Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_9/HUG756
Victor HUGO
L'année terrible
1872
JUIN
XII
LES FUSILLÉS
Guerre qui veut Tacite et qui repousse Homère ! 6+6 a
La victoire s'achève en massacre sommaire. 6+6 a
Ceux qui sont satisfaits sont furieux ; j'entends 6+6 b
Dire : — Il faut en finir avec les mécontents. — 6+6 b
5 Alceste est aujourd'hui fusillé par Philinte. 6+6 a
Faites.
Partout la mort. Eh bien, pas une plainte. 6+6 a
O blé que le destin fauche avant qu'il soit mûr ! 6+6 b
O peuple !
On les amène au pied de l'affreux mur. 6+6 b
C'est bien. Ils ont été battus du vent contraire. 6+6 a
10 L'homme dit au soldat qui l'ajuste : Adieu, frère. 6+6 a
La femme dit : — Mon homme est tué. C'est assez. 6+6 b
Je ne sais s'il eut tort ou raison, mais je sais 6+6 b
Que nous avons traîné le malheur côte à côte ; 6+6 a
Il fut mon compagnon de chaîne ; si l'on m'ôte 6+6 a
15 Cet homme, je n'ai plus besoin de vivre. Ainsi 6+6 b
Puisqu'il est mort, il faut que je meure. Merci. — 6+6 b
Et dans les carrefours les cadavres s'entassent. 6+6 a
Dans un noir peloton vingt jeunes filles passent ; 6+6 a
Elles chantent ; leur grâce et leur calme innocent 6+6 b
20 Inquiètent la foule effarée ; un passant 6+6 b
Tremble. — Où donc allez-vous ? dit-il à la plus belle. 6+6 a
Parlez. — Je crois qu'on va nous fusiller, dit-elle. 6+6 a
Un bruit lugubre emplit la caserne Lobau ; 6+6 b
C'est le tonnerre ouvrant et fermant le tombeau. 6+6 b
25 Là des tas d'hommes sont mitraillés ; nul ne pleure ; 6+6 a
Il semble que leur mort à peine les effleure, 6+6 a
Qu'ils ont hâte de fuir un monde âpre, incomplet, 6+6 b
Triste, et que cette mise en liberté leur plaît. 6+6 b
Nul ne bronche. On adosse à la même muraille 6+6 a
30 Le petit-fils avec l'aïeul, et l'aïeul raille, 6+6 a
Et l'enfant blond et frais s'écrie en riant : Feu ! 6+6 b
Ce rire, ce dédain tragique, est un aveu. 6+6 b
Gouffre de glace ! énigme où se perd le prophète ! 6+6 a
Donc ils ne tiennent pas à la vie ; elle est faite 6+6 a
35 De façon qu'il leur est égal de s'en aller. 6+6 b
C'est en plein mois de mai ; tout veut vivre et mêler 6+6 b
Son instinct ou son âme à la douceur des choses ; 6+6 a
Ces filles-là devraient aller cueillir des roses ; 6+6 a
L'enfant devrait jouer dans un rayon vermeil ; 6+6 b
40 L'hiver de ce vieillard devrait fondre au soleil ; 6+6 b
Ces âmes devraient être ainsi que des corbeilles 6+6 a
S'emplissant de parfums, de murmures d'abeilles, 6+6 a
De chants d'oiseaux, de fleurs, d'extase, de printemps ! 6+6 b
Tous devraient être d'aube et d'amour palpitants. 6+6 b
45 Eh bien, dans ce beau mois de lumière et d'ivresse, 6+6 a
O terreur ! c'est la mort qui brusquement se dresse, 6+6 a
La grande aveugle, l'ombre implacable et sans yeux ; 6+6 b
Oh ! comme ils vont trembler et crier sous les cieux, 6+6 b
Sangloter, appeler à leur aide la ville, 6+6 a
50 La nation qui hait l'Euménide civile, 6+6 a
Toute la France, nous, nous tous qui détestons 6+6 b
Le meurtre pêle-mêle et la guerre à tâtons ! 6+6 b
Comme ils vont, l'œil en pleurs, bras tordus, mains crispées 6+6 a
Supplier les canons, les fusils, les épées, 6+6 a
55 Se cramponner aux murs, s'attacher aux passants, 6+6 b
Et fuir, et refuser la tombe, frémissants ; 6+6 b
Et hurler : On nous tue ! au secours ! grâce ! grâce ! 6+6 a
Non. Ils sont étrangers à tout ce qui se passe ; 6+6 a
Ils regardent la mort qui vient les emmener. 6+6 b
60 Soit. Ils ne lui font pas l'honneur de s'étonner. 6+6 b
Ils avaient dès longtemps ce spectre en leur pensée. 6+6 a
Leur fosse dans leur cœur était toute creusée. 6+6 a
Viens, mort !
Être avec nous, cela les étouffait. 6+6 b
Ils partent. Qu'est-ce donc que nous leur avions fait ? 6+6 b
65 O révélation ! Qu'est-ce donc que nous sommes 6+6 a
Pour qu'ils laissent ainsi derrière eux tous les hommes, 6+6 a
Sans un cri, sans daigner pleurer, sans un regret ? 6+6 b
Nous pleurons, nous. Leur cœur au supplice était prêt. 6+6 b
Que leur font nos pitiés tardives ? Oh ! quelle ombre ! 6+6 a
70 Que fûmes-nous pour eux avant cette heure sombre ? 6+6 a
Avons-nous protégé ces femmes ? Avons-nous 6+6 b
Pris ces enfants tremblants et nus sur nos genoux ? 6+6 b
L'un sait-il travailler et l'autre sait-il lire ? 6+6 a
L'ignorance finit par être le délire ; 6+6 a
75 Les avons-nous instruits, aimés, guidés enfin, 6+6 b
Et n'ont-ils pas eu froid ? et n'ont-ils pas eu faim ? 6+6 b
C'est pour cela qu'ils ont brûlé vos Tuileries. 6+6 a
Je le déclare au nom de ces âmes meurtries, 6+6 a
Moi, l'homme exempt des deuils de parade et d'emprunt, 6+6 b
80 Qu'un enfant mort émeut plus qu'un palais défunt 6+6 b
C'est pour cela qu'ils sont les mourants formidables, 6+6 a
Qu'ils ne se plaignent pas, qu'ils restent insondables, 6+6 a
Souriants, menaçants, indifférents, altiers, 6+6 b
Et qu'ils se laissent presque égorger volontiers. 6+6 b
85 Méditons. Ces damnés, qu'aujourd'hui l'on foudroie, 6+6 a
N'ont pas de désespoir n'ayant pas eu de joie. 6+6 a
Le sort de tous se lie à leur sort. Il le faut. 6+6 b
Frères, bonheur en bas, sinon malheur en haut ! 6+6 b
Hélas ! faisons aimer la vie aux misérables. 6+6 a
90 Sinon, pas d'équilibre. Ordre vrai, lois durables, 6+6 a
Fortes mœurs, paix charmante et virile pourtant, 6+6 b
Tout, vous trouverez tout dans le pauvre content. 6+6 b
La nuit est une énigme ayant pour mot l'étoile. 6+6 a
Cherchons. Le fond du cœur des souffrants se dévoile. 6+6 a
95 Le sphinx, resté masqué, montre sa nudité. 6+6 b
Ténébreux d'un côté, clair de l'autre côté, 6+6 b
Le noir problème entr'ouvre à demi la fenêtre 6+6 a
Par où le flamboiement de l'abîme pénètre. 6+6 a
Songeons, puisque sur eux le suaire est jeté, 6+6 b
100 Et comprenons. Je dis que la société 6+6 b
N'est point à l'aise ayant sur elle ces fantômes ; 6+6 a
Que leur rire est terrible entre tous les symptômes, 6+6 a
Et qu'il faut trembler, tant qu'on n'aura pu guérir 6+6 b
Cette facilité sinistre de mourir. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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