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HUG_8/HUG29
Victor HUGO
Odes et Ballades
1826
ODES
LIVRE DEUXIÈME
1822-1823
ODE TROISIÈME
LA BANDE NOIRE
Voyageur obscur, mais religieux, au travers
des ruines de la patrie… je priais.
CH. NODIER.
I
« Ô murs ! ô créneaux ! ô tourelles ! 8 a
Remparts ! fossés aux ponts mouvants ! 8 b
Lourds faisceaux de colonnes frêles ! 8 a
Fiers châteaux ! modestes couvents ! 8 b
5 Cloîtres poudreux, salles antiques, 8 c
Où gémissaient les saints cantiques, 8 c
Où riaient les banquets joyeux ! 8 d
Lieux où le cœur met ses chimères ! 8 e
Églises où priaient nos mères, 8 e
10 Tours où combattaient nos aïeux ! 8 d
« Parvis où notre orgueil s'enflamme ! 8 a
Maisons de Dieu ! manoirs des rois ! 8 b
Temples que gardait l'oriflamme, 8 a
Palais que protégeait la croix ! 8 b
15 Réduits d'amour ! arcs de victoires ! 8 c
Vous qui témoignez de nos gloires, 8 c
Vous qui proclamez nos grandeurs ! 8 d
Chapelles, donjons, monastères ! 8 e
Murs voilés de tant de mystères ! 8 e
20 Murs brillants de tant de splendeurs ! 8 d
« Ô débris ! ruines de France 8 a
Que notre amour en vain défend, 8 b
Séjours de joie ou de souffrance, 8 a
Vieux monuments d'un peuple enfant ! 8 b
25 Restes, sur qui le temps s'avance ! 8 c
De l'Armorique à la Provence, 8 c
Vous que l'honneur eut pour abri ! 8 d
Arceaux tombés ! voûtes brisées ! 8 e
Vestiges des races passées ! 8 e
30 Lit sacré d'un fleuve tari ! 8 d
« Oui, je crois, quand je vous contemple, 8 a
Des héros entendre l'adieu ; 8 b
Souvent, dans les débris du temple, 8 a
Brille comme un rayon du dieu. 8 b
35 Mes pas errants cherchent la trace 8 c
De ces fiers guerriers dont l'audace 8 c
Faisait un trône d'un pavois ; 8 d
Je demande, oubliant les heures, 8 e
Au vieil écho de leurs demeures 8 e
40 Ce qui lui reste de leur voix. 8 d
« Souvent ma muse aventurière, 8 a
S'enivrant de rêves soudains, 8 b
Ceignit la cuirasse guerrière 8 a
Et l'écharpe des paladins ; 8 b
45 S'armant d'un fer rongé de rouille, 8 c
Elle déroba leur dépouille 8 c
Aux lambris du long corridor ; 8 d
Et, vers des régions nouvelles, 8 e
Pour hâter son coursier sans ailes, 8 e
50 Osa chausser l'éperon d'or. 8 d
« J'aimais le manoir dont la route 8 a
Cache dans les bois ses détours, 8 b
Et dont la porte sous la voûte 8 a
S'enfonce entre deux larges tours ; 8 b
55 J'aimais l'essaim d'oiseaux funèbres 8 c
Qui sur les toits, dans les ténèbres, 8 c
Vient grouper ses noirs bataillons, 8 d
Ou, levant des voix sépulcrales, 8 e
Tournoie en mobiles spirales 8 e
60 Autour des légers pavillons. 8 d
« J'aimais la tour, verte de lierre, 8 a
Qu'ébranle la cloche du soir ; 8 b
Les marches de la croix de pierre 8 a
Où le voyageur vient s'asseoir ; 8 b
65 L'église veillant sur les tombes, 8 c
Ainsi qu'on voit d'humbles colombes 8 c
Couver les fruits de leur amour ; 8 d
La citadelle crénelée, 8 e
Ouvrant ses bras sur la vallée, 8 e
70 Comme les ailes d'un vautour. 8 d
« J'aimais le beffroi des alarmes ; 8 a
La cour où sonnaient les clairons ; 8 b
La salle où, déposant leurs armes, 8 a
Se rassemblaient les hauts barons ; 8 b
75 Les vitraux éclatants ou sombres ; 8 c
Le caveau froid où, dans les ombres, 8 c
Sous des murs que le temps abat, 8 d
Les preux, sourds au vent qui murmure, 8 e
Dorment, couchés dans leur armure, 8 e
80 Comme la veille d'un combat. 8 d
« Aujourd'hui, parmi les cascades, 8 a
Sous le dôme des bois touffus, 8 b
Les piliers, les sveltes arcades, 8 a
Hélas ! penchent leurs fronts confus ; 8 b
85 Les forteresses écroulées, 8 c
Par la chèvre errante foulées, 8 c
Courbent leurs têtes de granit ; 8 d
Restes qu'on aime et qu'on vénère ! 8 e
L'aigle à leurs tours suspend son aire, 8 e
90 L'hirondelle y cache son nid. 8 d
« Comme cet oiseau de passage, 8 a
Le poète, dans tous les temps, 8 b
Chercha, de voyage en voyage, 8 a
Les ruines et le printemps. 8 b
95 Ces débris, chers à la patrie, 8 c
Lui parlent de chevalerie ; 8 c
La gloire habite leurs néants ; 8 b
Les héros peuplent ces décombres ; — 8 d
Si ce ne sont plus que des ombres, 8 d
100 Ce sont des ombres de géants ! 8 b
« Ô Français ! respectons ces restes ! 8 a
Le ciel bénit les fils pieux 8 b
Qui gardent, dans leurs jours funestes, 8 a
L'héritage de leurs aïeux. 8 b
105 Comme une gloire dérobée, 8 c
Comptons chaque pierre tombée ; 8 c
Que le temps suspende sa loi ; 8 d
Rendons les Gaules à la France, 8 e
Les souvenirs à l'espérance, 8 e
110 Les vieux palais au jeune roi !… » 8 d
II
— Tais-toi, lyre ! Silence, ô lyre du poète ! 6+6 a
Ah ! laisse en paix tomber ces débris glorieux 6+6 b
Au gouffre où nul ami, dans sa douleur muette, 6+6 a
Ne les suivra longtemps des yeux ! 8 b
115 Témoins que les vieux temps ont laissés dans notre âge, 6+6 c
Gardiens d'un passé qu'on outrage, 8 c
Ah ! fuyez ce siècle ennemi ! 8 d
Croulez, restes sacrés, ruines solennelles ! 6+6 e
Pourquoi veiller encor, dernières sentinelles 6+6 e
120 D'un camp, pour jamais endormi ? 8 d
Ou plutôt, — que du temps la marche soit hâe. 6+6 a
Quoi donc ! n'avons-nous point parmi nous ces héros 6+6 b
Qui chassèrent les rois de leur tombe insultée, 6+6 a
Que les morts ont eu pour bourreaux ? 8 b
125 Honneur à ces vaillants que notre orgueil renomme ! 6+6 c
Gloire à ces braves ! Sparte et Rome 8 c
Jamais n'ont vu d'exploits plus beaux ! 8 d
Gloire ! ils ont triomphé de ces funèbres pierres, 6+6 e
Ils ont brisé des os, dispersé des poussières ! 6+6 e
130 Gloire ! ils ont proscrit des tombeaux ! 8 d
Quel Dieu leur inspira ces travaux intrépides ? 6+6 a
Tout joyeux du néant par leurs soins découvert, 6+6 b
Peut-être ils ne voulaient que des sépulcres vides, 6+6 a
Comme ils n'avaient qu'un ciel désert ? 8 b
135 Ou, domptant les respects dont la mort nous fascine, 6+6 c
Leur main peut-être, en sa racine, 8 c
Frappait quelque auguste arbrisseau ; 8 d
Et, courant en espoir à d'autres hécatombes, 6+6 e
Leur sublime courage, en attaquant ces tombes, 6+6 e
140 S'essayait à vaincre un berceau ?… 8 d
Qu'ils viennent maintenant, que leur foule s'élance, 6+6 a
Qu'ils se rassemblent tous, ces soldats aguerris ! 6+6 b
Voilà des ennemis dignes de leur vaillance : 6+6 a
Des ruines et des débris. 8 b
145 Qu'ils entrent sans effroi sous ces portes ouvertes ; 6+6 c
Qu'ils assiègent ces tours désertes ; 8 c
Un tel triomphe est sans dangers. 8 d
Mais qu'ils n'éveillent pas les preux de ces murailles ; 6+6 e
Ces ombres qui jadis ont gagné des batailles 6+6 e
150 Les prendraient pour des étrangers ! 8 d
Ce siècle entre les temps veut être solitaire. 6+6 a
Allons ! frappez ces murs, des ans encor vainqueurs. 6+6 b
Non, qu'il ne reste rien des vieux jours sur la terre ; 6+6 a
Il n'en reste rien dans nos cœurs. 8 b
155 Cet héritage immense, où nos gloires s'entassent, 6+6 c
Pour les nouveaux peuples qui passent, 8 c
Est trop pesant à soutenir ; 8 d
Il retarde leurs pas, qu'un même élan ordonne. 6+6 e
Que nous fait le passé ? Du temps que Dieu nous donne 6+6 e
160 Nous ne gardons que l'avenir. 8 d
Qu'on ne nous vante plus nos crédules ancêtres ! 6+6 a
Ils voyaient leurs devoirs où nous voyons nos droits. 6+6 b
Nous avons nos vertus. Nous égorgeons les prêtres, 6+6 a
Et nous assassinons les rois. — 8 b
165 Hélas ! il est trop vrai, l'antique honneur de France, 6+6 c
La Foi, sœur de l'humble Espérance, 8 c
Ont fui notre âge infortuné ; 8 d
Des anciennes vertus le crime a pris la place ; 6+6 e
Il cache leurs sentiers, comme la ronce efface 6+6 e
170 Le seuil d'un temple abandonné. 8 d
Quand de ses souvenirs la France dépouillée, 6+6 a
Hélas ! aura perdu sa vieille majesté, 6+6 b
Lui disputant encor quelque pourpre souillée, 6+6 a
Ils riront de sa nudité ! 8 b
175 Nous, ne profanons point cette mère sacrée ; 6+6 c
Consolons sa gloire éplorée, 8 c
Chantons ses astres éclipsés. 8 d
Car notre jeune muse, affrontant l'anarchie, 6+6 e
Ne veut pas secouer sa bannière, blanchie 6+6 e
180 De la poudre des temps passés. 8 d
mètre profils métriques : 8, 6+6
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