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HUG_5/HUG871
Victor HUGO
LA LÉGENDE DES SIÈCLES
DERNIÈRE SÉRIE
1883
VI
INFÉRI
Inféri
On est dans l'invisible, on est dans l'impalpable. 6+6 a
Ici tout, jusqu'à l'air qu'on respire, est coupable, 6+6 a
Et l'eau qui pleure est un remords ; 8 b
Sous on ne sait quelle ombre, on ne sait quelles formes 6+6 c
5 Flottent, et l'on voit, tels que des songes énormes, 6+6 c
Passer d'affreux univers morts ! 8 b
Suivis de loin d'un œil fixe qui les regarde, 6+6 a
Tristement éclairés dans leur fuite hagarde 6+6 a
Par d'horribles astres hiboux, 8 b
10 Charriant prêtre et roi, prince, esclave, ministre, 6+6 c
Traînant dans leurs agrès l'éternité sinistre 6+6 c
Qui porte l'ombre à ses deux bouts ; 8 b
Agitant des linceuls et secouant des chaînes, 6+6 a
Pleins de vers, fourmillant de monstres, noirs de haines, 6+6 a
15 Demandant au gouffre un flambeau, 8 b
En proie aux vents soufflant d'une bouche insensée 6+6 c
Mondes spectres qui font hésiter la pensée 6+6 c
Entre le bagne et le tombeau ; 8 b
Ils vont ! les uns chantant ainsi que des Sodomes ; 6+6 a
20 Les autres, visions, créations, fantômes, 6+6 a
Sans palpitation, sans bruit ; 8 b
Et derrière eux, chargés des maux que nous subîmes 6+6 c
Ils ont pour les pousser d'abîmes en abîmes 6+6 c
Toute la fureur de la nuit ! 8 b
25 Ils vont ! l'espace est morne et sourd ; leurs envergures 6+6 a
Font dans l'affreux brouillard de lugubres figures. 6+6 a
Pas d'ancres et pas d'avirons. 8 b
L'hiver les bat, la grêle aux flots pressés les crible, 6+6 c
Et la pluie effarée à la crinière horrible 6+6 c
30 Tord les nuages sur leurs fronts. 8 b
Chiourmes de la mort, égouts, fosses communes ! 6+6 a
On les voit vaguement comme de sombres lunes. 6+6 a
Rien n'arrête leur vol hideux. 8 b
Au-dessus d'eux la brume et l'horreur se répandent, 6+6 c
35 La profondeur les hait ; les précipices pendent 6+6 c
Dans les gouffres au-dessous d'eux. 8 b
Ils traversent, allant où l'ouragan les lance, 6+6 a
Tantôt une tempête, et tantôt un silence ; 6+6 a
L'univers vivant et profond 8 b
40 Ne les aperçoit pas dans les brouillards sans bornes ; 6+6 c
Ils passent dans la nuit comme des faces mornes 6+6 c
Qui paraissent et qui s'en vont. 8 b
Ces globes, qu'en prisons, Seigneur, vous transformâtes, 6+6 a
Ces planètes-pontons, ces mondes-casemates, 6+6 a
45 Flottes noires du châtiment, 8 b
Errent, et sur les flots tortueux et funèbres, 6+6 c
Leurs mâts de nuit, portant des voiles de ténèbres, 6+6 c
Frissonnent éternellement. 8 b
Des tourbillons ayant des formes de furies 6+6 a
50 Les poursuivent ; les pleurs, sources jamais taries, 6+6 a
Les angoisses et les effrois, 8 b
Le désespoir, l'ennui, la démence, le crime, 6+6 c
Vident sur ces passants monstrueux de l'abîme 6+6 c
Toutes leurs urnes à la fois. 8 b
55 Là sont tous les punis et tous les misérables ; 6+6 a
Rongés par leurs passés, ulcères incurables, 6+6 a
La face aux trous de leurs cachots, 8 b
Criant : où sommes-nous ? d'une voix éperdue, 6+6 c
Et distinguant parfois, sous eux, dans l'étendue, 6+6 c
60 Des monts, pustules du chaos. 8 b
Là Caïn pleure, Achab frémit, Commode rêve, 6+6 a
Borgia rit ; les vers de terre armés du glaive, 6+6 a
Les roseaux qui disaient : je veux ! 8 b
Sont là ; les Pharaons et les Sardanapales 6+6 c
65 S'y courbent ; le vent souffle ; au fond, des larves pâles 6+6 c
Penchent leurs sinistres cheveux. 8 b
Là sont les trahisseurs mêlés aux parricides, 6+6 a
Tous les despotes fous redevenus lucides 6+6 a
L'homme-loup et l'homme-renard, 8 b
70 Leur bagne par moment fait le bruit d'une claie ; 6+6 c
Le ciel leur apparaît comme une immense plaie 6+6 c
Où chacun d'eux voit son poignard. 8 b
L'ombre est un miroir sombre où leurs forfaits se montrent, 6+6 a
Leur remords est debout dans tout ce qu'ils rencontrent ; 6+6 a
75 Partout, dans le morne chemin, 8 b
Chacun d'eux voit son crime, et le reste est chimère ; 6+6 c
Le même spectre fait dire à Néron : ma mère ! 6+6 c
Et crier : mon frère ! à Caïn. 8 b
Plus bas encor s'en vont dans l'ombre expiatoire 6+6 a
80 Des mondes dont la mort même ignore l'histoire, 6+6 a
Où le mal tord ses derniers nœuds, 8 b
Cieux où toute lueur expire évanouie, 6+6 c
A qui, dans la noirceur de leur brume inouïe, 6+6 c
Tibère apparaît lumineux. 8 b
85 Quelques-uns ont été des édens et des astres. 6+6 a
Et l'on voit maintenant, tout chargés de désastres, 6+6 a
Rouler, éteints, désespérés, 8 b
L'un semant dans l'espace une effroyable graine, 6+6 c
L'autre traînant sa lèpre et l'autre sa gangrène, 6+6 c
90 Ces noirs soleils pestiférés ! 8 b
Et squelettes sans tête et crânes sans vertèbres, 6+6 a
Mages étudiant de lugubres algèbres, 6+6 a
Tous les maux par Satan rêvés, 8 b
Vices, hydres, dragons, sont là ; l'horreur sanglote ; 6+6 c
95 Ils passent ; à l'avant le néant, leur pilote, 6+6 c
Regarde avec ses yeux crevés. 8 b
Où vont-ils ? La nuit s'ouvre et sur eux se referme. 6+6 a
Le ciel, quoiqu'il soit l'ombre où la clémence germe, 6+6 a
Ignore le gouffre puni ; 8 b
100 Et nul ne sait combien de millions d'années 6+6 c
Doivent errer, traînant les larves forcenées, 6+6 c
Ces lazarets de l'infini. 8 b
Et quel effroi sur terre, et même au fond des tombes 6+6 a
Quel frisson, si, parmi les foudres et les trombes, 6+6 a
105 Aux lueurs des astres fuyants, 8 b
Nous voyions, dans la nuit où le sort nous écroue, 6+6 c
Surgir subitement l'épouvantable proue 6+6 c
D'un de ces mondes effrayants ! 8 b
mètre profils métriques : 8, 6+6
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