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HUG_5/HUG872
Victor HUGO
LA LÉGENDE DES SIÈCLES
DERNIÈRE SÉRIE
1883
VII
LES QUATRE JOURS D'ELCIIS
Les Quatre Jours d'Elciis
Vérone se souvient d'un vieillard qui parla 6+6 a
Pendant quatre jours, grave et seul, dans la Scala, 6+6 a
A l'empereur Othon qui fut un prince oblique ; 6+6 b
Othon tenait sa cour dans la place publique, 6+6 b
5 Ayant sur les degrés du trône douze rois. 6+6 a
Empereur d'Allemagne et roi d'Arle, Othon trois 6+6 a
Étant malade avait fait allumer un cierge 6+6 b
Et fait vœu, s'il était guéri, grâce à la Vierge, 6+6 b
D'entendre, d'écouter, lui césar tout-puissant, 6+6 a
10 Tout ce que lui dirait n'importe quel passant, 6+6 a
Devant les douze rois et la garde romaine, 6+6 b
Cet homme parlât-il pendant une semaine. 6+6 b
Donc un passant fut pris rentrant dans sa maison. 6+6 a
On était aux beaux jours de la tiède saison ; 6+6 a
15 Le passant fut conduit devant le trône ; un prêtre 6+6 b
Lui fit savoir le vœu du roi d'Arle, et le maître 6+6 b
Lui dit : Aboie aussi longtemps que tu voudras. 6+6 a
Alors, comme autrefois devant Saül Esdras, 6+6 a
Pierre devant Néron et Job devant l'Abîme, 6+6 b
L'homme parla.
20 Le trône était sombre et sublime ; 6+6 b
Cent archers l'entouraient, pas un ne remuait ; 6+6 a
Et les rois semblaient sourds et l'empereur muet. 6+6 a
On voyait devant eux une table servie 6+6 b
Avec tout ce qui peut satisfaire l'envie 6+6 b
25 Des heureux, des puissants, de ceux qui sont en haut, 6+6 a
Viandes et vins, fruits, fleurs, et dans l'ombre un billot. 6+6 a
L'homme était un vieillard très grand, à tête nue, 6+6 b
Tranquille ; on l'emmenait chez lui, la nuit venue, 6+6 b
Puis on le ramenait le matin ; il était 6+6 a
30 Comme celui qui parle au tigre qui se tait ; 6+6 a
Il fit boire à César son vœu jusqu'à la lie ; 6+6 b
Et sa sagesse fut semblable à la folie. 6+6 b
Il parla quatre jours, toute la cour songea, 6+6 a
Et, quand il eut fini, l'empereur dit : Déjà ! 6+6 a
I
LE PREMIER JOUR
GENS DE GUERRE ET GENS D'ÉGLISE
35 Je suis triste. Pourquoi ? Princes, que vous importe, 6+6 b
Vous êtes joyeux, vous. Je refermais ma porte, 6+6 b
J'allais mettre la barre et tirer les verrous, 6+6 a
Pourquoi m'appelez-vous et que me voulez-vous ? 6+6 a
Pourquoi me pousser hors de l'ombre volontaire ? 6+6 b
40 Pourquoi faire parler celui qui veut se taire ? 6+6 b
Roi d'Arles, tant qu'il reste au vieillard une dent, 6+6 a
Lui faire ouvrir la bouche est toujours imprudent. 6+6 a
On n'est pas sûr qu'il soit de l'avis qu'on désire. 6+6 b
Vous avez un conseil de jeunes hommes, sire, 6+6 b
45 Fort galants, fort jolis, fort blonds, convenez-en ; 6+6 a
Pourquoi m'y faire entrer, moi le vieux paysan 6+6 a
Que la rude fierté des vieilles mœurs pénètre ? 6+6 b
Et depuis quand a-t-on l'habitude de mettre 6+6 b
Une pièce de cuir au pourpoint de velours ? 6+6 a
50 Pour marcher devant vous, rois, mes pas sont bien lourds. 6+6 a
Si vous ne savez pas de quel nom je me nomme, 6+6 b
Je m'appelle Elciis, et je suis gentilhomme 6+6 b
De la ville de Pise, âpre et sévère endroit. 6+6 a
Je n'ai point à Pavie étudié le droit, 6+6 a
55 Et je n'ai pas l'esprit d'un docteur de Sorbonne. 6+6 b
Donc, Sire, si la guerre est en soi chose bonne, 6+6 b
Je n'en sais rien ; mais, bonne ou mauvaise, je dis 6+6 a
Qu'il faut la faire en gens sincères et hardis, 6+6 a
Et que l'honnêteté publique est en détresse, 6+6 b
60 Princes, de voir qu'on fait une guerre traîtresse, 6+6 b
Une guerre humble, habile aux besognes de nuit, 6+6 a
Achetant des félons et des lâches sans bruit, 6+6 a
Faisant moins résonner l'estoc que la cymbale, 6+6 b
Ayant des espions, des colporteurs de balle, 6+6 b
65 Des moines mendiants et des juifs pour appuis, 6+6 a
Et l'empoisonnement des sources et des puits. 6+6 a
Les hommes de mon temps faisaient la guerre franche. 6+6 b
Tout l'arbre tressaillait quand ils cassaient la branche, 6+6 b
Et, quand ils coupaient l'arbre avec leur couperet, 6+6 a
70 C'était au tremblement de toute la forêt ; 6+6 a
Car ces hommes étaient des bûcherons sublimes. 6+6 b
Les survivants, et ceux que nous ensevelîmes, 6+6 b
Sont dans le souvenir des peuples à jamais. 6+6 a
Les hommes de mon temps hantaient les hauts sommets ; 6+6 a
75 Ils allaient droit au mur et donnaient l'escalade ; 6+6 b
Ils méprisaient la nuit, le piège, l'embuscade ; 6+6 b
Quand on leur demandait : Quel compagnon hardi 6+6 a
Emmenez-vous en guerre ? Ils disaient : Plein midi. 6+6 a
C'étaient, sous l'humble serge ou l'hermine royale, 6+6 b
80 Les bons et grands enfants de la guerre loyale. 6+6 b
Ils n'étaient pas de ceux qui s'endorment longtemps ; 6+6 a
Hors du danger auguste ils étaient mécontents ; 6+6 a
Ils ne quittaient l'épieu que pour prendre la hache ; 6+6 b
Car l'immobilité ne sied point au panache, 6+6 b
85 Ni la rouille à l'éclair du glaive, et le repos 6+6 a
N'est pas fait pour les plis orageux des drapeaux. 6+6 a
Quand ils s'en revenaient des combats, leurs armures 6+6 b
Étaient rouges ainsi que les grenades mûres, 6+6 b
Et leurs femmes trouvaient le soir sous leur pourpoint 6+6 a
90 De larges trous saignants dont ils ne parlaient point. 6+6 a
De tout bien mal acquis ils disaient : qu'on le rende ! 6+6 b
Ils ne trouvaient jamais de distance assez grande 6+6 b
Entre eux et le mensonge abject, ni de cloison 6+6 a
Assez épaisse entre eux, sire, et la trahison ; 6+6 a
95 Ils parlaient haut, étant des fils des grandes races ; 6+6 b
Leurs poitrines avaient le dédain des cuirasses ; 6+6 b
Leur galop rendait fous les libres étriers. 6+6 a
Il n'était pas besoin d'envoyer des fourriers 6+6 a
Pour leur dire : Il convient de se mettre en campagne. 6+6 b
100 Un noir se tord moins vite autour des reins son pagne 6+6 b
Qu'ils ne bouclaient l'estoc à leur robuste dos. 6+6 a
Ils donnaient peu de temps aux paters, aux credos, 6+6 a
Priant Dieu bonnement, comme fait le vulgaire ; 6+6 b
Droits, hommes de parole, ils ne s'embrouillaient guère 6+6 b
105 Aux finesses du clerc qui ment au nom des cieux, 6+6 a
Et dédaignaient l'argot du moine chassieux 6+6 a
Qui crache du latin et fait des hexamètres, 6+6 b
Étant des gens de guerre et non des gens de lettres. 6+6 b
C'est avec la gaîté du rire puéril ; 6+6 a
110 Qu'ils se précipitaient au plus noir du péril ; 6+6 a
Il sortait de leur casque un souffle d'épopée ; 6+6 b
Quand on disait : — L'épée est d'acier, — leur épée, 6+6 b
Fière et toujours au vent, répondait L'homme aussi. 6+6 a
Au chaume misérable ils accordaient merci. 6+6 a
115 Ces vaillants devenaient doucement barbes grises, 6+6 b
Ayant pour toute joie, après les villes prises 6+6 b
Et les rois rétablis et tous leurs fiers travaux, 6+6 a
De regarder manger l'avoine à leurs chevaux. 6+6 a
Oh ! je les ai connus ! dès que les couleuvrines, 6+6 b
120 Dogues des tours, fronçaient leurs sinistres narines, 6+6 b
Dès que l'altier clairon sonnait, ils étaient prêts ; 6+6 a
Ils étaient curieux d'aller tout voir de près ; 6+6 a
Jusque dans le sépulcre ils avançaient la tête ; 6+6 b
Et ces hommes, joyeux surtout dans la tempête, 6+6 b
125 Sans trop d'étonnement et sans trop de souci 6+6 a
Auraient suivi la mort leur criant : par ici ! 6+6 a
Qu'est-ce que vous voulez maintenant qu'on vous dise ? 6+6 b
Ce temps-ci me répugne et sent la bâtardise. 6+6 b
Quand venaient les hiboux, jadis l'aigle émigrait ; 6+6 a
130 Je m'en vais comme lui. Barons, c'est à regret 6+6 a
Qu'on voit se refléter jusque dans vos repaires 6+6 b
Ce grand rayonnement des anciens et des pères 6+6 b
Au-dessus de votre ombre au fond des cieux épars. 6+6 a
Vous vous croyez lions, tigres et léopards ; 6+6 a
135 Les lions tels que vous sont pris aux souricières. 6−6 b
Les marmots nus qu'on porte ou qu'on mène aux lisières 6+6 b
Seraient dans le danger moins bégayants que vous. 6+6 a
Vous avez dans vos cœurs implacables et mous 6+6 a
Le dédain des vieux temps que vous osez proscrire ; 6+6 b
140 Vous nous faites frémir et nous vous faisons rire. 6+6 b
Vous avez l'œil obscur, l'âme plus louche encor, 6+6 a
Vous faites chevaliers avec des chaînes d'or 6+6 a
Des trahisseurs ou bien des pages de Sodomes, 6+6 b
Des gueux, des affranchis, de ces espèces d'hommes 6+6 b
145 Qu'on vend publiquement dans la rue à l'encan. 6+6 a
Où je vois le collier, je cherche le carcan. 6+6 a
Princes, mon cœur se serre en vous voyant, car j'aime 6+6 b
Le soleil sans brouillard, l'homme sans stratagème. 6+6 b
Vous avez l'appétit large, le front étroit, 6+6 a
150 Le mépris de tout frein, la haine de tout droit, 6+6 a
Et pour sceptre un couteau de boucher. Quelle histoire ! 6+6 b
Quels jours ! Les gros butins se citent comme gloire. 6+6 b
Vous régnez en tuant sans jamais dire : assez ! 6+6 a
O pillards, si souvent de meurtre éclaboussés 6+6 a
155 Que la rouille vous vient plus haut que la jambière ! 6+6 b
Toujours ivres ; buveurs de vin, buveurs de bière, 6+6 b
Buveurs de sang ; couards en même temps ; vivant 6+6 a
Dans on ne sait quel luxe abject, lâche, énervant ; 6+6 a
Car la férocité, que la volupté mine, 6+6 b
160 Devient facilement chair molle et s'effémine ; 6+6 b
Aujourd'hui tout déchoit dans notre fier métier ; 6+6 a
Pour faire une cuirasse on prend un bijoutier, 6+6 a
De sorte que l'armure a peur d'être battue. 6+6 b
C'est ordinairement par derrière qu'on tue. 6+6 b
165 Vos plus fameux exploits et vos plus triomphants 6+6 a
Sont des dépouillements de femmes et d'enfants, 6+6 a
Des introductions dans les pays par fraude, 6+6 b
Les brusques coups de dent de la fouine qui rôde, 6+6 b
D'attaquer ceux qu'on a d'abord bien endormis, 6+6 a
170 D'arriver ennemis sous des masques d'amis ; 6+6 a
Faits honteux pour l'épée et pour la seigneurie, 6+6 b
Vils, et dont je vous veux laisser la rêverie. 6+6 b
Quant à moi, si j'étais l'un des rois que voilà, 6+6 a
Je ne porterais point légèrement cela ; 6+6 a
175 Je frémirais, à l'heure où l'ombre étend ses voiles, 6+6 b
D'être ainsi misérable et noir sous les étoiles. 6+6 b
Je ne vous cache pas que je suis attristé. 6+6 a
Tout pâlit, tout déchoit ! et même la beauté, 6+6 a
Dernier malheur ! s'en va. Toute la grâce humaine, 6+6 b
180 C'est la langue toscane et la bouche romaine ; 6+6 b
Et l'on parle aujourd'hui je ne sais quel jargon. 6+6 a
Roi, qui cherche un lézard peut trouver un dragon ; 6+6 a
Vous vouliez un flatteur de plus qui vous caresse 6+6 b
Et rie, et tout à coup la vérité se dresse. 6+6 b
185 Vous avez reconnu que les hommes trop prompts 6+6 a
Courent parfois grand risque en vengeant leurs affronts ; 6+6 a
Aussi vous n'avez pas de colère soudaine. 6+6 b
Défié par Venise on regarde Modène. 6+6 b
Vous pesez le péril, rois, quoique altiers et vains, 6+6 a
190 Vous ne guerroyez pas sans l'avis des devins ; 6+6 a
Un astrologue baisse ou lève vos visières. 6+6 b
O princes, vous allez consulter des sorcières 6+6 b
Sur le degré d'honneur et d'amour du devoir 6+6 a
Et de témérité qu'il est prudent d'avoir ; 6+6 a
195 Vous combattez de loin derrière des machines ; 6+6 b
Et vous frottez vos bras, vos reins et vos machines, 6+6 b
Moins propres, sur mon âme, aux harnais qu'aux licous, 6+6 a
D'huile magique à rendre invulnérable aux coups. 6+6 a
Je voudrais bien savoir, princes, si Charlemagne 6+6 b
200 Qui, se dressant, donnait de l'ombre à l'Allemagne, 6+6 b
Et si le grand Cyrus et le grand Attila 6+6 a
Se sont graissé leurs peaux avec cet onguent-là. 6+6 a
Vous avez fait sans peine, ô clients des sibylles, 6+6 b
Marcheurs de nuit, tendeurs d'embûches, gens habiles, 6+6 b
205 Quoique chétifs de cœur et chétifs de cerveau, 6+6 a
Avec le vieil empire un empire nouveau. 6+6 a
L'empaillement d'un aigle est chose bien aisée ; 6+6 b
Davus remplace Alcide et Thersite Thésée. 6+6 b
Rois, la fraude est vilaine et donne un profit nul ; 6+6 a
210 Mentir ou se tuer c'est le même calcul ; 6+6 a
Le fourbe est transparent, tout regard le pénètre ; 6+6 b
La trahison devient la chair même du traître ; 6+6 b
Il se sent sur les os un mépris corrosif ; 6+6 a
Dès qu'on est malhonnête on est rongé tout vif 6+6 a
215 Par son mauvais renom et par sa perfidie 6+6 b
Visible à tous les yeux et toujours agrandie ; 6+6 b
On est renard, la haine et l'effroi du troupeau ; 6+6 a
On a l'ombre et le mal pour robe et pour drapeau ; 6+6 a
Et Carthage a péri dans sa sombre tunique 6+6 b
220 De mensonge, de dol, de nuit, de foi punique. 6+6 b
La ciguë en vos champs croît mieux que le laurier. 6+6 a
Je verrais sans colère, ô rois, un serrurier 6+6 a
Bâtir, sans oublier de griller les fenêtres, 6+6 b
Entre vos probités et mon argent, mes maîtres, 6+6 b
225 Une porte solide aux verrous bien fermants. 6+6 a
Quant à votre parole et quant à vos serments, 6+6 a
Plutôt que m'assoupir sur votre signature 6+6 b
Et sur vos jurements par la sainte écriture, 6+6 b
Plutôt que me fier à vous, je me fierais 6+6 a
230 Aux jaguars, aux lynx, aux tigres des forêts, 6+6 a
Et j'aimerais mieux, rois, me coucher dans leur antre 6+6 b
Et mettre pour dormir ma tête sur leur ventre. 6+6 b
Ah ! ce siècle est d'un flot d'opprobre submergé ! 6+6 a
Autre plaie ; et fâcheuse à montrer, — le clergé. 6+6 a
235 Puisque j'expose ici la publique infortune 6+6 b
Puisque j'étale aux yeux nos hontes, c'en est une 6+6 b
Que le prêtre ait grandi plus haut que notre droit, 6+6 a
Et que l'église ait pris l'allure qu'on lui voit. 6+6 a
De mon temps, grand, petit, riche ou gueux, vieux ou jeune, 6+6 b
240 On observait l'avent, les vigiles, le jeûne, 6+6 b
On priait le bon Dieu, mains jointes, fronts courbés ; 6+6 a
Mais on tenait la bride assez haute aux abbés. 6+6 a
On avait l'œil sur eux, on était économe 6+6 b
De baisers à leur chape, et l'on craignait peu Rome ; 6+6 b
245 Sire, ce que voyant, Rome se tenait coi. 6+6 a
Aujourd'hui Rome, à tout, dit : comment ? et pourquoi ? 6+6 a
On laisse les bedeaux sortir des sacristies ; 6+6 b
Qui touche aux clercs est plein de piqûres d'orties. 6+6 b
C'est fini, plus de paix. Ils sont partout. Veut-on 6+6 a
250 D'un évêque trop lourd raccourcir le bâton, 6+6 a
Querelle. Pour blâmer les luxures d'un moine, 6+6 b
Pour un prieur à qui l'on ôte un peu d'avoine, 6+6 b
Pour troubler dans son auge un capucin trop gras, 6+6 a
Foudre, anathème ; on a le pape sur les bras. 6+6 a
255 Un seul fil remué fait sortir l'araignée. 6+6 b
Rome a sur tous les points la bataille gagnée. 6+6 b
On lui cède ; on la craint.
Combattre des soldats, 6+6 a
Oh ! tant que vous voudrez ! mais des prêtres, non pas ! 6+6 a
La cave du lion est effrayante, et l'aire 6+6 b
260 De l'aigle a je ne sais quel aspect de colère ; 6+6 b
On trouve là quelqu'un d'altier qui se défend ; 6+6 a
Sire, attaquer cela, c'est beau, c'est triomphant ; 6+6 a
Le bec est flamboyant, la gueule est colossale ; 6+6 b
On sent que l'aquilon dont l'Afrique est vassale, 6+6 b
265 Que l'ouragan qui gronde et qui des cieux descend, 6+6 a
Est dans les crins de l'un encor tout frémissant, 6+6 a
Et qu'aux pattes de l'autre il reste de la foudre : 6+6 b
L'adversaire est superbe et plaît. Mais se résoudre 6+6 b
A mettre ses deux mains dans les fourmillements, 6+6 a
270 Poursuivre au plus épais des cloaques dormants 6+6 a
La bête de la bave et celle de la fange, 6+6 b
Avoir pour ennemi l'être plat qui se venge 6+6 b
De son écrasement par sa fétidité, 6+6 a
C'est hideux ; et j'ai honte et peur, en vérité 6+6 a
275 D'attaquer une larve au fond d'une masure, 6+6 b
Et de combattre un trou d'où sort une morsure 6+6 b
De là l'empiétement des moûtiers, des couvents, 6+6 a
Des hommes tonsurés et noirs sur les vivants, 6+6 a
Et le frémissement du monde qui recule. 6+6 b
280 Rome a tendu sa toile au fond du crépuscule. 6+6 b
La vaste lâcheté des mœurs est son trésor ; 6+6 a
Tout à Rome aboutit. Prostituée à l'or, 6+6 a
Rome cote, surfait, pare, étale, brocante 6+6 b
Son absolution que le vice fréquente ; 6+6 b
285 Le saint-père est le grand mendiant indulgent ; 6+6 a
Les choses en sont là qu'on a pour son argent 6+6 a
Plus ou moins de pitié, plus ou moins de prière, 6+6 b
Et que l'église en est la sinistre usurière. 6+6 b
Rome a, dessous, l'ordure, et la pourpre dessus. 6+6 a
290 Pour être petit, pauvre, humble comme Jésus 6+6 a
Le commandait à Jacque, à Simon, à Didyme, 6+6 b
Le pape a le décime, et l'évêque a la dîme. 6+6 b
Tout est occasion fiscale, jubilé, 6+6 a
Sabbat, la chaise offerte et le cierge brûlé, 6+6 a
295 Cloches, confession, amulettes, jurandes, 6+6 b
La desserte du pain, la desserte des viandes, 6+6 b
Droit de manger du bœuf, droit de manger du porc, 6+6 a
Exorcismes, tonlieux, mortuaire, déport, 6+6 a
Sermons, pâque fleurie, eau bénite, corvées, 6+6 b
300 Saint chrême, enfants perdus ou filles retrouvées, 6+6 b
Procès, citation devant l'official. 6+6 a
Partout du créancier le profil glacial. 6+6 a
Le fisc ne quitte pas des yeux la femme grosse ; 6+6 b
L'enfant paie. Êtes-vous dans une basse-fosse, 6+6 b
305 Le saint-père quémande à travers vos barreaux. 6+6 a
Vous plaît-il de fonder un hôpital : vingt gros. 6+6 a
Une bonne action paie un droit ; rien n'échappe ; 6+6 b
Un juste non payant ferait loucher le pape ; 6+6 b
Dix gros pour que l'abbé dise : sois bienvenu ! 6+6 a
310 Pour faire devant soi porter un glaive nu, 6+6 a
Cent gros ; pour acheter le blé des Turcs, dispense ; 6+6 b
Tant pour avoir le droit de penser ce qu'on pense ; 6+6 b
Tant pour faire le mal, tant pour s'en repentir ; 6+6 a
Péage pour entrer, péage pour sortir ; 6+6 a
315 Le baptême, c'est tant ; n'oubliez pas l'annate ; 6+6 b
Tant pour l'enfant de chœur à la robe incarnate ; 6+6 b
Tant pour vous marier ; ah ! vous mourez ; c'est tant. 6+6 a
Corruption ! Toujours une main qui se tend ! 6+6 a
Dès que le père expire ou que la mère est morte, 6+6 b
320 Les enfants orphelins s'en vont de porte en porte 6+6 b
Mendier pour paver le prêtre, et, sans remords, 6+6 a
Un marchand sacré vend sa pourriture au mort. 6+6 a
Rome sur tout prélève une part, s'attribue 6+6 b
Sur deux mules la bonne et laisse la fourbue, 6+6 b
325 Taxe le berger, tond la brebis, prend l'agneau, 6+6 a
Goûte la fille au lit, le vin dans le tonneau, 6+6 a
Flaire la cargaison du vaisseau dans le havre, 6+6 b
Et mange avant les vers le meilleur du cadavre. 6+6 b
Jésus disait : aimer ; l'église dit : payer. 6+6 a
330 Le ciel est à qui peut acquitter le loyer, 6+6 a
On y sera logé bien ou mal, mieux ou guère, 6+6 b
Selon qu'on sera riche ou pauvre sur la terre ; 6+6 b
Arrière le haillon ! place au riche manteau ! 6+6 a
Au mur du paradis Rome a mis écriteau. 6+6 a
335 La chaire de Saint-Pierre, autrefois si sublime, 6+6 b
Espèce de tribune énorme de l'abîme, 6+6 b
Dont le dais formidable, au mystère mêlé, 6+6 a
Semblait s'évanouir dans un gouffre étoilé, 6+6 a
Est aujourd'hui l'obscure et lugubre boutique 6+6 b
340 Où le bien et le mal, la messe et le cantique, 6+6 b
Le vrai, le faux, le jour, la nuit, l'ombre et le vent, 6+6 a
Les anges, l'infini, la tombe, tout se vend ! 6+6 a
Pourvu qu'il ait son crime en ducats dans son coffre, 6+6 b
L'homme le plus pervers voit le prêtre qui s'offre ; 6+6 b
345 Et le plus noir bandit qui soit sous le ciel bleu 6+6 a
Fouille à sa poche et dit au pape : Combien Dieu ? 6+6 a
Vous êtes un brigand, un gueux, un maniaque 6+6 b
De meurtres ; bien ; un tel, prêtre simoniaque, 6+6 b
Crible vos actions dans son hideux tamis, 6+6 a
350 Se signe, et dit : Allez, vos torts vous sont remis. 6+6 a
C'est triste d'être absous par ces viles engeances. 6+6 b
Rois, si j'avais sur moi de telles indulgences, 6+6 b
De celles qui se font marchander et payer, 6+6 a
Je dirais à mon chien, pour me bien nettoyer, 6+6 a
355 De lécher le pardon d'abord, le crime ensuite. 6+6 b
Mais vous ne réglez pas ainsi votre conduite, 6+6 b
Et vous ne tombez pas dans ces scrupules vains. 6+6 a
Toujours, dans vos hauts faits de nuit et de ravins, 6+6 a
Comme vous entendez que Dieu vous soit commode, 6+6 b
360 Et comme parmi vous, en outre, il est de mode 6+6 b
Que la vipère prête au tigre son venin, 6+6 a
Vous avez près de vous un curé qui, bénin, 6+6 a
Vous conseille et vous sert dans toutes vos escrimes, 6+6 b
Qui trouve des raisons en latin à vos crimes, 6+6 b
365 Qui vous bénit après vos guets-apens, et coud 6+6 a
Un tedeum infâme à chaque mauvais coup. 6+6 a
D'où la difformité de la raison publique. 6+6 b
Caïphe et Busiris se donnent la réplique. 6+6 b
Quel est le faux ? Quel est le vrai Qui donc a tort ? 6+6 a
370 C'est l'honnête homme. A bas le droit ! gloire au plus fort ! 6+6 a
Le ciel a le rayon, mais le prêtre a le prisme, 6+6 b
La vérité bégaie et crache le sophisme ; 6+6 b
La probité n'est plus qu'un enrouement confus. 6+6 a
Veut-on protester, vivre, essayer un refus, 6+6 a
375 On s'arrête, empêché dans l'immense argutie 6+6 b
Qu'en foule autour de vous le clergé balbutie ; 6+6 b
On a le prêtre, là, dans le fond du gosier ; 6+6 a
Et quand la conscience humaine veut crier 6+6 a
Ou parler haut, elle a l'église pour pituite. 6+6 b
380 Oh ! le ciel grand ouvert, la prière gratuite, 6+6 b
Le prêtre pauvre au point de ne distinguer plus 6+6 a
Le cuivre d'un liard de l'or d'un carolus, 6+6 a
L'autel et l'évangile ignorant le péage 6+6 b
Et la monnaie, ainsi que l'astre et le nuage, 6+6 b
385 C'était beau, c'était grand, c'était ainsi jadis, 6+6 a
Dans le temps qu'on était des jeunes gens hardis, 6+6 a
Et que, libre, on allait chanter dans la montagne ! 6+6 b
Est-ce que c'en est fait dans le deuil qui nous gagne ? 6+6 b
Est-ce que les bons cœurs et les hommes de bien 6+6 a
390 Ne verront plus cela sous les cieux : Dieu pour rien ? 6+6 a
Rome n'a qu'un regret, c'est que la bête échappe 6+6 b
A l'ombre monstrueuse et large de sa chape, 6+6 b
Que l'animal soit franc de son pouvoir jaloux, 6+6 a
Que l'ours rôde en dehors du fisc, et que les loups 6+6 a
395 Respirent l'air des cieux depuis le temps d'Évandre 6+6 b
Sans qu'on puisse trouver moyen de le leur vendre. 6+6 b
Dieu vole la nature au prêtre ; il la soustrait ; 6+6 a
Il lui dit : Sauve-toi dans la vaste forêt ! 6+6 a
C'est son tort. Le soleil est de mauvais exemple ; 6+6 b
400 Il ne réserve pas sa dorure au seul temple ; 6+6 b
Il empourpre les toits laïcs, grands et petits, 6+6 a
Les maisons, les palais, les cabanes, gratis. 6+6 a
Quoi ! le brin d'herbe est libre et donne ce scandale 6+6 b
De croître effrontément aux fentes de la dalle ! 6+6 b
405 La folle avoine, auprès du lierre son voisin, 6+6 a
Pousse, sans acquitter le droit diocésain ! 6+6 a
Quoi ! depuis que l'Etna s'assied sur sa fournaise, 6+6 b
Géant sombre, il n'a pas encor payé sa chaise ! 6+6 b
Quoi ! l'éclair passe, va, revient, sans rien donner ! 6+6 a
410 Quoi ! l'étoile ose luire, éclairer, rayonner, 6+6 a
Sans qu'on lui puisse enfin présenter la quittance ! 6+6 b
Le pape est avec Dieu tête à tête, et le tance. 6+6 b
Quoi ! l'on ne peut au lys des champs, pris au collet, 6+6 a
Dire : pour les besoins du culte, s'il vous plaît ! 6+6 a
415 Quoi ! la vague, lavant les gouffres insondables, 6+6 b
Couvre l'énormité des plages formidables, 6+6 b
Quoi ! l'écume jaillit jusqu'à cette hauteur 6+6 a
Sans retomber liard dans la main du quêteur ! 6+6 a
Oh ! si le prêtre enfin pouvait jeter sa serre 6+6 b
420 Sur la vie, et la prendre à Dieu, son adversaire ! 6+6 b
Quel hosanna le jour où la fleur, le buisson, 6+6 a
Le nid, devraient payer au curé leur rançon ! 6+6 a
Le jour où l'on pourrait mettre une bonne taxe 6+6 b
Sur l'usage que fait le pôle de son axe, 6+6 b
425 Chicaner sa caverne au lion, et tricher 6+6 a
L'eau que boit le moineau dans le creux du rocher ! 6+6 a
Donc, viatique, psaume et vêpres, scapulaires, 6+6 b
Madones à clouer sur le bec des galères, 6+6 b
La vertu du chrétien, la liberté du juif, 6+6 a
430 Tout est en magasin et tout a son tarif. 6+6 a
Et les nécessités d'exploits hideux que crée 6+6 b
Cette vente à l'encan de la chose sacrée ! 6+6 b
Ces pillages où Rome a plusieurs portions ! 6+6 a
Ces envahissements et ces extorsions 6+6 a
435 D'héritages qu'on vient d'un coup de hache fendre, 6+6 b
Et qui n'ont plus le bras du chef pour les défendre ! 6+6 b
Ces fouilles de corbeaux dans le ventre des morts ; 6+6 a
Ces guerres où, n'osant s'en prendre aux hommes forts, 6+6 a
Craignant le bras qui frappe et la lance qui blesse, 6+6 b
440 La couardise appelle au combat la faiblesse ! 6+6 b
Quand on a devant soi des barons, la plupart 6+6 a
Bandits bien crénelés et droits sur leur rempart, 6+6 a
Maîtres de quelque place à d'autres usurpée, 6+6 b
Qu'on arrondisse un peu sa terre avec l'épée, 6+6 b
445 En jouant au plus brave et non pas au plus fin, 6+6 a
Cela n'est pas très bien peut-être, mais enfin 6+6 a
Coup pour coup, le fer bat le fer, cela se passe 6+6 b
Entre ma panoplie et votre carapace, 6+6 b
Nous sommes gens gantés d'acier, bottés d'airain, 6+6 a
450 A visière féroce, à visage serein, 6+6 a
En guerre ! et nous pouvons nous regarder en face. 6+6 b
Mais qu'on prenne aux petits pour les gros ; mais qu'on fasse 6+6 b
Un apanage à tel ou tel prélat câlin 6+6 a
Avec des biens de veuve ou des biens d'orphelin ; 6+6 a
455 Mais, au mépris des lois divines et chrétiennes, 6+6 b
Pour doter des frocards et des braillards d'antiennes, 6+6 b
Et des clercs qui, béats, par le vin attendris, 6+6 a
Vous disent : faites maigre ! et mangent des perdrix, 6+6 a
Qu'on pille son douaire à cette pauvre vieille, 6+6 b
460 Qu'à cet enfant, qui fait un murmure d'abeille 6+6 b
Et qui rit en voyant rentrer les assassins, 6+6 a
On vole sa maison et son champ, par les saints ! 6+6 a
Je dis que c'est horrible, et toute honte est bue 6+6 b
Autant par qui reçoit que par qui distribue ! 6+6 b
465 Le meurtre vole afin d'acheter le pardon. 6+6 a
Rome est un champ ayant le moine pour chardon ; 6+6 a
Que l'âne de Jésus vienne donc et le broute ! 6+6 b
Ces prêtres qui pour ombre ont derrière eux le doute, 6+6 b
Faux, masqués, emmiellant de leur perfide esprit 6+6 a
470 Le bord du vase au fond duquel le démon rit, 6+6 a
Traîtres du ciel, à qui l'opprobre profitable 6+6 b
Donne bon feu, bon lit, bon gîte et bonne table, 6+6 b
Ah ! ces larrons sacrés, malheur sur eux, malheur ! 6+6 a
Oh ! que j'aime bien mieux le simple et franc voleur ! 6+6 a
475 Des fauves attentats sauvage cénobite, 6+6 b
Il a l'ombre pour antre et pour cloître ; il habite 6+6 b
Les déserts, les halliers creusés en entonnoirs, 6+6 a
Le derrière des murs croulants, les recoins noirs 6+6 a
Des palais qu'on bâtit, où, la nuit, dans les pierres 6+6 b
480 On entend le choc brusque et fuyant des rapières ; 6+6 b
Ce brigand a du sang au front, mais pas de fard ; 6+6 a
Il est âpre et hideux, mais il n'est point cafard, 6+6 a
Mais il ne se met pas un surplis sur le râble, 6+6 b
Mais il risque du moins sa peau, le misérable ! 6+6 b
485 Le seigneur est la griffe et le prêtre est la dent. 6+6 a
C'est grâce à tout cela que, la débauche aidant, 6+6 a
L'horreur est installée en nos tours féodales. 6+6 b
Ah ! crimes, deuils, banquets, prêtres, femmes, scandales ! 6+6 b
Rire et foudre mêlant leurs funèbres éclats ! 6+6 a
490 Nous frissonnons de voir tout ce qu'on voit, hélas, 6+6 a
Dans ces vaillants manoirs si glorieux naguères, 6+6 b
Quand, vieux aigles blanchis, et vieux faucons des guerres, 6+6 b
Par les brèches que fit le glaive, nous plongeons 6+6 a
Nos yeux dans la noirceur lugubre des donjons ! 6+6 a
*
495 Le soleil déclinait ; de leurs piques bourrues 6+6 b
Les soldats refoulaient le peuple au coin des rues, 6+6 b
Les prêtres chuchotaient près du trône rangés. 6+6 a
— J'ai faim, dit Elciis. L'empereur dit : — Mangez. 6+6 a
II
LE DEUXIÈME JOUR
ROIS ET PEUPLES
Vous êtes plusieurs rois ici, j'en suis bien aise. 6+6 b
500 Donc on peut vous parler en face. Toi, Farnèse, 6+6 b
Rends-nous compte de Parme ; et toi, duc Avellan, 6+6 a
De Montferrat ; et toi, Visconti, de Milan, 6+6 a
Vous avez ces pays ; qu'est-ce que vous en faites ? 6+6 b
L'Italie est heureuse et voit de belles fêtes ! 6+6 b
505 Le duc Sforce est un sbire ; il faudrait qu'on plongeât, 6+6 a
Pour trouver son pareil, plus bas que le goujat ; 6+6 a
Voulez-vous des bandits, Guiscard vous en procure ; 6+6 b
Strongoni, qui mourut d'une manière obscure 6+6 b
L'an passé, n'avait pas vécu très clairement ; 6+6 a
510 Craignez Foulque après boire, Alde après un serment ; 6+6 a
Squillaci roue et pend ; Malaspina s'adonne 6+6 b
A mêler la jusquiame avec la belladone ; 6+6 b
Le soir voit arriver joyeux à son festin 6+6 a
Des gens que voit mourir l'œil pâle du matin. 6+6 a
515 Si Pandolfe a trouvé quelque part sa patente 6+6 b
De général, pardieu, ce n'est pas dans la tente. 6+6 b
Sixte étrangla Thomond ; Urbin extermina 6+6 a
Montecchi ; le vieux côme égorgea Gravina ; 6+6 a
Ezzelin est faussaire, Ottobon est bigame, 6+6 b
520 Litta fait poignarder dans un bal à Bergame 6+6 b
Bernard Tumapailler, comte de Fezensac : 6+6 a
Jean massacre Borso ; Ports dérobe le sac 6+6 a
Que Boccanegre avait laissé dans sa gondole ; 6+6 b
Bonacossi sanglant rase la Mirandole ; 6+6 b
525 Et quant à monsieur d'Este, ah ! tous vos généraux 6+6 a
L'admirent ; quel vainqueur ! L'an passé, ce héros, 6+6 a
Avec force soudards levant la pertuisane, 6+6 b
Partit pour conquérir la marche trévisane ; 6+6 b
On battait du tambour, on jouait du hautbois ; 6+6 a
530 Un gros de paysans l'attaque au coin d'un bois, 6+6 a
L'armée au premier choc plie, et ce guerrier rare 6+6 b
Prit la fuite, et revint en chemise à Ferrare 6+6 b
Après avoir été volé dans le chemin. 6+6 a
Guy tue Alphonse afin d'être comte romain ; 6+6 a
535 Le duc Fosdinovo vend Nice au barbaresque ; 6+6 b
Spinetta se fait peindre ayant, dans une fresque, 6+6 b
Un crâne entre les dents comme un singe une noix ; 6+6 a
Fiesque empoisonne Azzo, c'est le mode génois ; 6+6 a
De par l'assassinat Sapandus est exarque ; 6+6 b
540 Cibo, pour traverser le lac Fucin, embarque 6+6 b
Trois enfants, dont il doit hériter, ses neveux, 6+6 a
Sur un bateau doré qu'il suit de tous ses vœux, 6+6 a
Et qui les noie, étant fait de planches trop minces. 6+6 b
Mais expliquons-nous donc, vous nommez ça des princes ! 6+6 b
545 Un tas de scélérats et de coupe-jarrets ! 6+6 a
La justice en leur nom prononce des arrêts ; 6+6 a
On les appelle grands, nobles, sérénissimes ; 6+6 b
Ils sont comme des feux allumés sur des cimes ; 6+6 b
Augustes marauds ! gueux de l'honneur trafiquant ! 6+6 a
550 Drôles que frapperaient, à l'autel comme au camp, 6+6 a
Au nom du chaste glaive, au nom du temple vierge, 6+6 b
Ulysse de son sceptre et Jésus de sa verge ! 6+6 b
Si vous vous êtes mis dans l'esprit qu'en ayant 6+6 a
Plus d'infamie, on est un roi plus flamboyant, 6+6 a
555 Si vous vous figurez vos races rajeunies 6+6 b
Par vos férocités et vos ignominies, 6+6 b
Rois, je vous le redis, vous vous trompez ; l'erreur, 6+6 a
C'est de croire qu'un nom peut grandir par l'horreur, 6+6 a
La fraude et les forfaits accumulés sans cesse. 6+6 b
560 Une augmentation de honte et de bassesse, 6+6 b
D'ombre et de déshonneur n'accroît pas les maisons ; 6+6 a
La fange n'a jamais redoré les blasons. 6+6 a
Ah ! deuil sans borne après les prouesses sans nombre ! 6+6 b
Vous faites du passé votre piédestal sombre ; 6+6 b
565 Sur les grands siècles morts sans tache et sans défaut 6+6 a
Vous montez, pour porter votre honte plus haut ! 6+6 a
Vous semblez avec eux avoir fait la gageure 6+6 b
D'égaler leur lumière et leur lustre en injure, 6+6 b
Et de ne pas laisser à leur vieille fierté 6+6 a
570 Une splendeur sans mettre un opprobre à côté ; 6+6 a
Et vous avez le prix dans cette affreuse joute 6+6 b
Où votre abjection à leur gloire s'ajoute ! 6+6 b
O Dieu qui m'entendez, ces hommes sont hideux, 6+6 a
Certe, ils sont étonnés de nous comme nous d'eux. 6+6 a
575 Avez-vous fait erreur ? et que faut-il qu'on pense ? 6+6 b
A qui le châtiment ? à qui la récompense ? 6+6 b
Quelle nuit ! N'est-ce pas le plus dur des affronts 6+6 a
Que nous les preux ayons pour fils eux, les poltrons ! 6+6 a
Et qu'abjects et rompant les anciens équilibres, 6+6 b
580 Eux les tyrans, soient nés de nous, les hommes libres ; 6+6 b
Si bien que l'honnête homme est chargé du maudit 6+6 a
Et que le juste doit répondre du bandit ! 6+6 a
Qu'ont-ils fait pour porter des noms comme les nôtres, 6+6 b
Par quel fil pouvons-nous tenir les uns aux autres, 6+6 b
585 Dieu puissant ! et comment avons-nous mérité 6+6 a
Eux ces pères, et nous, cette postérité ? 6+6 a
Ah ! le siècle difforme et funeste où nous sommes, 6+6 b
En étalant, auprès des tombes, de tels hommes, 6+6 b
Si lâches, si méchants, si noirs, que j'en frémis, 6+6 a
590 Offense la pudeur des aïeux endormis. 6+6 a
Le vent à son gré roule et tord la banderole. 6+6 b
Je n'avais pas dessein quand j'ai pris la parole 6+6 b
De dire tout cela, mais c'est dit, et c'est bon. 6+6 a
Rois, je sens sur ma lèvre errer l'ardent charbon ; 6+6 a
595 A moi simple, il me vient en parlant des idées, 6+6 b
La patrie et la nuit sur moi sont accoudées 6+6 b
Et toute l'Italie en mon âme descend. 6+6 a
Je sens mon sombre esprit comme un flot grossissant. 6+6 a
Dieu sans doute a voulu, sire, que votre altesse 6+6 b
600 Vît l'indignation qui sort de la tristesse. 6+6 b
Je sais que par instants le public devient froid 6+6 a
Pour le bien et le mal, pour le crime et le droit, 6+6 a
Le comble de la chute étant l'indifférence ; 6+6 b
On vit, l'abjection n'est plus une souffrance ; 6+6 b
605 On regarde avancer sur le même cadran 6+6 a
Sa propre ignominie et l'orgueil du tyran ; 6+6 a
L'affront ne pèse plus ; et même on le déclare. 6+6 b
A ces époques-là de sa honte on se pare ; 6+6 b
Temps hideux où la joue est rose du soufflet. 6+6 a
610 La jeunesse a perdu l'élan qui la gonflait ; 6+6 a
Le tocsin ne fait plus dresser la sentinelle, 6+6 b
Ce fauve oiseau qui bat les cloches de son aile 6+6 b
Est cloué sur la porte obscure du beffroi ; 6+6 a
Oui, sire, aux mauvais jours, sous quelque méchant roi, 6+6 a
615 Féroce, quoique vil, et, quoique lâche, rude, 6+6 b
Toute une nation se change en solitude ; 6+6 b
L'échine et le bâton semblent être d'accord, 6+6 a
L'un frappe et l'autre accepte ; et le peuple a l'air mort ; 6+6 a
On mange, on boit ; toujours la foule, plus personne ; 6+6 b
620 Les âmes sont un sol aride où le pied sonne ; 6+6 b
Les foyers sont éteints, les cœurs sont endormis ; 6+6 a
Rois, voyant ce sommeil, on se croit tout permis. 6+6 a
Ah ! la tourbe est ignoble et l'élite est indigne. 6+6 b
De l'avilissement l'homme porte le signe. 6+6 b
625 L'air tiède et mou, le temps qui passe, la gaîté, 6+6 a
Les chants, l'oubli des morts, tout est complicité ; 6+6 a
Tous sont traîtres à tous, et la foule se rue 6+6 b
A traîner les vaincus par les pieds dans la rue ; 6+6 b
Le silence est au fond de tout le bruit qu'on fait ; 6+6 a
630 On est prêt à baiser Satan s'il triomphait ; 6+6 a
Le mal qui réussit devient digne d'estime ; 6+6 b
L'applaudissement suit, la chaîne au cou, le crime, 6+6 b
Que la libre huée a d'abord précédé ; 6+6 a
On voit — car le malheur lui-même dégradé 6+6 a
635 Abdique la colère et se couche et se vautre, 6+6 b
Dans l'espoir d'avoir part au pillage d'un autre 6+6 b
Les extorqués faisant cortège aux extorqueurs. 6+6 a
Pas une résistance illustre dans les cœurs ! 6+6 a
La tyrannie altière, atroce, inexorable, 6+6 b
640 Est le vaste échafaud de l'homme misérable ; 6+6 b
Le maître est le gibet, les flatteurs sont les clous. 6+6 a
Mangé de la vermine ou dévoré des loups, 6+6 a
Tel est le sort du peuple ; il faut qu'il s'y résigne. 6+6 b
Des vautours, des corbeaux. Mais où donc est le cygne ? 6+6 b
645 Où donc est la colombe ? où donc est l'alcyon ? 6+6 a
Quand on n'est pas Tibère on est Trimalcion. 6+6 a
L'un rampe, lèche et rit pendant que l'autre opprime. 6+6 b
Sombre histoire ! le vice est le fumier du crime ; 6+6 b
Les hommes sont bassesse ou bien férocité ; 6+6 a
650 Meurtre dans le palais, fange dans la cité ; 6+6 a
Le tyran est doublé du valet ; et le monde 6+6 b
Va de l'antre du fauve à l'auge de l'immonde. 6+6 b
Tout ce que je dis là vous fait l'esprit content, 6+6 a
C'est votre joie, ô rois ; mais écoutez pourtant. 6+6 a
655 Rois, qu'une seule voix proteste, elle réveille 6+6 b
Au fond de ce silence une sinistre oreille. 6+6 b
Et fait rouvrir un œil terrible en cette nuit ; 6+6 a
Prenez garde à celui qui fait le premier bruit ; 6+6 a
Un seul passant sévère et ferme déconcerte 6+6 b
660 Dans son abjection l'immensité déserte ; 6+6 b
Un vivant n'a qu'à dire aux cadavres un mot, 6+6 a
Et l'ossuaire va se lever en sursaut. 6+6 a
Princes, aussi longtemps qu'on croit le ciel compère, 6+6 b
On se tait ; tant qu'on voit le tyran qui prospère 6+6 b
665 Et le lâche succès qui le suit comme un chien, 6+6 a
C'est bon ; tant que le mal qu'il fait se porte bien, 6+6 a
Sa personne est un dogme et son règne est un culte. 6+6 b
Un beau jour, brusquement, catastrophe, tumulte, 6+6 b
Tout croule et se disperse, et dans l'ombre, les cris, 6+6 a
670 L'horreur, tout disparaît ; et, quant a moi, je ris 6+6 a
De ceux qu'ébahiraient ces chutes de tonnerre. 6+6 b
Pisistrate, Manfred, Hippias, Foulques-Nerre, 6+6 b
Hatto du Rhin, Jean deux, le pire des dauphins, 6+6 a
Macrin, Vitellius, ont fait de sombres fins ; 6+6 a
675 Rois, ce ne sont point là des choses que j'invente ; 6+6 b
C'est de l'histoire. On peut régner par l'épouvante 6+6 b
Et la fraude, assisté de tel prêtre moqueur 6+6 a
Et fourbe, à qui les vers mangent déjà le cœur, 6+6 a
On peut courber les grands, fouler la basse classe ; 6+6 b
680 Mais à la fin quelqu'un dans la foule se lasse, 6+6 b
Et l'ombre soudain s'ouvre, et de quelque manteau 6+6 a
Sort un poing qui se crispe et qui tient un couteau. 6+6 a
Vous dites : — Devant moi tout fléchit et recule ; 6+6 b
Moi, je viens de Turnus ; moi je descends d'Hercule ; 6+6 b
685 J'ai le respect de tous, étant né radieux 6+6 a
Et fils de ces héros qui touchaient presque aux dieux. — 6+6 a
Ne vous fiez pas trop à vos grands noms, mes maîtres ; 6+6 b
Car vous seriez frappés, quels que soient vos ancêtres, 6+6 b
Eussiez-vous sur le front l'étoile Aldébaran. 6+6 a
690 On s'inquiète peu des aïeux d'un tyran, 6+6 a
Du Chéréas quelconque on applaudit l'audace. 6+6 b
Qu'Aurélien soit noble ou bourgeois, qu'il soit dace 6+6 b
Ou hongrois, ce n'est pas ce que je veux savoir, 6+6 a
Mais il fut dur et sombre ; et, quant au vengeur noir 6+6 a
695 Qui rejette au tombeau cette âme ensanglantée, 6+6 b
Que ce soit Mucapor ou que ce soit Mnesthée, 6+6 b
Qu'importe ? Un tyran tombe, un despote est détruit, 6+6 a
Je n'en demande pas davantage à la nuit. 6+6 a
Ces meurtres-là sont grands Brutus en est la marque ; 6+6 b
700 Chion, Léonidas en poignardant Cléarque, 6+6 b
Ont montré qu'il étaient disciples de Platon ; 6+6 a
Harmodius n'avait pas de poil au menton 6+6 a
Quand il dit : je tuerai le tyran ; il le tue ; 6+6 b
Et la Grèce lui fait dresser une statue 6+6 b
705 Qui tenait à la main une épée et des fleurs. 6+6 a
On peut frapper le roi qui vit de vos malheurs, 6+6 a
L'usurpateur armé de forfaits et de ruses ; 6+6 b
C'était l'opinion des grecs amants des muses, 6+6 b
Peuple si délicat que, sous ces nobles cieux, 6+6 a
710 Les orfèvres, sculpteurs des métaux précieux, 6+6 a
Moulaient les coupes d'or sur la gorge des femmes. 6+6 b
Ainsi furent punis certains hommes infâmes, 6+6 b
Car on n'épargne point qui n'a rien épargné ; 6+6 a
Et l'histoire les suit d'un regard indigné. 6+6 a
715 Moi, je ne juge pas ces justices sinistres ; 6+6 b
Je les vois, je n'ai point la garde des registres 6+6 b
Ni la révision des arrêts ; je n'ai pas 6+6 a
De signature à mettre au bas de ces trépas ; 6+6 a
C'est la chose de Dieu, non la mienne ; l'affaire 6+6 b
720 Le regarde, et non moi, vieux néant de la guerre, 6+6 b
Spectre, qui vais traînant mes pas estropiés 6+6 a
Et qui sens des douleurs sous la plante des pieds ; 6+6 a
Après tout, je ne suis ni mage ni prophète ; 6+6 b
Et que la volonté du ciel profond soit faite ! 6+6 b
725 Rois, je n'apporte ici que l'avertissement. 6+6 a
O princes, vous pouvez crouler subitement. 6+6 a
Vous avez beau compter sur vos soldats horribles ; 6+6 b
Les comètes aussi sont fortes et terribles, 6+6 b
Elles vont à l'assaut du soleil rayonnant, 6+6 a
730 Elles font peur au ciel ; mais Dieu, rien qu'en tournant 6+6 a
Son doigt mystérieux vers les nuits scélérates, 6+6 b
Fait dans l'océan noir fuir ces astres pirates. 6+6 b
*
Le pas des lansquenets sonnait sur les pavés. 6+6 a
— J'ai soif, dit Elciis. L'empereur dit : — Buvez. 6+6 a
III
LE TROISIÈME JOUR
LES CATASTROPHES
735 L'éternité n'est point dans vos apothéoses ; 6+6 b
Et Dieu ne l'a donnée à rien, pas même aux roses. 6+6 b
Le temps que vous avez n'est pas illimité. 6+6 a
Un jour vient, tout se paie ; et la calamité, 6+6 a
Qui sortit si souvent de vos palais, y rentre. 6+6 b
740 La foule alors, autour du maître dans son antre, 6+6 b
Bouillonne et s'enfle ; on voit les pauvres demi-nus 6+6 a
Rugir, humbles hier, brusquement devenus 6+6 a
Plus hagards que les huns et que les assagètes. 6+6 b
Ah ! les reines — je plains les femmes — sont sujettes 6+6 b
745 Aux cheveux blanchissant dans une seule nuit. 6+6 a
L'incendie au sommet des tours s'épanouit, 6+6 a
Seule utile lueur qui sorte du despote ; 6+6 b
Au-dessus du palais, buisson de flamme, il flotte, 6+6 b
Et, croissant à travers les toits, ouvre au milieu 6+6 a
750 Ses pétales d'aurore et ses feuilles de feu, 6+6 a
Étant la rose horrible et fauve des décombres. 6+6 b
Vous avez dans vos cœurs ces pressentiments sombres ; 6+6 b
C'est pourquoi, malgré vous, vous êtes pleins d'ennuis. 6+6 a
Qui suis-je maintenant, moi qui parle ? Je suis 6+6 a
755 Un vieux homme qui va sur la route. On l'arrête. 6+6 b
Entrez ; il parle, il dit son avis sur la fête ; 6+6 b
Rien de plus. Rois, je suis cet horrible inconnu 6+6 a
Qu'on nomme le passant et le premier venu ; 6+6 a
Je suis la grande voix du dehors ; et les choses 6+6 b
760 Que je dis, et qui font blêmir vos fronts moroses, 6+6 b
Sont celles qu'à vos pieds tout un peuple vivant 6+6 a
Rêve et pense, et qu'emporte au fond des cieux le vent. 6+6 a
Car lorsque je disais que les âmes sont mortes, 6+6 b
Tout à l'heure, et que rien ne remue à vos portes, 6+6 b
765 Et que la lâcheté publique a fait la paix 6+6 a
Avec votre infamie, ô rois, je me trompais. 6+6 a
Non, Rome vit dans Rome, et l'eau bout dans le vase. 6+6 b
Mais à mon âge on peut broncher dans une phrase ; 6+6 b
Faire erreur sur un mot n'est rien ; l'essentiel 6+6 a
770 C'est d'être une âme honnête et droite sous le ciel. 6+6 a
Donc, le moment approche où la grappe, étant mûre, 6+6 b
Tombera. L'heure vient. — Mais j'entends qu'on murmure. 6+6 b
Est-ce que par hasard ils ont imaginé, 6+6 a
Ces princes, ces bandits compagnons d'un damné, 6+6 a
775 Ces gangrenés du mal, ces rois en qui suppure 6+6 b
Toute l'abjection de notre époque impure, 6+6 b
Que j'étais un soldat de l'humeur des valets ; 6+6 a
Qu'en me disant : parlez, vous qui passez ! j'allais 6+6 a
Avec la flatterie, immonde et vil dictame 6+6 b
780 Panser complaisamment l'ulcère de leur âme ; 6+6 b
Que moi, le vieux pisan, je courberais le front, 6+6 a
Et qu'ils pourraient, étant les malheureux qu'ils sont, 6+6 a
Ce Ranuce, ce Jean, ce Ratbert, cet Alonze, 6+6 b
Faire sucer leur plaie à la bouche de bronze ? 6+6 b
785 Pour adorer Ratbert il faut être Ratbert ; 6+6 a
Pour admirer Ranuce en perfidie expert 6+6 a
Et Jean l'homme du meurtre, il faudrait que je n'eusse 6+6 b
Pas plus de cœur que Jean ni d'âme que Ranuce. 6+6 b
Oh ! laissez-moi cacher mon front sous mon manteau. 6+6 a
790 Quand me descendra-t-on dans le Campo-Santo, 6+6 a
Avec les trépassés augustes qu'on oublie, 6+6 b
Avec les chevaliers de la vieille Italie, 6+6 b
Loin des vivants, parmi les spectres d'Orcagna ? 6+6 a
Pourquoi faut-il qu'à ceux que la guerre épargna 6+6 a
795 La mort vienne si tard, hélas ! menant en laisse 6+6 b
Ces deux chiens monstrueux, la honte et la vieillesse ? 6+6 b
Ah ! jeunes gens ! les ans font plier mes genoux, 6+6 a
Je suis triste jusqu'à la haine devant vous. 6−6 a
Ah ! la décrépitude à l'opprobre ressemble ! 6+6 b
800 Le dedans reste ferme ; hélas, le dehors tremble. 6+6 b
Nous avons beau flétrir ces nouveaux arrivants, 6+6 a
Nous ne pouvons punir ; nous ne sommes vivants 6+6 a
Que juste ce qu'il faut pour endurer l'offense. 6+6 b
Qu'il est dur de rentrer dans la mort par l'enfance 6+6 b
805 Ah ! c'est un grand malheur et c'est un grand dépit 6+6 a
D'être encore lion quand le renard glapit, 6+6 a
D'entendre les chacals et les bêtes funèbres 6+6 b
Faire leur fête horrible au milieu des ténèbres, 6+6 b
Et de ne pouvoir pas, étant malade et vieux, 6+6 a
810 Secouer sa crinière énorme jusqu'aux cieux ! 6+6 a
Je vois ce qui s'écroule et je vois ce qui monte, 6+6 b
Ruine de la gloire et croissance de honte ; 6+6 b
Et l'ouvre avec regret mes vieux yeux assoupis. 6+6 a
Et si je vais trop loin dans mes discours, tant pis ! 6+6 a
815 Car je n'ai pas le temps de prendre des mesures 6+6 b
Du degré de respect qu'on doit à vos masures, 6+6 b
A vos tours, à vous, sire, et de la quantité 6+6 a
De mépris qui convient à votre majesté. 6+6 a
O misère ! pendant que tout entiers vous êtes 6+6 b
820 Aux plaisirs, aux chansons, aux bals, aux coupe-têtes, 6+6 b
Aux meurtres, aux festins abjects, aux jeux brutaux, 6+6 a
Aux pièges qu'on se tend de châteaux à châteaux, 6+6 a
Ceux-ci pillant ceux-là, ceux-là tondant les autres, 6+6 b
Les plus sanglants disant tout bas des patenôtres, 6+6 b
825 Sournois, avant toujours votre ami pour danger ; 6+6 a
Pendant que vous passez votre temps à manger, 6+6 a
A vous soûler de vin et d'horreurs inconnues, 6+6 b
Regardant l'impudeur des femmes presque nues, 6+6 b
Contemplant aux miroirs vos malsaines pâleurs, 6+6 a
830 Vous parfumant de musc, vous couronnant de fleurs, 6+6 a
Et des gens que j'ai dit grossissant les prébendes, 6+6 b
Hélas ! les sarrasins du Fraxinet, par bandes, 6+6 b
Infestent la Provence et le bas Dauphiné ; 6+6 a
Humbert, dauphin de Vienne, est chez lui confiné ; 6+6 a
835 Personne ne défend la marche occidentale 6+6 b
Où la cavalerie espagnole s'installe, 6+6 b
Et je ne sache pas qu'un comte ou qu'un marquis 6+6 a
S'en montre curieux et qu'on se soit enquis 6+6 a
De quels Guadalquivirs et de quelles Navarres 6+6 b
840 Sortent ces catalans et ces almogavares. 6+6 b
Partout l'étranger vient et de Naple aux Grisons 6+6 a
Montre sa pique au bord de nos noirs horizons. 6+6 a
Chocs, alertes, assauts, invasions soudaines ; 6+6 b
Ils viennent de Nubie, ils viennent des Ardennes. 6+6 b
845 Au duc Welf qui, lassé de ne voir ni vaillant, 6+6 a
Ni prince devant lui, vous regarde en bâillant, 6+6 a
Quel bras opposez-vous, dites ? Quel capitaine 6+6 b
Aux usurpations des tyrans d'Aquitaine ? 6+6 b
Une maille de moins défait tout le tricot ; 6+6 a
850 Vous n'avez plus le Var, vous n'avez plus l'Escaut. 6+6 a
Chaque passant arrache au vieux temple une brique. 6+6 b
Abraham, empereur des maures en Afrique, 6+6 b
Laissant derrière lui les royaumes penchés 6+6 a
Et saignants, et les champs de cadavres jonchés, 6+6 a
855 Approche, et le voilà qui touche à l'Italie ; 6+6 b
Nos murs, dont le drapeau frissonnant se replie, 6+6 b
Chancellent, et déjà sur leur morne blancheur 6+6 a
Nous pouvons voir grandir l'ombre de ce faucheur. 6+6 a
Du sud accourt le nègre, et du nord vient le singe ; 6+6 b
860 Les huns sortent velus des forêts de Thuringe ; 6+6 b
Le spectre d'Alaric rôde et sonne du cor ; 6+6 a
Les vieilles nations vandales sont encor 6+6 a
A nos portes, grinçant les dents et hurlant toutes, 6+6 b
Dans la Souabe, pays fauve et qui n'a pour routes 6+6 b
865 Que des sentiers perdus dans le sombre des bois. 6+6 a
L'empereur grec pâlit dans Byzance aux abois ; 6+6 a
Son armée est sans duc, sa flotte est sans drungaire ; 6+6 b
Pas d'hommes, pas d'argent ; comment faite la guerre ? 6+6 b
Toute la chrétienté le laisse sans appui ; 6+6 a
870 Ce livide Andronic, entre les turcs et lui, 6+6 a
N'a plus qu'un bras de mer de deux milles de large ; 6+6 b
Ce césar plie au poids du monde qui le charge ; 6+6 b
Du toit de son palais, il voit à l'orient 6+6 a
Les barbares tirer leurs sabres en riant ; 6+6 a
875 Son fils, Kyr Michaël, craint de livrer bataille. 6+6 b
Ici, quels chefs a-t-on ? qui ? de la valetaille. 6+6 b
Car vous n'obéissez qu'à plus petit que vous ; 6+6 a
Vous avez l'orgueil bas ayant le cœur jaloux. 6+6 a
Princes, l'infirmité de ce croulant empire, 6+6 b
880 C'est que toujours le moindre est choisi par le pire ; 6+6 b
Le cul-de-jatte est duc dans le camp des goîtreux. 6+6 a
Quant aux moines à casque, ils se battent entre eux, 6+6 a
Au lieu de s'occuper de notre délivrance. 6+6 b
Villiers de l'Ile-Adam, de la langue de France, 6+6 b
885 Guerroie Ugoccion, grand maître des portiers. 6+6 a
Une gorgone sort de tous ces bénitiers ; 6+6 a
Et le pape à servir des messes utilise 6+6 b
Azon cinq, général des troupes de l'église. 6+6 b
Le peu qui nous restait des bons vieux généraux 6+6 a
890 Meurt de votre dédain aidé de vos bourreaux ; 6+6 a
On oublie à Final don Fabrice, on expulse 6+6 b
Roger, on met au banc de l'empire Trivulce ; 6+6 b
Et l'ennemi s'avance, et vous n'avez plus là 6+6 a
Bélisaire pour faire échec à Totila. 6+6 a
895 Tout le vieux fer romain n'est plus que de la rouille. 6+6 b
Deux femmes autrefois qui filaient leur quenouille, 6+6 b
Voyant que l'étranger enjambait le fossé, 6+6 a
Ont crié : guerre ! et pris la pique, et l'ont chassé ; 6+6 a
Ces deux femmes, c'étaient, autant qu'il m'en souvienne, 6+6 b
900 Auxilia de Nice, et Mahaud d'Albon-Vienne. 6+6 b
Fils de ces femmes-là qui battaient vos vainqueurs, 6+6 a
Vous avez hérité des fuseaux, non des cœurs. 6+6 a
Déserteurs du pays, oppresseurs de l'empire, 6+6 b
Le peuple est stupéfait et ne sait plus que dire 6+6 b
905 Dans le saisissement de votre lâcheté. 6+6 a
Que reste-t-il du ciel, rois, le soleil ôté, 6+6 a
Et de la terre, hélas ! l'Italie éclipsée ? 6+6 b
Voilà. Je vous ai dit à peu près ma pensée. 6+6 b
*
Elciis s'arrêtant, car le jour était chaud, 6+6 a
910 Dit : — Je voudrais dormir. L'empereur dit : — Bientôt. 6+6 a
IV
LE QUATRIÈME JOUR
DIEU
Le maître est insensé de peser ce qu'il pèse, 6+6 b
Et, parce qu'on se tait, de croire qu'on s'apaise. 6+6 b
*
Princes, sachez-le bien. Les hommes d'autrefois 6+6 a
Valaient mieux paysans que vous ne valez rois. 6+6 a
915 La clarté de leurs yeux gêne vos regards traîtres. 6+6 b
Leurs pieds font en marchant un bruit de pas d'ancêtres. 6+6 b
Quand, survenant du fond du vieil honneur lointain, 6+6 a
Un d'eux entre chez vous à l'heure du festin, 6+6 a
Il sent frémir autour de ses talons sévères 6+6 b
920 Le tremblement des cœurs, des glaives, et des verres. 6+6 b
Oui, vous êtes les nains d'un temps chétif et laid ; 6+6 a
Que le plus grand de vous mette mon gantelet, 6+6 a
Je gage que son poing entrera dans le pouce. 6+6 b
Au rebours de l'honneur le vil instinct vous pousse. 6+6 b
925 Nous sommes les vaillants ; vous, vos morts même ont peur ; 6+6 a
L'angoisse d'un cœur faux et d'un esprit trompeur 6+6 a
Fait grelotter vos os ; si bien que nos natures 6+6 b
Se distinguent encor jusqu'en nos pourritures ; 6+6 b
Vous êtes les petits et nous sommes les bons ; 6+6 a
930 Et lorsque vous tombez, et lorsque nous tombons, 6+6 a
La mort montre, parmi les broussailles farouches, 6+6 b
Nos cadavres aux loups, et les vôtres aux mouches. 6+6 b
Les signes de ce temps, les voici : des clairons, 6+6 a
Des femmes dans les camps, des plumes sur les fronts, 6+6 a
935 Des carnavals durant la moitié de l'année, 6+6 b
Une jeunesse folle au plaisir acharnée, 6+6 b
Joyeuse ; et la rougeur sinistre des vieillards. 6+6 a
Quand deux pères rôdant le soir dans les brouillards 6+6 a
Se rencontrent non loin de vos éclats de rire, 6+6 b
940 Ils passent sans lever les yeux et sans rien dire. 6+6 b
Spectacle ténébreux qu'un peuple décroissant ! 6+6 a
Même quand tous sont là, l'on sent quelqu'un d'absent ; 6+6 a
C'est l'âme, c'est l'esprit sacré, c'est la patrie. 6+6 b
Une foule avilie, une race flétrie 6+6 b
945 Perd sa lumière ainsi qu'un bois mort perd sa fleur. 6+6 a
Que ce soit l'Italie ajoute à ma douleur. 6+6 a
La chose est surprenante et triste que des traîtres, 6+6 b
Des coquins, généraux de moines et de reîtres, 6+6 b
Puissent rapetisser lentement dans leur main 6+6 a
950 Un peuple, quand ce peuple est le peuple romain. 6+6 a
En lisant aux enfants l'histoire d'Agricole 6+6 b
Ou de Cincinnatus, les vieux maîtres d'école 6+6 b
S'arrêtent et n'ont pas la force d'achever. 6+6 a
Hélas ! on voit encor les astres se lever, 6+6 a
955 L'aube sur l'Apennin jeter sa clarté douce, 6+6 b
L'oiseau faire son nid avec les brins de mousse, 6+6 b
La mer battre les rocs dans ses flux et reflux, 6+6 a
Mais la grandeur des cœurs, c'est ce qu'on ne voit plus. 6+6 a
Ne croyez pas pourtant que je me décourage. 6+6 b
960 Je ne fais pas ici le bruit d'un vent d'orage 6+6 b
Pour n'aboutir qu'au doute et qu'à l'accablement. 6+6 a
Non, je vous le redis, sire, le grand dormant 6+6 a
S'éveillera ; non, non, Dieu n'est pas mort, ô princes. 6+6 b
Le peuple, ramassant ses tronçons, ses provinces, 6+6 b
965 Tous ses morceaux coupés par vous, pâle, effrayant, 6+6 a
Se dressera, le front dans la nuée, ayant 6+6 a
Des jaillissements d'aube aux cils de ses paupières 6+6 b
Tout luira ; le tocsin sonnera dans les pierres ; 6+6 b
Tout frémira, du cap d'Otrante au mont Ventoux ; 6+6 a
970 L'Italie, ô tyrans, sortira de vous tous. 6+6 a
De votre monstrueuse et cynique mêlée 6+6 b
Elle s'évadera, la belle échevelée, 6+6 b
En poussant jusqu'au ciel ce cri : la liberté ! 6+6 a
Le vieil honneur tient bon et n'a pas déserté. 6+6 a
975 Pour ouvrir dans la honte ou la roche une issue, 6+6 b
Il suffit d'un coup d'âme ou d'un coup de massue. 6+6 b
Tous les peuples sont vrais, même les plus niés. 6+6 a
Vous vous tromperiez fort si vous imaginiez 6+6 a
Que Dieu permet aux rois, conseillés par le prêtre, 6+6 b
980 D'éteindre la lumière auguste, et qu'il peut être 6+6 b
Au pouvoir de quelque homme ici-bas que ce soit 6+6 a
De le vaincre, et d'aller aux cieux tuer le droit. 6+6 a
Régnez, frappez, soyez mauvais, faites des fautes, 6+6 b
Faites des crimes, soit ; il est des lois très hautes. 6+6 b
985 Les flots sont doute, erreur, trouble ; le fond est sûr. 6+6 a
Sachez-le, rois d'en bas ; pour que ce globe obscur, 6+6 a
Création fatale et sainte, rayonnante, 6+6 b
Puis lugubre, et de tant de souffles frissonnante, 6+6 b
Ne soit pas, dans l'horreur de l'abîme ignoré, 6+6 a
990 Comme un sombre navire errant désemparé, 6+6 a
Rois, afin que la vie, et l'être, et la nature, 6+6 b
Restent et n'aillent pas se perdre à l'aventure 6+6 b
Dans le morne océan du mystère inconnu, 6+6 a
Par quatre chaînes d'or le monde est retenu ; 6+6 a
995 Ces chaînes sont : Raison, Foi, Vérité, justice ; 6+6 b
Et l'homme, en attendant que la mort l'engloutisse, 6+6 b
Pèse sur l'infini, sur Dieu, sur l'univers, 6+6 a
Et s'agite, et s'efforce, orageux, noir, pervers, 6+6 a
Avec ses passions folles ou criminelles, 6+6 b
1000 Sans pouvoir arracher ces ancres éternelles ! 6+6 b
*
Les yeux sous les sourcils, l'empereur très clément 6+6 a
Et très noble écouta l'homme patiemment, 6+6 a
Et consulta des yeux les rois ; puis il fit signe 6+6 b
Au bourreau, qui saisit la hache.
— J'en suis digne, 6+6 b
1005 Dit le vieillard, c'est bien, et cette fin me plaît.— 6+6 a
Et calme il rabattit de ses mains son collet, 6+6 a
Se tourna vers la hache, et dit : Je te salue. 6+6 b
Maîtres, je ne suis point de la taille voulue, 6+6 b
Et vous avez raison. Vous, princes, et vous, roi, 6+6 a
1010 J'ai la tête de plus que vous, ôtez-la-moi. 6+6 a
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