Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
LAC_1/LAC24
Auguste LACAUSSADE
Les Salaziennes
1839
XXIV
A Mr. W.F.
En réponse à ses vers
Alors que de Colomb la barque courageuse, 6+6 a
Déployant sur les flots son aile aventureuse, 6+6 a
Allait braver l'abîme et l'onde et le trépas ; 6+6 b
Redoutant pour sa nef la tourmente et l'orage, 6+6 c
5 Des amis alarmés déploraient son courage ; 6+6 c
Mais lui… ne les écouta pas ! 8 b
Du Dieu qui l'inspirait suivant la noble trace, 6+6 a
Le succès couronna sa généreuse audace. 6+6 a
Son geste fit éclore un magique univers, 6+6 b
10 Et tout à coup, debout sur la vague enchaînée, 6+6 c
Il surgit aux regards de l'Europe étonnée, 6+6 c
Maître d'un monde et roi des mers. 8 b
Mais je n'ai pas tenté sa sublime conquête, 6+6 a
Que peux-tu donc, ami, redouter pour ma tête ? 6+6 a
15 Que me font après tout ces flots où tu me vois ! 6+6 b
Ah ! je voudrais tomber, mais semblable au tonnerre, 6+6 c
En laissant dans ma chute, au ciel et sur la terre, 6+6 c
L'auguste clameur de ma voix. 8 b
Je l'avouerai : rêvant d'une illustre mémoire, 6+6 a
20 Mon âme ardente et jeune a courtisé la gloire ; 6+6 a
Mais ma faiblesse, hélas ! a trompé mon essor : 6+6 b
Pour braver les autans mon aile est trop fragile ; 6+6 c
Le ciel ne donna point au bengali débile 6+6 c
Le vol superbe du Condor. 8 b
25 Fermant l'oreille aux vœux d'une jeunesse avide, 6+6 a
Humble et soumis je marche où le destin me guide. 6+6 a
Dieu, qui donne aux uns l'ombre, aux autres les splendeurs, 6+6 b
Fit l'aigle pour planer dans un ciel de lumière, 6+6 c
Le soleil pour remplir sa brûlante carrière, 6+6 c
30 Et moi pour chanter mes douleurs. 8 b
Mes douleurs !… noble enfant de la Calédonie, 6+6 a
Où la brise murmure une austère harmonie, 6+6 a
Tu n'as jamais connu ma sombre passion, 6+6 b
Car tu n'as pas gémi sous un bras qui t'opprime, 6+6 c
35 Car tu n'as pas maudit, impuissante victime, 6+6 c
Une implacable oppression. 8 b
D'un lait fécond l'étude a nourri ta jeunesse ; 6+6 a
Les bardes immortels de Rome et de la Grèce 6+6 a
Ont passé devant toi dans leur sublimité ; 6+6 b
40 Et sur les monts brumeux de l'Écosse orgueilleuse, 6+6 c
Égarant à pas lents ton enfance rêveuse, 6+6 c
Toi, tu goûtas la liberté ! 8 b
Moi, dès mes premiers jours de vie et de souffrance, 6+6 a
L'œil voilé du bandeau d'une épaisse ignorance, 6+6 a
45 J'ai langui dans la nuit d'un joug injurieux ; 6+6 b
Et, pliant sous le poids de ces chaînes mortelles, 6+6 c
Mon âme, à qui la muse avait donné des ailes, 6+6 c
N'a pu s'élancer vers les cieux. 8 b
Je ne te dirai pas mes nuits noires et lentes, 6+6 a
50 Le sommeil éveillé de mes heures brûlantes, 6+6 a
Mes doutes, mes désirs de tombe et de cercueil, 6+6 b
Mes blasphèmes sans fin, mes désespoirs sans nombre 6+6 c
Et dans mon sein en feu l'ébullition sombre 6+6 c
De la colère et de l'orgueil. 8 b
55 Mais, touché de ma longue et cruelle agonie, 6+6 a
Vers moi j'ai vu descendre un ange d'harmonie : 6+6 a
Calme et beau, triste et doux, je crois le voir encor ; 6+6 b
Ses yeux d'un feu divin tout à coup s'animèrent, 6+6 c
Et sa voix était grave, et ces strophes tombèrent 6+6 c
60 Des cordes de sa harpe d'or : 8 b
« Enfant que le Seigneur a placé sous ma garde, 6+6 a
« Ce Dieu dont tu te plains il t'écoute et regarde, 6+6 a
« Cesse donc, insensé, tes coupables clameurs ! 6+6 b
« Celui qui, dévoilant sa sagesse infinie, 6+6 c
65 « De la terre et des cieux ordonna l'harmonie, 6+6 c
« A-t-il pu vouloir tes malheurs ? 8 b
« Tu ne peux le comprendre et ta bouche blasphème : 6+6 a
« Porte moins haut l'audace et connais-toi toi-même ! 6+6 a
« Le mal est fils de l'homme et de sa volonté. 6+6 b
70 « Cet arbre aux fruits amers ombragea la nature, 6+6 c
« Du jour où l'éternel fit à sa créature 6+6 c
« Le présent de la liberté. 8 b
« L'homme en a mal usé : voilà quel est son crime. 6+6 a
« Du superbe et du fort, du faible qu'on opprime, 6+6 a
75 « Un jour Dieu jugera l'orgueil et les douleurs. 6+6 b
« Humble, à tes malheurs même il faut donc te soumettre, 6+6 c
« Toi qui dois rendre compte à ton souverain maître 6+6 c
« Du trésor amer de tes pleurs. 8 b
« Qu'as-tu fait de tes pleurs ? sous leurs gouttes divines 6+6 a
80 « Ton âme au lieu de fleurs a germé des épines ; 6+6 a
« Et ta bouche, indocile aux célestes transports, 6+6 b
« N'exhalant qu'en secret une plainte importune, 6+6 c
« Pour instruire ou charmer tes frères d'infortune 6+6 c
« Reste muette et sans accords. 8 b
85 « D'un coupable sommeil réveille-toi, poète ! 6+6 a
« Chante la vérité sans craindre la tempête. 6+6 a
« Contre un joug que le ciel ne voit qu'avec courroux 6+6 b
« Tonne !… Puis, apaisant ta sainte frénésie, 6+6 c
« Même à tes oppresseurs verse ta poésie 6+6 c
90 « Aux flots plus calmes et plus doux. 8 b
« Apparais à leurs yeux des sommets de la lyre ! 6+6 a
« Quel que soit son orgueil, l'homme subit l'empire 6+6 a
« Et des mâles talents et des nobles vertus. 6+6 b
« Que ton luth soit une âme à la fibre sonore, 6+6 c
95 « Et qu'il soit plus vengeur et plus terrible encore 6+6 c
« Que le glaive d'Harmodius ! 8 b
« Dans tes fers étonnés jette un accent sublime ! 6+6 a
« Dieu, qui bénit ta cause et l'espoir qui t'anime, 6+6 a
« Parlera par ta bouche et soutiendra ton cœur ; 6+6 b
100 « Et ton esprit, ouvrant ses ailes de lumière, 6+6 c
« Tu pourras de ta nuit de fange et de poussière 6+6 c
« Sortir rayonnant et vainqueur. » 8 b
Et moi, prêtant l'oreille à ce mentor auguste, 6+6 a
Dès lors, contre le mal et son empire injuste, 6+6 a
105 J'ai fait vibrer le luth qui chantait sous mes doigts ; 6+6 b
Je n'ai pas reculé devant ma noble tâche, 6+6 c
Et, volant à mon but sans crainte et sans relâche, 6+6 c
Dans l'air j'ai répandu ma voix. 8 b
« Honte à vous, dont l'orgueil est fécond en misères, 6+6 a
110 « Vous qui foulez aux pieds la tête de vos frères ! 6+6 a
« D'un spectacle pareil le ciel est révolté ! 6+6 b
« Plus d'amour fraternel, plus de cœur magnanime ; 6+6 c
« Partout la main des juifs, partout la main du crime 6+6 c
« Crucifiant l'humanité ! 8 b
115 « Honte à vous qui versez sur les humbles paupières 6+6 a
« La nuit au lieu du jour, l'ombre au lieu des lumières ; 6+6 a
« A vous qui redoutez le pur éclat des cieux ; 6+6 b
« A vous qui, vous drapant de vos manteaux funèbres, 6+6 c
« Venez comme la nuit dérouler vos ténèbres 6+6 c
120 « Entre les astres et nos yeux ! 8 b
« Et nous, hommes déchus, infortunés esclaves, 6+6 a
« Nous qui baisons les mains qui nous chargent d'entraves, 6+6 a
« Honte à nous ! — Dieu qui fit pour les oiseaux les airs, 6+6 b
« Le soleil radieux pour éclairer la foule, 6+6 c
125 « Et le vent pour qu'il vole et le flot pour qu'il roule, 6+6 c
« Nous fit-il pour porter des fers ? » 8 b
Oh ! que ne suis-je né dans cette Grèce antique 6+6 a
Où la vie était libre et la tombe héroïque ! 6+6 a
Où la patrie, armant ses sacrés défenseurs, 6+6 b
130 Roulait sur les tyrans une invincible armée ; 6+6 c
Où de la liberté la main n'était armée 6+6 c
Que pour frapper les oppresseurs ! 8 b
Où la brise des mers et le vent des collines 6+6 a
N'apportaient leurs parfums qu'à de nobles poitrines ; 6+6 a
135 Où, versant aux mortels de sublimes ardeurs, 6+6 b
L'astre de la lumière et l'astre de la gloire, 6+6 c
Pour éclairer ces lieux qu'habitait la victoire, 6+6 c
Mêlaient leurs rivales splendeurs. 8 b
Mais ces jours ne sont plus. L'Europe abâtardie 6+6 a
140 Dans un sommeil de plomb dort et meurt engourdie ; 6+6 a
Le despotisme aveugle a détrôné les lois ; 6+6 b
Et, des mers de Borée aux mers de Salamine, 6+6 c
Sur cette terre esclave et de gloire orpheline, 6+6 c
L'œil peut voir pulluler les rois. 8 b
145 O toi, poète ami, dont l'humble et doux génie 6+6 a
Épanche à flots si purs sa rêveuse harmonie, 6+6 a
Fidèle aux jours mauvais ainsi qu'aux jours meilleurs, 6+6 b
Toi qui connais mon cœur et qui pesas ses peines, 6+6 c
Puisqu'en tous lieux, hélas ! l'homme porte des chaînes, 6+6 c
150 Viens donc vivre et mourir ailleurs ! 8 b
Je sais dans l'Océan une île où la nature 6+6 a
Peut au moins dérouler une page encor pure. 6+6 a
Le soleil est son père, et ce roi des climats, 6+6 b
Illuminant d'amour la splendide créole, 6+6 c
155 De son front couronné d'une immense auréole 6+6 c
Écarta les sombres frimas. 8 b
C'est une île au ciel riche, à l'air tiède, où la femme 6+6 a
A des yeux de colombe et des baisers de flamme ; 6+6 a
Où le cœur s'abandonne aux penchants les plus doux, 6+6 b
160 Où la vague en mourant vient chanter sur les grèves, 6+6 c
Où la terre a des fleurs, où la vierge a des rêves 6+6 c
Dont l'ange au ciel même est jaloux. 8 b
Là, comme ailleurs, hélas ! règne la servitude. 6+6 a
Mais au sein des forêts cherchant la solitude, 6+6 a
165 Nous fuirons sur les monts un tableau douloureux ; 6+6 b
Et les nuages blancs qui montent du rivage, 6+6 c
Déploieront sous nos pieds pour cacher l'esclavage 6+6 c
Leur voile errant et vaporeux. 8 b
Nous verrons la cascade, à la bouche écumante, 6+6 a
170 Épancher dans les airs une eau blanche et fumante ; 6+6 a
Sous d'antiques palmiers nous irons nous asseoir ; 6+6 b
Ils verseront sur nous l'ombre de leurs feuillages, 6+6 c
Où les sylphes des bois et les oiseaux sauvages 6+6 c
Dorment bercés des vents du soir. 8 b
175 Sur les flancs du Salaze élevons nos chaumières. 6+6 a
La nature pour nous de sublimes mystères 6+6 a
Peuplera les rochers, les torrents et les bois ; 6+6 b
Et ce vaste piton que l'ouragan assiège, 6+6 c
Au ciel portant sa tête et ses siècles de neige, 6+6 c
180 Abritera nos humbles toits. 8 b
L'illusion, l'espoir, l'amour, la poésie, 6+6 a
Feront de notre cœur leur retraite choisie. 6+6 a
Dans les splendeurs du jour, dans le calme des nuits, 6+6 b
Avec le vent qui pleure, avec l'onde qui coule, 6+6 c
185 Avec l'oiseau plaintif qui gémit et roucoule, 6+6 c
A Dieu nous dirons nos ennuis. 8 b
Et loin du souffle impur des cités de la terre, 6+6 a
Nous faisant des vertus un culte solitaire, 6+6 a
D'espérance et d'amour nous rêverons encor ; 6+6 b
190 Et quand la mort viendra pour affranchir nos ailes, 6+6 c
Vers les cieux étoilés nos âmes fraternelles 6+6 c
Ensemble prendront leur essor. 8 b
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