Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
LAC_1/LAC29
Auguste LACAUSSADE
Les Salaziennes
1839
XXIX
A un ami
I
Mes vers les plus aimés à toi je les adresse, 6+6 a
A toi, dont l'amitié captiva ma tendresse ; 6+6 a
De l'absence parfois pour charmer les douleurs 6+6 b
Tes yeux les reliront en se voilant de pleurs ; 6+6 b
5 Car ces vers, où pour moi le passé se reflète, 6+6 c
S'ils ne sont pas l'accent d'une lyre poète, 6+6 c
Charles, sur leurs défauts t'aveuglant à demi, 6+6 d
Tu n'oublieras jamais qu'ils sont de ton ami. 6+6 d
II
Hélas ! pourquoi le ciel près de ton innocence 6+6 e
10 N'a-t-il pas mis les jours de ma souffrance enfance ? 6+6 e
Prodiguant tes clartés à mon ciel nuageux, 6+6 f
Tu m'aurais parta ta lumière et tes jeux ; 6+6 f
Ta brise eût caressé ma tige humble et mobile, 6+6 g
Ton ombre eût abri mon front pâle et débile, 6+6 g
15 Et la nuit, endormant notre berceau pareil, 6+6 h
Eût porté dans mon sein la paix de ton sommeil ; 6+6 h
Et l'aube, te baignant des pleurs de sa roe, 6+6 i
En eût aussi versé sur ma fleur épuie ; 6+6 i
Et, pour ton pauvre ami, ta nourrice et ta sœur 6+6 j
20 Auraient eu dans leurs yeux un regard de douceur. 6+6 j
Tout ce qui t'aime enfin : l'arbre dont le feuillage 6+6 k
Te donne avec amour le frais de son ombrage, 6+6 k
L'oiseau qui vient chanter aux bords de ton chemin, 6+6 l
Le bengali qui boit dans le creux de ta main, 6+6 l
25 Et la brise effeuillant les fleurs à peine écloses 6+6 m
Pour embaumer ton air de la senteur des roses, 6+6 m
Tout, voyant la bon de ton amour pour moi, 6+6 n
Tout m'eût peut-être ai par amitié pour toi !… 6+6 n
III
Mais non ! j'ai dû grandir souffrant et solitaire, 6+6 o
30 Sans espoir, sans soutien, sans ami sur la terre ; 6+6 o
De l'heure où je naquis, m'abreuvant de mes pleurs, 6+6 b
J'ai fatigué les airs du chant de mes douleurs. 6+6 b
Sous les premiers rayons de ma lointaine aurore 6+6 p
Le spectacle du mal devant moi vint éclore, 6+6 p
35 Et, devinant le sort qui m'était destiné, 6+6 q
J'ai maudit avec Job le jour où je suis né. 6+6 q
Mon pays de mes maux innocemment complice, 6+6 r
Révoltait mon instinct d'amour et de justice ; 6+6 r
Car il n'offrait partout à mes yeux alarmés 6+6 s
40 Que de vils oppresseurs et de vils opprimés ! 6+6 s
Ma lèvre dès ce jour désapprit à sourire, 6+6 t
A l'âge où l'on bénit, je me pris à maudire 6+6 t
Ce pays dont l'orgueil ravalait la fierté 6+6 q
D'un cœur fait pour la gloire et pour la liberté ! 6+6 q
45 On borna mon chemin, on limita ma course, 6+6 u
A ma soif de savoir on interdit la source 6+6 u
D'où la science et l'art coulent à larges flots. 6+6 v
On riva ma jeunesse à l'affront du repos !… 6+6 v
O mânes révérés de Virgile et d'Homère, 6+6 o
50 Que la muse allaita de son doux lait de mère, 6+6 o
Toi Byron, dont l'accent m'emplit d'un saint effroi, 6+6 n
Ils ont placé leur ombre entre votre astre et moi ! 6+6 n
De peur que vos rayons fécondant ma poussière, 6+6 o
Mon esprit ne brisât son écorce grossière, 6+6 o
55 Et de nobles pensers fertilisant mon cœur, 6+6 j
Je n'aspirasse au ciel dans un élan vainqueur ! 6+6 j
Encor si j'avais eu pour guider ma jeunesse 6+6 a
D'un père qui n'est plus la fervente tendresse ; 6+6 a
Mais perdu dans sa route, et mort à la raison, 6+6 w
60 Son esprit s'éteignait dans un vague horizon. 6+6 w
Et moi, jeune orphelin, sans père et dans défense, 6+6 e
On condamna mon front au joug de l'ignorance ; 6+6 e
Dans mon sein alté de jour et de clarté 6+6 q
Leurs mains faisaient pleuvoir l'ombre et l'obscurité ; 6+6 q
65 Et, m'enviant du ciel les splendeurs éternelles, 6+6 x
On me creva les yeux, on me cassa les ailes !… 6+6 x
Mais le ciel à mon vol prêta des ailes d'or, 6+6 y
Et sur vous aujourd'hui plane mon libre essor. 6+6 y
Dites ! d'un œil le fixant mon vol agile, 6+6 g
70 Dites ! suis-je pétri de votre lâche argile ? 6+6 g
Pensez-vous que Dieu fit un front tel que le mien 6+6 l
Pour se plier au joug ?Allez ! nous n'êtes rien ! 6+6 l
Et des hauteurs de l'âme et des vertus augustes 6+6 z
Je me vois au-dessus de vos mépris injustes ! 6+6 z
75 Parmi le peuple ai de l'empire des airs, 6+6 a
Il en est dont l'essor peut ramper dans les fers ; 6+6 a
Oiseaux dégénérés, enfants des marécages, 6+6 b
Qu'ils peuplent dans vos cours et chantent dans vos cages ; 6+6 b
Mais ravir la lumière au noble oiseau des dieux ! 6+6 f
80 Mais refuser l'espace à son vol glorieux, 6+6 f
Lui, dont l'aire est la nue et les cieux le domaine ! 6+6 c
Voilà ce qui survit à toute grâce humaine ! 6+6 c
Et quand j'oublierais tout, je n'oublierai jamais 6+6 d
Ce forfait le plus grand de vos plus grands forfaits ! 6+6 d
IV
85 Oh ! oui ! j'ai dû grandir souffrant et solitaire ! 6+6 o
D'un œil désespé ne voyant dans la terre 6+6 o
Qu'un déplorable empire où régnait le méchant, 6+6 e
J'arrachai de mon cœur tout aimable penchant ; 6+6 e
L'amour et l'amitié, ces parfums que notre âme 6+6 f
90 Exhale à son matin pour l'homme et pour la femme, 6+6 f
Je les ai crus trop purs pour ce terrestre sol. 6+6 g
Vers de plus hauts sommets j'ai fait monter mon vol ; 6+6 g
Et je vins reposer ma sombre inquiétude 6+6 h
Dans les déserts de l'âme et dans la solitude. 6+6 h
95 De là, jetant sur tout un sourire moqueur, 6+6 j
De doute et de dégoût je nourrissais mon cœur ; 6+6 j
Et du bien et du beau méprisant la chimère, 6+6 o
Je versais à ma soif une rosée amère. 6+6 o
V
Heureux l'infortu qui peut loin des humains 6+6 i
100 D'une espérance encor dorer ses lendemains, 6+6 i
Et qui dans l'éternel se consolant du monde, 6+6 j
N'a pas fermé son âme à la foi qui l'inonde ; 6+6 j
Et, disant à la terre un solennel adieu, 6+6 k
Met son espoir au ciel et se repose en Dieu ! 6+6 k
105 Pour lui la solitude est un bonheur suprême ; 6+6 l
Un esprit est partout qui le protège et l'aime ; 6+6 l
Le spectacle infini des bienfaits du Seigneur 6+6 j
D'une sainte espérance a parfumé son cœur ; 6+6 j
Et, détachant ses pas des sentiers où nous sommes, 6+6 m
110 Oubliant dans son Dieu l'injustice des hommes, 6+6 m
Il verse dans celui qui voit tout d'un même œil 6+6 n
La tristesse et l'amour de sa pauvre âme en deuil. 6+6 n
VI
Mais moi, j'ai dû grandir souffrant et solitaire, 6+6 o
Sans même avoir un Dieu pour ami sur la terre ! 6+6 o
115 Eh ! qu'importait alors à mon cœur révolté 6+6 q
Pour des malheurs présents sa future bonté ? 6+6 q
Mes regards étonnés sur la terrestre rive 6+6 o
Cherchaient, mais vainement, sa justice tardive ! 6+6 o
La justice d'un Dieu doit être de tous temps ; 6+6 p
120 A toute heure, en tous lieux, en signes éclatants, 6+6 p
Et terrible à l'amie, et favorable au juste, 6+6 q
Elle doit témoigner de sa présence auguste ! 6+6 q
Et pourtant je voyais sous la main du puissant 6+6 e
Se lamenter le faible et gémir l'innocent ; 6+6 e
125 La sainte liberté râler son agonie 6+6 r
Sous le fer dont les rois arment leur tyrannie ; 6+6 r
Et la tendre colombe, emblème de l'amour, 6+6 s
Expirer dans son nid sous le bec du vautour. 6+6 s
Je voyais l'homme — O honte ! ô turpitude humaine 6+6 c
130 Qui me navrait le cœur de mépris et de haine ! — 6+6 c
Trafiquant de son frère et vendant ses labeurs, 6+6 b
S'engraisser de sa graisse et boire ses sueurs ! 6+6 b
Et le ciel cependant demeurait impassible ! 6+6 t
A nos maux, m'écriai-je, es-tu donc insensible ! 6+6 t
135 O Dieu bon, Dieu puissant, que veut dire ceci ? 6+6 d
Nous devais-tu créer pour t'en jouer ainsi ? 6+6 d
Les méchants seraient-ils les fils de tes caresses, 6+6 u
Et pour l'homme aurais-tu d'inégales tendresses ? 6+6 u
Mais prêt à blasphémer, une voix dans mon cœur 6+6 j
140 M'a dit : « Tais-toi ! regarde et bénis le Seigneur ! 6+6 j
« Ami zélé du faible et défenseur du juste, 6+6 q
« Contre l'arbre orgueilleux il prend soin de l'arbuste ; 6+6 q
« Sur le sommet des monts, pour l'insecte et l'oiseau, 6+6 v
« Dans le sein de la fleur sa main verse un peu d'eau ; 6+6 v
145 « Et de la blonde Aurore à l'herbe des collines 6+6 w
« Il répand la rosée en perles cristallines. 6+6 w
« Il donne aux flots leur calme et leurs lits sablonneux, 6+6 f
« Aux ramiers le duvet de leurs nids cotonneux, 6+6 f
« Et, déroulant des mers les lames vagabondes, 6+6 x
150 « Aux sables de leurs bords le doux baiser des ondes. 6+6 x
« Il dit à l'astre : — éclaire !à la terre : — produis ! 6+6 y
« A l'arbre : — donne au pauvre et on ombre et tes fruits ! 6+6 y
« A l'aquilon calmé : — que ton souffle caresse 6+6 a
« De la rose d'un jour la flexible mollesse ! — 6+6 a
155 « A l'Océan ému : — dans l'azur de tes flots 6+6 v
« De l'alcyon plaintif berce le doux repos ! — 6+6 v
« A l'onde qui gazouille et jaillit de sa source : — 6+6 u
« Pour l'insecte alté coule ici dans la mousse ! — 6+6 u
« C'est lui qui donne à l'heure où nous sentons la mort, 6+6 a
160 « Une espérance au bon, au méchant un remord. 6+6 a
« Sa voix sait consoler tout ce qui souffre et pleure, 6+6 c
« Il est du mendiant le pain et la demeure, 6+6 c
« Et du grand qu'on vénère à l'humble humilié, 6+6 q
« Dans sa tendresse immense il n'a rien oublié ! » 6+6 q
VII
165 Et ma lèvre en suspens n'a plus osé maudire, 6+6 t
Et mon esprit roula de délire en délire ; 6+6 t
Car le bien et le mal mêlés et confondus, 6+6 d
S'offraient de toutes parts à mes yeux éperdus ! 6+6 d
Inhabile à sonder ce mélange adultère, 6+6 o
170 Sans voix pour nier l'Être, irrité de le taire, 6+6 o
De l'ombre à la clarté las de flotter ainsi, 6+6 d
Au dieu qui m'obsédait j'ai demandé merci. 6+6 d
Ma raison s'inclina devant le roi du monde ; 6+6 j
Je refusai mon âme au doute qui l'inonde, 6+6 j
175 Et, cherchant tous les jours sans jamais rien trouver, 6+6 q
Fatigué de penser je me pris à rêver… 6+6 q
VIII
Je suivais les torrents dans leur chute pareille, 6+6 e
J'aimais à leur prêter une rêveuse oreille ; 6+6 e
Ou je venais m'asseoir à l'ombre des grands bois 6+6 f
180 Pour écouter longtemps leur silence ou leur voix ; 6+6 f
Et lorsqu'à l'horizon la vague orientale 6+6 h
Réfléchissait du jour la teinte rose et pâle, 6+6 h
Que le matin humide et riant sous ses pleurs, 6+6 b
S'enivrait de parfum sur les lèvres des fleurs ; 6+6 b
185 J'aimais à contempler la splendide nature 6+6 i
De l'ombre et de la nuit sortir brillante et pure, 6+6 i
Et, secouant dans l'air les langueurs du sommeil, 6+6 h
Montrer aux cieux ravis son front calme et vermeil ; 6+6 h
Ou telle qu'une femme aux formes ravissantes, 6+6 j
190 Du tissu vaporeux des ombres blanchissantes 6+6 j
Voilant à son réveil sa grâce et sa pudeur, 6+6 j
Sous les vapeurs du jour dérober sa splendeur, 6+6 j
Et, colorant son front d'une rougeur aimable, 6+6 k
Sourire à sa beau d'un sourire ineffable. 6+6 k
IX
195 La terre aux premiers feux du roi pompeux du jour, 6+6 s
Semblait s'épanouir sous des regards d'amour ; 6+6 s
Ses forêts agitaient leurs vertes chevelures 6+6 l
Et remplissaient les airs d'harmonieux murmures ; 6+6 l
Et buvant du soleil les naissantes chaleurs, 6+6 b
200 Ses vallons s'embaumaient d'accords et de senteurs. 6+6 b
Mais elle, ardente et belle et féconde en son âme, 6+6 f
Pour s'approcher de l'astre aux longs baisers de flamme, 6+6 f
Dévoilant ses contours dans le bleu firmament, 6+6 e
Semblait bondir d'amour vers son céleste amant. 6+6 e
205 Et la mer, s'éveillant au rayon qui l'anime, 6+6 m
Donnant à chaque vague un murmure sublime, 6+6 m
Par les cent mille voix de son orgue éternel 6+6 h
Saluait du soleil le retour solennel. 6+6 h
Et mon âme, ivre aussi de vie et de lumière, 6+6 o
210 A l'hymne universel a mêlé sa prière, 6+6 o
Et pour mieux exhaler sa voix et son encens, 6+6 p
Aux doux luth du poète emprunta ces accents : 6+6 p
X
« La vague s'élève et palpite 8 n
« Sur le sein onduleux des mers, 8 a
215 « Et l'oiseau que l'aurore invite 8 n
« La célèbre dans ses concerts. 8 a
« La brise odorante et nouvelle, 8 o
« La blanche et tendre tourterelle, 8 o
« La vierge rêveuse et plus belle, 8 o
220 « Tout lève un front calme et riant ; 8 e
« La rose à la lèvre vermeille, 8 e
« Le zéphyr, la légère abeille, 8 e
« Tout vit, tout renaît, tout s'éveille 8 e
« A la lueur de l'orient. 8 e
225 « Vis, renais, éveille-toi, lyre, 8 t
« Mêle ta jeune et faible voix 8 f
« A celle du vent qui soupire 8 t
« Sur les ondes et dans les bois ! 8 f
« Fais entendre tes chants débiles, 8 p
230 « Bien que tes cordes soient fragiles, 8 p
« Semblables aux tissus mobiles 8 p
« Que l'insecte suspend aux fleurs ; 8 b
« Qui redoutent la molle haleine 8 c
« Des zéphyrs errant dans la plaine, 8 c
235 « Et sur lesquels l'aube ose à peine 8 c
« Semer les perles de ses pleurs. 8 b
« Du jour l'astre éclatant s'élance 8 e
« Dans l'air ruisselant de clartés, 8 s
« Pourquoi rester dans le silence 8 e
240 « Quand tout s'anime à nos côtés ? 8 s
« La vive et joyeuse alouette 8 c
« Fait vibrer sa voix de poète ; 8 c
« Pourquoi resterais-tu muette 8 c
« Lyre aux transports mélodieux ? 8 f
245 « Change-les en notes de joie, 8 q
« Bénis ce jour que Dieu m'envoie 8 q
« Et chante, ô mon âme, et déploie 8 q
« Tes blanches ailes vers les cieux ! 8 f
« L'éther limpide et diaphane 8 r
250 « Reçoit l'humble oiseau de nos bois ; 8 f
« Il monte, il se balance, il plane 8 r
« Et remplit le ciel de sa voix. 8 f
« Des ombres que le jour colore 8 p
« Franchissant la vague sonore, 8 p
255 « Il vole en chantant vers l'aurore ; 8 p
« De l'aigle à l'œil fier et vermeil 8 h
« Il n'a pas les puissantes ailes, 8 x
« Et pourtant des sphères mortelles 8 x
« Il monte aux voûtes éternelles 8 x
260 « Et va chanter près du soleil. 8 h
« Montez-donc, plaintes de mon âme, 8 f
« Vers l'oreille de l'éternel ! 8 h
« L'accent qui pleure et le réclame 8 f
« Arrive à son cœur paternel. 8 h
265 « Avec la brise matinale, 8 h
« Avec l'aurore virginale, 8 h
« Dans ce jour, ô mon cœur, exhale 8 h
« Un hymne aussi vers ton auteur ! 8 j
« La fibre qui dans toi murmure 8 i
270 « Est une corde, quoique obscure, 8 i
« De la lyre que la nature 8 i
« Fait vibrer pour son créateur ! » 8 j
XI
O muse de ma lyre, ô sublime nature, 6+6 i
Quand ta beauté s'assied sur le trône du jour, 6+6 s
275 Quel barde, quel mortel, quelle humble créature 6+6 i
N'a tressailli pour toi d'un filial amour ? 6+6 s
Du jour ou de la nuit portant le diadème, 6+6 l
Dans les cent mille aspects de ta beauté suprême, 6+6 l
O fille du Très-Haut, ô nature, je t'aime ! 6+6 l
280 Courbé sous le fardeau des préjugés humains, 6+6 i
Comme un autre Caïn, vierge du sang d'un frère, 6+6 o
Quand j'errais triste et seul, tu m'accueillis en mère, 6+6 o
Et, nourrissant mon âme à ta mamelle austère, 6+6 o
J'appris à mépriser leurs injustes dédains. 6+6 i
285 Les sublimes pensers qu'en moi tu fis éclore, 6+6 p
Sous leurs rayons divins ont fait grandir mon front ; 6+6 s
Mes ennemis l'ont vu croître et grandir encore, 6+6 p
Marqué du noble sceau d'un honorable affront. 6+6 s
Je n'étais plus l'enfant qu'on avait vu naguère ! 6+6 o
290 Je planais au-dessus de leur tête vulgaire 6+6 o
Comme un nuage armé de foudre et de colère ! 6+6 o
Mais mon juste courroux s'est renfermé dans moi. 6+6 n
Je ne suis pas de ceux qu'impunément on foule ! 6+6 t
J'étais au milieu d'eux sans être de leur foule, 6+6 t
295 Et trop loin de leur voix dont la clameur s'écoule, 6+6 t
Je ne les voyais pas, je ne voyais que toi ! 6+6 n
Que toi seule, ô nature, et remplis de ta gloire 6+6 u
Mes yeux se complaisaient dans ta vaste beauté ; 6+6 q
Sur l'homme et ses travaux contemplant ta victoire, 6+6 u
300 J'oubliais les humains et leur fragilité. 6+6 q
Avant le jour, hélas ! s'éteint notre prunelle ; 6+6 o
Le temps accorde une heure à notre œuvre charnelle, 6+6 o
Mais le temps ne peut rien sur ta grâce éternelle, 6+6 o
Et d'un souffle sans fin ton être est animé. 6+6 q
305 Dans l'auguste concert de tes voix unanimes 6+6 v
Apaisant de mes maux les murmures intimes, 6+6 v
Tu plongeais mon esprit dans des rêves sublimes 6+6 v
Et consolais l'enfant que toi seule as aimé ! 6+6 q
Ils ne m'ont point aimé ! sans pitié pour un frère 6+6 o
310 Ils ont vendu Joseph et l'ont chargé de fers. 6+6 a
Mais tremblez ! car le ciel touché de sa misère, 6+6 o
Un jour peut le venger des maux qu'il as soufferts ! 6+6 a
S'est-il levé pour moi ce jour des représailles ? 6+6 w
Dans mon sein, ô mon cœur, d'où vient que tu tressailles ? 6+6 w
315 C'est que je sens revivre et mordre à mes entrailles 6+6 w
Le souvenir brûlant de mes maux d'autrefois ; 6+6 f
C'est que, si dans ces jours d'une existence amère, 6+6 o
Un fils se surprenait à rougir de sa mère, 6+6 o
Légitime bâtard, sans titre au nom d'un père, 6+6 o
320 C'est à vous, à vous seuls, à vous que je le dois ! 6+6 f
A vous, fils de Jacob, dont l'indigne puissance 6+6 e
D'un fratricide affreux a commis le forfait ! 6+6 x
Brisé, pauvre, isolé, sans état, sans naissance, 6+6 e
Voilà quel avenir vos préjugés m'ont fait ! 6+6 x
325 Et, barde au luth muet, sans âme et sans mémoire, 6+6 u
Quand la main du passé d'une exécrable histoire 6+6 u
Déroule sous mes yeux la page la plus noire, 6+6 u
Un chant mâle et sévère et que l'âge a mûri 6+6 d
Ne s'élancera pas des cordes de ma lyre ! 6+6 t
330 Il ne jaillira pas de mon sein qui délire, 6+6 t
Une voix qui proclame et montre et donne à lire 6+6 t
Vos crimes burinés au front d'un pilori !… 6+6 d
XII
Mais non !… mettons un frein au courroux qui m'enflamme 6+6 f
Que les chants de pardon s'exhalent de mon âme ; 6+6 f
335 Comme Joseph devant ses frères malheureux, 6+6 f
Oublions ! l'oubli sied au mortel généreux ! 6+6 f
Qu'un cœur fait pour haïr garde et couve sa haine, 6+6 c
Moi, plus aimant, je cède au penchant qui m'entraîne ; 6+6 c
Dieu fit, dans sa bonté, la fleur pour embaumer, 6+6 q
340 Mes lèvres pour bénir et mon cœur pour aimer. 6+6 q
Parfois, comme la mer, si ma colère écume, 6+6 y
Comme un cratère en feu si ma bouche s'allume, 6+6 y
Tombant à flots pressés, si mon rapide accent 6+6 e
S'échappe de mon sein terrible et menaçant ; 6+6 e
345 C'est que des jours passés le nuage et les ombres 6+6 z
Étendent sur mon ciel leurs teintes les plus sombres. 6+6 z
Mais qu'un souffle plus pur lui rende la clarté, 6+6 q
Il rentre dans son calme et sa sérénité ; 6+6 q
Et mon âme, semblable au lac clair et sans ride, 6+6 a
350 Réfléchissant l'azur d'un ciel pur et limpide, 6+6 a
N'exhale, humble et plaintive et tendre tour à tour, 6+6 s
Qu'un murmure embau de tristesse et d'amour. 6+6 s
Ah ! qu'il arrive à toi ce triste et doux murmure, 6+6 i
Ces vers, modestes fruits d'un arbre sans culture, 6+6 i
355 A toi, mon tendre ami, mon frère par le cœur, 6+6 j
Ce que j'ai vu jamais de plus pur, de meilleur, 6+6 j
Toi, la perle sans prix et que recèle un monde 6+6 j
Où tant de fausseté, tant d'égoïsme abonde ; 6+6 j
Toi qui seul as voulu me comprendre et m'aimer. 6+6 q
360 Que je n'ai pas de noms assez doux pour nommer ! 6+6 q
Mon Dieu, quels sentiments peuplent le cœur d'un ange, 6+6 b
Puisque l'on peut trouver, sur ce globe de fange, 6+6 b
Dans le sein des mortels par ta grâce habité, 6+6 q
Tant de douceur céleste et tant de pureté ! 6+6 q
365 Ah ! garde-les toujours, ces vertus que j'adore, 6+6 p
Trésor saint et caché que ta candeur ignore, 6+6 p
Jeune homme, que le ciel a comblé de ses dons ! 6+6 c
S'il est des cœurs méchants, il en est de si bons, 6+6 c
Que toute âme auprès d'eux devient aimante et bonne 6+6 d
370 Et dans l'amour d'un seul se console et pardonne ! 6+6 d
Non ! je ne les hais plus ! tu me les fais aimer 6+6 q
Ces hommes par lesquels je me vis opprimer ! 6+6 q
Car c'est au milieu d'eux que ton amitié pure, 6+6 i
Comme un calice éclos et que la brise épure, 6+6 i
375 Offrit au pauvre enfant qu'on abreuvait de fiel 6+6 h
Les larmes du matin et les parfums du ciel. 6+6 h
XIII
Oh ! que ce souvenir que ma bouche proclame, 6+6 f
Oh ! qu'il me fait de bien en passant sur mon âme ! 6+6 f
Que Dieu te rende, ami, le bien que tu m'as fait ! 6+6 x
380 Qu'il te compte les jours par un nouveau bienfait ! 6+6 x
Que toujours de ton cœur le désir s'accomplisse, 6+6 r
Et qu'il soit de tes vœux le paternel complice ! 6+6 r
A ta couche rêveuse épargnant les ennuis, 6+6 y
Qu'un songe aux ailes d'ange embellisse tes nuits ; 6+6 y
385 Et marchant avec toi de la vie à la tombe, 6+6 e
Qu'une amante aux yeux bleus, sainte et chaste colombe, 6+6 e
Parfumant tes sentiers des plus molles senteurs, 6+6 b
Effeuille sur tes pas son amour et ses fleurs ! 6+6 b
Mais si jamais ton ciel, se voilant d'un nuage, 6+6 k
390 Faisait gronder sur toi la tempête et l'orage ; 6+6 k
Si jamais l'aquilon, troublant la paix des airs, 6+6 a
A ton flot calme et pur mêlait des flots amers ; 6+6 a
Songe alors à l'ami qui te pleure et qui t'aime, 6+6 l
Et répète avec lui ces doux mots que toi-même 6+6 l
395 Tu murmuras jadis à mon cœur désolé, 6+6 q
Que j'ai redits souvent et qui m'ont consolé : 6+6 q
XIV
« La douleur, par le ciel à la terre inflie, 6+6 i
« Jeune encore, il est vrai, t'a frappé sans pitié ; 6+6 q
« Mais pourquoi gémir seule, ô pauvre âme afflie ? 6+6 i
400 « Viens épancher ta peine au sein de l'amitié ! 6+6 q
« A partager tes pleurs tu trouveras des charmes. 6+6 f
« Moi, je n'ai rien, hélas ! à t'offrir que mon cœur, 6+6 j
« Mais tu peux y verser ta secrète douleur ; 6+6 j
« Je mêlerai toujours une larme à tes larmes ! 6+6 f
405 « Pour aider ta faiblesse à remplir le chemin 6+6 l
« Qui nous sépare encor des lieux où tout succombe, 6+6 e
« Comme deux voyageurs cheminant vers la tombe, 6+6 e
« Nous marcherons ensemble en nous donnant la main. 6+6 l
« Quand viendra l'heure, hélas ! qui tôt ou tard arrive, 6+6 o
410 « Où la mort de nos jours éteindra le flambeau ; 6+6 v
« Après nous être aimés sur la terrestre rive, 6+6 o
« Nous dormirons unis dans la nuit du tombeau ! » 6+6 v
mètre profils métriques : 8, 6+6
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