Métrique en Ligne
HUG_5/HUG884
Victor HUGO
LA LÉGENDE DES SIÈCLES
DERNIÈRE SÉRIE
1883
XIII
L'AMOUR
En Grèce
Écoute, si tu veux, puisque nous nous aimons, 6+6 a
Nous allons tous les deux fuir par-delà les monts ; 6+6 a
Nous irons sous le ciel de Grèce, où sont les muses. 6+6 b
Tu verras, toi qu'un rien charme, toi qui t'amuses 6+6 b
5 Du vol d'un papillon, comment les aigles font 6+6 a
Quand ils planent autour du firmament profond ; 6+6 a
Tu verras par moments le fronton blanc d'un temple, 6+6 b
Avec la modestie auguste de l'exemple, 6+6 b
Se montrer à demi derrière un bois vermeil ; 6+6 a
10 Tu verras l'aloès étaler au soleil 6+6 a
Des petits lacs de pluie aux pointes de ses feuilles ; 6+6 b
Toi qui souvent, pensive et pure, te recueilles, 6+6 b
Toi qui soupires, toi qui songes, toi qui vois, 6+6 a
Tu prêteras l'oreille à de sauvages voix, 6+6 a
15 Et tu te pencheras sur des échos sublimes ; 6+6 b
Car c'est l'altier pays des gouffres et des cimes, 6+6 b
Belle, et le cœur de l'homme y devient oublieux 6+6 a
De tout ce qui n'est pas l'aurore et les hauts lieux ; 6+6 a
Et tu seras bien là, toi radieuse et fière ; 6+6 b
20 Tu seras à mon ombre et moi dans ta lumière. 6+6 b
Viens ; devant la splendeur de cet horizon bleu, 6+6 a
Nous sentirons en nous croître dans l'ombre un dieu ; 6+6 a
Viens ; nous nous aimerons dans ces fiers paysages 6+6 b
Comme s'aimaient jadis les belles et les sages, 6+6 b
25 Comme Socrate aimait Aspasie aux seins nus, 6+6 a
Comme Eschyle, le chantre immense, aimait Vénus, 6+6 a
Dans l'extase sereine et sainte, dans l'ivresse, 6+6 b
L'héroïsme, la joie et l'espoir ; car la Grèce, 6+6 b
Terre où dans le réel l'idéal se confond, 6+6 a
30 Seule, a de ces amours, avec l'Olympe au fond. 6+6 a
Oh ! l'amour, le superbe amour, c'est le mystère ! 6+6 b
Dieu manquerait au ciel s'il manquait à la terre, 6+6 b
Car la création n'est qu'un vaste baiser ; 6+6 a
Aimer, c'est le moyen de Dieu pour apaiser. 6+6 a
35 C'est le cœur qui nous crée et l'âme qui nous sauve, 6+6 b
Car l'hostie et l'hymen, et l'autel et l'alcôve 6+6 b
Ont chacun un rayon sacré du même jour ; 6+6 a
La prière est la sœur tremblante de l'amour ; 6+6 a
Qui prie adore ; aimer, c'est prier une femme ; 6+6 b
40 Les deux lumières sont au fond la même flamme. 6+6 b
Belle au tendre regard, ce que nous demandons 6+6 a
Aux baisers, aux transports brûlants, aux abandons 6+6 a
S'achevant en sommeil dans les bras l'un de l'autre, 6+6 b
C'est ce que demandait aux tonnerres l'apôtre, 6+6 b
45 C'est ce que dans Tharsis, dans Thèbes, dans Ombos, 6+6 a
Le prophète éperdu demandait aux tombeaux, 6+6 a
La révélation, l'éternité, la vie ! 6+6 b
A la suite d'une âme être une âme ravie, 6+6 b
Sentir l'être sacré frémir dans l'être cher, 6+6 a
50 Apercevoir un astre à travers une chair, 6+6 a
Voir à travers le cœur humain l'âme divine, 6+6 b
Achever ce qu'on voit avec ce qu'on devine, 6+6 b
C'est croire, c'est aimer. Par Ève l'homme naît. 6+6 a
La femme est vers le ciel tournée, et ce qui n'est 6+6 a
55 Que parfum dans la rose est encens dans la femme. 6+6 b
Adorons.
Nous irons au pays du dictame, 6+6 b
Du laurier, et de l'arbre à palmes, cher aux dieux ; 6+6 a
Lieux bénis où le vent reste mélodieux 6+6 a
A force d'avoir mis son souffle dans les lyres. 6+6 b
60 O femme, ô fier œil noir qui m'emplis de délires, 6+6 b
Viens montrer à ce ciel de Grèce ton éclair, 6+6 a
Viens montrer à Paros le marbre de ta chair ; 6+6 a
Toi, la Vénus nouvelle, à la Vénus ancienne 6+6 b
Viens te comparer ! toi, cette parisienne 6+6 b
65 Céleste, qui s'habille avec un goût profond, 6+6 a
Qui livre et cache, donne et reprend, sait à fond 6+6 a
L'art de la transparence enivrante, et câline 6+6 b
Mes yeux ardents avec la blanche mousseline, 6+6 b
Belle, viens compléter Athène avec Paris. 6+6 a
70 O toi qui souffres, plains, consoles et souris, 6+6 a
Je t'aime. Tu me fais l'effet d'une harmonie 6+6 b
Éclose d'on ne sait quelle harpe infinie. 6+6 b
N'es-tu pas l'esprit simple et calme ? N'as-tu pas 6+6 a
Un rythme obscur et doux dans chacun de tes pas ? 6+6 a
75 Galatée est lascive et Lesbie impudique ; 6+6 b
Toi, même au bain, jamais ta chasteté n'abdique, 6+6 b
Ta beauté tremble et flotte au gré du flot mouvant, 6+6 a
Mais tu fuis si le bruit des feuilles dans le vent 6+6 a
Éveille le souci de pudeur qui t'obsède, 6+6 b
80 Et toute l'épaisseur de l'eau te vient en aide 6+6 b
Ainsi qu'une nuée au secours d'un rayon ; 6+6 a
Naïade, tu craindrais un regard d'alcyon. 6+6 a
Tu dis : Mon cœur demeure innocent, puisqu'on m'aime ! 6+6 b
Rien ne peut te ternir, ô pur albâtre ; et, même 6+6 b
85 Dans les ravissements de l'amour accepté, 6+6 a
Tu restes la candeur, étant la volupté. 6+6 a
Parfois tu viens, muette et grave, sous l'yeuse 6+6 b
T'asseoir, puis te voilà subitement joyeuse, 6+6 b
Tu te mets à chanter quelque chanson d'enfant, 6+6 a
90 Et j'écoute, attendri, ton rire triomphant. 6+6 a
Oh ! quel être charmant que celui qui varie 6+6 b
Tantôt son enjouement jusqu'à la rêverie, 6+6 b
Tantôt son chant plaintif jusqu'au refrain railleur, 6+6 a
Et qui, soudain, quittant pour le hallier en fleur 6+6 a
95 L'empyrée où l'esprit en plein azur s'enfonce, 6+6 b
Terrestre et cependant aérien, renonce 6+6 b
Au val de l'ange et prend les ailes de l'oiseau ! 6+6 a
Ta taille a la souplesse aimable du roseau ; 6+6 a
Une lueur errante emplit ton sourcil sombre, 6+6 b
100 Comme si l'âme allait et venait dans cette ombre ; 6+6 b
Il semble que Dieu met un ange à ton côté ; 6+6 a
Tu m'éblouis ; parfois je crois, fleur de beauté, 6+6 a
Entendre autour de toi des murmures d'abeille. 6+6 b
Quand près de moi tu viens, apportant ta corbeille, 6+6 b
105 Comme dans leur vieux cloître autrefois les nonnains, 6+6 a
Faire un tas de petits chefs-d'œuvre féminins, 6+6 a
Je t'admire, et je crois voir l'aube qui se lève. 6+6 b
On a beau tout rêver, tu dépasses le rêve ; 6+6 b
Ton œil promet l'amour, ton cœur donne le ciel. 6+6 a
110 Tu passes dans la vie, humble, sans peur, sans fiel, 6+6 a
Sans faire de reproche à l'ombre, toi l'étoile. 6+6 b
Une musique sort, comme à travers un voile, 6+6 b
De ta beauté naïve et farouche à la fois ; 6+6 a
Ta grâce est comme un luth qui vibre au fond du bois ; 6+6 a
115 Tu sembles une note adorable ajoutée 6+6 b
Au concert qu'ici-bas l'âme écoute enchantée ; 6+6 b
Car la femme est de tout le divin complément, 6+6 a
Car dans l'hymne éternel rien n'est faux, rien ne ment, 6+6 a
Et la nature, voix profonde, chante juste. 6+6 b
120 Viens, nous habiterons un coin de terre auguste 6+6 b
Que je connais ; un fleuve est dans ce paradis, 6+6 a
C'est le Diras, torrent superbe, qui jadis 6+6 a
Sortit de terre afin de secourir Hercule ; 6+6 b
Puis, jusqu'à l'horizon si le regard recule, 6+6 b
125 On voit le Sperchius, sorti des mêmes monts 6+6 a
Que le Diras, hanté par les mêmes démons, 6+6 a
Qui serpente et qui va se perdre aux mers de Crète ; 6+6 b
Puis Thélos, devant qui le tonnerre s'arrête, 6+6 b
Car c'est là qu'autrefois, fronçant leurs noirs sourcils, 6+6 a
130 Les grands amphictyons songeaient, en cercle assis. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite de distiques
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