+6 c
90 Qui nous porte assoupis | dans la nuit des tombeaux. 6+6 b
Le bonheur pour notre âme | est un besoin suprême. 6+6 a
Il existe, ô mon frère, | en la beauté qu'on aime ! 6+6 a
Mais nous le demandons | à mille objets divers, 6+6 b
Semblables, dans leurs cours, | à ces fleuves rapides, 6+6 c
95 Qui, par des lits nombreux, | de leurs ondes limpides 6+6 c
Vont porter le tribut aux mers. 8 b
Les uns placent dans l'or | leur unique espérance, 6+6 a
Pour un renom futur | veillent dans le silence, 6+6 a
Aspirent en secret | au sceptre des tyrans ; 6+6 b
100 D'autres, brigands armés | pour ravager le monde, 6+6 c
Promènent en tous lieux | leur fureur vagabonde, 6+6 c
Sous l'éclat usurpé | du nom de conquérants. 6+6 b
Tous enfin nous voulons, | dans l'éclat, l'opulence, 6+6 a
L'empire ou les honneurs, | la gloire ou la puissance, 6+6 a
105 Éteindre cette soif | de la félicité ; 6+6 b
Mais le bonheur, hélas ! | n'est pas fait pour la terre ! 6+6 c
Il est au fond de tout | un dégoût salutaire 6+6 c
Dont l'homme est sans cesse attristé. 8 b
Pour moi, dans cet ennui, | ce dégoût indicible, 6+6 a
110 Ce vide, ce néant, | où le cœur trop sensible, 6+6 a
D'un besoin inconnu | sans cesse consumé, 6+6 b
Ne trouve où reposer | sa vague incertitude ; 6+6 c
J'ai voulu par l'amour | charmer ma solitude : 6+6 c
Ah qui peut se lasser | d'aimer et d'être aimé ! 6+6 b
115 Lorsque la nuit descend | et que ses voiles sombres 6+6 a
Sur les monts obscurcis | ont répandu leurs ombres, 6+6 a
Que les brises du jour, | sommeillant dans les fleurs, 6+6 b
Au feuillage des bois | ont rendu le silence, 6+6 c
Et que l'astre du soir | à l'horizon s'avance 6+6 c
120 Porté sur un char de vapeurs ; 8 b
Pensif et contemplant | l'obscurité qui tombe, 6+6 a
Je vais, en soupirant, | semblable à la colombe 6+6 a
Qui foule à pas craintifs | le sable uni des mers, 6+6 b
Sur les bords isolés | continuer mon rêve ; 6+6 c
125 Et mêler au bruit sourd | qu'à murmuré la grève 6+6 c
L'accent doux et plaintif | de mes tristes concerts. 6+6 b
L'Océan à mes pieds | déroulant l'étendue, 6+6 a
Dans un ciel vaste et pur | la lune suspendue, 6+6 a
Qui répand sur les flots | sa tremblante clarté, 6+6 b
130 Sur les rochers noircis | une onde bondissante, 6+6 c
Dans la vague des airs | une ombre blanchissante 6+6 c
Roulant sous un ciel argenté ; 8 b
Sur le sable amolli | par les baisers de l'onde 6+6 a
Le flot bleu déroulant | sa nappe vagabonde, 6+6 a
135 Dans l'éther vaporeux | les lueurs de la nuit, 6+6 b
Le lointain se fondant | sous de bleuâtres brumes, 6+6 c
Et sur la rive au loin | la ceinture d'écumes 6+6 c
Que roule en murmurant | la vague qui s'enfuit ; 6+6 b
L'oiseau pêcheur des nuits | de son vol taciturne 6+6 a
140 Fendant les airs blanchis | par le rayon nocturne, 6+6 a
Comme l'esprit des eaux | rasant le sein des mers ; 6+6 b
Et les brises du soir | se jouant sur les vagues : 6+6 c
Tout éveille en mon cœur | des pensers doux et vagues 6+6 c
Que j'aime à redire en mes vers. 8 b
145 Je veux couler ainsi | mes jours dans le silence. 6+6 a
Ne me reproche plus | mon heureuse indolence ; 6+6 a
Que pourrais-tu m'offrir | pour mes rêves du cœur ? 6+6 b
Dans ces sentiers fleuris | que crains-tu pour ma vie, 6+6 c
Est-ce l'œil des méchants, | ou de la sombre Envie, 6+6 c
150 La clameur importune | et le rire moqueur ? 6+6 b
Dans les rocs tortueux | et les gorges profondes, 6+6 a
Quand un fleuve en grondant | fait bouillonner ses ondes 6+6 a
Et roule avec ses flots | sa fange et son horreur ; 6+6 b
La foule, sur ses bords, | immobile, attentive, 6+6 c
155 L'entend sous les rochers | rouler une eau captive 6+6 c
Et le contemple avec terreur. 8 b
Mais le ruisseau, glissant | à l'ombre d'une rose, 6+6 a
Coule en baisant la fleur | que sa belle onde arrose, 6+6 a
Et de son bruit léger | ne charme sur ses bords 6+6 b
160 Que l'oiseau reposant | sous un dais de verdure, 6+6 c
Ou la muse pensive, | écoutant son murmure, 6+6 c
Et sur un luth aimé | méditant des accords. 6+6 b
Semblable à ce ruisseau, | ma voix faible et plaintive 6+6 a
N'éveille pas la foule | et l'envie attentive ; 6+6 a
165 Et si ma muse un jour, | en chantant ses malheurs, 6+6 b
Des heureux d'ici-bas | vient troubler l'allégresse, 6+6 c
Ils lui pardonneront | ses doux chants de tristesse 6+6 c
Car ils auront séché mes pleurs ! 8 b
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