Métrique en Ligne
HUG_9/HUG685
Victor HUGO
L'année terrible
1872
SEPTEMBRE
V
À PETITE JEANNE
Vous eûtes donc hier un an, ma bien-aimée. 6+6 a
Contente, vous jasez, comme, sous la ramée, 6+6 a
Au fond du nid plus tiède ouvrant de vagues yeux, 6+6 b
Les oiseaux nouveau-nés gazouillent, tout joyeux 6+6 b
5 De sentir qu'il commence à leur pousser des plumes. 6+6 a
Jeanne, ta bouche est rose ; et dans les gros volumes 6+6 a
Dont les images font ta joie, et que je dois, 6+6 b
Pour te plaire, laisser chiffonner par tes doigts 6+6 b
On trouve de beaux vers, mais pas un qui te vaille 6+6 a
10 Quand tout ton petit corps en me voyant tressaille ; 6+6 a
Les plus fameux auteurs n'ont rien écrit de mieux 6+6 b
Que la pensée éclose à demi dans tes yeux, 6+6 b
Et que ta rêverie obscure, éparse, étrange, 6+6 a
Regardant l'homme avec l'ignorance de l'ange. 6+6 a
15 Jeanne, Dieu n'est pas loin puisque vous êtes là. 6+6 b
Ah ! vous avez un an, c'est un âge cela ! 6+6 b
Vous êtes par moments grave, quoique ravie ; 6+6 a
Vous êtes à l'instant céleste de la vie 6+6 a
Où l'homme n'a pas d'ombre, où dans ses bras ouverts, 6+6 b
20 Quand il tient ses parents, l'enfant tient l'univers ; 6+6 b
Votre jeune âme vit, songe, rit, pleure, espère 6+6 a
D'Alice votre mère à Charles votre père ; 6+6 a
Tout l'horizon que peut contenir votre esprit 6+6 b
Va d'elle qui vous berce à lui qui vous sourit ; 6+6 b
25 Ces deux êtres pour vous à cette heure première 6+6 a
Sont toute la caresse et toute la lumière ; 6+6 a
Eux deux, eux seuls, ô Jeanne ; et c'est juste ; et je suis, 6+6 b
Et j'existe, humble aïeul, parce que je vous suis ; 6+6 b
Et vous venez, et moi je m'en vais ; et j'adore, 6+6 a
30 N'ayant droit qu'à la nuit, votre droit à l'aurore. 6+6 a
Votre blond frère George et vous, vous suffisez 6+6 b
A mon âme, et je vois vos jeux, et c'est assez ; 6+6 b
Et je ne veux, après mes épreuves sans nombre, 6+6 a
Qu'un tombeau sur lequel se découpera l'ombre 6+6 a
35 De vos berceaux dorés par le soleil levant. 6+6 b
Ah ! nouvelle venue innocente, et rêvant, 6+6 b
Vous avez pris pour naître une heure singulière ; 6+6 a
Vous êtes, Jeanne, avec les terreurs familière ; 6+6 a
Vous souriez devant tout un monde aux abois ; 6+6 b
40 Vous faites votre bruit d'abeille dans les bois, 6+6 b
O Jeanne, et vous mêlez votre charmant murmure 6+6 a
Au grand Paris faisant sonner sa grande armure. 6+6 a
Ah ! quand je vous entends, Jeanne, et quand je vous vois 6+6 b
Chanter, et, me parlant avec votre humble voix, 6+6 b
45 Tendre vos douces mains au-dessus de nos têtes, 6+6 a
Il me semble que l'ombre où grondent les tempêtes 6+6 a
Tremble et s'éloigne avec des rugissements sourds, 6+6 b
Et que Dieu fait donner à la ville aux cent tours 6+6 b
Désemparée ainsi qu'un navire qui sombre, 6+6 a
50 Aux énormes canons gardant le rempart sombre, 6+6 a
A l'univers qui penche et que Paris défend, 6+6 b
Sa bénédiction par un petit enfant. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite de distiques
schéma : 26((aa))
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