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| = césure
HUG_6/HUG107
Victor HUGO
LES ORIENTALES
1829
V
Navarin
Hélas ! hélas ! nos vaisseaux
Hélas ! hélas ! sont détruits !
ESCHYLE, les Perses.
I
Canaris ! Canaris ! pleure ! cent vingt vaisseaux ! 6+6 a
Pleure ! une flotte entière ! — Où donc, démon des eaux, 6+6 a
Où donc était ta main hardie ? 8 b
Se peut-il que sans toi l'Ottoman succombât ? 6+6 c
5 Pleure comme Crillon exilé d'un combat : 6+6 c
Tu manquais à cet incendie ! 8 b
Jusqu'ici, quand parfois la vague de tes mers 6+6 a
Soudain s'ensanglantait, comme un lac des enfers, 6+6 a
D'une lueur large et profonde, 8 b
10 Si quelque lourd navire éclatait à nos yeux, 6+6 c
Couronné tout à coup d'une aigrette de feux, 6+6 c
Comme un volcan s'ouvrant dans l'onde ; 8 b
Si la lame roulait turbans, sabres courbés, 6+6 a
Voiles, tentes, croissants des mâts rompus tombés, 6+6 a
15 Vestiges de flotte et d'armée, 8 b
Pelisses de vizirs, sayons de matelots, 6+6 c
Rebuts stigmatisés de la flamme et des flots, 6+6 c
Blancs d'écume et noirs de fumée ; 8 b
Si partait de ces mers d'Égine ou d'Iolchos 6+6 a
20 Un bruit d'explosion, tonnant dans mille échos, 6+6 a
Et roulant au loin dans l'espace, 8 b
L'Europe se tournait vers le rouge Orient ; 6+6 c
Et, sur la poupe assis, le nocher souriant 6+6 c
Disait : — C'est Canaris qui passe ! 8 b
25 Jusqu'ici, quand brûlaient au sein des flots fumants 6+6 a
Les capitans-pachas avec leurs armements, 6+6 a
Leur flotte dans l'ombre engourdie, 8 b
On te reconnaissait à ce terrible jeu ; 6+6 c
Ton brûlot expliquait tous ces vaisseaux en feu ; 6+6 c
30 Ta torche éclairait l'incendie ! 8 b
Mais pleure aujourd'hui, pleure, on s'est battu sans toi ! 6+6 a
Pourquoi, sans Canaris, sur ces flottes, pourquoi 6+6 a
Porter la guerre et ses tempêtes ? 8 b
Du Dieu qui garde Hellé n'est-il plus le bras droit ? 6+6 c
35 On aurait dû l'attendre ! Et n'est-il pas de droit 6+6 c
Convive de toutes ces fêtes ? 8 b
II
Console-toi : la Grèce est libre. 8 a
Entre les bourreaux, les mourants, 8 b
L'Europe a remis l'équilibre ; 8 a
40 Console-toi : plus de tyrans ! 8 b
La France combat : le sort change. 8 c
Souffre que sa main qui vous venge 8 c
Du moins te dérobe en échange 8 c
Une feuille de ton laurier. 8 d
45 Grèces de Byron et d'Homère, 8 e
Toi, notre sœur, toi, notre mère, 8 e
Chantez ! si votre voix amère 8 e
Ne s'est pas éteinte à crier. 8 d
Pauvre Grèce ! qu'elle était belle 8 a
50 Pour être couchée au tombeau ! 8 b
Chaque vizir, de la rebelle 8 a
S'arrachait un sacré lambeau. 8 b
Où la fable mit ses Ménades, 8 c
Où l'amour eut ses sérénades, 8 c
55 Grondaient les sombres canonnades 8 c
Sapant les temples du vrai Dieu ; 8 d
Le ciel de cette terre aimée 8 e
N'avait, sous sa voûte embaumée, 8 e
De nuages que la fumée 8 e
60 De toutes ses villes en feu. 8 d
Voilà six ans qu'ils l'ont choisie ! 8 a
Six ans qu'on voyait accourir 8 b
L'Afrique au secours de l'Asie 8 a
Contre un peuple instruit à mourir ! 8 b
65 Ibrahim, que rien ne modère, 8 c
Vole de l'Isthme au Belvédère, 8 c
Comme un faucon qui n'a plus d'aire, 8 c
Comme un loup qui règne au bercail ; 8 d
Il court où le butin le tente, 8 e
70 Et lorsqu'il retourne à sa tente, 8 e
Chaque fois sa main dégouttante 8 e
Jette des têtes au sérail ! 8 d
III
Enfin ! — C'est Navarin, la ville aux maisons peintes, 6+6 a
La ville aux dômes d'or, la blanche Navarin, 6+6 b
75 Sur la colline assise entre les térébinthes, 6+6 a
Qui prête son beau golfe aux ardentes étreintes 6+6 a
De deux flottes heurtant leurs carènes d'airain. 6+6 b
Les voilà toutes deux ! — La mer en est chargée, 6+6 a
Prête à noyer leurs feux, prête à boire leur sang. 6+6 b
80 Chacune par son dieu semble au combat rane : 6+6 a
L'une s'étend en croix sur les flots allone ; 6+6 a
L'autre ouvre ses bras lourds et se courbe en croissant. 6+6 b
Ici l'Europe : enfin l'Europe qu'on déchaîne ! 6+6 a
Avec ses grands vaisseaux voguant comme des tours. 6+6 b
85 Là, l'Égypte des Turcs, cette Asie africaine, 6+6 a
Ces vivaces forbans, mal tués par Duquesne, 6+6 a
Qui mit en vain le pied sur ces nids de vautours ! 6+6 b
IV
Écoutez ! — Le canon gronde. 7 a
Il est temps qu'on lui réponde. 7 a
90 Le patient est le fort. 7 b
Éclatent donc les bordées ! 7 c
Sur ces nefs intimidées, 7 c
Frégates, jetez la mort ! 7 b
Et qu'au souffle de vos bouches, 7 d
95 Fondent ces vaisseaux farouches, 7 d
Broyés aux rochers du port ! 7 b
La bataille enfin s'allume : 7 a
Tout à la fois tonne et fume. 7 a
La mort vole où nous frappons. 7 b
100 Là, tout brûle pêle-mêle. 7 c
Ici, court le brûlot frêle, 7 c
Qui jette aux mâts ses crampons, 7 b
Et, comme un chacal dévore 7 d
L'éléphant qui lutte encore, 7 d
105 Ronge un navire à trois ponts. 7 b
— L'abordage ! l'abordage ! — 7 a
On se suspend au cordage ; 7 a
On s'élance des haubans. 7 b
La poupe heurte la proue. 7 c
110 La mêlée a dans sa roue 7 c
Rameurs courbés sur leurs bancs, 7 b
Fantassins pleurant la terre, 7 d
L'épée et le cimeterre, 7 d
Les casques et les turbans ! 7 b
115 La vergue aux vergues s'attache ; 7 a
La torche insulte à la hache ; 7 a
Tout s'attaque en même temps. 7 b
Sur l'abîme la mort nage. 7 c
Épouvantable carnage ! 7 c
120 Champs de bataille flottants, 7 b
Qui, battus de cent volées, 7 d
S'écroulent sous les mêlées, 7 d
Avec tous leurs combattants ! 7 b
V
Lutte horrible ! Ah ! quand l'homme, à l'étroit sur la terre, 6+6 a
125 Jusque sur l'Océan précipite la guerre, 6+6 a
Le sol tremble sous lui, tandis qu'il se débat. 6+6 b
La mer, la grande mer joue avec ses batailles. 6+6 c
Vainqueurs, vaincus, à tous elle ouvre ses entrailles : 6+6 c
Le naufrage éteint le combat. 8 b
130 Ô spectacle ! Tandis que l'Afrique grondante 6+6 a
Bat nos puissants vaisseaux de sa flotte imprudente, 6+6 a
Qu'elle épuise à leurs flancs sa rage et ses efforts, 6+6 b
Chacun d'eux, géant fier, sur ces hordes bruyantes, 6+6 c
Ouvrant à temps égaux ses gueules foudroyantes, 6+6 c
135 Vomit tranquillement la mort de tous ses bords ! 6+6 b
Tout s'embrase : voyez ! l'eau de cendre est see, 6+6 a
Le vent aux mâts en flamme arrache la fue, 6+6 a
Le feu sur les tillacs s'abat en ponts mouvants. 6+6 b
Déjà brûlent les nefs : déjà, sourde et profonde, 6+6 c
140 La flamme en leurs flancs noirs ouvre un passage à l'onde ; 6+6 c
Déjà, sur les ailes des vents, 8 b
L'incendie, attaquant la frégate amirale, 6+6 a
Déroule autour de mâts son ardente spirale, 6+6 a
Prend les marins hurlants dans ses brûlants réseaux, 6+6 b
145 Couronne de ses jets la poupe inabordable, 6+6 c
Triomphe, et jette au loin un reflet formidable 6+6 c
Qui tremble, élargissant ses cercles sur les eaux ! 6+6 b
VI
Où sont, enfants du Caire, 6 a
Ces flottes qui naguère 6 a
150 Emportaient à la guerre 6 a
Leurs mille matelots ? 6 b
Ces voiles, où sont-elles, 6 c
Qu'armaient les infidèles, 6 c
Et qui prêtaient leurs ailes 6 c
155 À l'ongle des brûlots ? 6 b
Où sont tes mille antennes, 6 a
Et tes hunes hautaines, 6 a
Et tes fiers capitaines, 6 a
Armada du sultan ? 6 b
160 Ta ruine commence, 6 c
Toi qui, dans ta démence, 6 c
Battais les mers, immense 6 c
Comme Léviathan ! 6 b
Le capitan qui tremble 6 a
165 Voit éclater ensemble 6 a
Ces chébecs que rassemble 6 a
Alger ou Tetuan. 6 b
Le feu vengeur embrasse 6 c
Son vaisseau dont la masse 6 c
170 Soulève, quand il passe, 6 c
Le fond de l'Océan. 6 b
Sur les mers irritées, 6 a
Dérivent, démâtées, 6 a
Nefs par les nefs heurtées, 6 a
175 Yachts aux mille couleurs, 6 b
Galères capitanes, 6 c
Caïques et tartanes 6 c
Qui portaient aux sultanes 6 c
Des têtes et des fleurs ! 6 b
180 Adieu, sloops intrépides, 6 a
Adieu, jonques rapides, 6 a
Qui sur les eaux limpides 6 a
Berçaient les icoglans ! 6 b
Adieu la goélette 6 c
185 Dont la vague reflète 6 c
Le flamboyant squelette, 6 c
Noir dans les feux sanglants ! 6 b
Adieu, la barcarolle 6 a
Dont l'humble banderole 6 a
190 Autour des vaisseaux vole, 6 a
Et qui, peureuse, fuit, 6 b
Quand du souffle des brises 6 c
Les frégates surprises, 6 c
Gonflant leurs voiles grises, 6 c
195 Déferlent à grand bruit ! 6 b
Adieu, la caravelle 6 a
Qu'une voile nouvelle 6 a
Aux yeux de loin révèle ; 6 a
Adieu, le dogre ailé, 6 b
200 Le brick dont les amures 6 c
Rendent de sourds murmures, 6 c
Comme un amas d'armures 6 c
Par le vent ébranlé. 6 b
Adieu, la brigantine 6 a
205 Dont la voile latine 6 a
Du flot qui se mutine 6 a
Fend les vallons amers ! 6 b
Adieu, la balancelle 6 c
Qui sur l'onde chancelle, 6 c
210 Et, comme une étincelle, 6 c
Luit sur l'azur des mers ! 6 b
Adieu, lougres difformes, 6 a
Galéaces énormes, 6 a
Vaisseaux de toutes formes, 6 a
215 Vaisseaux de tous climats, 6 b
L'yole aux triples flammes, 6 c
Les mahonnes, les prames, 6 c
La felouque à six rames, 6 c
La polacre à deux mâts ! 6 b
220 Chaloupes canonnières ! 6 a
Et lanches marinières 6 a
Où flottaient les bannières 6 a
Du pacha souverain ! 6 b
Bombardes que la houle, 6 c
225 Sur son front qui s'écroule, 6 c
Soulève, emporte et roule 6 c
Avec un bruit d'airain ! 6 b
Adieu, ces nefs bizarres, 6 a
Caraques et gabarres, 6 a
230 Qui de leurs cris barbares 6 a
Troublaient Chypre et Délos ! 6 b
Que sont donc devenues 6 c
Ces galères chenues ? 6 c
La mer les jette aux nues, 6 c
235 Le ciel les rend aux flots ! 6 b
VII
Silence ! Tout est fait : tout retombe à l'abîme. 6+6 a
L'écume des hauts mâts a recouvert la cime. 6+6 a
Des vaisseaux du sultan les flots se sont joués. 6+6 b
Quelques-uns, bricks rompus, prames désempaes, 6+6 c
240 Comme l'algue des eaux qu'apportent les maes, 6+6 c
Sur la grève noircie expirent échoués. 6+6 b
Ah ! c'est une victoire ! — Oui, l'Afrique défaite, 6+6 a
Le vrai Dieu sous ses pieds foulant le faux prophète, 6+6 a
Les tyrans, les bourreaux criant grâce ! à leur tour, 6+6 b
245 Ceux qui meurent enfin sauvés par ceux qui règnent, 6+6 c
Hellé lavant ses flancs qui saignent, 8 c
Et six ans vengés dans un jour ! 8 b
Depuis assez longtemps les peuples disaient : « Grèce ! 6+6 a
Grèce ! Grèce ! tu meurs. Pauvre peuple en détresse, 6+6 a
250 À l'horizon en feu chaque jour tu décrois. 6+6 b
En vain, pour te sauver, patrie illustre et chère, 6+6 c
Nous réveillons le prêtre endormi dans sa chaire, 6+6 c
En vain nous mendions une armée à nos rois. 6+6 b
« Mais les rois restent sourds, les chaires sont muettes. 6+6 a
255 Ton nom n'échauffe ici que des cœurs de poètes. 6+6 a
À la gloire, à la vie on demande tes droits ? 6+6 b
À la croix grecque, Hellé, ta valeur se confie 6+6 c
C'est un peuple qu'on crucifie ! 8 c
Qu'importe, hélas ! sur quelle croix ? 8 b
260 « Tes dieux s'en vont aussi. Parthénon, Propyes, 6+6 a
Murs de Grèce, ossements des villes muties, 6+6 a
Vous devenez une arme aux mains des mécréants. 6+6 b
Pour battre ses vaisseaux du haut des Dardanelles, 6+6 c
Chacun de vos débris, ruines solennelles, 6+6 c
265 Donne un boulet de marbre à leurs canons géants ! » 6+6 b
Qu'on change cette plainte en joyeuse fanfare ! 6+6 a
Une rumeur surgit de l'Isthme jusqu'au Phare. 6+6 a
Regardez ce ciel noir plus beau qu'un ciel serein. 6+6 b
Le vieux colosse turc sur l'Orient retombe, 6+6 c
270 La Grèce est libre, et dans la tombe 8 c
Byron applaudit Navarin. 8 b
Salut, donc, Albion, vieille reine des ondes ! 6+6 a
Salut, aigle des Czars, qui planes sur deux mondes ! 6+6 a
Gloire à nos fleurs de lis, dont l'éclat est si beau ! 6+6 b
275 L'Angleterre aujourd'hui reconnaît sa rivale. 6+6 c
Navarin la lui rend. Notre gloire navale 6+6 c
À cet embrasement rallume son flambeau. 6+6 b
Je te retrouve, Autriche ! — Oui, la voilà, c'est elle ! 6+6 a
Non, pas ici, mais là, — dans la flotte infidèle. 6+6 a
280 Parmi les rangs chrétiens en vain on te chercha. 6+6 b
Nous surprenons, honteuse et la tête penchée, 6+6 c
Ton aigle au double front cachée 8 c
Sous les crinières d'un pacha ! 8 b
C'est bien ta place, Autriche !On te voyait naguère 6+6 a
285 Briller près d'Ibrahim, ce Tamerlan vulgaire ; 6+6 a
Tu dépouillais les morts qu'il foulait en passant ; 6+6 b
Tu l'admirais, mêlée aux eunuques serviles, 6+6 c
Promenant au hasard sa torche dans les villes, 6+6 c
Horrible, et n'éteignant le feu qu'avec du sang. 6+6 b
290 Tu préférais ces feux aux clartés de l'aurore. 6+6 a
Aujourd'hui qu'à leur tour la flamme enfin dévore 6+6 a
Ses noirs vaisseaux, vomis des ports égyptiens, 6+6 b
Rouvre les yeux, regarde, Autriche abâtardie ! 6+6 c
Que dis-tu de cet incendie ? 8 c
295 Est-il aussi beau que les siens ? 8 b
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