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C = clitique
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F = "e" féminin
| = césure
HUG_8/HUG19
Victor HUGO
Odes et Ballades
1826
ODES
LIVRE PREMIER
1818-1822
ODE QUATRIÈME
QUIBERON
Pudor inde et miseratio.
TACITE.
I
Par ses propres fureurs | le Maudit se dévoile, 6+6 a
Dans le Démon vainqueur | on voit l'ange proscrit ; 6+6 b
L'anathème éternel, | qui poursuit son étoile, 6+6 a
Dans ses succès même est écrit. 8 b
5 Il est, lorsque des cieux | nous oublions la voie, 6+6 c
Des jours, que Dieu sans doute envoie 8 c
Pour nous rappeler les enfers ; 8 d
Jours sanglants qui, voués | au triomphe du crime, 6+6 e
Comme d'affreux rayons | échappés de l'abîme, 6+6 e
10 Apparaissent sur l'univers. 8 d
Poètes qui toujours, | loin du siècle où nous sommes, 6+6 a
Chantres des pleurs sans fin | et des maux mérités, 6+6 b
Cherchez des attentats | tels que la voix des hommes 6+6 a
N'en ait point encor racontés, 8 b
15 Si quelqu'un vient à vous | vantant la jeune France, 6+6 c
Nos exploits, notre tolérance, 8 c
Et nos temps féconds en bienfaits, 8 d
Soyez contents ; lisez | nos récentes histoires, 6+6 e
Évoquez nos vertus, | interrogez nos gloires : 6+6 e
20 Vous pourrez choisir des forfaits ! 8 d
Moi, je n'ai point reçu | de la Muse funèbre 6+6 a
Votre lyre de bronze, | Ô chantres des remords ! 6+6 b
Mais je voudrais flétrir | les bourreaux qu'on célèbre, 6+6 a
Et venger la cause des morts. 8 b
25 Je voudrais, un moment, | troublant l'impur Génie, 6+6 c
Arrêter sa gloire impunie 8 c
Qu'on pousse à l'immortalité ; 8 d
Comme autrefois un grec, | malgré les vents rapides, 6+6 e
Seul, retint de ses bras, | de ses dents intrépides, 6+6 e
30 L'esquif sur les mers emporté ! 8 d
II
Quiberon vit jadis, | sur son bord solitaire, 6+6 a
Des Français assaillis | s'apprêter à mourir, 6+6 b
Puis, devant les deux chefs, | l'airain fumant se taire, 6+6 a
Et les rangs désarmés s'ouvrir. 8 b
35 Pour sauver ses soldats | l'un d'eux offrit sa tête ; 6+6 c
L'autre accepta cette conquête, 8 c
De leur traité gage inhumain ; 8 d
Et nul guerrier ne crut | sa promesse frivole, 6+6 e
Car devant les drapeaux, | témoins de leur parole, 6+6 e
40 Tous deux s'étaient donné la main ! 8 d
La phalange fidèle | alors livra ses armes. 6+6 a
Ils marchaient ; une armée | environnait leurs pas, 6+6 b
Et le peuple accourait, | en répandant des larmes, 6+6 a
Voir ces preux, sauvés du trépas. 8 b
45 Ils foulaient en vaincus | les champs de leurs ancêtres ; 6+6 c
Ce fut un vieux temple, sans prêtres, 8 c
Qui reçut ces vengeurs des rois ; 8 d
Mais l'humble autel manquait | à la pieuse enceinte, 6+6 e
Et, pour se consoler, | dans cette prison sainte, 6+6 e
50 Leurs yeux en vain cherchaient la croix. 8 d
Tous prièrent ensemble, | et, d'une voix plaintive, 6+6 a
Tous, se frappant le sein, | gémirent à genoux. 6+6 b
Un seul ne pleurait pas | dans la tribu captive : 6+6 a
C'était lui qui mourait pour tous ; 8 b
55 C'était Sombreuil, leur chef ; | jeune et plein d'espérance, 6+6 c
L'heure de son trépas s'avance ; 8 c
Il la salue avec ferveur. 8 d
Le supplice, entouré | des apprêts funéraires, 6+6 e
Est beau pour un chrétien | qui, seul, va pour ses frères 6+6 e
60 Expirer, semblable au Sauveur. 8 d
« Oh ! cessez, disait-il, | ces larmes, ces reproches, 6+6 a
Guerriers ; votre salut | prévient tant de douleurs ! 6+6 b
Combien à votre mort | vos amis et vos proches, 6+6 a
Hélas ! auraient versé de pleurs ! 8 b
65 Je romps avec vos fers | mes chaînes éphémères ; 6+6 c
À vos épouses, à vos mères, 8 c
Conservez vos jours précieux. 8 d
On vous rendra la paix, | la liberté, la vie ; 6+6 e
Tout ce bonheur n'a rien | que mon cœur vous envie ; 6+6 e
70 Vous, ne m'enviez pas les cieux. » 8 d
Le sinistre tambour | sonna l'heure dernière, 6+6 a
Les bourreaux étaient prêts ; | on vit Sombreuil partir. 6+6 b
La sœur ne fut point là | pour leur ravir le frère, — 6+6 a
Et le héros devint martyr. 8 b
75 L'exhortant de la voix | et de son saint exemple, 6+6 c
Un évêque, exilé du temple, 8 c
Le suivit au funeste lieu ; 8 d
Afin que le vainqueur | vît, dans son camp rebelle, 6+6 e
Mourir, près d'un soldat | à son prince fidèle, 6+6 e
80 Un prêtre fidèle à son Dieu ! 8 d
III
Vous pour qui s'est versé | le sang expiatoire, 6+6 a
Bénissez le Seigneur, | louez l'heureux Sombreuil ; 6+6 b
Celui qui monte au ciel, | brillant de tant de gloire, 6+6 a
N'a pas besoin de chants de deuil ! 8 b
85 Bannis, on va vous rendre | enfin une patrie ; 6+6 c
Captifs, la liberté chérie 8 c
Se montre à vous dans l'avenir. 8 d
Oui, de vos longs malheurs | chantez la fin prochaine ; 6+6 e
Vos prisons vont s'ouvrir, | on brise votre chaîne ; 6+6 e
90 Chantez ! votre exil va finir. 8 d
En effet, — des cachots | la porte à grand bruit roule, 6+6 a
Un étendard paraît, | qui flotte ensanglanté ; 6+6 b
Des chefs et des soldats | l'environnent en foule, 6+6 a
En invoquant la Liberté ! 8 b
95 « Quoi ! disaient les captifs, | déjà l'on nous délivre !… » 6+6 c
Quelques-uns s'empressent de suivre 8 c
Les bourreaux devenus meilleurs. 8 d
« Adieu, leur criait-on, | adieu, plus de souffrance ; 6+6 e
Nous nous reverrons tous, | libres, dans notre France ! » 6+6 e
100 Ils devaient se revoir ailleurs. 8 d
Bientôt, jusqu'aux prisons | des captifs en prières, 6+6 a
Arrive un sourd fracas, | par l'écho répété : 6+6 b
C'étaient leurs fiers vainqueurs | qui délivraient leurs frères, 6+6 a
Et qui remplissaient leur traité ! 8 b
105 Sans troubler les proscrits, | ce bruit vint les surprendre ; 6+6 c
Aucun d'eux ne savait comprendre 8 c
Qu'on pût se jouer des serments ; 8 d
Ils disaient aux soldats : | « Votre foi nous protège ; » 6+6 e
Et, pour toute réponse, | un lugubre cortège 6+6 e
110 Les traîna sur des corps fumants ! 8 d
Le jour fit place à l'ombre | et la nuit à l'aurore, 6+6 a
Hélas ! et, pour mourir | traversant la cité, 6+6 b
Les crédules proscrits | passaient, passaient encore, 6+6 a
Aux yeux du peuple épouvanté ! 8 b
115 Chacun d'eux racontait, | brûlant d'un saint délire, 6+6 c
À ses compagnons de martyre 8 c
Les malheurs qu'il avait soufferts ; 8 d
Tous succombaient sans peur, | sans faste, sans murmure, 6+6 e
Regrettant seulement | qu'il fallût un parjure, 6+6 e
120 Pour les immoler dans les fers. 8 d
À coups multipliés | la hache abat les chênes. 6+6 a
Le vil chasseur, dans l'antre | ignoré du soleil, 6+6 b
Égorge lentement | le lion dont ses chaînes 6+6 a
Ont surpris le noble sommeil. 8 b
125 On massacra longtemps | la tribu sans défense. 6+6 c
À leur mort assistait la France, 8 c
Jouet des bourreaux triomphants ; 8 d
Comme jadis, aux pieds | des idoles impures, 6+6 e
Tour à tour, une veuve, | en de longues tortures, 6+6 e
130 Vit expirer ses sept enfants. 8 d
C'étaient là les vertus | d'un Sénat qu'on nous vante ! 6+6 a
Le sombre Esprit du mal | sourit en le créant ; 6+6 b
Mais ce corps aux cent bras, | fort de notre épouvante, 6+6 a
En son sein portait son néant. 8 b
135 Le colosse de fer | s'est dissous dans la fange. 6+6 c
L'Anarchie, alors que tout change, 8 c
Pense voir ses œuvres durer ; 8 d
Mais ce Pygmalion, | dans ses travaux frivoles, 6+6 e
Ne peut donner la vie | aux horribles idoles 6+6 e
140 Qu'il se fait pour les adorer. 8 d
IV
On dit que, de nos jours, | viennent, versant des larmes, 6+6 a
Prier au champ fatal | où ces preux sont tombés, 6+6 b
Les vierges, les soldats | fiers de leurs jeunes armes, 6+6 a
Et les vieillards lents et courbés. 8 b
145 Du ciel sur les bourreaux | appelant l'indulgence, 6+6 c
Là, nul n'implore la vengeance, 8 c
Tous demandent le repentir ; 8 d
Et chez ces vieux Bretons, | témoins de tant de crimes, 6+6 e
Le pèlerin, qui vient | invoquer les victimes, 6+6 e
150 Souvent lui-même est un martyr ! 8 d
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