Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
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e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
HUG_9/HUG739
Victor HUGO
L'année terrible
1872
MAI
I
LES DEUX TROPHÉES
Peuple, ce siècle a vu tes travaux surhumains. 6+6 a
Il t'a vu repétrir l'Europe dans tes mains. 6+6 a
Tu montras le néant du sceptre et des couronnes 6+6 b
Car ta façon de faire et défaire des trônes ; 6+6 b
5 A chacun de tes pas tout croissait d'un degré ; 6+6 a
Tu marchais ; tu faisais sur le globe effaré 6+6 a
Un ensemencement formidable d'idées ; 6+6 b
Tes légions étaient les vagues débordées 6+6 b
Du progrès s'élevant de sommets en sommets ; 6+6 a
10 La Révolution te guidait ; tu semais 6+6 a
Danton en Allemagne et Voltaire en Espagne ; 6+6 b
Ta gloire, ô peuple, avait l'aurore pour compagne, 6+6 b
Et le jour se levait partout où tu passais ; 6+6 a
Comme on a dit les Grecs on disait les Français ; 6+6 a
15 Tu détruisais le mal, l'enfer, l'erreur, le vice, 6+6 b
Ici le moyen âge et là le saint-office ; 6+6 b
Superbe, tu luttais contre tout ce qui nuit ; 6+6 a
Ta clarté grandissante engloutissait la nuit ; 6+6 a
Toute la terre était à tes rayons mêlée ; 6+6 b
20 Tandis que tu montais dans ta voie étoilée, 6+6 b
Les hommes t'admiraient, même dans tes revers ; 6+6 a
Parfois tu t'envolais planant ; et l'univers, 6+6 a
Vingt ans, du Tage à l'Elbe et du Nil à l'Adige, 6+6 b
Fut la face éblouie, et tu fus le prodige ; 6+6 b
25 Et tout disparaissait, — Histoire, souviens-t'en, — 6+6 a
Même le chef géant, sous le peuple titan. 6+6 a
De là deux monuments élevés à ta gloire, 6+6 b
Le pilier de puissance et l'arche de victoire, 6+6 b
Qui tous deux sont toi-même, ô peuple souverain, 6+6 a
30 L'un étant de granit et l'autre étant d'airain. 6+6 a
Penser qu'on fut vainqueur autrefois est utile. 6+6 b
Oh ! ces deux monuments, que craint l'Europe hostile, 6+6 b
Comme on va les garder, et comme nuit et jour 6+6 a
On va veiller sur eux avec un sombre amour ! 6+6 a
35 Ah ! c'est presque un vengeur qu'un témoin d'un autre âge ! 6+6 b
Nous les attesterons tous deux, nous qu'on outrage ; 6+6 b
Nous puiserons en eux l'ardeur de châtier. 6+6 a
Sur ce hautain métal et sur ce marbre altier, 6+6 a
Oh ! comme on cherchera d'un œil mélancolique 6+6 b
40 Tous ces fiers vétérans, fils de la République. 6+6 b
Car l'heure de la chute est l'heure de l'orgueil ; 6+6 a
Car la défaite augmente, aux yeux du peuple en deuil, 6+6 a
Le resplendissement farouche des trophées ; 6+6 b
Les âmes de leur feu se sentent réchauffées ; 6+6 b
45 La vision des grands est salubre aux petits. 6+6 a
Nous éterniserons ces monuments, bâtis 6+6 a
Par les morts dont survit l'œuvre extraordinaire ; 6+6 b
Ces morts puissants jadis passaient dans le tonnerre, 6+6 b
Et de leur marche encore on entend les éclats ; 6+6 a
50 Et les pâles vivants d'à présent sont, hélas ! 6+6 a
Moins qu'eux dans la lumière et plus qu'eux dans la tombe. 6+6 b
Écoutez, c'est la pioche ! écoutez, c'est la bombe ! 6+6 b
Qui donc fait bombarder ? qui donc fait démolir ? 6+6 a
Vous ?
Le penseur frémit, pareil au vieux roi Lear 6+6 a
55 Qui parle à la tempête et lui fait des reproches. 6+6 b
Quels signes effrayants ! d'affreux jours sont-ils proches ? 6+6 b
Est-ce que l'avenir peut être assassiné ? 6+6 a
Est-ce qu'un siècle meurt quand l'autre n'est pas né ? 6+6 a
Vertige ! de qui donc Paris est-il la proie ? 6+6 b
60 Un pouvoir le mutile, un autre le foudroie. 6+6 b
Ainsi deux ouragans luttent au Sahara. 6+6 a
C'est à qui frappera, c'est à qui détruira. 6+6 a
Peuple, ces deux chaos ont tort ; je blâme ensemble 6+6 b
Le firmament qui tonne et la terre qui tremble. 6+6 b
65 Soit. De ces deux pouvoirs, dont la colère croît, 6+6 a
L'un a pour lui la loi, l'autre a pour lui le droit ; 6+6 a
Versaille a la paroisse et Paris la commune ; 6+6 b
Mais sur eux, au-dessus de tous, la France est une ; 6+6 b
Et d'ailleurs, quand il faut l'un sur l'autre pleurer, 6+6 a
70 Est-ce bien le moment de s'entre-dévorer, 6+6 a
Et l'heure pour la lutte est-elle bien choisie ? 6+6 b
O fratricide ! Ici toute la frénésie 6+6 b
Des canons, des mortiers, des mitrailles ; et là 6+6 a
Le vandalisme ; ici Charybde, et là Scylla. 6+6 a
75 Peuple, ils sont deux. Broyant tes splendeurs étouffées, 6+6 b
Chacun ôte à ta gloire un de tes deux trophées ; 6+6 b
Nous vivons dans des temps sinistres et nouveaux, 6+6 a
Et de ces deux pouvoirs étrangement rivaux 6+6 a
Par qui le marteau frappe et l'obus tourbillonne, 6+6 b
80 L'un prend l'Arc de Triomphe et l'autre la Colonne ! 6+6 b
Mais c'est la France ! Quoi, Français, nous renversons 6+6 a
Ce qui reste debout sur les noirs horizons ! 6+6 a
La grande France est là ! Qu'importe Bonaparte ! 6+6 b
Est-ce qu'on voit un roi quand on regarde Sparte ? 6+6 b
85 Otez Napoléon, le peuple reparaît. 6+6 a
Abattez l'arbre, mais respectez la forêt. 6+6 a
Tous ces grands combattants, tournant sur ces spirales, 6+6 b
Peuplant les champs, les tours, les barques amirales, 6+6 b
Franchissant murs et ponts, fossés, fleuves, marais, 6+6 a
90 C'est la France montant à l'assaut du progrès. 6+6 a
Justice ! ôtez de là César, mettez-y Rome. 6+6 b
Qu'on voie à cette cime un peuple et non un homme ; 6+6 b
Condensez en statue au sommet du pilier 6+6 a
Cette foule en qui vit ce Paris chevalier, 6+6 a
95 Vengeur des droits, vainqueur du mensonge féroce ! 6+6 b
Que le fourmillement aboutisse au colosse ! 6+6 b
Faites cette statue en un si pur métal 6+6 a
Qu'on n'y sente plus rien d'obscur ni de fatal ; 6+6 a
Incarnez-y la foule, incarnez-y l'élite ; 6+6 b
100 Et que ce géant Peuple, et que ce grand stylite 6+6 b
Du lointain idéal éclaire le chemin, 6+6 a
Et qu'il ait au front l'astre et l'épée à la main ! 6+6 a
Respect à nos soldats, rien n'égalait leurs tailles ; 6+6 b
La Révolution gronde en leurs cent batailles ; 6+6 b
105 La Marseillaise, effroi du vieux monde obscurci, 6+6 a
S'est faite pierre là, s'est faite bronze ici ; 6+6 a
De ces deux monuments sort un cri : Délivrance ! 6+6 b
Quoi ! de nos propres mains nous achevons la France ! 6+6 b
Quoi ! c'est nous qui faisons cela ! nous nous jetons 6+6 a
110 Sur ce double trophée envié des Teutons, 6+6 a
Torche et massue aux poings, tous à la fois, en foule ! 6+6 b
C'est sous nos propres coups que notre gloire croule ! 6+6 b
Nous la brisons, d'en haut, d'en bas, de près, de loin, 6+6 a
Toujours, partout, avec la Prusse pour témoin ! 6+6 a
115 Ils sont là, ceux à qui fut livrée et vendue 6+6 b
Ton invincible épée, ô patrie éperdue ! 6+6 b
Ils sont là ceux par qui tomba l'homme de Ham ! 6+6 a
C'est devant Reichshoffen qu'on efface Wagram ! 6+6 a
Marengo raturé, c'est Waterloo qui reste. 6+6 b
120 La page altière meurt sous la page funeste ; 6+6 b
Ce qui souille survit à ce qui rayonna ; 6+6 a
Et pour garder Forbach on supprime Iéna ! 6+6 a
Mac-Mahon fait de loin pleuvoir une rafale 6+6 b
De feu, de fer, de plomb sur l'arche triomphale. 6+6 b
125 Honte ! un drapeau tudesque étend sur nous ses plis, 6+6 a
Et regarde Sedan souffleter Austerlitz ! 6+6 a
Où sont les Charentons, France ? où sont les Bicêtres ? 6+6 b
Est-ce qu'ils ne vont pas se lever, les ancêtres, 6+6 b
Ces dompteurs de Brunswick, de Cobourg, de Bouillé, 6+6 a
130 Terribles, secouant leur vieux sabre rouillé, 6+6 a
Cherchant au ciel la grande aurore évanouie ! 6+6 b
Est-ce que ce n'est pas une chose inouïe 6+6 b
Qu'ils soient violemment de l'histoire chassés, 6+6 a
Eux qui se prodiguaient sans jamais dire : Assez ! 6+6 a
135 Eux qui tinrent le pape et les rois, l'ombre noire 6+6 b
Et le passé, captifs et cernés dans leur gloire, 6+6 b
Eux qui de l'ancien monde avaient fait le blocus, 6+6 a
Eux les pères vainqueurs, par nous les fils vaincus ! 6+6 a
Hélas ! ce dernier coup après tant de misères, 6+6 b
140 Et la paix incurable où saignent deux ulcères, 6+6 b
Et tous ces vains combats, Avron, Bourget, l'Haÿ ! 6+6 a
Après Strasbourg brûlée, après Paris trahi ! 6+6 a
La France n'est donc pas encore assez tuée ? 6+6 b
Si la Prusse, à l'orgueil sauvage habituée, 6+6 b
145 Voyant ses noirs drapeaux enflés par l'aquilon, 6+6 a
Si la Prusse, tenant Paris sous son talon, 6+6 a
Nous eût crié : — Je veux que vos gloires s'enfuient. 6+6 b
Français, vous avez là deux restes qui m'ennuient, 6+6 b
Ce pilastre d'airain, cet arc de pierre ; il faut 6+6 a
150 M'en délivrer ; ici, dressez un échafaud, 6+6 a
Là, braquez des canons ; ce soin sera le vôtre. 6+6 b
Vous démolirez l'un, vous mitraillerez l'autre. 6+6 b
Je l'ordonne. — O fureur ! comme on eût dit : Souffrons ! 6+6 a
Luttons ! c'est trop ! ceci passe tous les affronts ! 6+6 a
155 Plutôt mourir cent fois ! nos morts seront nos fêtes ! 6+6 b
Comme on eût dit : Jamais ! Jamais ! —
Et vous le faites ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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