Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
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F = "e" féminin
| = césure
HUG_9/HUG763
Victor HUGO
L'année terrible
1872
JUILLET
I
LES DEUX VOIX
LA VOIX SAGE
Toute la politique est un expédient. 6+6 a
Que fais-tu ? Quoi ! tu vas, niant, répudiant, 6+6 a
Blâmant toute action en dehors des principes. 6+6 b
Prends garde. En efforts vains et nuls tu te dissipes. 6+6 b
5 C'est moi qui guide l'homme errant dans la forêt. 6+6 a
J'ai pour nom la Raison, pour prénom l'Intérêt, 6+6 a
Et je suis la Sagesse. Ami, je parle, écoute. 6+6 b
Caton qui m'a bravée a su ce qu'il en coûte. 6+6 b
O poëte, chercheur du mieux, tu perds le bien. 6+6 a
10 Il t'échappe. Tu fais échouer Tout sur Rien. 6+6 a
Laisse donc succomber les choses qui succombent ! 6+6 b
Ta pente est de toujours aller vers ceux qui tombent, 6+6 b
Ce qui fait que jamais tu ne seras vainqueur. 6+6 a
N'a pas assez d'esprit qui montre trop de cœur. 6+6 a
15 La vérité trop vraie est presque le mensonge. 6+6 b
En cherchant l'idéal, on rencontre le songe, 6+6 b
Si l'on plonge au-delà de l'exacte épaisseur ; 6+6 a
Et l'on devient rêveur pour être trop penseur. 6+6 a
Le sage ne veut pas être injuste, mais, ferme, 6+6 b
20 Craint d'être aussi trop juste, et cherche un moyen terme ; 6+6 b
Premier écueil, le faux ; deuxième écueil, le vrai. 6+6 a
Le droit brut, pris en bloc, n'est que le minerai ; 6+6 a
La loi, c'est l'or. Du droit il faut savoir l'extraire. 6+6 b
Quelquefois on a l'air de faire le contraire 6+6 b
25 De ce qu'on devrait faire, et c'est là le grand art. 6+6 a
Tu n'arrives jamais, et moi j'arrive tard ; 6+6 a
Mieux vaut arriver tard que pas du tout. En somme, 6+6 b
Tu fais de l'homme un dieu, de dieu je fais un homme ; 6+6 b
Voilà la différence entre nous. Réfléchis. 6+6 a
30 Tu braves le chaos, moi je crains le gâchis. 6+6 a
Es-tu sûr de finir par tirer de ton gouffre 6+6 b
Autre chose qu'un être imbécile qui souffre ? 6+6 b
Crois-tu refaire à neuf l'homme et tripler ses sens ? 6+6 a
Prends-moi donc tels qu'ils sont les vivants, ces passants ! 6+6 a
35 Foin du déclamateur qui s'essouffle et qui beugle ! 6+6 b
Trop de lumière autant que trop de nuit, aveugle. 6+6 b
On n'ouvre qu'à demi le volet, s'il le faut. 6+6 a
On n'aime pas la guerre et l'on hait l'échafaud 6+6 a
En théorie ; eh bien, on s'en sert en pratique. 6+6 b
40 Mon cher, il faut au temple adosser la boutique ; 6+6 b
Je sais qu'on a chassé les vendeurs du saint lieu, 6+6 a
Mais le tort de Jésus est d'être un peu trop dieu. 6+6 a
Il me faudrait de fiers garants pour que je crusse 6+6 b
Qu'il eût payé les cinq milliards à la Prusse. 6+6 b
45 Le sage se modère en tout. Calme en mon coin, 6+6 a
Je blâme l'infini, mon cher, qui va trop loin ; 6+6 a
Sur la création, beaucoup trop large sphère, 6+6 b
Les bons esprits ont bien des critiques à faire ; 6+6 b
L'excès est le défaut de ce monde, entre nous ; 6+6 a
50 Le soleil est superbe et le printemps est doux, 6+6 a
L'un a trop de rayons et l'autre a trop de roses ; 6+6 b
C'est l'inconvénient de ces sortes de choses, 6+6 b
Et Dieu n'est pas exempt d'exagération. 6+6 a
L'imiter, c'est tomber dans la perfection, 6+6 a
55 Grand danger ; tout va mieux sur un patron moins ample, 6+6 b
Et Dieu ne donne pas toujours le bon exemple. 6+6 b
A quoi sert d'être à pic ? Jésus passe le but 6+6 a
En n'examinant point l'offre de Belzébuth ; 6+6 a
Je ne dis pas qu'il dût accepter ; mais c'est bête 6+6 b
60 Que Dieu soit impoli quand le diable est honnête. 6+6 b
Il eût mieux valu dire : On verra, mon ami. 6+6 a
Le sage ne fait pas le fier. Une fourmi 6+6 a
Travaille plus avec sa routine ordinaire 6+6 b
Et son bon sens, qu'avec son vacarme un tonnerre. 6+6 b
65 L'homme est l'homme ; il n'est pas méchant, il n'est pas bon. 6+6 a
Blanc comme neige, point ; noir comme le charbon, 6+6 a
Non. Blanc et noir, mêlé, tigré, douteux, sceptique. 6+6 b
Tout homme médiocre est homme politique. 6+6 b
Cherchons, non la grandeur, mais la proportion. 6+6 a
70 Agir comme Aristide et comme Phocion, 6+6 a
Être héroïque, épique et beau, mauvaise affaire. 6+6 b
Le sage au Parthénon en ruine préfère 6+6 b
La hutte confortable et chaude du castor. 6+6 a
Je fréquente Rothschild et fuis Adamastor. 6+6 a
75 Le titan d'aujourd'hui c'est le millionnaire. 6+6 b
L'homme d'État ne veut rien d'excessif ; vénère 6+6 b
Le vote universel, mais travaille au scrutin ; 6+6 a
Il supprime l'esclave et garde le pantin ; 6+6 a
Il conserve le fil tout en brisant la chaîne. 6+6 b
80 Les hommes sont petits, leur conscience est naine ; 6+6 b
L'homme d'État leur prend mesure avant d'oser ; 6+6 a
Il s'ôte une vertu qui peut les dépasser ; 6+6 a
Il les étonne, mais sans foudre et sans vertiges ; 6+6 b
A leur dimension il leur fait des prodiges. 6+6 b
85 Ami, le médiocre est un très bon endroit, 6+6 a
Ni beau, ni laid, ni haut, ni bas, ni chaud, ni froid ; 6+6 a
Moi, la raison, j'y fais mon lit, j'y mets ma table, 6+6 b
Et j'y vis, le sublime étant inhabitable. 6+6 b
Qui donc prend pour logis la cime du Mont-Blanc ? 6+6 a
90 Le sage est médiocre et souple, ou fait semblant. 6+6 a
Vois, tu t'es fait jeter des pierres à Bruxelles. 6+6 b
Les journaux à sonnette agitent leurs crécelles ; 6+6 b
La gazette des fonds secrets de l'empereur 6+6 a
Dit des choses sur toi qu'on lit avec horreur, 6+6 a
95 Que tu comptes les mots d'un télégramme, et même 6+6 b
Qu'on boit de mauvais vin chez toi, qu'on fait carême 6+6 b
A ta table, et que Bé. n'ira plus dîner là ; 6+6 a
Et cætera. Tu t'es attiré tout cela. 6+6 a
Monsieur Veuillot t'appelle avec esprit citrouille ; 6+6 b
100 A compter tes forfaits la mémoire s'embrouille : 6+6 b
Ivrognerie et vol, képi sans numéro, 6+6 a
Avarice. Tu vis sous clameur de haro. 6+6 a
C'est ta faute. Pourquoi n'es-tu pas raisonnable ? 6+6 b
Renonce à tenir tête au mal. Sois convenable. 6+6 b
105 Tenir tête au mal, certe, est bon ; mais être seul 6+6 a
Est mauvais. Tu n'es pas barbon, vieillard, aïeul, 6+6 a
Pour avancer alors que ton siècle recule ; 6+6 b
Combattre en cheveux blancs et seul, est ridicule ; 6+6 b
Un vaillant qui devient prudent grandit encor ; 6+6 a
110 Nestor jeune est Ajax, Ajax vieux est Nestor ; 6+6 a
Sois de ton âge ; enseigne aux peuples la sagesse. 6+6 b
La Vérité trop nue est une sauvagesse ; 6+6 b
Rudoyer le succès est l'acte d'un butor ; 6+6 a
Tout vainqueur a raison, tout ce qui brille est or ; 6+6 a
115 Aquilon est le dieu, Girouette est le culte. 6+6 b
Bonaparte est tombé, c'est pourquoi je l'insulte. 6+6 b
Est-ce ma faute, à moi, si le sort se dément ? 6+6 a
Je ne sors pas de là ; réussissez. Comment ! 6+6 a
Aujourd'hui, l'on est tous, d'une façon oblique, 6+6 b
120 D'accord ; c'est à cela que sert la République ; 6+6 b
On sauve, en supprimant quiconque est ennemi, 6+6 a
A grands coups de canon, et de compte à demi, 6+6 a
L'ordre et la monarchie encor presque inédite ; 6+6 b
Tu refuses d'entrer dans cette commandite ! 6+6 b
125 C'est absurde. On s'indigne, on a raison. D'ailleurs 6+6 a
Jeunes, vieux, grands, petits, les pires, les meilleurs, 6+6 a
Ont tous la même loi, se rendre à l'évidence. 6+6 b
Toujours un peu de droit dans le fait se condense ; 6+6 b
Le mal contient un peu de bien, qu'il faut chercher. 6+6 a
130 Si Torquemada règne, on se chauffe au bûcher. 6+6 a
La Politique est l'art de faire avec la fange, 6+6 b
Le fiel, l'abaissement qu'en modestie on change, 6+6 b
La bassesse des grands, l'insolence des nains, 6+6 a
Les fautes, les erreurs, les crimes, les venins, 6+6 a
135 Le oui, le non, le blanc, le noir, Genève et Rome, 6+6 b
Un breuvage que puisse avaler l'honnête homme. 6+6 b
Les principes n'ont pas grand'chose à faire là. 6+6 a
Ils rayonnent ; c'est bien ; Morus les contempla ; 6+6 a
Saluons-les ; tout astre a droit à ce péage ; 6+6 b
140 Et couvrons-les parfois de quelque bon nuage. 6+6 b
Ils sont là-haut, pourquoi s'en servir ici-bas ? 6+6 a
Laissons-les dans leur sphère ; et nous, pour nos débats 6+6 a
Où se dépense en vain tant de force avortée, 6+6 b
Prenons une clarté mieux à notre portée : 6+6 b
145 L'expédient. Turgot a tort ; vive Terray ! 6+6 a
Je cherche le réel, toi tu cherches le vrai. 6+6 a
On vit par le réel, par le vrai l'on se brise ; 6+6 b
Le réel craint le vrai. Reconnais ta méprise. 6+6 b
Le devoir, c'est l'emploi des faits. Tu l'as mal lu. 6+6 a
150 Au lieu du relatif, tu choisis l'absolu. 6+6 a
Un homme qui, voulant y voir clair pour descendre 6+6 b
Dans la cave, ou fouiller dans quelque tas de cendre, 6+6 b
Ou pour trouver, la nuit, dans les bois, son chemin, 6+6 a
Enfoncerait au fond du ciel sombre sa main, 6+6 a
155 Et prendrait une étoile en guise de chandelle, 6+6 b
C'est toi.
LA VOIX HAUTE
N'écoute pas. Reste une âme fidèle. 6+6 b
Un cœur, pas plus qu'un ciel, ne peut être obscurci. 6+6 a
Je suis la conscience, une vierge ; et ceci 6+6 a
C'est la raison d'État, une fille publique. 6+6 b
160 Elle embrouille le vrai par le faux qu'elle explique. 6+6 b
Elle est la sœur bâtarde et louche du bon sens. 6+6 a
J'admets que la clarté basse ait des partisans ; 6+6 a
Qu'on la trouve excellente et qu'elle soit utile 6+6 b
Pour éviter un choc, parer un projectile, 6+6 b
165 Marcher à peu près droit dans les carrefours noirs, 6+6 a
Et pour s'orienter dans les petits devoirs ; 6+6 a
Les publicains en font leur lampe en leurs échoppes 6+6 b
Elle a pour elle, et c'est tout simple, les myopes, 6+6 b
Les habiles, les fins, les prudents, les discrets, 6+6 a
170 Ceux qui ne peuvent voir les choses que de près, 6+6 a
Ceux qui d'une araignée examinent les toiles ; 6+6 b
Mais il faut bien quelqu'un qui soit pour les étoiles ! 6+6 b
Il faut quelqu'un qui soit pour la fraternité, 6+6 a
La clémence, l'honneur, le droit, la liberté, 6+6 a
175 Et pour la vérité, resplendissement sombre ! 6+6 b
Les constellations sont sublimes dans l'ombre, 6+6 b
Elles reluisent, fleurs de l'éternel été ; 6+6 a
Mais elles ont besoin, dans leur sérénité, 6+6 a
Que l'univers guidé leur rende témoignage, 6+6 b
180 Et que, renouvelé sur terre d'âge en âge, 6+6 b
Un homme, rassurant ses frères condamnés, 6+6 a
Crie à travers la nuit : Astres, vous rayonnez ! 6+6 a
Car rien ne serait plus effrayant que le crime, 6+6 b
La vertu, le rayon, l'ombre, égaux dans l'abîme ; 6+6 b
185 Rien n'accuserait Dieu plus que de la clarté 6+6 a
Perdue, éparse au fond des cieux sans volonté ; 6+6 a
Et rien ne prouverait là-haut plus de démence 6+6 b
Que l'inutilité de la lumière immense. 6+6 b
C'est pourquoi la justice est bonne, et l'astre est bon. 6+6 a
190 Dans vingt pays affreux, Soudan, Darfour, Gabon, 6+6 a
L'homme fut pris, lié, traîné, vendu de force, 6+6 b
Jusqu'au lever d'un astre appelé Wilberforce. 6+6 b
Être juste, au hasard, dût-on être martyr, 6+6 a
Et laisser hors de soi la justice sortir, 6+6 a
195 C'est le rayonnement véritable de l'homme. 6+6 b
En quelque lieu qu'un acte inique se consomme, 6+6 b
Quel que soit le moment où le mal se construit, 6+6 a
Il faut qu'une voix parle, il faut que dans la nuit 6+6 a
On voie une lueur tout à coup apparaître. 6+6 b
200 Au ciel ce dieu, le Vrai, sur la terre ce prêtre, 6+6 b
Le Juste. Ce sont là les deux besoins. Il faut 6+6 a
Contredire le vent et résister au flot. 6+6 a
L'équité monte et plane et n'a pas d'autre règle. 6+6 b
Qui donc prend pour logis le haut du mont Blanc ? l'aigle. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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