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| = césure
HUG_4/HUG860
Victor HUGO
LA LÉGENDE DES SIÈCLES
NOUVELLE SÉRIE
1877
XXVII
À L'HOMME
A l'Homme
Si tu vas devant toi pour aller devant toi, 6+6 a
C'est bien ; l'homme se meut, et c'est là son emploi ; 6+6 a
C'est en errant ainsi, c'est en jetant la sonde 6+6 b
Qu'Euler trouve une loi, que Colomb trouve un monde. 6+6 b
5 Mais, rêvant l'absolu, si c'est Dieu que tu veux 6+6 a
Prendre comme on prendrait un fuyard aux cheveux, 6+6 a
Si tu prétends aller jusqu'à la fin des choses, 6+6 b
Et là, debout devant cette cause des causes, 6+6 b
Uranus des païens, Sabaoth des chrétiens, 6+6 a
10 Dire : — Réali terrible, je te tiens ! — 6+6 a
Tu perds ta peine.
Ajuste, ô fils quelconque d'Ève, 6+6 b
N'importe quel calcul à n'importe quel rêve, 6+6 b
Ajoute à l'hypothèse une lunette, et mets 6+6 a
Des chiffres l'un sur l'autre, à couvrir les sommets 6+6 a
15 De l'Athos, du mont Blanc farouche, du Vésuve, 6+6 b
Monte sur le cratère ou plonge dans la cuve, 6+6 b
Fouille, creuse, escalade, envole-toi, descends, 6+6 a
Fais faire par Gambey des verres grossissants, 6+6 a
Guette, plane avec l'aigle ou rampe avec le crabe, 6+6 b
20 Crois tout, doute de tout, apprends l'hébreu, l'arabe, 6+6 b
Le chinois, sois indou, grec, bouddhiste, arien, 6+6 a
Va, tu ne saisiras l'extrémité de rien. 6+6 a
Poursuivre le réel, c'est chercher l'introuvable. 6+6 b
Le réel, ce fond vrai d'où sort toute la fable, 6+6 b
25 C'est la nature en fuite à jamais dans la nuit. 6+6 a
Le télescope au fond du ciel noir la poursuit, 6+6 a
Le microscope court dans l'abîme après elle ; 6+6 b
Elle est inaccessible, imprenable, éternelle, 6+6 b
Et n'est pas moins énorme en dessous qu'en dessus. 6+6 a
30 Des aspects effrayants sont partout aperçus ; 6+6 a
Le spectre vibrion vaut le soleil fantôme ; 6+6 b
Un monde plus profond que l'astre, c'est l'atome ; 6+6 b
Quand, sous l'œil des penseurs, l'infiniment petit 6+6 a
Sur l'infiniment grand se pose, il l'engloutit ; 6+6 a
35 Puis l'infiniment grand remonte et le submerge, 6+6 b
Mère terrifiante et formidable vierge, 6+6 b
Multipliant son jour par son obscuri 6+6 a
Et sa materni par sa virginité, 6+6 a
Chaste, obscène, et montrant aux mornes Pythagores 6+6 b
40 Son ventre ténébreux d'où sortent les aurores, 6+6 b
La nature fatale engendre éperdument 6+6 a
Des chaos d'où jaillit cette loi, l'élément. 6+6 a
Elle est le haut, le bas, l'immense ombre, l'aïeule ; 6+6 b
Toute sa foule étant elle-même, elle est seule ; 6+6 b
45 Monde, elle est la nature ; âme, on l'appelle Dieu. 6+6 a
Tout être, quel qu'il soit, du gouffre est le milieu ; 6+6 a
Pas de sortie et pas d'entrée ; aucune porte ; 6+6 b
On est là. — C'est pourquoi le chercheur triste avorte ; 6+6 b
C'est pourquoi le ciel juif succède au ciel romain ; 6+6 a
50 C'est pourquoi ce songeur épars, le genre humain, 6+6 a
Entend à chaque instant vagir de nouveaux cultes ; 6+6 b
C'est pourquoi l'homme, en proie à tant de noirs tumultes, 6+6 b
Rêve, et tâte l'espace, et veut un point d'appui, 6+6 a
Ayant peur de la nuit tragique autour de lui ; 6+6 a
55 C'est pourquoi le messie est chassé par l'apôtre ; 6+6 b
C'est pourquoi l'on a vu crouler, l'un après l'autre, 6+6 b
Ayant tous fait fléchir aux peuples le genou, 6+6 a
Brahma, Dagon, Baal, Odin, Allah, Vishnou. 6+6 a
L'idolâtrie échoue. Elle est, sur tout abîme, 6+6 b
60 Et dans tous les bas-fonds, le même essai sublime 6+6 b
Et la même chimère inutile, créant 6+6 a
Toujours le même Dieu pour le même néant. 6+6 a
*
Il est pourtant, ce Dieu. Mais sous son triple voile 6+6 b
La lunette avançant fait reculer l'étoile. 6+6 b
65 C'est une sainte loi que ce recul profond. 6+6 a
Les hommes en travail sont grands des pas qu'ils font ; 6+6 a
Leur destination, c'est d'aller, portant l'arche ; 6+6 b
Ce n'est pas de toucher le but, c'est d'être en marche ; 6+6 b
Et cette marche, avec l'infini pour flambeau, 6+6 a
70 Sera continuée au delà du tombeau. 6+6 a
C'est le progrès. Jamais l'homme ne se repose, 6+6 b
Et l'on cherche une idole, et l'on trouve autre chose. 6+6 b
Cherchez l'Âme, elle échappe ; allez, allez toujours ! 6+6 a
*
Teutatès, Mahomet, Jésus, les autres sourds, 6+6 a
75 Les forêts, le druide et le mage, et ces folles 6+6 b
Augustes, qu'Apollon emplissait de paroles, 6+6 b
Et les temples du sang des génisses fumants, 6+6 a
N'arrivent qu'à des cris et qu'à des bégaiements. 6+6 a
L'à peu près, c'est la fin de toute idolâtrie. 6+6 b
80 La vérité ne sort que difforme et meurtrie 6+6 b
De l'effort d'engendrer, et, quel que soit l'œil fier 6+6 a
Du fœtus d'aujourd'hui sur l'embryon d'hier, 6+6 a
Quelque mépris qu'Orphée inspire à Chrysostome, 6+6 b
Quelque soit le dédain du coran pour le psaume, 6+6 b
85 Et quoi que Jéhovah tente après Jupiter, 6+6 a
Quoi que fasse Jean Huss accouchant de Luther, 6+6 a
Quoi qu'affirme l'autel, quoi que chante le prêtre, 6+6 b
Jamais le dernier mot, le grand mot, ne veut être 6+6 b
Dit, dans cette ombre énorme où le ciel se défend, 6+6 a
90 Par la religion, toujours en mal d'enfant. 6+6 a
*
C'est parce que je roule en moi ces choses sombres, 6+6 b
C'est parce que je vois l'aube dans les décombres, 6+6 b
Sur les trônes le mal, sur les autels la nuit, 6+6 a
C'est parce que, sondant ce qui s'évanouit, 6+6 a
95 Bravant tout ce qui règne, aimant tout ce qui souffre, 6+6 b
J'interroge l'abîme, étant moi-même gouffre ; 6+6 b
C'est parce que je suis parfois, mage inclément, 6+6 a
Sachant que la clarté trompe et que le bruit ment, 6+6 a
Tenté de reprocher aux cieux visionnaires 6+6 b
100 Leur crachement d'éclairs et leur toux de tonnerres ; 6+6 b
C'est parce que mon cœur, qui cherche son chemin, 6+6 a
N'accepte le divin qu'autant qu'il est humain ; 6+6 a
C'est à cause de tous ces songes formidables 6+6 b
Que je m'en vais, sinistre, aux lieux inabordables, 6+6 b
105 Au bord des mers, au haut des monts, au fond des bois. 6+6 a
Là, j'entends mieux crier l'âme humaine aux abois ; 6+6 a
Là je suis pénétré plus avant par l'ie 6+6 b
Terrible, et cependant de rayons inone. 6+6 b
Méditer, c'est le grand devoir mystérieux ; 6+6 a
110 Les rêves dans nos cœurs s'ouvrent comme des yeux ; 6+6 a
Je rêve et je médite, et c'est pourquoi j'habite, 6+6 b
Comme celui qui guette une lueur subite, 6+6 b
Le désert, et non pas les villes ; c'est pourquoi, 6+6 a
Sauvage serviteur du droit contre la loi, 6+6 a
115 Laissant derrière moi les molles cités pleines 6+6 b
De femmes et de fleurs qui mêlent leurs haleines, 6+6 b
Et les palais remplis de rires, de festins, 6+6 a
De danses, de plaisirs, de feux jamais éteints, 6+6 a
Je fuis, et je préfère à toute cette fête 6+6 b
120 La rive du torrent farouche où le prophète 6+6 b
Vient boire dans le creux de sa main en été, 6+6 a
Pendant que le lion boit de l'autre côté. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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