Métrique en Ligne
HUG_8/HUG18
Victor HUGO
Odes et Ballades
1826
ODES
LIVRE PREMIER
1818-1822
ODE TROISIÈME
LES VIERGES DE VERDUN
Le prêtre portera l'étole blanche et noire
Lorsque les saints flambeaux pour vous s'allumeront ;
Et, de leurs longs cheveux voilant leurs fronts d'ivoire,
Les jeunes filles pleureront.
A. GUIRAUD.
I
Pourquoi m'apportez-vous ma lyre, 8 a
Spectres légers ? — que voulez-vous ? 8 b
Fantastiques beautés, ce lugubre sourire 6+6 a
M'annonce-t-il votre courroux ? 8 b
5 Sur vos écharpes éclatantes 8 c
Pourquoi flotte à longs plis ce crêpe menaçant ? 6+6 d
Pourquoi sur des festons ces chaînes insultantes, 6+6 c
Et ces roses, teintes de sang ? 8 d
Retirez-vous : rentrez dans les sombres abîmes 6+6 a
10 Ah ! que me montrez-vous ?… quels sont ces trois tombeaux ? 6+6 b
Quel est ce char affreux, surchargé de victimes ? 6+6 a
Quels sont ces meurtriers, couverts d'impurs lambeaux ? 6+6 b
J'entends des chants de mort, j'entends des cris de fête. 6+6 c
Cachez-moi le char qui s'arrête !… 8 c
15 Un fer lentement tombe à mes regards troublés ; — 6+6 d
J'ai vu couler du sang… Est-il bien vrai, parlez, 6+6 d
Qu'il ait rejailli sur ma tête ? 8 c
Venez-vous dans mon âme éveiller le remord ? 6+6 a
Ce sang… je n'en suis point coupable ! 8 b
20 Fuyez, vierges ; fuyez, famille déplorable 6+6 b
Lorsque vous n'étiez plus, je n'étais pas encor ! 6+6 a
Qu'exigez-vous de moi ? J'ai pleuré vos misères ; 6+6 c
Dois-je donc expier les crimes de mes pères ? 6+6 c
Pourquoi troublez-vous mon repos ? 8 d
25 Pourquoi m'apportez-vous ma lyre frémissante ? 6+6 e
Demandez-vous des chants à ma voix innocente, 6+6 e
Et des remords à vos bourreaux ? 8 d
II
Sous des murs entourés de cohortes sanglantes, 6+6 a
Siège le sombre tribunal. 8 b
30 L'accusateur se lève, et ses lèvres tremblantes 6+6 a
S'agitent d'un rire infernal. 8 b
C'est Tinville : on le voit, au nom de la patrie, 6+6 c
Convier aux forfaits cette horde flétrie 6+6 c
D'assassins, juges à leur tour ; 8 d
35 Le besoin du sang le tourmente ; 8 e
Et sa voix homicide à la hache fumante 6+6 e
Désigne les têtes du jour. 8 d
Il parle : — ses licteurs vers l'enceinte fatale 6+6 a
Traînent les malheureux que sa fureur signale ; 6+6 a
40 Les portes devant eux s'ouvrent avec fracas ; 6+6 b
Et trois vierges, de grâce et de pudeur parées, 6+6 c
De leurs compagnes entourées, 8 c
Paraissent parmi les soldats. 8 b
Le peuple, qui se tait, frémit de son silence ; 6+6 d
45 Il plaint son esclavage en plaignant leurs malheurs, 6+6 e
Et repose sur l'innocence 8 d
Ses regards las du crime et troublés par ses pleurs. 6+6 e
Eh quoi ! quand ces beautés, lâchement accusées, 6+6 a
Vers ces juges de mort s'avançaient dans les fers, 6+6 b
50 Ces murs n'ont pas, croulant sous leurs voûtes brisées, 6+6 a
Rendu les monstres aux enfers ! 8 b
Que faisaient nos guerriers ?… Leur vaillance trompée 6+6 c
Prêtait au vil couteau le secours de l'épée ; 6+6 c
Ils sauvaient ces bourreaux qui souillaient leurs combats. 6+6 d
55 Hélas ! un même jour, jour d'opprobre et de gloire, 6+6 e
Voyait Moreau monter au char de la victoire. 6+6 e
Et son père au char du trépas ! 8 d
Quand nos chefs, entourés des armes étrangères, 6+6 a
Couvrant nos cyprès de lauriers, 8 b
60 Vers Paris lentement reportaient leurs bannières, 6+6 a
Frédéric sur Verdun dirigeait ses guerriers. 6+6 b
Verdun, premier rempart de la France opprimée, 6+6 c
D'un roi libérateur crut saluer l'armée. 6+6 c
En vain tonnaient d'horribles lois ; 8 d
65 Verdun se revêtit de sa robe de fête, 6+6 e
Et, libre de ses fers, vint offrir sa conquête 6+6 e
Au monarque vengeur des rois. 8 d
Alors, Vierges, vos mains (ce fut là votre crime !) 6+6 a
Des festons de la joie ornèrent les vainqueurs. 6+6 b
70 Ah ! pareilles à la victime, 8 a
La hache à vos regards se cachait sous des fleurs. 6+6 b
Ce n'est pas tout ; hélas ! sans chercher la vengeance, 6+6 c
Quand nos bannis, bravant la mort et l'indigence, 6+6 c
Combattaient nos tyrans encor mal affermis, 6+6 d
75 Vos nobles cœurs ont plaint de si nobles misères ; 6+6 e
Votre or a secouru ceux qui furent nos frères 6+6 e
Et n'étaient pas nos ennemis ! 8 d
Quoi ! ce trait glorieux, qui trahit leur belle âme, 6+6 a
Sera donc l'arrêt de leur mort ! 8 b
80 Mais non, l'Accusateur, que leur aspect enflamme, 6+6 a
Tressaille d'un honteux transport. 8 b
Il veut, Vierges, au prix d'un affreux sacrifice, 6+6 c
En taisant vos bienfaits, vous ravir au supplice ; 6+6 c
Il croit vos chastes cœurs par la crainte abattus. 6+6 d
85 Du mépris qui le couvre acceptez le partage, 6+6 e
Souillez-vous d'un forfait, l'infâme aréopage 6+6 e
Vous absoudra de vos vertus ! 8 d
Répondez-moi, Vierges timides ; 8 a
Qui, d'un si noble orgueil arma ces yeux si doux ? 6+6 b
90 Dites, qui fit rouler dans vos regards humides 6+6 a
Les pleurs généreux du courroux ? 8 b
Je le vois à votre courage : 8 c
Quand l'oppresseur qui vous outrage 8 c
N'eût pas offert la honte en offrant son bienfait, 6+6 d
95 Coupables de pitié pour des Français fidèles, 6+6 e
Vous n'auriez pas voulu, devant des lois cruelles, 6+6 e
Nier un si noble forfait ! 8 d
C'en est donc fait ; déjà sous la lugubre enceinte 6+6 a
A retenti l'arrêt dicté par la fureur. 6+6 b
100 Dans un muet murmure, étouffé par la crainte, 6+6 a
Le peuple, qui l'écoute, exhale son horreur. 6+6 b
Regagnez des cachots les sinistres demeures, 6+6 c
Ô Vierges ! encor quelques heures 8 c
Ah ! priez sans effroi, votre âme est sans remord. 6+6 d
105 Coupez ces longues chevelures, 8 e
Où la main d'une mère enlaçait des fleurs pures, 6+6 e
Sans voir qu'elle y mêlait les pavots de la mort ! 6+6 d
Bientôt ces fleurs encor pareront votre tête ; 6+6 a
Les anges vous rendront ces symboles touchants ; 6+6 b
110 Votre hymne de trépas sera l'hymne de fête 6+6 a
Que les Vierges du ciel rediront dans leurs chants. 6+6 b
Vous verrez près de vous, dans ces chœurs d'innocence, 6+6 c
Charlotte, autre Judith, qui vous vengea d'avance ; 6+6 c
Cazotte ; Élisabeth, si malheureuse en vain ; 6+6 d
115 Et Sombreuil, qui trahit par ses pâleurs soudaines 6+6 e
Le sang glacé des morts circulant dans ses veines ; 6+6 e
Martyres, dont l'encens plaît au Martyr divin ! 6+6 d
III
Ici, devant mes yeux erraient des lueurs sombres 6+6 a
Des visions troublaient mes sens épouvantés ; 6+6 b
120 Les Spectres sur mon front balançaient dans les ombres 6+6 a
De longs linceuls ensanglantés. 8 b
Les trois tombeaux, le char, les échafauds funèbres, 6+6 c
M'apparurent dans les ténèbres ; 8 c
Tout rentra dans la nuit des siècles révolus ; 6+6 d
125 Les vierges avaient fui vers la naissante aurore ; 6+6 e
Je me retrouvai seul, et je pleurais encore 6+6 e
Quand ma lyre ne chantait plus ! 8 d
mètre profils métriques : 8, 6+6
forme globale type : suite périodique
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