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HUG_5/HUG867
Victor HUGO
LA LÉGENDE DES SIÈCLES
DERNIÈRE SÉRIE
1883
II
VOIX BASSES DANS LES TÉNÈBRES
Les Hommes de paix aux Hommes de guerre
— O conquérants, guerriers, héros, faiseurs de cendres, 6+6 a
Vous les Nemrods, chasseurs géants, les Alexandres, 6+6 a
Vous qu'on nomme Alaric, Cyrus, Gengis, Timour, 6+6 b
Vous que la mort berça, petits, avec amour, 6+6 b
5 Et qui, grands, et marchant dans les apothéoses, 6+6 a
Ainsi qu'avril fait naître autour de lui des roses, 6+6 a
Avez fait sous vos pas éclore des tombeaux ; 6+6 b
Vous que l'homme, par vous dévoré, trouve beaux ; 6+6 b
Nous qu'il trouve hideux, et qui sommes vos frères, 6+6 a
10 Nous qui sommes les noirs bénisseurs funéraires, 6+6 a
Les prêtres, nous avons à vous dire ceci. 6+6 b
Écoutez.
Notre gîte auguste fut saisi, 6+6 b
Comme le vôtre, hélas, par la raison humaine ; 6+6 a
Nous avions, comme vous, les peuples pour domaine, 6+6 a
15 Et nous rôdions sur eux, puissants, l'œil en arrêt, 6+6 b
Vainqueurs, toute la terre étant notre forêt ; 6+6 b
Et nous disions à Dieu : C'est par nous que tu frappes ! 6+6 a
Car vous êtes les rois, mais nous sommes les papes ; 6+6 a
Vous êtes Attila, nous sommes Borgia. 6+6 b
20 Nous avons la madone et la panagia, 6+6 b
L'idole, comme, vous, vous avez la bataille ; 6+6 a
Princes, nous n'avons pas tout à fait votre taille, 6+6 a
Nous sommes le danger qui se met à genoux, 6+6 b
Vous grondez plus que nous, nous rampons mieux que vous ; 6+6 b
25 On sent notre velours, pire que votre griffe ; 6+6 a
Nous sommes Anitus, Torquemada, Caïphe. 6+6 a
Une grande tiare est sur nos fronts étroits. 6+6 b
Urbain huit, Sixte quint, Paul trois, Innocent trois, 6+6 b
Gerbert, l'âme livrée aux sombres aventures, 6+6 a
30 Dicatus, inventant les quatorze tortures, 6+6 a
Judas buvant le sang que Jésus-Christ suait, 6+6 b
La ruse, Loyola, la haine, Bossuet, 6+6 b
L'autodafé, l'effroi, le cachot, la bastille, 6+6 a
C'est nous ; et notre pourpre effrayante pétille 6+6 a
35 Par moments, et s'allume, et devient flamboiement. 6+6 b
Nous étions, comme vous, des dieux ; mais brusquement 6+6 b
La révolution nous mit des muselières. 6+6 a
La France mania de ses mains familières 6+6 a
Nos gueules, et, mordue et souriant, nous prit, 6+6 b
40 Fière, et, sans même avoir de plaie, étant l'esprit, 6+6 b
Elle nous a jetés dans une basse-fosse, 6+6 a
Moi prêtre, et toi tyran ; elle a déclaré fausse, 6+6 a
Ma caverne la foi, la guerre ton palais ; 6+6 b
Elle a d'altiers dompteurs, Mirabeau, Rabelais, 6+6 b
45 Molière, Diderot, Rousseau, Danton, Voltaire. 6+6 a
Maintenant nous voilà, nous qui tenions la terre, 6+6 a
Tenus à notre tour par la France.
Eh bien, non ! 6+6 b
A travers les barreaux de notre cabanon, 6+6 b
Frères, nous vous crions une bonne nouvelle 6+6 a
50 L'orbe du soleil noir revient, et se révèle 6+6 a
Par un blêmissement farouche et triomphant ; 6+6 b
Le passé, pour la terre épouvantable enfant, 6+6 b
Pour nous espoir, râlant d'une voix vengeresse, 6+6 a
Renaît, et ce cadavre en son berceau se dresse. 6+6 a
55 Son berceau c'est la tombe et son aube est la nuit. 6+6 b
La fleur noire du sombre autel s'épanouit 6+6 b
Pleine d'ombre, et promet le fruit plein de poussière. 6+6 a
Rome fatale vient de lever sa visière, 6+6 a
Dit à l'homme : Tais-toi ! dit à Dieu : Le jour ment ! 6+6 b
60 Et reprend la parole et le rugissement. 6+6 b
Encore un peu de temps, ce qui n'est que l'écorce 6+6 a
Tombera ; le droit mort laissera voir la force ; 6+6 a
Partout le joug, partout Pierre, partout César ; 6+6 b
Et l'église tout bas tutoiera le bazar ; 6+6 b
65 Les trônes reprendront leurs vastes équilibres, 6+6 a
Et les peuples seront esclaves, et nous libres. 6+6 a
A faire le gibet nous emploierons la croix. 6+6 b
Tout redeviendra guerre et vous serez les rois. 6+6 b
Tout redeviendra dogme et nous serons les maîtres. 6+6 a
70 Vous tyrans, étant chefs, nous bourreaux, étant prêtres, 6+6 a
Nous aurons de nouveau le monde sous nos pieds. 6+6 b
Et la terre verra puissamment copiés 6+6 b
Par des spectres nouveaux tous les anciens fantômes ; 6+6 a
Et nous arrondirons les ténèbres en dômes 6+6 a
75 Au-dessus du grand temple où nous mettrons l'Erreur 6+6 b
Ayant le pape à droite, à gauche l'empereur. 6+6 b
Dans notre obscurité toute la terre plonge 6+6 a
Par degrés. Et déjà, d'un ongle qui s'allonge, 6+6 a
Par l'âme de l'enfant nous tenons l'avenir. 6+6 b
80 Chez nous, exterminer fait semblant de bénir ; 6+6 b
La goutte de sang pleut du goupillon terrible ; 6+6 a
Votre hache, ô guerriers, ne vaut pas notre bible ; 6+6 a
Notre foudre est énorme, et votre quantité 6+6 b
De tonnerre est vraiment peu de chose à côté. 6+6 b
85 La Saint-Barthélemy sonne une sombre cloche ; 6+6 a
Et cette cloche sainte aujourd'hui se rapproche, 6+6 a
Et cette cloche jette une plus grande voix 6+6 b
Que toute la bataille éparse autour des rois ; 6+6 b
Car c'est derrière nous que le vrai deuil se lève ; 6+6 a
90 Nous sommes le linceul, vous n'êtes que le glaive ; 6+6 a
Vous pouvez tout au plus sur les hommes marcher, 6+6 b
Nous, nous leur commençons l'enfer par le bûcher. 6+6 b
C'est égal, vous soldats, nous prêtres, tous ensemble 6+6 a
Nous vaincrons ; nous allons tout ravoir. Déjà tremble 6+6 a
95 La grille qu'on a mise entre le peuple et nous. 6+6 b
Satan en a tiré doucement les verrous. 6+6 b
Nous allons nous ruer sur les âmes sans nombre, 6+6 a
Nous allons ressaisir la terre. —
Ainsi, dans l'ombre, 6+6 a
Pendant que nous rêvons et que nous oublions, 6+6 b
100 La cage aux tigres parle à la cage aux lions. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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