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| = césure
HUG_7/HUG634
Victor HUGO
Les Chansons des rues et des bois
1865
LIVRE PREMIER
JEUNESSE
V
SILHOUETTES DU TEMPS JADIS
I
LE CHÊNE DU PARC DÉTRUIT
I
— Ne me plains pas, me dit l'arbre, 7 a
Autrefois, autour de moi, 7 b
C'est vrai, tout était de marbre, 7 a
Le palais comme le roi. 7 b
5 Je voyais la splendeur fière 7 a
Des frontons pleins de Césars, 7 b
Et de grands chevaux de pierre 7 a
Qui se cabraient sous des chars. 7 b
J'apercevais des Hercules, 7 a
10 Des Hébés et des Psychés, 7 b
Dans les vagues crépuscules 7 a
Que font les rameaux penchés. 7 b
Je voyais jouer la reine ; 7 a
J'entendais les hallalis ; 7 b
15 Comme grand seigneur et chêne, 7 a
J'étais de tous les Marlys. 7 b
Je voyais l'alcôve auguste 7 a
Où le dauphin s'accomplit, 7 b
Leurs majestés jusqu'au buste, 7 a
20 Lauzun caché sous le lit. 7 b
J'ai vu les nobles broussailles ; 7 a
J'étais du royal jardin ; 7 b
J'ai vu Lachaise à Versailles 7 a
Comme Satan dans Éden. 7 b
25 Une grille verrouillée, 7 a
Duègne de fer, me gardait ; 7 b
Car la campagne est souillée 7 a
Par le bœuf et le baudet, 7 b
L'agriculture est abjecte, 7 a
30 L'herbe est vile, et vous saurez 7 b
Qu'un arbre qui se respecte 7 a
Tient à distance les prés. 7 b
Ainsi parlait sous mes voûtes 7 a
Le bon goût, sobre et direct, 7 b
35 J'étais loin des grandes routes 7 a
Où va le peuple, incorrect. 7 b
Le goût fermait ma clôture ; 7 a
Car c'est pour lui l'A B C 7 b
Que, dans l'art et la nature, 7 a
40 Tout soit derrière un fossé. 7 b
II
J'ai vu les cœurs peu rebelles, 7 a
Les grands guerriers tourtereaux, 7 b
Ce qu'on appelait les belles, 7 a
Ce qu'on nommait les héros. 7 b
45 Ces passants et ces passantes 7 a
Éveillaient mon grondement. 7 b
Mes branches sont plus cassantes 7 a
Qu'on ne croit communément. 7 b
Ces belles, qu'on loue en masse, 7 a
50 Erraient dans les verts préaux 7 b
Sous la railleuse grimace 7 a
De Tallemant des Réaux. 7 b
Le héros, grand sous le prisme, 7 a
Était prudent et boudeur, 7 b
55 Et mettait son héroïsme 7 a
À la chaîne en sa grandeur. 7 b
Dans la guerre meurtrière, 7 a
Le prince avait le talent 7 b
D'être tiré par-derrière 7 a
60 Par quelque Boileau tremblant. 7 b
La raison d'État est grave ; 7 a
Il s'y faisait, par moment, 7 b
De crainte d'être trop brave, 7 a
Attacher solidement. 7 b
III
65 J'ai vu comment, d'une patte, 7 a
En ce siècle sans pareil, 7 b
On épouse un cul-de-jatte, 7 a
Et de l'autre, le soleil. 7 b
J'ai vu comment grince et rôde, 7 a
70 Loin des pages polissons, 7 b
L'auteur valet qui maraude 7 a
Des rimes dans les buissons. 7 b
Ces poètes à rhingraves 7 a
Étaient hautains et hideux ; 7 b
75 C'étaient des Triboulets graves ; 7 a
Ils chantaient ; et chacun d'eux, 7 b
Pourvu d'un honnête lucre, 7 a
De sa splendeur émaillait 7 b
Le Parnasse en pain de sucre 7 a
80 Fait par Titon du Tillet. 7 b
Ces êtres, tordant la bouche, 7 a
Jetant leurs voix en éclats, 7 b
Prenaient un air très farouche 7 a
Pour faire des vers très plats. 7 b
85 Dans Marly qui les tolère, 7 a
Ils marchaient hagards, nerveux, 7 b
Les poings crispés, l'œil colère, 7 a
Leur phrase dans leurs cheveux. 7 b
À Lavallière boiteuse 7 a
90 Ils donnaient Chypre et Paphos ; 7 b
Et leur phrase était menteuse, 7 a
Et leurs cheveux étaient faux. 7 b
IV
Toujours, même en un désastre, 7 a
Les yeux étaient éblouis, 7 b
95 Le grand Louis, c'était l'astre ; 7 a
Dieu, c'était le grand Louis. 7 b
Bossuet était fort pleutre, 7 a
Racine inclinait son vers ; 7 b
Corneille seul, sous son feutre, 7 a
100 Regardait Dieu de travers. 7 b
Votre race est ainsi faite ; 7 a
Et le monde est à son gré 7 b
Pourvu qu'elle ait sur sa tête 7 a
Un olympe en bois doré. 7 b
105 La Fontaine offrait ses fables ; 7 a
Et, soudain, autour de lui, 7 b
Les courtisans, presque affables, 7 a
Les ducs au sinistre ennui, 7 b
Les Bâvilles, les Fréneuses, 7 a
110 Les Tavannes teints de sang, 7 b
Les altesses vénéneuses, 7 a
L'affreux chandelier glissant, 7 b
Les Louvois nés pour proscrire, 7 a
Les vils Chamillards rampants, 7 b
115 Gais, tournaient leur noir sourire 7 a
Vers ce charmeur de serpents. 7 b
V
Dans le parc froid et superbe, 7 a
Rien de vivant ne venait ; 7 b
On comptait les brins d'une herbe 7 a
120 Comme les mots d'un sonnet. 7 b
Plus de danse, plus de ronce ; 7 a
Comme tout diminuait ! 7 b
Le Nôtre fit le quinconce 7 a
Et Lulli le menuet. 7 b
125 Les ifs, que l'équerre hébète, 7 a
Semblaient porter des rabats ; 7 b
La fleur faisait la courbette, 7 a
L'arbre mettait chapeau bas. 7 b
Pour saluer dans les plaines 7 a
130 Le Phébus sacré dans Reims, 7 b
On donnait aux pauvres chênes 7 a
Des formes d'alexandrins. 7 b
La forêt, tout écourtée, 7 a
Avait l'air d'un bois piteux 7 b
135 Qui pousse sous la dictée 7 a
De monsieur l'abbé Batteux. 7 b
VI
Les rois criaient : Qu'on fracasse, 7 a
Et qu'on pille ! Et l'on pillait. 7 b
À leurs pieds la Dédicace, 7 a
140 Muse en carte, souriait. 7 b
Cette muse préalable, 7 a
Habile à brûler l'encens 7 b
Même le moins vraisemblable, 7 a
Tirait la manche aux passants, 7 b
145 En gardant le seuil d'ivoire 7 a
Du dieu du sacré vallon, 7 b
Vendait pour deux sous de gloire 7 a
À la porte d'Apollon. 7 b
On traquait les calvinistes. 7 a
150 Moi, parmi tous ces fléaux, 7 b
J'avais dans mes branches tristes 7 a
Le peigne de Despréaux. 7 b
J'ai vu ce siècle notoire 7 a
Où la Maintenon sourit, 7 b
155 Si blanche qu'on la peut croire 7 a
Femelle du Saint-Esprit. 7 b
Quelle féroce colombe ! 7 a
J'ai vu frémir d'Aubigné 7 b
Quand sur son nom, dans sa tombe, 7 a
160 L'édit de Nante a saigné. 7 b
Tout s'offrait au roi : les armes, 7 a
Les amours, les cœurs, les corps ; 7 b
La femme vendait ses charmes, 7 a
Le magistrat ses remords. 7 b
165 La cour, peinte par Brantôme, 7 a
Reparaît pour Saint-Simon. 7 b
Derrière le roi fantôme 7 a
Rit le confesseur démon. 7 b
VII
Tout ce temps-là m'importune. 7 a
170 Des fadeurs, ou des venins. 7 b
La grandeur de leur fortune 7 a
Rapetisse encor ces nains. 7 b
On a le faux sur la nuque ; 7 a
Il règne bon gré mal gré ; 7 b
175 Après un siècle en perruque 7 a
Arrive un siècle poudré. 7 b
La poudre à flots tourbillonne 7 a
Sur le bon peuple sans pain. 7 b
Voici qu'à Scapiglione 7 a
180 Succède Perlinpinpin. 7 b
L'art se poudre ; c'est la mode. 7 a
Voltaire, au fond peu loyal, 7 b
Offre à Louis quinze une ode 7 a
Coiffée à l'oiseau royal. 7 b
185 La monarchie est bouffonne ; 7 a
La pensée a des bâillons ; 7 b
Au-dessus de tout, plafonne 7 a
Un règne en trois cotillons. 7 b
Un beau jour s'ouvre une trappe ; 7 a
190 Tout meurt ; le sol a cédé. 7 b
Comme un voleur qui s'échappe, 7 a
Ce monde s'est évadé. 7 b
Ces rois, ce bruit, cette fête, 7 a
Tout cela s'est effacé 7 b
195 Pendant qu'autour de ma tête 7 a
Quelques mouches ont passé. 7 b
VIII
Moi je suis content ; je rentre 7 a
Dans l'ombre du Dieu jaloux ; 7 b
Je n'ai plus la cour, j'ai l'antre : 7 a
200 J'avais des rois, j'ai des loups. 7 b
Je redeviens le vrai chêne. 7 a
Je croîs sous les chauds midis ; 7 b
Quatre-vingt-neuf se déchaîne 7 a
Dans mes rameaux enhardis. 7 b
205 Trianon vieux sent le rance. 7 a
Je renais au grand concert ; 7 b
Et j'appelle délivrance 7 a
Ce que vous nommez désert. 7 b
La reine eut l'épaule haute, 7 a
210 Le grand dauphin fut pied-bot ; 7 b
J'aime mieux Gros-Jean qui saute 7 a
Librement dans son sabot. 7 b
Je préfère aux Léonores 7 a
Qu'introduisaient les Dangeaux, 7 b
215 Les bons gros baisers sonores 7 a
De mes paysans rougeauds. 7 b
Je préfère les grands souffles, 7 a
Les bois, les champs, fauve abri, 7 b
L'horreur sacrée, aux pantoufles 7 a
220 De madame Dubarry. 7 b
Je suis hors des esclavages ; 7 a
Je dis à la honte : Assez ! 7 b
J'aime mieux les fleurs sauvages 7 a
Que les gens apprivoisés. 7 b
225 Les hommes sont des ruines ; 7 a
Je préfère, ô beau printemps, 7 b
Tes fiertés pleines d'épines 7 a
À ces déshonneurs contents. 7 b
J'ai perdu le Roquelaure 7 a
230 Jasant avec la Boufflers ; 7 b
Mais je vois plus d'aube éclore 7 a
Dans les grands abîmes clairs. 7 b
J'ai perdu monsieur le nonce, 7 a
Et le monde officiel, 7 b
235 Et d'Antin ; mais je m'enfonce 7 a
Toujours plus avant au ciel. 7 b
Décloîtré, je fraternise 7 a
Avec les rustres souvent. 7 b
Je vois donner par Denise 7 a
240 Ce que Célimène vend. 7 b
Plus de fossé ; rien n'empêche, 7 a
À mes pieds, sur mon gazon, 7 b
Que Suzon morde à sa pêche, 7 a
Et Mathurin à Suzon. 7 b
245 Solitaire, j'ai mes joies. 7 a
J'assiste, témoin vivant, 7 b
Dans les sombres claires-voies, 7 a
Aux aventures du vent. 7 b
Parfois dans les primevères 7 a
250 Court quelque enfant de quinze ans ; 7 b
Mes vieilles ombres sévères 7 a
Aiment ces yeux innocents. 7 b
Rien ne pare un paysage, 7 a
Sous l'éternel firmament, 7 b
255 Comme une fille humble et sage 7 a
Qui soupire obscurément. 7 b
La fille aux fleurs de la berge 7 a
Parle dans sa belle humeur, 7 b
Et j'entends ce que la vierge 7 a
260 Dit dans l'ombre à la primeur. 7 b
J'assiste au germe, à la sève, 7 a
Aux nids où s'ouvrent des yeux, 7 b
À tout cet immense rêve 7 a
De l'hymen mystérieux. 7 b
265 J'assiste aux couples sans nombre, 7 a
Au viol, dans le ravin, 7 b
De la grande pudeur sombre 7 a
Par le grand amour divin. 7 b
J'assiste aux fuites rapides 7 a
270 De tous ces baisers charmants. 7 b
L'onde a des cœurs dans ses rides ; 7 a
Les souffles sont des amants. 7 b
Cette allégresse est sacrée, 7 a
Et la nature la veut. 7 b
275 On croit finir, et l'on crée. 7 a
On est libre, et c'est le nœud. 7 b
J'ai pour jardinier la pluie, 7 a
L'ouragan pour émondeur ; 7 b
Je suis grand sous Dieu ; j'essuie 7 a
280 Ma cime à la profondeur. 7 b
L'hiver froid est sans rosée ; 7 a
Mais, quand vient avril vermeil, 7 b
Je sens la molle pesée 7 a
Du printemps sur mon sommeil. 7 b
285 Je la sens mieux, étant libre. 7 a
J'ai ma part d'immensité. 7 b
La rentrée en équilibre, 7 a
Ami, c'est la liberté. 7 b
Je suis, sous le ciel qui brille, 7 a
290 Pour la reprise des droits 7 b
De la forêt sur la grille, 7 a
Et des peuples sur les rois. 7 b
Dieu, pour que l'Éden repousse, 7 a
Frais, tendre, un peu sauvageon, 7 b
295 Presse doucement du pouce 7 a
Ce globe, énorme bourgeon. 7 b
Plus de roi. Dieu me pénètre. 7 a
Car il faut, retiens cela, 7 b
Pour qu'on sente le vrai maître, 7 a
300 Que le faux ne soit plus là. 7 b
Il met, lui, l'unique père, 7 a
L'Éternel toujours nouveau, 7 b
Avec ce seul mot : Espère, 7 a
Toute l'ombre de niveau. 7 b
305 Plus de caste. Un ver me touche, 7 a
L'hysope aime mon orteil. 7 b
Je suis l'égal de la mouche, 7 a
Étant l'égal du soleil. 7 b
Adieu le feu d'artifice 7 a
310 Et l'illumination. 7 b
J'en ai fait le sacrifice. 7 a
Je cherche ailleurs le rayon. 7 b
D'augustes apothéoses, 7 a
Me cachant les cieux jadis, 7 b
315 Remplaçaient, dans des feux roses, 7 a
Jéhovah par Amadis. 7 b
On emplissait la clairière 7 a
De ces lueurs qui, soudain, 7 b
Font sur les pieds de derrière 7 a
320 Dresser dans l'ombre le daim. 7 b
La vaste voûte sereine 7 a
N'avait plus rien qu'on pût voir, 7 b
Car la girandole gêne 7 a
L'étoile dans l'arbre noir. 7 b
325 Il sort des feux de Bengale 7 a
Une clarté dans les bois, 7 b
Fière, et qui n'est point l'égale 7 a
De l'âtre des villageois. 7 b
Nous étions, chêne, orme et tremble, 7 a
330 Traités en pays conquis 7 b
Où se débraillent ensemble 7 a
Les pétards et les marquis. 7 b
La forêt, comme agrandie 7 a
Par les feux et les zéphirs, 7 b
335 Avait l'air d'un incendie 7 a
De rubis et de saphirs. 7 b
On offrait au prince, au maître, 7 a
Beau, fier, entouré d'archers, 7 b
Ces lumières, sœurs peut-être 7 a
340 De la torche des bûchers. 7 b
Cent mille verroteries 7 a
Jetaient, flambant à l'air vif, 7 b
Dans le ciel des pierreries 7 a
Et sur la terre du suif. 7 b
345 Une gloire verte et bleue, 7 a
Qu'assaisonnait quelque effroi, 7 b
Faisait là-haut une queue 7 a
De paon en l'honneur du roi. 7 b
Aujourd'hui,c'est un autre âge, 7 a
350 Et les flambeaux sont changeants, 7 b
Je n'ai plus d'autre éclairage 7 a
Que le ciel des pauvres gens. 7 b
Je reçois dans ma feuillée, 7 a
Sombre, aux mille trous vermeils, 7 b
355 La grande nuit étoilée, 7 a
Populace de soleils. 7 b
Des planètes inconnues 7 a
Poussent sur mon dôme obscur, 7 b
Et je tiens pour bien venues 7 a
360 Ces coureuses de l'azur. 7 b
Je n'ai plus les pots de soufre 7 a
D'où sortaient les visions ; 7 b
Je me contente du gouffre 7 a
Et des constellations. 7 b
365 Je déroge, et la nature, 7 a
Foule de rayons et d'yeux, 7 b
M'attire dans sa roture, 7 a
Pêle-mêle avec les cieux. 7 b
Cependant tout ce qui reste, 7 a
370 Dans l'herbe où court le vanneau 7 b
Et que broute l'âne agreste, 7 a
Du royal siècle a giorno ; 7 b
Tout ce qui reste des gerbes, 7 a
De Jupin, de Sémélé, 7 b
375 Des dieux, des gloires superbes, 7 a
Un peu de carton brûlé ; 7 b
Dans les ronces paysannes, 7 a
Au milieu des vers luisants, 7 b
Les chandelles courtisanes, 7 a
380 Et les lustres courtisans ; 7 b
Les vieilles splendeurs brisées, 7 a
Les ifs, nobles espions, 7 b
Leurs altesses les fusées, 7 a
Messeigneurs les lampions ; 7 b
385 Tout ce beau monde me raille, 7 a
Éteint, orgueilleux et noir ; 7 b
J'en ris, et je m'encanaille 7 a
Avec les astres le soir. 7 b
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