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HUG_7/HUG635
Victor HUGO
Les Chansons des rues et des bois
1865
LIVRE PREMIER
JEUNESSE
V
SILHOUETTES DU TEMPS JADIS
II
ÉCRIT EN 1827
I
Je suis triste quand je vois l'homme. 8 a
Le vrai décroît dans les esprits. 8 b
L'ombre qui jadis noya Rome 8 a
Commence à submerger Paris. 8 b
5 Les rois sournois, de peur des crises, 8 a
Donnent aux peuples un calmant. 8 b
Ils font des boîtes à surprises 8 a
Qu'ils appellent charte et serment. 8 b
Hélas ! nos anges sont vampires ; 8 a
10 Notre albâtre vaut le charbon ; 8 b
Et nos meilleurs seraient les pires 8 a
D'un temps qui ne serait pas bon. 8 b
Le juste ment, le sage intrigue ; 8 a
Notre douceur, triste semblant, 8 b
15 N'est que la peur de la fatigue 8 a
Qu'on aurait d'être violent. 8 b
Notre austérité frelatée 8 a
N'admet ni Hampden ni Brutus ; 8 b
Le syllogisme de l'athée 8 a
20 Est à l'aise dans nos vertus. 8 b
Sur l'honneur mort la honte flotte. 8 a
On voit, prompt à prendre le pli, 8 b
Se recomposer en ilote 8 a
Le Spartiate démoli. 8 b
25 Le ciel blêmit ; les fronts végètent ; 8 a
Le pain du travailleur est noir ; 8 b
Et des prêtres insulteurs jettent 8 a
De la fange avec l'encensoir. 8 b
C'est à peine, ô sombres années ! 8 a
30 Si les yeux de l'homme obscurcis, 8 b
L'aube et la raison condamnées, 8 a
Obtiennent de l'ombre un sursis. 8 b
Le passé règne ; il nous menace ; 8 a
Le trône est son premier sujet ; 8 b
35 Âpre, il remet sa dent tenace 8 a
Sur l'esprit humain qu'il rongeait. 8 b
Le prince est bonhomme ; la rue 8 a
Est pourtant sanglante. — Bravo ! 8 b
Dit Dracon.La royauté grue 8 a
40 Monte sur le roi soliveau. 8 b
Les actions sont des cloaques, 8 a
Les consciences des égouts ; 8 b
L'un vendrait la France aux cosaques, 8 a
L'autre vendrait l'âme aux hiboux. 8 b
45 La religion sombre emploie 8 a
Pour le sang, la guerre et le fer, 8 b
Les textes du ciel qu'elle ploie 8 a
Au sens monstrueux de l'enfer. 8 b
La renommée aux vents répète 8 a
50 Des noms impurs soir et matin, 8 b
Et l'on peut voir à sa trompette 8 a
De la salive d'Arétin. 8 b
La fortune, reine enivrée, 8 a
De ce vieux Paris, notre aïeul, 8 b
55 Lui met une telle livrée 8 a
Qu'on préférerait le linceul. 8 b
La victoire est une drôlesse ; 8 a
Cette vivandière au flanc nu 8 b
Rit de se voir mener en laisse 8 a
60 Par le premier goujat venu. 8 b
Point de Condés, des La Feuillades ; 8 a
Mars et Vénus dans leur clapier ; 8 b
Je n'admire point les œillades 8 a
De cette fille à ce troupier. 8 b
65 Partout l'or sur la pourriture, 8 a
L'idéal en proie aux moqueurs, 8 b
Un abaissement de stature 8 a
D'accord avec la nuit des cœurs. 8 b
II
Mais tourne le dos, ma pensée ! 8 a
70 Viens ; les bois sont d'aube empourprés ; 8 b
Sois de la fête ; la rosée 8 a
T'a promise à la fleur des prés. 8 b
Quitte Paris pour la feuillée. 8 a
Une haleine heureuse est dans l'air ; 8 b
75 La vaste joie est réveillée ; 8 a
Quelqu'un rit dans le grand ciel clair. 8 b
Viens sous l'arbre aux voix étouffées, 8 a
Viens dans les taillis pleins d'amour 8 b
Où la nuit vont danser les fées 8 a
80 Et les paysannes le jour. 8 b
Viens, on t'attend dans la nature. 8 a
Les martinets sont revenus ; 8 b
L'eau veut te conter l'aventure 8 a
Des bas ôtés et des pieds nus. 8 b
85 C'est la grande orgie ingénue 8 a
Des nids, des ruisseaux, des forêts, 8 b
Des rochers, des fleurs de la nue ; 8 a
La rose a dit que tu viendrais. 8 b
Quitte Paris. La plaine est verte ; 8 a
90 Le ciel, cherché des yeux en pleurs, 8 b
Au bord de sa fenêtre ouverte 8 a
Met avril, ce vase de fleurs. 8 b
L'aube a voulu, l'aube superbe, 8 a
Que pour toi le champ s'animât. 8 b
95 L'insecte est au bout du brin d'herbe 8 a
Comme un matelot au grand mât. 8 b
Que t'importe Fouché de Nantes 8 a
Et le prince de Bénévent ! 8 b
Les belles mouches bourdonnantes 8 a
100 Emplissent l'azur et le vent. 8 b
Je ne comprends plus tes murmures 8 a
Et je me déclare content 8 b
Puisque voilà les fraises mûres 8 a
Et que l'iris sort de l'étang. 8 b
III
105 Fuyons avec celle que j'aime. 8 a
Paris trouble l'amour. Fuyons. 8 b
Perdons-nous dans l'oubli suprême 8 a
Des feuillages et des rayons. 8 b
Les bois sont sacrés ; sur leurs cimes 8 a
110 Resplendit le joyeux été ; 8 b
Et les forêts sont des abîmes 8 a
D'allégresse et de liberté. 8 b
Toujours les cœurs les plus moroses 8 a
Et les cerveaux les plus boudeurs 8 b
115 Ont vu le bon côté des choses 8 a
S'éclairer dans les profondeurs. 8 b
Tout reluit ; le matin rougeoie ; 8 a
L'eau brille ; on court dans le ravin ; 8 b
La gaieté monte sur la joie 8 a
120 Comme la mousse sur le vin. 8 b
La tendresse sort des corolles ; 8 a
Le rosier a l'air d'un amant. 8 b
Comme on éclate en choses folles, 8 a
Et comme on parle innocemment ! 8 b
125 Ô fraîcheur du rire ! ombre pure ! 8 a
Mystérieux apaisement ! 8 b
Dans l'immense lueur obscure 8 a
On s'emplit d'éblouissement. 8 b
Adieu les vains soucis funèbres ! 8 a
130 On ne se souvient que du beau. 8 b
Si toute la vie est ténèbres, 8 a
Toute la nature est flambeau. 8 b
Qu'ailleurs la bassesse soit grande, 8 a
Que l'homme soit vil et bourbeux, 8 b
135 J'en souris, pourvu que j'entende 8 a
Une clochette au cou des bœufs. 8 b
Il est bien certain que les sources, 8 a
Les arbres pleins de doux ébats, 8 b
Les champs, sont les seules ressources 8 a
140 Que l'âme humaine ait ici-bas. 8 b
Ô solitude, tu m'accueilles 8 a
Et tu m'instruis sous le ciel bleu ; 8 b
Un petit oiseau sous les feuilles, 8 a
Chantant, suffit à prouver Dieu. 8 b
mètre profil métrique : 8
forme globale type : suite périodique
schéma : 36(abab)
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