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| = césure
HUG_5/HUG880
Victor HUGO
LA LÉGENDE DES SIÈCLES
DERNIÈRE SÉRIE
1883
XII
TÉNÈBRES
L'homme est humilié de son lot ; il se croit 6+6 a
Fait pour un ciel plus pur, pour un sort moins étroit ; 6+6 a
L'homme ne trouve pas de sa dignité d'être 6+6 b
Malade, las, souffrant, errant sans rien connaître 6+6 b
5 Pareil au bœuf qui mange, au bouc qui s'assouvit, 6+6 a
Poudreux d'un cas qu'il fait, souillé d'un jour qu'il vit, 6+6 a
Fatigué du seul poids de l'heure vaine, esclave 6+6 b
Du lit qui le repose et du bain qui le lave ; 6+6 b
Il s'irrite, il s'indigne ; il se déclare enfin 6+6 a
10 Avili par la soif, insulté par la faim. 6+6 a
Hélas ! vieillir, trembler comme une feuille d'arbre, 6+6 b
Se refroidir, sentir ses os devenir marbre, 6+6 b
Après des songes noirs avoir de froids réveils, 6+6 a
Quel sort ! et l'homme pleure.
— Eh, disent les soleils, 6+6 a
15 Qu'est-ce donc que veut l'homme ? et quelle est sa folie ? 6+6 b
Le joug universel le comprime et le lie ; 6+6 b
Eh bien, que lui faut-il et de quoi se plaint-il ? 6+6 a
L'être le plus grossier, l'être le plus subtil 6+6 a
Sont courbés comme lui par la force invisible. 6+6 b
20 Insensé, qui voudrait étreindre l'impossible 6+6 b
Dans les crispations débiles de son poing ! 6+6 a
Il ne sait point que l'être est un ; il ne sait point 6+6 a
Que le mystère obscur couvre tout de sa brume ; 6+6 b
Que les vagues de l'ombre ont une affreuse écume 6+6 b
25 A qui nul front n'échappe, éblouissant ou noir, 6+6 a
Et que tout ce qui vit est fait pour recevoir 6+6 a
L'éclaboussure énorme et sombre de l'abîme. 6+6 b
Il trouve son destin trop humble et trop infime ; 6+6 b
Il se sent abaissé par le ciel écrasant ; 6+6 a
30 Eh ! c'est la loi commune, et rien n'en est exempt. 6+6 a
Il hait la cause ; il garde à l'infini rancune ; 6+6 b
Il voudrait être clair, limpide, sans aucune 6+6 b
De ces obscurités qui s'expliquent plus tard, 6+6 a
Que nous nommons énigme et qu'il nomme hasard ; 6+6 a
35 Il se rêve complet, sans tache, sans problème, 6+6 b
Portant sur son front l'aube ainsi qu'un diadème 6+6 b
Pur, lumineux, serein, parfait, calme ; il voudrait 6+6 a
Être seul en dehors de l'effrayant secret. 6+6 a
Quoi ! tout ce qui naît, vit, s'allume, se consomme, 6+6 b
40 Brille et meurt, ce serait pour aboutir à l'homme ! 6+6 b
L'homme serait le but du splendide univers ! 6+6 a
Mais que dirait la cendre et que diraient les vers ? 6+6 a
Quoi ! la création aurait pour toute fête 6+6 b
Et pour tout horizon d'avoir l'homme à son faîte ! 6+6 b
45 Dieu serait pour l'atome un piédestal d'orgueil ! 6+6 a
Non ! l'homme souffre et rampe ! il est son propre écueil ; 6+6 a
Il tremble et tombe ; il sent peser sur lui sans cesse 6+6 b
Son âme en ignorance et sa chair en bassesse ; 6+6 b
Il est triste le soir et triste le matin ; 6+6 a
50 Il tâte en vain le cercle où tourne son destin ; 6+6 a
L'astre qu'il porte en lui suit une obscure ellipse ; 6+6 b
La matière le voile et le sommeil l'éclipse ; 6+6 b
Son berceau cache un gouffre ainsi que son cercueil ; 6+6 a
C'est que tout a son crêpe et que tout a son deuil ! 6+6 a
55 Eh ! ne sommes-nous pas humiliés nous-mêmes, 6+6 b
Nous les soleils, les feux du firmament suprême, 6+6 b
Quand l'ombre ouvre l'abîme où nous nous engouffrons, 6+6 a
Avec les sombres nuits, ces immenses affronts ! — 6+6 a
La nuit ! la nuit ! la nuit ! Et voilà que commence 6+6 a
60 Le noir de profundis de l'océan immense. 6+6 a
Le marin tremble, aux flots livré ; 8 b
Miserere, dit l'homme ; et, dans le ciel qui gronde, 6+6 c
L'air dit : miserere ! Miserere, dit l'onde ; 6+6 c
Miserere ! miserere ! 8 b
65 Le dolmen, dont l'ortie ensevelit les tables, 6+6 a
Pousse un soupir ; les morts se dressent lamentables ; 6+6 a
Gémissent-ils ? écoutent-ils ? 8 b
La jusquiame affreuse entrouvre ses corolles ; 6+6 c
La mandragore laisse échapper des paroles 6+6 c
70 De ses mystérieux pistils. 8 b
Qu'a-t-on fait à la ronce et qu'a-t-on fait à l'arbre ? 6+6 a
Qu'ont-ils donc à pleurer ? Pour qui l'antre de marbre 6+6 a
Verse-t-il ces larmes d'adieux ? 8 b
Sont-ce les noirs Caïns d'une faute première ? 6+6 c
75 Deuil ! ils ont la souffrance et n'ont pas la lumière ! 6+6 c
Ils ont des pleurs et n'ont pas d'yeux ! 8 b
Le navire se plaint comme un homme qui souffre, 6+6 a
Le tuyau grince et fume, et le flot qui s'engouffre 6+6 a
Blanchit les tambours du steamer, 8 b
80 Le crabe, le dragon, l'orphe aux larges ouïes, 6+6 c
Nagent dans l'ombre où rampe en formes inouïes 6+6 c
La vie horrible de la mer. 8 b
Le hallier crie ; il semble, à travers l'âpre bise, 6+6 a
Qu'on entende hurler Nemrod, Sylla, Cambyse, 6+6 a
85 Rongés du ver et du corbeau, 8 b
Et sortir, dans l'orage et la brume et la haine, 6+6 c
Des froids caveaux où sont les damnés à la chaîne, 6+6 c
Les rugissements du tombeau. 8 b
Est-il quelqu'un qui cherche ? est-il quelqu'un qui rêve 6+6 a
90 Est-il quelqu'un qui marche à l'heure où sur la grève 6+6 a
Rôdent le spectre et l'assassin, 8 b
Et qui sache, ô vivants ! pourquoi sanglote et râle, 6+6 c
La forêt, monstrueuse et fauve cathédrale, 6+6 c
Où le vent sonne le tocsin ? 8 b
95 On entend vous parler à l'oreille des bouches ; 6+6 a
On voit dans les clartés des branchages farouches 6+6 a
Où passent de mornes convois ; 8 b
Le vent, bouleversant l'arbre aux cimes altières, 6+6 c
Emplit de tourbillons les blêmes cimetières ; 6+6 c
100 Quelle est donc cette étrange voix ? 8 b
Quel est ce psaume énorme et que rien ne fait taire ? 6+6 a
Et qui donc chante, avec les souffles de la terre, 6+6 a
Avec le murmure des cieux, 8 b
Avec le tremblement de la vague superbe, 6+6 c
105 Les joncs, les eaux, les bois, le sifflement de l'herbe, 6+6 c
Le requiem mystérieux ? 8 b
O sépulcres ! j'entends l'orgue effrayant de l'ombre, 6+6 a
Formé de tous les cris de la nature sombre 6+6 a
Et du bruit de tous les écueils ; 8 b
110 La mort est au clavier qui frémit dans les branches, 6+6 c
Et les touches, tantôt noires et tantôt blanches, 6+6 c
Sont vos pierres et vos cercueils. 8 b
L'homme se trompe ! Il voit que pour lui tout est sombre ; 6+6 a
Il tremble et doute ; il croit à la haine de l'ombre ; 6+6 a
115 Son œil ne s'ouvre qu'à demi ; 8 b
Il dit : — Ne suis-je pas le damné de la terre, 6+6 c
Lugubre atome, ayant l'immensité pour guerre 6+6 c
Et l'univers pour ennemi ? — 8 b
S'il regarde la vie, elle est aussi le gouffre. 6+6 a
120 Toute l'histoire pleure et saigne et crie et souffre ; 6+6 a
Tous les purs flambeaux sont éteints ; 8 b
Morus après Caton dans le cirque se couche ; 6+6 c
Le genre humain assiste au pugilat farouche 6+6 c
Des grands cœurs et des noirs destins. 8 b
125 L'énigme universelle est proposée à l'âme, 6+6 a
L'âme cherche ; la terre et l'eau, l'air et la flamme 6+6 a
Font le mal, triste vision ! 8 b
Le vent, la mer, la nuit, sont pris en forfaiture ; 6+6 c
Hélas ! que comprend-on ? Peu de la créature, 6+6 c
130 Et rien de la création. 8 b
Les faits, qui sont muets et qui semblent funèbres, 6+6 a
Surgissent au regard comme un bloc de ténèbres, 6+6 a
Et rien n'éclaire et rien ne luit ; 8 b
L'horizon est de l'ombre où l'ombre se prolonge, 6+6 c
135 Où se dresse, devant l'humanité qui songe, 6+6 c
Toute une montagne de nuit. 8 b
Le sombre sphinx Nature, accroupi sur la cime, 6+6 a
Rêve, pétrifiant de son regard d'abîme 6+6 a
Le mage aux essors inouïs, 8 b
140 Tout le groupe pensif des blêmes Zoroastres, 6+6 c
Les guetteurs de soleils et les espions d'astres, 6+6 c
Les effarés, les éblouis. 8 b
Il semble à tout ce tas d'Œdipes qui frissonne 6+6 a
Que l'ouragan, clairon des nuages qui sonne, 6+6 a
145 La comète, horreur du voyant, 8 b
L'hiver, la mort, l'éclair, l'onde affreuse, et vivante, 6+6 c
Tout ce que le mystère et l'ombre ont d'épouvante 6+6 c
Sorte de cet œil effrayant. 8 b
La nuit autour du sphinx roule tumultueuse. — 6+6 a
150 Si l'on pouvait lever sa patte monstrueuse, 6+6 a
Que contemplèrent tour à tour 8 b
Newton, l'esprit d'hier, et l'antique Mercure, 6+6 c
Sous la paume sinistre et sous la griffe obscure 6+6 c
On trouverait ce mot : Amour. 8 b
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