Métrique en Ligne
HUG_7/HUG615
Victor HUGO
Les Chansons des rues et des bois
1865
LIVRE PREMIER
JEUNESSE
II
LES COMPLICATIONS DE L'IDÉAL
IX
SENIOR EST JUNIOR
I
Comme de la source on dévie ! 8 a
Qu'un petit-fils ressemble peu ! 8 b
Tacite devient Soulavie. 8 a
Hercle se change en Palsembleu. 8 b
5 La lyre a fait les mandolines ; 8 a
Minos a procréé Séguier ; 8 b
La première des crinolines 8 a
Fut une feuille de figuier. 8 b
L'amour pour nous n'est présentable 8 a
10 Qu'ivre, coiffé de son bandeau, 8 b
Sa petite bedaine à table ; 8 a
L'antique amour fut buveur d'eau. 8 b
La Bible, en ses épithalames, 8 a
Bénit l'eau du puits large et rond. 8 b
15 L'homme ancien ne comprend les femmes 8 a
Qu'avec des cruches sur le front. 8 b
Agar revient de la fontaine, 8 a
Sephora revient du torrent, 8 b
Sans chanter tonton mirontaine, 8 a
20 Le front sage, et l'œil ignorant. 8 b
La citerne est l'entremetteuse 8 a
Du grave mariage hébreu. 8 b
Le diable l'emplit et la creuse ; 8 a
Dieu dans cette eau met le ciel bleu. 8 b
25 Beaux jours. Cantique des cantiques ! 8 a
Oh ! les charmants siècles naïfs ! 8 b
Comme ils sont jeunes, ces antiques ! 8 a
Les Baruchs étaient les Baïfs. 8 b
C'est le temps du temple aux cent marches, 8 a
30 Et de Ninive, et des sommets 8 b
Où les anges aux patriarches 8 a
Offraient, pensifs, d'étranges mets. 8 b
Ézéchiel en parle encore ; 8 a
Le ciel s'inquiétait de Job ; 8 b
35 On entendait Dieu dès l'aurore 8 a
Dire : As-tu déjeuné, Jacob ? 8 b
II
Paix et sourire à ces temps calmes ! 8 a
Les nourrices montraient leurs seins ; 8 b
Et l'arbre produisait des palmes, 8 a
40 Et l'homme produisait des saints. 8 b
Nous sommes loin de ces amphores 8 a
Ayant pour anses deux bras blancs, 8 b
Et de ces cœurs, mêlés d'aurores, 8 a
Allant l'un vers l'autre à pas lents. 8 b
45 L'antique passion s'apaise. 8 a
Nous sommes un autre âge d'or. 8 b
Aimer, c'est vieux. Rosine pèse 8 a
Bartholo, puis compte Lindor. 8 b
Moins simples, nous sommes plus sages. 8 a
50 Nos amours sont une forêt 8 b
Où, vague, au fond des paysages, 8 a
La Banque de France apparaît. 8 b
III
Rhodope, la reine d'Égypte, 8 a
Allait voir Amos dans son trou, 8 b
55 Respects du dôme pour la crypte, 8 a
Visite de l'astre au hibou, 8 b
Et la pharaonne superbe 8 a
Était contente chez Amos 8 b
Si la roche offrait un peu d'herbe 8 a
60 Aux longues lèvres des chameaux. 8 b
Elle l'adorait satisfaite, 8 a
Sans demander d'autre faveur, 8 b
Pendant que le morne prophète 8 a
Bougonnait dans un coin, rêveur. 8 b
65 Amestris, la Ninon de Thèbe, 8 a
Avait à son char deux griffons ; 8 b
Elle était semblable à l'Érèbe 8 a
À cause de ses yeux profonds. 8 b
Pour qu'avec un tendre sourire 8 a
70 Elle vînt jusqu'à son chenil, 8 b
Le mage Oxus à l'hétaïre 8 a
Offrait un rat sacré du Nil. 8 b
Un antre traversé de poutres 8 a
Avec des clous pour accrocher 8 b
75 Des peaux saignantes et des outres, 8 a
Telle était la chambre à coucher. 8 b
Près de Sarah, Jod le psalmiste 8 a
Dormait là sur le vert genêt, 8 b
Chargeant quelque hyène alarmiste 8 a
80 D'aboyer si quelqu'un venait. 8 b
Phur, pontife des Cinq Sodomes, 8 a
Fut un devin parlant aux vents, 8 b
Un voyant parmi les fantômes, 8 a
Un borgne parmi les vivants ; 8 b
85 Pour un lotus bleu, don inepte, 8 a
La blonde Starnabuzaï 8 b
Le recevait, comme on accepte 8 a
Un abbé qui n'est point haï. 8 b
Ségor, bonze à la peau brûlée, 8 a
90 Nu dans les bois, lascif, bourru, 8 b
Maigre, invitait Penthésilée 8 a
À grignoter un oignon cru. 8 b
Chramnès, prêtre au temple d'Électre, 8 a
Demeurant, en de noirs pays, 8 b
95 Dans un sépulcre avec un spectre, 8 a
Conviait à souper Thaïs. 8 b
Thaïs venait, et cette belle, 8 a
Coupe en main, le roc pour chevet, 8 b
Ayant le prêtre à côté d'elle 8 a
100 Et le spectre en face, buvait. 8 b
Dans ce passé crépusculaire, 8 a
Les femmes se laissaient charmer 8 b
Par les gousses d'ail et l'eau claire 8 a
Dont se composait l'Art d'Aimer. 8 b
IV
105 Nos phyllyres, nos Gloriantes, 8 a
Nos Lydés aux cheveux flottants 8 b
Ont fait beaucoup de variantes 8 a
À ce programme des vieux temps. 8 b
Aujourd'hui monsignor Nonotte 8 a
110 N'entre chez Blanche au cœur d'acier 8 b
Qu'après avoir payé la note 8 a
Qu'elle peut avoir chez l'huissier. 8 b
Aujourd'hui le roi de Bavière 8 a
N'est admis chez doña Carmen 8 b
115 Que s'il apporte une rivière, 8 a
De fort belle eau, dans chaque main. 8 b
Les belles que sous son feuillage 8 a
Retient Bade aux flots non bourbeux, 8 b
Ne vont point dans ce vieux village 8 a
120 Pour voir des chariots à bœufs. 8 b
Sans argent, Bernis en personne, 8 a
Balbutiant son quos ego, 8 b
Tremble au moment où sa main sonne 8 a
À la porte de Camargo. 8 b
125 D'Ems à Cythère, quel fou rire 8 a
Si Hafiz, fumant son chibouck, 8 b
Prétendait griser Sylvanire 8 a
Avec du vin de peau de bouc ! 8 b
V
Le cœur ne fait plus de bêtises. 8 a
130 Avoir des chèques est plus doux 8 b
Que d'aller sous les frais cytises 8 a
Verdir dans l'herbe ses genoux. 8 b
Le soir mettre sous clef des piastres 8 a
Cause à l'âme un plus tendre émoi 8 b
135 Qu'une rencontre sous les astres 8 a
Disant à voix basse : Est-ce toi ? 8 b
Rien n'enchante plus une amante 8 a
Et n'échauffe mieux un cœur froid 8 b
Qu'une pile d'or qui s'augmente 8 a
140 Pendant que la pudeur décroît. 8 b
Les amours actuels abondent 8 a
En combinaisons d'échiquiers. 8 b
Doit, Avoir. Nos bergères tondent 8 a
Moins de moutons que de banquiers. 8 b
145 Le cœur est le compteur suprême. 8 a
La femme enfin a deviné 8 b
L'effrayant pouvoir de Barême 8 a
Ayant le torse de Phryné. 8 b
Tout en chantant Schubert et Webre, 8 a
150 Elle en vient à réaliser 8 b
L'application de l'algèbre 8 a
À l'amour, à l'âme, au baiser. 8 b
Berthe a l'air vierge ; on la vénère ; 8 a
Dans l'azur du rêve elle a lu 8 b
155 Que parfois un millionnaire, 8 a
Lourd, vient se prendre à cette glu. 8 b
Pour soulager un peu les riches 8 a
De leur argent, pesant amas, 8 b
Il sied que Paris ait les biches 8 a
160 Et Londres les anonymas. 8 b
VI
À tant l'heure l'éventail joue. 8 a
C'est plus cher si l'œil est plus vif. 8 b
À Daphnis présentant sa joue 8 a
Chloé présente son tarif. 8 b
165 Pasithée, Anna, Circélyre, 8 a
Lise au front mollement courbé, 8 b
Palmyre en pleurs, Berthe en délire, 8 a
S'amourachent par A +plus Bbé. 8 b
Leurs instincts ne sont point volages. 8 a
170 Les mains ouvertes, en rêvant, 8 b
Toutes contemplent des feuillages 8 a
De bank-notes, tremblant au vent. 8 b
On a ces belles, on les dompte, 8 a
On est des jeunes gens altiers, 8 b
175 Vivons ! et l'on sort d'Amathonte 8 a
Par le corridor des dettiers. 8 b
Dans tel et tel théâtre bouffe, 8 a
La musique vive et sans art 8 b
Des écus et des sous étouffe 8 a
180 Les cavatines de Mozart. 8 b
Les chanteuses sont ainsi faites 8 a
Qu'on est parfois, sous le rideau, 8 b
Dévalisé par les fauvettes, 8 a
Dans la forêt de Calzado. 8 b
VII
185 Sue un rouble par chaque pore, 8 a
Sinon, porte ton cœur plutôt 8 b
Au tigre noir de Singapore 8 a
Qu'à Flora, qu'embaume Botot. 8 b
Femme de cire, Catherine 8 a
190 Glacée, et douce à tout venant, 8 b
S'offre, et d'un buste de vitrine 8 a
Elle a le sourire tournant. 8 b
Oh ! ces marchandes de jeunesse ! 8 a
Stella vend ses soupirs ardents, 8 b
195 Luz vend son rire de faunesse 8 a
Cassant des noix avec ses dents. 8 b
Rose est pensive ; Alba la brune 8 a
Est l'asphodèle de Sion ; 8 b
Glycéris semble au clair de lune 8 a
200 La blancheur dans la vision ; 8 b
Regardez, c'est Paula, c'est Laure, 8 a
C'est Phœbé ; dix-huit ans, vingt ans ; 8 b
Voyez ; les jeunes sont l'aurore 8 a
Et les vieilles sont le printemps. 8 b
205 Leur sein attend, frais comme un songe, 8 a
Effleuré par leurs cheveux blonds, 8 b
Que Samuel Bernard y plonge 8 a
Son poing brutal plein de doublons. 8 b
Au-dessus du juif qui prospère, 8 a
210 Par le plafond ouvert, descend 8 b
Le petit Cupidon, grand-père 8 a
De tous les baisers d'à présent. 8 b
VII
La nuit, la femme tend sa toile. 8 a
Tous ses chiffres sont en arrêt, 8 b
215 Non pour dépister une étoile, 8 a
Mais pour découvrir Turcaret. 8 b
C'est la sombre calculatrice ; 8 a
Elle a la ruse du dragon ; 8 b
Elle est fée ; et c'est en Jocrisse 8 a
220 Qu'elle transfigure Harpagon. 8 b
Elle compose ses trophées 8 a
De vins bus, de brelans carrés, 8 b
Et de bouteilles décoiffées, 8 a
Et de financiers dédorés. 8 b
225 Et puis, tout change et tourne en elle ; 8 a
L'aile de Cupidon connaît 8 b
Ses sens, son cœur, sa tête, et l'aile 8 a
Des moulins connaît son bonnet. 8 b
Sa vie est un bruyant poème ; 8 a
230 On songe, on rit, point de souci, 8 b
Et les verres sont de Bohême, 8 a
Et les buveurs en sont aussi. 8 b
Ce monstre adorable et terrible 8 a
Ne dis pas Toujours, mais Encor ! 8 b
235 Et, rempli de nos cœurs, son crible 8 a
Ne laisse passer que notre or. 8 b
Hélas ! pourquoi ces laideurs basses 8 a
S'imprimant toutes à la fois, 8 b
Dieu profond ! sur ces jeunes grâces 8 a
240 Faites pour chanter dans les bois ! 8 b
IX
Buvez ! riez !moi je m'obstine 8 a
Aux songes de l'amour ancien ; 8 b
Je sens en moi l'âme enfantine 8 a
D'Homère, vieux musicien. 8 b
245 Je vis aux champs ; j'aime et je rêve ; 8 a
Je suis bucolique et berger ; 8 b
Je dédie aux dents blanches d'Ève 8 a
Tous les pommiers de mon verger. 8 b
Je m'appelle Amyntas, Mnasyle, 8 a
250 Qui vous voudrez ; je dis : Croyons. 8 b
Pensons, aimons ! et je m'exile 8 a
Dans les parfums et les rayons. 8 b
À peine en l'idylle décente 8 a
Entend-on le bruit d'un baiser. 8 b
255 La prairie est une innocente 8 a
Qu'il ne faut point scandaliser. 8 b
Tout en soupirant comme Horace, 8 a
Je vois ramper dans le champ noir, 8 b
Avec des reflets de cuirasse, 8 a
260 Les grands socs qu'on traîne le soir. 8 b
J'habite avec l'arbre et la plante ; 8 a
Je ne suis jamais fatigué 8 b
De regarder la marche lente 8 a
Des vaches qui passent le gué. 8 b
265 J'entends, debout sur quelque cime, 8 a
Le chant qu'un nid sous un buisson 8 b
Mêle au blêmissement sublime 8 a
D'un lever d'astre à l'horizon. 8 b
Je suis l'auditeur solitaire ; 8 a
270 Et j'écoute en moi, hors de moi, 8 b
Le Je ne sais qui du mystère 8 a
Murmurant le Je ne sais quoi. 8 b
J'aime l'aube ardente et rougie, 8 a
Le midi, les cieux éblouis, 8 b
275 La flamme, et j'ai la nostalgie 8 a
Du soleil, mon ancien pays. 8 b
Le matin, toute la nature 8 a
Vocalise, fredonne, rit, 8 b
Je songe. L'aurore est si pure, 8 a
280 Et les oiseaux ont tant d'esprit ! 8 b
Tout chante, geai, pinson, linotte, 8 a
Bouvreuil, alouette au zénith, 8 b
Et la source ajoute sa note, 8 a
Et le vent parle, et Dieu bénit. 8 b
285 J'aime toute cette musique, 8 a
Ces refrains, jamais importuns, 8 b
Et le bon vieux plain-chant classique 8 a
Des chênes aux capuchons bruns. 8 b
Je vous mets au défi de faire 8 a
290 Une plus charmante chanson 8 b
Que l'eau vive où Jeanne et Néère 8 a
Trempent leurs pieds dans le cresson. 8 b
mètre profil métrique : 8
forme globale type : suite périodique
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