Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_9/HUG741
Victor HUGO
L'année terrible
1872
MAI
III
PARIS INCENDIÉ
Mais où donc ira-t-on dans l'horreur ? et jusqu'où ? 6+6 a
Une voix basse dit : Pourquoi pas ? et Moscou ? 6+6 a
Ah ! ce meurtre effrayant est un meurtre imbécile ! 6+6 b
Supprimer l'Agora, le Forum, le Poecile, 6+6 b
5 La cité qui résume Athènes, Rome et Tyr, 6+6 a
Faire de tout un peuple un immense martyr, 6+6 a
Changer le jour en nuit, changer l'Europe en Chine, 6+6 b
Parce qu'il fut un ours appelé Rostopschine ! 6+6 b
Il faut brûler Paris, puisqu'on brûla Moscou ! 6+6 a
10 Parce que la Russie adora son licou, 6+6 a
Parce qu'elle voulut, broyant sa ville en cendre, 6+6 b
Chasser Napoléon pour garder Alexandre, 6+6 b
Parce que cela plut au czar en son divan, 6+6 a
Parce que, l'œil fi sur la croix d'or d'Yvan, 6+6 a
15 Un barbare a sau son pays par un crime, 6+6 b
Il faut jeter la France étoilée à l'abîme ! 6+6 b
Mais vous par qui les droits du peuple sont trahis, 6+6 a
Vous commettez le crime et perdez le pays ! 6+6 a
Ce Rostopschine est grand de la grandeur sauvage ; 6+6 b
20 La stature qui peut rester à l'esclavage, 6+6 b
Il l'a toute, et cet homme, une torche à la main, 6+6 a
Rentre dans sa patrie et sort du genre humain ; 6+6 a
C'est le vieux Scythe noir, c'est l'antique Gépide ; 6+6 b
Il est féroce, il est sublime, il est stupide ; 6+6 b
25 On sait ce qu'il a fait, on ne sait s'il comprit ; 6+6 a
Il serait un héros s'il était un esprit. 6+6 a
Les siècles sur leur cime ont quatre sombres flammes ; 6+6 b
L'une où brille altier, vil, roi des gloires infâmes, 6+6 b
Le meurtrier d'Ephèse embouchant son clairon, 6+6 a
30 L'autre où se dresse Omar, l'autre où chante Néron ; 6+6 a
Rostopschine est comme eux flamboyant dans l'histoire ; 6+6 b
De ces quatre lueurs la sienne est la moins noire. 6+6 b
Mais vous, qui venez-vous copier ?
Vous pencher 6+6 a
Sur Paris ! allumer un cinquième bûcher ! 6+6 a
35 Quoi ! l'on verrait Paris comme la neige fondre ! 6+6 b
Quoi ! vous vous méprenez à ce point de confondre 6+6 b
La ville qui nuisait et la ville qui sert ! 6+6 a
Moscou fut la Babel sinistre du désert, 6+6 a
L'antre où la raison boite, où la vérité louche, 6+6 b
40 Citadelle du moine et du boyard, farouche 6+6 b
Au point que nul progrès ne put habiter là, 6+6 a
Nid d'éperviers d'où Pierre, un vautour, s'envola. 6+6 a
Moscou c'était l'Asie et Paris c'est l'Europe. 6+6 b
Quoi ! du même linceul inepte on enveloppe 6+6 b
45 Et dans la même tombe on veut faire tenir 6+6 a
Moscou, le passé triste, et Paris, l'avenir ! 6+6 a
Moscou de moins, qu'importe ? ôtez Paris, quelle ombre ! 6+6 b
La boussole est perdue et le navire sombre ; 6+6 b
Le progrès stupéfait ne sait plus son chemin. 6+6 a
50 Si vous crevez cet œil énorme au genre humain, 6+6 a
Ce cyclope est aveugle, et, hors des faits possibles, 6+6 b
Il marche en tâtonnant avec des cris terribles ; 6+6 b
Du côté de la pente il va dans l'inconnu. 6+6 a
Sans Paris, l'avenir ntra reptile et nu. 6+6 a
55 Paris donne un manteau de lumière aux ies. 6+6 b
Les erreurs, s'il les a seulement regardées, 6+6 b
Tremblent subitement et s'écroulent, ayant 6+6 a
En elles le rayon de cet œil foudroyant. 6+6 a
Comme au-dessous du temple on retrouve la crypte, 6+6 b
60 Et comme sous la Grèce on retrouve l'Égypte, 6+6 b
Et sous l'Égypte l'Inde, et sous l'Inde la nuit, 6+6 a
Sous Paris, par les temps et les races construit, 6+6 a
On retrouve, en creusant, toute la vieille histoire. 6+6 b
L'homme a gagné Paris ainsi qu'une victoire. 6+6 b
65 Le lui prendre à présent, c'est lui rendre son bât, 6+6 a
C'est frustrer son labeur, c'est voler son combat. 6+6 a
A quoi bon avoir tant lutté si tout s'effondre ! 6+6 b
Thèbe, Ellorah, Memphis, Carthage, aujourd'hui Londre, 6+6 b
Tous les peuples, qu'unit un vénérable hymen, 6+6 a
70 De la raison humaine et du devoir humain 6+6 a
Ont créé l'alphabet, et Paris fait le livre. 6+6 b
Paris règne. Paris, en existant, délivre. 6+6 b
Par cela seul qu'il est, le monde est rassuré. 6+6 a
Un vaisseau comme un sceptre étendant son beaupré 6+6 a
75 Est son emblème ; il fait la grande traversée, 6+6 b
Il part de l'ignorance et monte à la pene. 6+6 b
Il sait l'itinéraire ; il voit le but ; il va 6+6 a
Plus loin qu'on ne voulut, plus haut qu'on ne rêva, 6+6 a
Mais toujours il arrive : il cherche, il crée, il fonde, 6+6 b
80 Et ce que Paris trouve est trouvé pour le monde. 6+6 b
Une évolution du globe tout entier 6+6 a
Veut Paris pour pivot et le prend pour chantier, 6+6 a
Et n'est universelle enfin qu'étant française ; 6+6 b
Londre a Charles premier, Paris a Louis seize ; 6+6 b
85 Londre a tué le roi, Paris la royauté ; 6+6 a
Ici le coup de hache à l'homme est limité, 6+6 a
Là c'est la monarchie énorme et décrépite, 6+6 b
C'est le passé, la nuit, l'enfer, qu'il décapite. 6+6 b
Un mot que dit Paris est un ambassadeur ; 6+6 a
90 Paris sème des lois dans toute profondeur. 6+6 a
Sans cesse, à travers l'ombre et la brume malsaine, 6+6 b
Il sort de cette forge, il sort de cette cène 6+6 b
Une flamme qui parle ; il remplit le ciel bleu 6+6 a
De l'éternel départ de ses langues de feu. 6+6 a
95 On voit à chaque instant une troupe de rêves 6+6 b
Sublimes, qui, portant des flambeaux ou des glaives, 6+6 b
S'échappe de Paris et va dans l'univers ; 6+6 a
Dante vient à Paris faire son premier vers ; 6+6 a
Là Montesquieu construit les lois, Pascal les règles ; 6+6 b
100 C'est de Paris que prend son vol l'essaim des aigles. 6+6 b
Paris veut que tout monte au suprême degré ; 6+6 a
Il dresse l'idéal sur le démesuré ; 6+6 a
A l'appui du progrès, à l'appui des ies, 6+6 b
Il donne des raisons hautes de cent coues ; 6+6 b
105 Pour cime et pour refuge il a la majesté 6+6 a
Des principes remplis d'une altière clarté ; 6+6 a
Le fier sommet du vrai, voilà son acropole ; 6+6 b
Il extrait Mirabeau du siècle de Walpole ; 6+6 b
Ce Paris qui pour tous fit toujours ce qu'il put 6+6 a
110 Est parfois Sybaris et jamais Lilliput, 6+6 a
Par la méchance naît où la hauteur cesse ; 6+6 b
Avec la petitesse on fait de la bassesse, 6+6 b
Et Paris n'est jamais petit ; il est géant 6+6 a
Jusque dans sa poussière et jusqu'en son néant ; 6+6 a
115 Le fond de ses fureurs est bon ; jamais la haine 6+6 b
Ne trouble sa colère auguste et ne la gène ; 6+6 b
Le cœur s'attendrit mieux lorsque l'esprit comprend, 6+6 a
Et l'on n'est le meilleur qu'en étant le plus grand. 6+6 a
De là la digni de Paris, sa logique 6+6 b
120 Souffrant pour l'homme avec une douceur tragique, 6+6 b
Et la fraterni qui gronde en son courroux. 6+6 a
Les tyrans dans leurs camps, les hiboux dans leurs trous, 6+6 a
Le craignent, car voulant la paix, il veut l'aurore. 6+6 b
A la tendance humaine, obscure et vague encore, 6+6 b
125 Il creuse un lit, il fixe un but, il donne un sens ; 6+6 a
Du juste et de l'injuste il connaît les versants ; 6+6 a
Et du côté de l'aube il l'aide à se répandre. 6+6 b
Certains problèmes sont des fruits d'or pleins de cendre, 6+6 b
Le fond de l'un est Tout, le fond de l'autre est Rien ; 6+6 a
130 On peut trouver le mal en cherchant trop le bien ; 6+6 a
Paris le sait ; Paris choisit ce qui doit vivre. 6+6 b
Le droit parfois devient un vin dont on s'enivre ; 6+6 b
Ayant tout éveillé Paris peut tout calmer ; 6+6 a
Sa grande loi Combattre a pour principe Aimer ; 6+6 a
135 Paris admet l'agape et non la saturnale, 6+6 b
Et c'est lui qui, soudain, de l'énigme infernale 6+6 b
Souffle le mot céleste au sphinx déconcerté. 6+6 a
Où le sphinx dit : Chaos, Paris dit : Liberté ! 6+6 a
Lieu d'éclosion ! centre éclatant et sonore 6+6 b
140 Où tous les avenirs trouvent toute l'aurore ! 6+6 b
O rendez-vous sacré de tous les lendemains ! 6+6 a
Point d'intersection des vastes pas humains ! 6+6 a
Paris, ville, esprit, voix ! tu parles, tu rédiges, 6+6 b
Tu décrètes, tu veux ! chez toi tous les prodiges 6+6 b
145 Viennent se rencontrer comme en leur carrefour. 6+6 a
Du paria de l'Inde au nègre du Darfour, 6+6 a
Tout sent un tremblement si ton pavé remue. 6+6 b
Paris, l'esprit humain dans ton nid fait sa mue ; 6+6 b
Langue nouvelle, droits nouveaux, nouvelles lois, 6+6 a
150 Être français après avoir été gaulois, 6+6 a
Il te doit tous ces grands changements de plumages. 6+6 b
Non, qui que vous soyez, non, quels que soient vos mages, 6+6 b
Vos docteurs, vos guerriers, vos chefs, quelle que soit 6+6 a
Votre splendeur qu'au fond de l'ombre on aperçoit, 6+6 a
155 O cités, fussiez-vous de phares constellées, 6+6 b
Quels que soient vos palais, vos tours, vos propyes, 6+6 b
Vos clartés, vos rumeurs, votre fourmillement, 6+6 a
Le genre humain gravite autour de cet aimant, 6+6 a
Paris, l'abolisseur des vieilles mœurs serviles, 6+6 b
160 Et vous ne pourrez pas le remplacer, ô villes, 6+6 b
Et, lui mort, consoler l'univers orphelin, 6+6 a
Non, non, pas même toi, Londres, ni toi, Berlin, 6+6 a
Ni toi, Vienne, ni toi, Madrid, ni toi, Byzance, 6+6 b
Si vous n'avez ainsi que lui cette puissance, 6+6 b
165 La joie, et cette force étrange, la bonté ; 6+6 a
Si, comme ce Paris charmant et redouté, 6+6 a
Vous n'avez cet éclair, l'amour, et si vous n'êtes 6+6 b
Océan aux ruisseaux et soleil aux planètes. 6+6 b
Car le genre humain veut que sa ville ait au front 6+6 a
170 L'auréole et dans l'œil le rire vif et prompt, 6+6 a
Qu'elle soit grande, gaie, héroïque et jalouse, 6+6 b
Et reste sa mtresse en étant son épouse. 6+6 b
Et dire que cette œuvre auguste, que mille ans 6+6 a
Et mille ans ont bâtie, industrieux et lents, 6+6 a
175 Que la cité héros, que la ville prophète, 6+6 b
Dire, ô cieux éternels ! que la merveille faite 6+6 b
Par vingt siècles pensifs, patients et profonds, 6+6 a
Qui créèrent la flamme où nous nous réchauffons 6+6 a
Et mirent cette ville au centre de la sphère, 6+6 b
180 Une heure folle aurait suffi pour la défaire ! 6+6 b
Sombre année. Épopée en trois livres hideux. 6+6 a
Les hommes n'ont rien vu de tel au-dessus d'eux. 6+6 a
Attila. Puis Caïn. Maintenant Érostrate. 6+6 b
O torche misérable, abjecte, aveugle, ingrate ! 6+6 b
185 Quoi ! disperser la ville unique à tous les vents ! 6+6 a
Ce Paris qui remplit de son cœur les vivants, 6+6 a
Et fait planer qui rampe et penser qui végète ! 6+6 b
Jeter au feu Paris comme le pâtre y jette, 6+6 b
En le poussant du pied, un rameau de sapin ! 6+6 a
190 Quoi ! tout sacrifier ! quoi ! le grenier du pain ! 6+6 a
Quoi ! la Bibliothèque, arche où l'aube se lève, 6+6 b
Insondable A B C de l'idéal, où rêve 6+6 b
Accoudé, le progrès, ce lecteur éternel, 6+6 a
Porte éclatante ouverte au bout du noir tunnel, 6+6 a
195 Grange où l'esprit de l'homme a mis sa gerbe immense ! 6+6 b
Pour qui travaillez-vous ? où va votre démence ? 6+6 b
Deux faces ici-bas se regardent, le jour 6+6 a
Et la nuit, l'âpre Haine et le puissant Amour, 6+6 a
Deux principes, le bien et le mal, se soufflettent, 6+6 b
200 Et deux villes, qui sont deux mystères, reflètent, 6+6 b
Ce choc de deux éclairs devant nos yeux émus, 6+6 a
Et Rome est Arimane et Paris est Ormus. 6+6 a
Rome est le mtre-autel où les vieux dogmes fument 6+6 b
Au sommet de Paris à flots de pourpre écument 6+6 b
205 En pleine éruption toutes les vérités, 6+6 a
La justice, jetant des rayons irrités, 6+6 a
La liberté, le droit, ces grandes clartés vierges. 6+6 b
En face de la Rome où vacillent les cierges, 6+6 b
Des révolutions Paris est le volcan. 6+6 a
210 Ici l'Hôtel-de-Ville et là le Vatican. 6+6 a
C'est au profit de l'un qu'on supprimerait l'autre. 6+6 b
Rome hait la raison dont Paris est l'apôtre. 6+6 b
O malheureux ! voyez où l'on vous entrna. 6+6 a
Devant le lampion vous éteignez l'Etna ! 6+6 a
215 Il ne resterait plus que cette lueur vile. 6+6 b
Le Vatican prospère où meurt l'Hôtel-de-Ville. 6+6 b
Deuil ! folie ! immoler l'âme au suaire noir, 6+6 a
La parole au bâillon, l'étoile à l'éteignoir, 6+6 a
La vérité qui sauve au mensonge qui frappe, 6+6 b
220 Et le Paris du peuple à la Rome du pape ! 6+6 b
Le genre humain peut-il être décapité ? 6+6 a
Vous imaginez-vous cette haute ci 6+6 a
Qui fut des nations la parole, l'ouïe, 6+6 b
La vision, la vie et l'âme, évanouie ! 6+6 b
225 Vous représentez-vous les peuples la cherchant ? 6+6 a
On ne voit plus sa lampe, on n'entend plus son chant. 6+6 a
C'était notre théâtre et notre sanctuaire ; 6+6 b
Elle était sur le globe ainsi qu'un statuaire 6+6 b
Sculptant l'homme futur à grands coups de maillet ; 6+6 a
230 L'univers espérait quand elle travaillait ; 6+6 a
Elle était l'éternelle, elle était l'immortelle ; 6+6 b
Qu'est-il donc arri d'horrible ? où donc est-elle ? 6+6 b
Vous les figurez-vous s'arrêtant tout à coup ? 6+6 a
Quel est ce pan de mur dans les ronces debout ? 6+6 a
235 Le Panthéon ; ce bronze épars, c'est la colonne ; 6+6 b
Ce marais où l'essaim des corbeaux tourbillonne, 6+6 b
C'est la Bastille ; un coin farouche où tout se tait, 6+6 a
Où rien ne luit, c'est là que Notre-Dame était ; 6+6 a
La limace et le ver souillent de leurs morsures 6+6 b
240 Les pierres, ossements augustes des masures ; 6+6 b
Pas un toit n'est resté de toutes ces maisons 6+6 a
Qui du progrès humain reflétaient les saisons ; 6+6 a
Pas une de ces tours, silhouettes superbes ; 6+6 b
Plus de ponts, plus de quais ; des étangs sous des herbes, 6+6 b
245 Un fleuve extrava dans l'ombre, devenu 6+6 a
Informe, et s'en allant dans un bois inconnu ; 6+6 a
Le vague bruit de l'eau que le vent triste emporte. 6+6 b
Et voyez-vous l'effet que ferait cette morte ! 6+6 b
Mais qui donc a je ce tison ? Quelle main, 6+6 a
250 Osant avec le jour tuer le lendemain, 6+6 a
A tenté ce forfait, ce rêve, ce mystère 6+6 b
D'abolir la ville astre, âme de notre terre, 6+6 b
Centre en qui respirait tout ce qu'on étouffait ? 6+6 a
Non, ce n'est pas toi, peuple, et tu ne l'as pas fait. 6+6 a
255 Non, vous les égarés, vous n'êtes pas coupables ! 6+6 b
Le vénéneux essaim des causes impalpables, 6+6 b
Les vieux faits devenus invisibles vous ont 6+6 a
Troublé l'âme, et leur aile a battu votre front ; 6+6 a
Vous vous êtes sentis enivrés d'ombre obscure ; 6+6 b
260 Le taon vous poursuivait de son âcre piqûre, 6+6 b
Une rouge lueur flottait devant vos yeux, 6+6 a
Et vous avez é le taureau furieux. 6+6 a
J'accuse la Misère, et je traîne à la barre 6+6 b
Cet aveugle, ce sourd, ce bandit, ce barbare, 6+6 b
265 Le Passé ; je dénonce, ô royauté, chaos, 6+6 a
Tes vieilles lois d'où sont sortis les vieux fléaux ! 6+6 a
Elles pèsent sur nous, dans le siècle où nous sommes, 6+6 b
Du poids de l'ignorance effrayante des hommes ; 6+6 b
Elles nous changent tous en frères ennemis ; 6+6 a
270 Elles seules ont fait le mal ; elles ont mis 6+6 a
La torche inepte aux mains des souffrants implacables. 6+6 b
Elles forgent les nœuds d'airain, les affreux câbles, 6+6 b
Les dogmes, les erreurs, dont on veut tout lier, 6+6 a
Rapetissent l'école et ferment l'atelier ; 6+6 a
275 Leur palais a ce gui misérable, l'échoppe ; 6+6 b
Elles font le jour louche et le regard myope ; 6+6 b
Courbent les volontés sous le joug étouffant ; 6+6 a
Vendent à la chaumière un peu d'air, à l'enfant 6+6 a
L'alphabet du mensonge, à tous la clarté fausse ; 6+6 b
280 Creusent mal le sillon et creusent bien la fosse ; 6+6 b
Ne savent ce que c'est qu'enseigner, qu'apaiser ; 6+6 a
Ont de l'or pour payer à Judas son baiser, 6+6 a
N'en ont point pour payer à Colomb son voyage ; 6+6 b
N'ont point, depuis les temps de Cyrus, d'Astyage, 6+6 b
285 De Cécrops, de Moïse et de Deucalion, 6+6 a
Fait un pas hors du lâche et sanglant talion ; 6+6 a
Livrent le faible aux forts, refusent l'âme aux femmes, 6+6 b
Sont imbéciles, sont féroces, sont infâmes ! 6+6 b
Je dénonce les faux pontifes, les faux dieux, 6+6 a
290 Ceux qui n'ont pas d'amours et ceux qui n'ont pas d'yeux 6+6 a
Non, je n'accuse rien du présent, ni personne ; 6+6 b
Non, le cri que je pousse et le glas que je sonne, 6+6 b
C'est contre le passé, fantôme encor debout 6+6 a
Dans les lois, dans les mœurs, dans les haines, dans tout. 6+6 a
295 J'accuse, ô nos aïeux, car l'heure est solennelle, 6+6 b
Votre société, la vieille criminelle ! 6+6 b
La scélérate a fait tout ce que nous voyons ; 6+6 a
C'est elle qui sur l'âme et sur tous les rayons 6+6 a
Et sur tous les essors posa ses mains immondes, 6+6 b
300 Elle qui l'un par l'autre éclipsa les deux mondes, 6+6 b
La raison par la foi, la foi par la raison ; 6+6 a
Elle qui mit au haut des lois une prison ; 6+6 a
Elle qui, fourvoyant les hommes, même en France, 6+6 b
Créa la céci qu'on appelle ignorance, 6+6 b
305 Leur ferma la science, et, marâtre pour eux, 6+6 a
Laissant noirs les esprits, fit les cœurs ténébreux ! 6+6 a
Je l'accuse, et je veux qu'elle soit condamnée. 6+6 b
Elle vient d'enfanter cette effroyable année. 6+6 b
Elle égare parfois jusqu'à d'affreux souhaits 6+6 a
310 Toi-même, ô peuple immense et puissant qui la hais ! 6+6 a
Le bœuf meurtri se dresse et frappe à coups de corne. 6+6 b
Elle a créé la foule inconsciente et morne, 6+6 b
Elle a tout opprimé, tout froissé, tout plié, 6+6 a
Tout blessé ; la rancune est un glaive oublié, 6+6 a
315 Mais qu'on retrouve ; hélas ! la haine est une dette. 6+6 b
Cette socié que les vieux temps ont faite, 6+6 b
Depuis deux mille ans règne, usurpe notre bien, 6+6 a
Notre droit, et prend tout même à ceux qui n'ont rien ; 6+6 a
Elle fait dévorer le peuple aux parasites ; 6+6 b
320 La guerre et l'échafaud, voilà ses réussites ; 6+6 b
Elle n'a rien laissé que l'instinct animal 6+6 a
Au sauvage embusqué dans la forêt du mal ; 6+6 a
Elle répond de tout ce que peut faire l'homme ; 6+6 b
La bête fauve sort de la bête de somme, 6+6 b
325 L'esclave sous le fouet se révolte, et, battu, 6+6 a
Fuit dans l'ombre, et demande à l'enfer : Me veux-tu ? 6+6 a
Étonnez-vous après, ô semeurs de tempêtes, 6+6 b
Que ce souffre-douleur soit votre trouble-fêtes, 6+6 b
El qu'il vous donne tort à tous sur tous les points ; 6+6 a
330 Qu'il soit hagard, fatal, sombre, et que ses deux poings 6+6 a
Reviennent tout à coup, sur notre tragédie 6+6 b
Secouer, l'un le meurtre, et l'autre l'incendie ! 6+6 b
J'accuse le passé, vous dis-je ! il a tout fait. 6+6 a
Quand il abrutissait le peuple, il triomphait. 6+6 a
335 Il a Dieu pour fantôme et Satan pour ministre. 6+6 b
Hélas ! il a créé l'indigence sinistre 6+6 b
Qui saigne et qui se venge au hasard, sans savoir, 6+6 a
Et qui devient la haine, étant le désespoir ! 6+6 a
Qui que vous soyez, vous que je sers et que j'aime, 6+6 b
340 Souffrants que dans le mal la main du crime sème, 6+6 b
Et que j'ai toujours plaints, avertis, défendus 6+6 a
O vous les accablés, ô vous les éperdus, 6+6 a
Nos frères, repoussez celui qui vous exploite ! 6+6 b
Suivez l'esprit qui plane et non l'esprit qui boite ; 6+6 b
345 Montez vers l'avenir, montez vers les clartés : 6+6 a
Mais ne vous laissez plus entrner ! résistez ! 6+6 a
Résistez, quel que soit le nom dont il se nomme, 6+6 b
A quiconque vous donne un conseil contre l'homme ; 6+6 b
Résistez aux douleurs, résistez à la faim. 6+6 a
350 Si vous saviez combien on fut près de la fin ! 6+6 a
Oh ! l'applaudissement des spectres est terrible ! 6+6 b
Peuple, sur ta cité, comme aux temps de la Bible, 6+6 b
Quand l'incendie aux crins de flamme se leva, 6+6 a
Quand, ainsi que Ninive en proie à Jéhovah, 6+6 a
355 Lutèce agonisa, maison de la lumière ; 6+6 b
Quand le Louvre prit feu comme un toit de chaumière, 6+6 b
Avec mil huit cent trente, avec quatre-vingt-neuf ! 6+6 a
Quand la Seine coula rouge sous le pont Neuf ; 6+6 a
Quand le Palais, école où la justice épelle, 6+6 b
360 Soudain se détachant de la Sainte-Chapelle, 6+6 b
Tomba comme un haillon qu'une femme découd ; 6+6 a
Quand la destruction empourpra tout à coup 6+6 a
Le haut temple où Voltaire et Jean-Jacques dormirent, 6+6 b
Et tout ce vaste amas que les peuples admirent, 6+6 b
365 Dômes, arcs triomphaux, cirques, frontons, pavois, 6+6 a
D'où partent des clartés et d'où sortent des voix, 6+6 a
Quand on crut un moment voir la cité de gloire, 6+6 b
D'espérance et d'azur changée en ville noire, 6+6 b
Et Paris en fumée affreuse dissipé ; 6+6 a
370 Ce flamboiement lugubre, ainsi que dans Tem 6+6 a
Avril vient doucement agiter les colombes, 6+6 b
Réveilla dans l'horreur sépulcrale les tombes ; 6+6 b
Et l'horizon s'emplit de fantômes criant : 6+6 a
O trépassés, venez voir mourir l'Orient ! 6+6 a
375 Les méduses riaient avec leurs dents funèbres ; 6+6 b
Le ciel eut peur, la joie infâme des ténèbres 6+6 b
Éclata, l'ombre vint insulter le flambeau ; 6+6 a
Torquemada sortit du gouffre et dit : C'est beau. 6+6 a
Cisneros dit : Voi le grand bûcher de l'Homme ! 6+6 b
380 Sanchez grinça : L'abîme est fait. Regarde, ô Rome ! 6+6 b
Tout ce qu'on nomme droit, principes absolus, 6+6 a
République, raison et liberté, n'est plus ! 6+6 a
Tous les bourreaux, depuis Néron jusqu'à Zoïle, 6+6 b
Contents, vinrent jeter un tison dans la ville, 6+6 b
385 Et Borgia donna sa bénédiction. 6+6 a
Czars, sultans, Escobar, Rufin, Trimalcion, 6+6 a
Tous les conservateurs de l'antique souffrance, 6+6 b
Admirèrent, disant : C'est fini. Plus de France ! 6+6 b
Ce qui s'achève ainsi ne recommence point. 6+6 a
390 A Danton interdit Brunswick montra le poing ; 6+6 a
On entendit mugir le veau d'or dans l'étable ; 6+6 b
Dans cette heure où le ciel devint épouvantable, 6+6 b
Le groupe monstrueux de tous les hommes noirs, 6+6 a
Sombre, et pour espérance ayant nos désespoirs, 6+6 a
395 Voyant sur toi, Paris, la mort ouvrir son aile, 6+6 b
Eut l'éblouissement de la nuit éternelle. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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