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12 longueur métrique
6-6 mètre
LAC_1/LAC12
Auguste LACAUSSADE
Les Salaziennes
1839
XII
Les Bois détruits
A mon excellent Ami, L. FERY D'ESCLANDS (de l'Île Bourbon).
I
J'ai vu des nobles filsde nos forêts superbes 6+6 a
Les vieux troncs abattusdispersés dans les herbes, 6+6 a
Et de l'homme aussitôtj'ai reconnu les pas ; 6+6 b
Renversant de ses mainsl'œuvre des mains divines, 6+6 c
5 Partout sur son passageil sème les ruines 6+6 c
 Et les débris et le trépas. 8 b
Mais songez ce qu'au tempsil a fallu d'années 6+6 a
Pour voiler de frcheurces rives couronnées 6+6 a
De berceaux de verdureet d'arbres imposants ! 6+6 b
10 Hélas ! il faut au tempsdes siècles pour produire, 6+6 c
Et l'homme, en un moment,peut abattre et détruire 6+6 c
 L'œuvre séculaire des ans ! 8 b
Peut-être avant le jour ma tête blanchie 6+6 a
S'appuiera sur mon seinpesante et réfléchie, 6+6 a
15 Revenant à ces lieuxdemander leurs abris, 6+6 b
Je reverrai des montssans verdure et sans ombres, 6+6 c
Et, pleurant en secretnos solitudes sombres, 6+6 c
 Je gémirai sur leurs débris. 8 b
Alors, ainsi qu'un filsau tombeau de sa mère, 6+6 a
20 Je verserai les chantsde ma tristesse amère 6+6 a
Dans ces bois passala dévastation ; 6+6 b
De pleurs j'arroseraices montagnes arides, 6+6 c
D' jadis ont coulésur mes lèvres avides, 6+6 c
 L'amour et l'inspiration. 8 b
25 Sur ces monts éthérés,qu'un souffle tiède embaume, 6+6 a
Ma muse, blonde enfantqui naquit sous le chaume, 6+6 a
Vers des cieux bleus et pursessaya son essor ; 6+6 b
Et, butinant le mieldes fleurs de Salazie, 6+6 c
Elle errait en cueillantsa frche poésie, 6+6 c
30  Comme une abeille aux ailes d'or. 8 b
Mais fermons notre cœuraux douloureux présages. 6+6 a
O gigantesques monts dorment les nuages, 6+6 a
De vos arbres sur nousinclinez les berceaux ; 6+6 b
Défendant vos beaux flancsdes haches meurtrières, 6+6 c
35 Nos mains conserverontà vos têtes altières 6+6 c
 Leurs chevelures de rameaux. 8 b
Et vous, doux habitantsde ces lieux solitaires, 6+6 a
Hommes simples et pursaux mœurs hospitalières, 6+6 a
Respectez-les, ces boisqu'ont respectés les ans ! 6+6 b
40 Laissez sous leur verdureet leurs ombres profondes 6+6 c
Rêver les couples blancs,jouer les têtes blondes, 6+6 c
 Des colombes et des enfants. 8 b
Joignez à l'arbre altierde la forte nature 6+6 a
L'humble arbuste l'oiseautrouve sa nourriture ; 6+6 a
45 Aux bords de vos ruisseauxau cristal argenté 6+6 b
Laissez crtre et rougirla framboise inodore, 6+6 c
Pareille aux frais boutonsque l'âge fait éclore 6+6 c
 Au sein de la jeune beauté. 8 b
Que la brise, agitantvos touffes de jam-roses, 6+6 a
50 Épanche autour de vousla douce odeur des roses ; 6+6 a
Que leur dôme embaumés'incline sur les eaux ; 6+6 b
Sous leur vte abritezvos maisonnettes blanches, 6+6 c
Comme on voit, suspendusdans l'épaisseur des branches, 6+6 c
 Les nids ombragés des oiseaux. 8 b
55 Fermez l'oreille aux vœuxd'une vaine opulence ; 6+6 a
De sagesse et d'amourvivez dans le silence. 6+6 a
Le bonheur le plus purvient de la paix des cœurs. 6+6 b
Mais chassez l'étrangerde vos bois centenaires, 6+6 c
Car il profaneraitde ses mains mercenaires, 6+6 c
60  Vos forêts vierges et vos mœurs ! 8 b
II
Qu'ont-ils fait de nos champs,qu'ont-ils fait de nos terres, 6+6 a
Ces enfants vagabondsdes rives étrangères ? 6+6 a
Sur nos grèves jetéspar le vent des malheurs, 6+6 b
Avec bonté notre îleaccueillit leurs douleurs, 6+6 b
65 Les adopta pour fils,et bonne et tendre mère, 6+6 a
De tendresse et d'amourallaita leur misère. 6+6 a
Abritant leurs fronts nus,de son ciel vaste et pur 6+6 b
Elle étendit sur euxla coupole d'azur ; 6+6 b
Sous leurs pieds, écartantles épines jalouses, 6+6 a
70 Elle ouvrit le veloursde ses molles pelouses ; 6+6 a
Fit chanter, pour bannirleurs souvenirs amers, 6+6 b
Les oiseaux de ses boiset les flots de ses mers, 6+6 b
Et, pour charmer leurs cœurspar de tendres paroles, 6+6 a
Leur donna l'amour purdes naïves créoles. 6+6 a
75 Mais tes fils adoptifsont trahi tes bontés ! 6+6 a
Ils ont porté la mortdans tes champs dévastés. 6+6 a
Le vil amour de l'orétouffant dans leurs âmes 6+6 b
Des nobles sentimentsles généreuses flammes, 6+6 b
Ils ont privé ton airdes ses peuples d'oiseaux, 6+6 a
80 Tes sylphes de leurs fleurs,tes nymphes de leurs eaux ; 6+6 a
Et, sapant tes forêts,ô ma mère ! leur glaive 6+6 b
Fit tomber de ton frontta chevelure d'Ève ! 6+6 b
Et nous avons souffertque leurs bras effrontés 6+6 a
Missent à nu les flancsqui nous ont enfantés ! 6+6 a
85 Et sous nos yeux, ils ontde leurs mains libertines 6+6 b
Profané les secretsde tes formes divines ! 6+6 b
Et nous l'avons souffert !et nos justes fureurs 6+6 a
N'ont pas banni, chasséces hommes destructeurs, 6+6 a
Que la vague en courroux,rebuts d'un autre monde, 6+6 b
90 Déposa sur nos bords,comme une vase immonde ! 6+6 b
O misère ! ô malheur !ce n'est pas tout encor, 6+6 a
Car ils nous ont léguéleur appétit pour l'or ; 6+6 a
A leur souffle empesténotre âme s'est flétrie ; 6+6 b
Nous n'avons plus au cœurl'amour de la patrie ! 6+6 b
95 De la terre natale dorment nos aïeux 6+6 a
Nous éloignons nos pas,nous détournons les yeux ; 6+6 a
Nous n'aspirons qu'au jour, gorgés de richesses, 6+6 b
Fuyant ces lieux, berceauxde nos pures jeunesses, 6+6 b
Nous pourrons dans le seindes lointaines cités, 6+6 a
100 Étaler au grand journos sottes vanités ! 6+6 a
Et pour voler au but notre espoir s'attache, 6+6 b
Nous portons en tous lieuxles flammes et la hache ; 6+6 b
Et l'on ne voit partoutque des champs dépouillés, 6+6 a
Que d'arides coteauxaux rocs noirs et pelés, 6+6 a
105 Qu'une herbe rare et jauneet des arbustes fauves 6+6 b
Sur les flancs décharnésde nos montagnes chauves ; 6+6 b
Et, courbés vers le sol,dans son ventre divin 6+6 a
Nous plongeons jour et nuitnotre glaive assassin. 6+6 a
De nos champs épuisésque la ruine achève, 6+6 b
110 Notre lèvre acharnéea bu jusqu'à la sève ; 6+6 b
Et, desséchant ce seinqui nous a tous nourris, 6+6 a
Quand il n'est plus de laitdans leur vaisseaux taris, 6+6 a
Tous gonflés et repusdu sang de notre mère, 6+6 b
Nous faisons voile, hélas !vers la rive étrangère, 6+6 b
115 nous allons, aux yeuxdes superbes cités, 6+6 a
Étaler au grand journos sottes vanités ! 6+6 a
III
O mère inconsolable,ô pauvre délaissée, 6+6 a
Oui, garde sur tes yeuxta paupière baissée ! 6+6 a
Je comprends ton angoisseet tes nobles douleurs, 6+6 b
120 Et mêle à tes sanglotsmes hymnes et mes pleurs. 6+6 b
Plus de verte savaneet de frches collines 6+6 a
s'ouvrait la grenadeaux perles purpurines, 6+6 a
Plus de hauts cocotierset de beaux orangers 6+6 b
S'inclinant sous le poidsde leurs rameaux chargés ; 6+6 b
125 Et tu ne verses plussur la mer onduleuse, 6+6 a
Qui vient baiser tes piedsde sa vague amoureuse, 6+6 a
Les souffles parfuméset les douces senteurs 6+6 b
De tes arbres si beaux,que les oiseaux pêcheurs, 6+6 b
Fuyant des flots émusles rumeurs éternelles, 6+6 a
130 Venaient s'y reposerpour embaumer leurs ailes. 6+6 a
Mais tout n'est pas perdu,mère, console-toi ! 6+6 b
Car il te reste un filsqui t'a gardé sa foi ! 6+6 b
Qui, n’empruntant jamaisson vol à l'hirondelle, 6+6 a
Quand tout te trahiraitte resterait fidèle ; 6+6 a
135 Et qui pour te servir,jusqu'à son dernier jour, 6+6 b
A défaut du génieaura du moins l'amour ; 6+6 b
Un noble enfant à quites injustes tendresses, 6+6 a
Comme aux autres n'ont pasprodigué les caresses, 6+6 a
Mais qui, fils généreuxet fier humilié, 6+6 b
140 Sans se plaindre à ton cœurde l'avoir oublié, 6+6 b
Se souviendra toujoursque ses lèvres jumelles 6+6 a
Ont sucé l'existenceà tes brunes mamelles. 6+6 a
Il ira, cet enfantdont le front indompté 6+6 a
Porte un sombre refletde ta mâle âpreté, 6+6 a
145 Il ira sur tes monts siègent les nuages, 6+6 b
Bleus-palais éthérésde l'esprit des orages ; 6+6 b
Et là, seul et rêveur,si dans l'ombre des nuits 6+6 a
Il exhale en pleurantl'hymne de ses ennuis, 6+6 a
Qu'on pardonne à sa voixquelque accent de colère, 6+6 b
150 Car son âme séjourne gronde le tonnerre. 6+6 b
Il naquit pour chanterles amours et les fleurs ; 6+6 a
Mais le sort l'accablad'incessantes douleurs ; 6+6 a
Enfant né pour le jour,persécuté par l'ombre, 6+6 b
On l'abreuva de fielet de dégts sans nombre ; 6+6 b
155 Aussi triste mais fier,et bravant chaque écueil, 6+6 a
Il va seul et drapéd'un généreux orgueil. 6+6 a
Sur les âpres sommets,sur la montagne austère, 6+6 b
Il marche loin des yeuxdes enfants de la terre ; 6+6 b
Leurs injustes dédainsà son âme ont appris 6+6 a
160 A concevoir pour l'hommeun trop juste mépris ; 6+6 a
Mais de ce cœur blesséla noblesse hautaine 6+6 b
N'est jamais descendueau niveau de la haine ; 6+6 b
Vers un Dieu plus augusteil aspira toujours, 6+6 a
Et pour lui la naturea de saintes amours. 6+6 a
165 Les torrents écumeux,la foudre et ses ravages, 6+6 b
Ont façonné sa museà leurs concerts sauvages ; 6+6 b
Mais son luth amolli,pour célébrer tes bords, 6+6 a
O mon île, oublieraces terribles accords ; 6+6 a
Pour chanter dans les boista verte Salazie 6+6 b
170 Sa lèvre épancherason miel de poésie ; 6+6 b
Et le jour , donnantdans un dernier adieu, 6+6 a
Sa dépouille à la tombeet son âme à son Dieu, 6+6 a
Il se reposerad'une existence amère, 6+6 b
Tu verseras peut-êtreune larme de mère. 6+6 b
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