Métrique en Ligne
HUG_4/HUG857
Victor HUGO
LA LÉGENDE DES SIÈCLES
NOUVELLE SÉRIE
1877
XXIV
LÀ-HAUT
Là-haut
Un jour l'étoile vit la comète passer, 6+6 a
Rit, et, la regardant au gouffre s'enfoncer, 6+6 a
Cria : — La voyez-vous courir, la vagabonde ? 6+6 b
Jadis, dans l'azur chaste où la sagesse abonde, 6+6 b
5 Elle était comme nous étoile vierge, ayant 6+6 a
Des paradis autour de son cœur flamboyant, 6+6 a
Et ses rayons, liant les sphères, freins et brides, 6+6 b
Faisaient tourner le vol des planètes splendides ; 6+6 b
Rien n'égalait son nimbe auguste, et dans ses nœuds 6+6 a
10 Sa chevelure avait dix globes lumineux ; 6+6 a
Elle était l'astre à qui tout un monde s'appuie. 6+6 b
Un jour, tout à coup, folle, ivre, elle s'est enfuie. 6+6 b
Un vertige l'a prise et l'a jetée au fond 6+6 a
Des chaos où Moloch avec Dieu se confond. 6+6 a
15 Quand elle en est sortie, elle était insensée ; 6+6 b
Elle n'a plus voulu suivre que sa pensée, 6+6 b
Sa furie, un instinct fougueux, torrentiel, 6+6 a
Mauvais, car l'équilibre est la vertu du ciel. 6+6 a
Devant elle, au hasard, elle s'en est allée ; 6+6 b
20 Elle s'est dans l'abîme immense échevelée ; 6+6 b
Elle a dit : je me donne au gouffre, à volonté ! 6+6 a
Je suis l'infatigable ; il est l'illimité. 6+6 a
Elle a voulu chercher, trouver, sonder, connaître, 6+6 b
Voir les mondes enfants, tâcher d'en faire naître, 6+6 b
25 Aller jusqu'en leur lit provoquer les soleils, 6+6 a
Examiner comment les enfers sont vermeils, 6+6 a
Voir Satan, visiter cet astre en sa tanière, 6+6 b
L'approcher, lui passer la main dans la crinière, 6+6 b
Et lui dire : « Lion, je t'aime ! Iblis, Mammon, 6+6 a
30 Prends-moi, je viens m'offrir, déesse, à toi démon ! » 6+6 a
Elle s'est faite, ainsi que l'air, fuyante et souple ; 6+6 b
Elle a voulu goûter l'âcre extase du couple, 6+6 b
Et sans cesse épouser des univers nouveaux ; 6+6 a
Elle a voulu toucher les croupes des chevaux 6+6 a
35 De la foudre, et, parmi les bruits visionnaires, 6+6 b
Rôder dans l'écurie énorme des tonnerres ; 6+6 b
Elle a mis de l'éclair dans sa fauve clarté ; 6+6 a
Elle a tout violé par curiosité ; 6+6 a
Et l'on sent, en voyant ses flamboiements funèbres, 6+6 b
40 Que sa lumière s'est essuyée aux ténèbres. 6+6 b
Les soleils tour à tour l'ont. Elle a préféré 6+6 a
A la majesté fixe au haut du ciel sacré, 6+6 a
On ne sait quelle course audacieuse, oblique, 6+6 b
Étrange ; et maintenant elle est fille publique. 6+6 b
45 Et la comète dit à l'étoile : — Vesta, 6+6 a
Tu te trompes. Je suis Vénus. Quand Dieu resta, 6+6 a
Après que le noir couple humain eut pris la fuite, 6+6 b
Seul dans le paradis, Satan lui dit : Ensuite ? 6+6 b
Et Dieu vit que l'amour est un besoin qu'on a, 6+6 a
50 Et que sans lui le monde a froid ; il m'ordonna 6+6 a
D'aller incendier le gouffre où tout commence, 6+6 b
Et Dieu mit la sagesse où tu vois la démence. 6+6 b
Depuis ce jour-là, j'erre, et je vais en tous lieux 6+6 a
Rappeler à l'hymen les mondes oublieux. 6+6 a
55 J'illumine Uranus, je réchauffe Saturne, 6+6 b
Et je remets du feu dans les astres ; mon urne 6+6 b
Reverse un flot d'aurore aux fontaines du jour ; 6+6 a
Je suis la folle auguste ayant au front l'amour ; 6+6 a
Je suis par les soleils formidables baisée ; 6+6 b
60 Si je rencontre en route une lune épuisée, 6+6 b
Je la rallume, et l'ombre a ce flambeau de plus ; 6+6 a
L'océan étoilé me roule en ses reflux ; 6+6 a
Sur tous les globes, nés au fond des étendues, 6+6 b
Il est de sombres mers que je gonfle éperdues ; 6+6 b
65 J'éveille du chaos le rut démesuré ; 6+6 a
Voici l'épouse en feu qui vient ! l'astre effaré 6+6 a
Regarde à son zénith, à travers la nuée, 6+6 b
L'impudeur de ma robe immense dénouée ; 6+6 b
De mes accouplements l'espace est ébloui ; 6+6 a
70 Dès qu'un gouffre me veut, j'accours et je dis : Oui ! 6+6 a
Je passe d'Allioth à Sirius ; ma bouche 6+6 b
Se colle au triple front d'Aldébaran farouche ; 6+6 b
Et je me prostitue à l'infini, sachant 6+6 a
Que je suis la semence et que l'ombre est le champ ; 6+6 a
75 De là des mondes ; Dieu m'approuve quand j'ébauche 6+6 b
Une création que tu nommes débauche. 6+6 b
Celle qui lie entre eux les univers, c'est moi ; 6+6 a
Sans moi, l'isolement hideux serait la loi ; 6+6 a
Étoiles, on verrait de monstrueux désastres ; 6+6 b
80 L'infini subirait l'égoïsme des astres ; 6+6 b
Partout la nuit, la mort et le deuil, augmentés 6+6 a
Par la farouche horreur de vos virginités. 6+6 a
J'empêche l'effrayant célibat de l'abîme. 6+6 b
Je suis du pouls divin le battement sublime ; 6+6 b
85 Mon trajet, à la fois idéal et réel, 6+6 a
Marque l'artère énorme et profonde du ciel ; 6+6 a
Vous êtes la lumière et moi je suis la flamme ; 6+6 b
Dieu me fit de son cœur et vous fit de son âme ; 6+6 b
O mes sœurs, nous versons toutes de la clarté, 6+6 a
90 Étant, vous l'harmonie, et moi la liberté ! 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite de distiques
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