Métrique en Ligne
HUG_9/HUG729
Victor HUGO
L'année terrible
1872
MARS
IV
L'ENTERREMENT
Le tambour bat aux champs et le drapeau s'incline. 6+6 a
De la Bastille au pied de la morne colline 6+6 a
Où les siècles passés près du siècle vivant 6+6 b
Dorment sous les cyprès peu troublés par le vent, 6+6 b
5 Le peuple a l'arme au bras ; le peuple est triste ; il pense ; 6+6 a
Et ses grands bataillons font la haie en silence. 6+6 a
Le fils mort et le père aspirant au tombeau 6+6 b
Passent, l'un hier encor vaillant, robuste et beau, 6+6 b
L'autre vieux et cachant les pleurs de son visage ; 6+6 a
10 Et chaque légion les salue au passage. 6+6 a
O peuple ! ô majesté de l'immense douceur ! 6+6 b
Paris, cité soleil, vous que l'envahisseur 6+6 b
N'a pu vaincre, et qu'il a de tant de sang rougie, 6+6 a
Vous qu'un jour on verra, dans la royale orgie, 6+6 a
15 Surgir, l'éclair au front, comme le commandeur, 6+6 b
O ville, vous avez ce comble de grandeur 6+6 b
De faire attention à la douleur d'un homme. 6+6 a
Trouver dans Sparte une âme et voir un cœur dans Rome, 6+6 a
Rien n'est plus admirable ; et Paris a dompté 6+6 b
20 L'univers par la force où l'on sent la bonté. 6+6 b
Ce peuple est un héros et ce peuple est un juste. 6+6 a
Il fait bien plus que vaincre, il aime.
O ville auguste, 6+6 a
Ce jour-là tout tremblait, les révolutions 6+6 b
Grondaient, et dans leur brume, à travers des rayons, 6+6 b
25 Tu voyais devant toi se rouvrir l'ombre affreuse 6+6 a
Qui par moments devant les grands peuples se creuse ; 6+6 a
Et l'homme qui suivait le cercueil de son fils 6+6 b
T'admirait, toi qui, prête à tous les fiers défis, 6+6 b
Infortunée, as fait l'humanité prospère ; 6+6 a
30 Sombre, il se sentait fils en même temps que père, 6+6 a
Père en pensant à lui, fils en pensant à toi. 6+6 b
Que ce jeune lutteur illustre et plein de foi, 6+6 b
Disparu dans le lieu profond qui nous réclame, 6+6 a
O peuple, ait à jamais près de lui ta grande âme ! 6+6 a
35 Tu la lui donnas, peuple, en ce suprême adieu. 6+6 b
Que dans la liberté superbe du ciel bleu, 6+6 b
Il assiste, à présent qu'il tient l'arme inconnue, 6+6 a
Aux luttes du devoir et qu'il les continue. 6+6 a
Le droit n'est pas le droit seulement ici-bas ; 6+6 b
40 Les morts sont des vivants mêlés à nos combats, 6+6 b
Ayant tantôt le bien, tantôt le mal pour cibles ; 6+6 a
Parfois on sent passer leurs flèches invisibles. 6+6 a
Nous les croyons absents, ils sont présents ; on sort 6+6 b
De la terre, des jours, des pleurs, mais non du sort ; 6+6 b
45 C'est un prolongement sublime que la tombe. 6+6 a
On y monte étonné d'avoir cru qu'on y tombe. 6+6 a
Comme dans plus d'azur l'hirondelle émigrant, 6+6 b
On entre plus heureux dans un devoir plus grand ; 6+6 b
On voit l'utile avec le juste parallèle ; 6+6 a
50 Et l'on a de moins l'ombre et l'on a de plus l'aile. 6+6 a
O mon fils béni, sers la France, du milieu 6+6 b
De ce gouffre d'amour que nous appelons Dieu ; 6+6 b
Ce n'est pas pour dormir qu'on meurt, non, c'est pour faire 6+6 a
De plus haut ce que fait en bas notre humble sphère ; 6+6 a
55 C'est pour le faire mieux, c'est pour le faire bien. 6+6 b
Nous n'avons que le but, le ciel a le moyen. 6+6 b
La mort est un passage où pour grandir tout change ; 6+6 a
Qui fut sur terre athlète est dans l'abîme archange ; 6+6 a
Sur terre on est borné, sur terre on est banni ; 6+6 b
60 Mais là-haut nous croissons sans gêner l'infini ; 6+6 b
L'âme y peut déployer sa subite envergure ; 6+6 a
C'est en perdant son corps qu'on reprend sa figure. 6+6 a
Va donc, mon fils ! va donc, esprit ! deviens flambeau. 6+6 b
Rayonne. Entre en planant dans l'immense tombeau ! 6+6 b
65 Sers la France. Car Dieu met en elle un mystère, 6+6 a
Car tu sais maintenant ce qu'ignore la terre, 6+6 a
Car la vérité brille où l'éternité luit, 6+6 b
Car tu vois la lumière et nous voyons la nuit. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite de distiques
schéma : 34((aa))
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