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HUG_7/HUG599
Victor HUGO
Les Chansons des rues et des bois
1865
I
LE CHEVAL
Je l'avais saisi par la bride ; 8 a
Je tirais, les poings dans les nœuds, 8 b
Ayant dans les sourcils la ride 8 a
De cet effort vertigineux. 8 b
5 C'était le grand cheval de gloire, 8 a
Né de la mer comme Astarté, 8 b
À qui l'aurore donne à boire 8 a
Dans les urnes de la clarté ; 8 b
L'alérion aux bonds sublimes, 8 a
10 Qui se cabre, immense, indompté, 8 b
Plein du hennissement des cimes, 8 a
Dans la bleue immortalité. 8 b
Tout génie, élevant sa coupe, 8 a
Dressant sa torche, au fond des cieux, 8 b
15 Superbe, a passé sur la croupe 8 a
De ce monstre mystérieux. 8 b
Les poètes et les prophètes, 8 a
Ô terre, tu les reconnais 8 b
Aux brûlures que leur ont faites 8 a
20 Les étoiles de son harnais. 8 b
Il souffle l'ode, l'épopée, 8 a
Le drame, les puissants effrois, 8 b
Hors des fourreaux les coups d'épée, 8 a
Les forfaits hors du cœur des rois. 8 b
25 Père de la source sereine, 8 a
Il fait du rocher ténébreux 8 b
Jaillir pour les Grecs Hippocrène 8 a
Et Raphidim pour les Hébreux. 8 b
Il traverse l'Apocalypse ; 8 a
30 Pâle, il a la mort sur son dos. 8 b
Sa grande aile brumeuse éclipse 8 a
La lune devant Ténédos. 8 b
Le cri d'Amos, l'humeur d'Achille 8 a
Gonfle sa narine et lui sied ; 8 b
35 La mesure du vers d'Eschyle, 8 a
C'est le battement de son pied. 8 b
Sur le fruit mort il penche l'arbre, 8 a
Les mères sur l'enfant tombé ; 8 b
Lugubre, il fait Rachel de marbre, 8 a
40 Il fait de pierre Niobé. 8 b
Quand il part, l'idée est sa cible ; 8 a
Quand il se dresse, crins au vent, 8 b
L'ouverture de l'impossible 8 a
Luit sous ses deux pieds de devant. 8 b
45 Il défie Éclair à la course ; 8 a
Il a le Pinde, il aime Endor ; 8 b
Fauve, il pourrait relayer l'Ourse 8 a
Qui traîne le Chariot d'or. 8 b
Il plonge au noir zénith ; il joue 8 a
50 Avec tout ce qu'on peut oser ; 8 b
Le zodiaque, énorme roue, 8 a
A failli parfois l'écraser. 8 b
Dieu fit le gouffre à son usage. 8 a
Il lui faut les cieux non frayés, 8 b
55 L'essor fou, l'ombre, et le passage 8 a
Au-dessus des pics foudroyés. 8 b
Dans les vastes brumes funèbres 8 a
Il vole, il plane ; il a l'amour 8 b
De se ruer dans les ténèbres 8 a
60 Jusqu'à ce qu'il trouve le jour. 8 b
Sa prunelle sauvage et forte 8 a
Fixe sur l'homme, atome nu, 8 b
L'effrayant regard qu'on rapporte 8 a
De ces courses dans l'inconnu. 8 b
65 Il n'est docile, il n'est propice 8 a
Qu'à celui qui, la lyre en main, 8 b
Le pousse dans le précipice, 8 a
Au-delà de l'esprit humain. 8 b
Son écurie, où vit la fée, 8 a
70 Veut un divin palefrenier ; 8 b
Le premier s'appelait Orphée ; 8 a
Et le dernier, André Chénier. 8 b
Il domine notre âme entière ; 8 a
Ézéchiel sous le palmier 8 b
75 L'attend, et c'est dans sa litière 8 a
Que Job prend son tas de fumier. 8 b
Malheur à celui qu'il étonne 8 a
Ou qui veut jouer avec lui ! 8 b
Il ressemble au couchant d'automne 8 a
80 Dans son inexorable ennui. 8 b
Plus d'un sur son dos se déforme ; 8 a
Il hait le joug et le collier ; 8 b
Sa fonction est d'être énorme 8 a
Sans s'occuper du cavalier. 8 b
85 Sans patience et sans clémence, 8 a
Il laisse, en son vol effréné, 8 b
Derrière sa ruade immense 8 a
Malebranche désarçonné. 8 b
Son flanc ruisselant d'étincelles 8 a
90 Porte le reste du lien 8 b
Qu'ont tâché de lui mettre aux ailes 8 a
Despréaux et Quintilien. 8 b
Pensif, j'entraînais loin des crimes, 8 a
Des dieux, des rois, de la douleur, 8 b
95 Ce sombre cheval des abîmes 8 a
Vers le pré de l'idylle en fleur. 8 b
Je le tirais vers la prairie 8 a
Où l'aube, qui vient s'y poser, 8 b
Fait naître l'églogue attendrie 8 a
100 Entre le rire et le baiser. 8 b
C'est là que croît, dans la ravine 8 a
Où fuit Plaute, où Racan se plaît, 8 b
L'épigramme, cette aubépine, 8 a
Et ce trèfle, le triolet. 8 b
105 C'est là que l'abbé Chaulieu prêche, 8 a
Et que verdit sous les buissons 8 b
Toute cette herbe tendre et fraîche 8 a
Où Segrais cueille ses chansons. 8 b
Le cheval luttait ; ses prunelles, 8 a
110 Comme le glaive et l'yatagan, 8 b
Brillaient ; il secouait ses ailes 8 a
Avec des souffles d'ouragan. 8 b
Il voulait retourner au gouffre ; 8 a
Il reculait, prodigieux, 8 b
115 Ayant dans ses naseaux le soufre 8 a
Et l'âme du monde en ses yeux. 8 b
Il hennissait vers l'invisible ; 8 a
Il appelait l'ombre au secours ; 8 b
À ses appels le ciel terrible 8 a
120 Remuait des tonnerres sourds. 8 b
Les bacchantes heurtaient leurs cistres, 8 a
Les sphinx ouvraient leurs yeux profonds ; 8 b
On voyait, à leurs doigts sinistres, 8 a
S'allonger l'ongle des griffons. 8 b
125 Les constellations en flamme 8 a
Frissonnaient à son cri vivant 8 b
Comme dans la main d'une femme 8 a
Une lampe se courbe au vent. 8 b
Chaque fois que son aile sombre 8 a
130 Battait le vaste azur terni, 8 b
Tous les groupes d'astres de l'ombre 8 a
S'effarouchaient dans l'infini. 8 b
Moi, sans quitter la plate-longe, 8 a
Sans le lâcher, je lui montrais 8 b
135 Le pré charmant, couleur de songe, 8 a
Où le vers rit sous l'antre frais. 8 b
Je lui montrais le champ, l'ombrage, 8 a
Les gazons par juin attiédis ; 8 b
Je lui montrais le pâturage 8 a
140 Que nous appelons paradis. 8 b
— Que fais-tu là ? me dit Virgile. 8 a
Et je répondis, tout couvert 8 b
De l'écume du monstre agile : 8 a
— Maître, je mets Pégase au vert. 8 b
mètre profil métrique : 8
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