Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
HUG_4/HUG852
Victor HUGO
LA LÉGENDE DES SIÈCLES
NOUVELLE SÉRIE
1877
XXII
L'ÉLÉGIE DES FLÉAUX
L'Élégie des fléaux
LE POËTE
Tu ne l'as pourtant pasmérité, ma patrie ! 6+6
LE CHŒUR
Oh ! quel acharnementsur la grande meurtrie ! 6+6
La bataille a passé,chaos sombre et tonnant ; 6+6
Voici la visiondes vagues maintenant. 6+6
5 Une meute de flotsterribles, des montagnes 6+6
D'eau farouche, l'horreurdans les pâles campagnes, 6+6
Et l'apparitiondes torrents forcenés ! 6+6
L'auguste France, en proieaux chocs désordonnés, 6+6
Semble un titan ayantde l'eau jusqu'aux épaules ; 6+6
10 Et l'on voit une fuiteimmense vers les pôles 6+6
De la pluie et de l'ombreet des brouillards mouvants, 6+6
Sous la cavalerieeffroyable des vents ; 6+6
La mort accourt avecla rumeur d'une foule ; 6+6
Tout un peuple, sous quil'effondrement s'écroule, 6+6
15 Crie et se tord les bras,prêt à couler à fond ; 6+6
Comme un flocon de neigeun toit s'efface et fond ; 6+6
Une rivière, hierdans les prés endormie, 6+6
Gronde, et subitementdevient une ennemie ; 6+6
Le fleuve brusque et noirsurprend l'homme inquiet, 6+6
20 Et trahit les hameauxauxquels il souriait ; 6+6
Tout tombe, égalitédes chaumes et des marbres ; 6+6
Les mourants sont par l'eautordus autour des arbres ; 6+6
Rien n'échappe, et la nuitmonte. Profonds sanglots ! 6+6
LE POËTE
Quoi ! deux invasions !Après les rois, les flots ! 6+6
LE CHŒUR
25 Deux inondations !L'onde après les vandales ! 6+6
Ce n'était pas assezd'avoir eu les sandales 6+6
D'on ne sait quel césartudesque sur nos fronts ; 6+6
Ce n'était pas assezd'avoir, sous les affronts, 6+6
Vu nos drapeaux hagardsfrissonner dans nos villes ; 6+6
30 Ce n'était pas assez,lorsque les hordes viles 6+6
Marchaient sur nous, souillantce que nous adorons, 6+6
De nous être bouchél'oreille à leurs clairons ; 6+6
Le deuil succède au deuil,le ravage au ravage ; 6+6
L'onde fatale arriveaprès le roi sauvage ; 6+6
35 Et voilà de nouveausous un noir tourbillon 6+6
L'écrasement des blés,du verger, du sillon ! 6+6
O désastres ! ô chute ! sera le refuge 6+6
Si l'eau fait un tel gouffreet l'homme un tel déluge ? 6+6
Jadis le sort frappaRome et s'interrompit, 6+6
40 La laissant respirer ;mais pour nous nul répit. 6+6
LE POËTE
Deux supplices. Le nord,le sud. L'un après l'autre. 6+6
LE CHŒUR
Hier nous avions sur nousla bête qui se vautre 6+6
Cyniquement, au grédes rois épanouis, 6+6
La guerre, et des troupeauxde canons inouïs 6+6
45 Nous jetant l'aboiementde l'abîmera France 6+6
Subissait, sous un cield' fuyait l'espérance, 6+6
Le bombardement lâcheet tortueux, crachant 6+6
L'éclair, et foudroyantle toit, le mur, le champ, 6+6
La forêt, la cité,l'homme, l'enfant, la femme ; 6+6
50 L'eau sombre aujourd'hui vientau secours de la flamme ; 6+6
Elle vient acheverce fier pays blessé ; 6+6
Les fléaux avaient hâte,ils ont recommencé ; 6+6
Après l'embrasement,le torrent nous accable ; 6+6
A présent ce n'est plussous l'obus implacable, 6+6
55 C'est dans les flots qu'on voitles villes succomber. 6+6
Dures heures de nuitque le temps fait tomber 6+6
Goutte à goutte sur nousde sa morne clepsydre ! 6+6
Hier c'était le dragon,et maintenant c'est l'hydre. 6+6
LE POËTE
Est-ce fini ? Pensif,je dis au gouffre : Après ? 6+6
LE CHŒUR
60 O France ! mourras-tu ?Non. Car, si tu mourais, 6+6
Le mal vivrait, l'effroivivrait ; cette fenêtre, 6+6
L'aube, se fermerait ;on verrait la mort ntre. 6+6
L'immense mort de tout.France, l'extinction 6+6
De Ninive, de Tyr,d'Athènes, de Sion, 6+6
65 Rome oubliant son nom,Thèbes perdant sa forme, 6+6
Ne seraient rien auprèsde ton éclipse énorme. 6+6
Le passé monstrueuxse dresserait debout. 6+6
Ce cadavre crierait :— J'existe. Éteignez tout. 6+6
Plus de flambeaux. Vivez,spectres. La France est morte ! — 6+6
70 Alors, ô cieux profonds !l'ombre ouvrirait sa porte ; 6+6
On verrait revenirtoute l'antique horreur, 6+6
Les larves, l'ancien papeet l'ancien empereur, 6+6
Tous les forfaits sacrés,toutes les basses gloires, 6+6
Les sanglants constructeursdes religions noires, 6+6
75 Arbuez, l'âme terrible se réfugia 6+6
L'affreux dogme sortide l'antre à Borgia, 6+6
Bossuet bénissantMontrevel, les bastilles 6+6
Faisant comme des dentsgrincer leurs sombres grilles ; 6+6
Ces masques, Loyola,de Maistre, dont l'œil luit, 6+6
80 Tomberaient, laissant voirce visage, la nuit ; 6+6
Alors repartraientCisneros, Farinace, 6+6
Louvois, Maupeou, la vieilleautorité tenace 6+6
Sous qui rampe la fouleaux confuses rumeurs 6+6
Et ces lugubres lois,et ces lugubres mœurs 6+6
85 Qui livrent aux bûchersl'Italie et l'Espagne, 6+6
Jettent au cabanonColomb, mettent au bagne 6+6
Des peuples tout entiers,juifs ou bohémiens, 6+6
Et qui font Louis quinzeassassin de Damiens. 6+6
LE POËTE
On reverrait ce Styx,le passé ! mornes rives ! 6+6
LE CHŒUR
90 Non, France. L'Universa besoin que tu vives. 6+6
Tu vivras. L'avenirmourrait sous ton linceul. 6+6
LE POËTE
France, France, sans toile monde serait seul. 6+6
LE CHŒUR
Tu vivras.
Cependantil ne faut pas qu'on dorme, 6+6
On sent derrière soirôder la mort difforme, 6+6
95 On dirait qu'ennuyéd'attendre les vivants, 6+6
Le naufrage hideux,blême et battu des vents, 6+6
Sort de la mer et vientchercher l'homme sur terre. 6+6
Une lave nouvelleouvre un nouveau cratère. 6+6
LE POËTE
La France est prise en trtreune seconde fois. 6+6
LE CHŒUR
100 L'eau perfide s'ajouteau guet-apens des rois. 6+6
D' vient cette colèreodieuse des fleuves ? 6+6
L'eau devient un suaireet tout meurt. Que de veuves ! 6+6
Que d'orphelins ! Massacreinepte d'innocents ! 6+6
L'horreur, du sombre amasdes nuages pesants, 6+6
105 Pleut, comme si le cieldevenait haïssable ; 6+6
La rose est sous la fangeet l'épi sous le sable. 6+6
Le miasme impur flotte flottait le parfum. 6+6
Cadavres qui passez,accusez-vous quelqu'un ? 6+6
O berceaux à vau-l'eau,que criez-vous dans l'ombre ? 6+6
110 Est-ce qu'il se pourraitque les forces sans nombre 6+6
Dont le balancementremplit l'immensité, 6+6
Eussent on ne sait quelleétrange volonté ? 6+6
Est-ce que quelque partla nature est maudite ? 6+6
Est-ce qu'un tel malheur,ciel noir, se prémédite ? 6+6
115 D'un astre qu'on ignoreest-ce donc le lever ? 6+6
Et les hommes tremblantsse sont mis à rêver. 6+6
Les écumes au sud,dans le nord les fumées ! 6+6
Tout broyé, fleurs et fruits,moissons, peuples, armées, 6+6
Sous les chars de la nuitdont l'éclair est l'essieu ! 6+6
Ruine et mort. Qui doncfait tout cela ?
LE PRÊTRE
120 C'est Dieu. 6+6
LE POËTE
Prêtre, que dis-tu là ?Dieu serait le coupable ! 6+6
LE CHŒUR
Quoi ! de tant de forfaitsce Dieu serait capable ? 6+6
Quoi ! Dieu viendrait marchersur nous comme un géant ? 6+6
LE POËTE
Quoi ! prêtres ! ce chaos,ce hasard, ce néant 6+6
125 Promenant son niveausur la foule innocente, 6+6
Ces désastres faisantensemble leur descente, 6+6
Ce serait l'actionde ce mtre hagard ? 6+6
Quoi ! cet aveuglement,ce serait son regard ? 6+6
Quoi ! la Fatalitéserait la Providence ? 6+6
130 Quoi ! dans cette noirceurc'est Dieu qui se condense ? 6+6
C'est là votre façond'adorer ? Taisez-vous ! 6+6
Cela fait frissonner,le blasphème à genoux ! 6+6
Horreur ! jusqu'à l'affrontpousser l'idolâtrie ! 6+6
Hélas ! nous le savons,qu'en la fauve Syrie 6+6
135 On aille réveillerBaal, qu'on aille au Nil 6+6
Fouiller les dieux d'Égypteau fond de leur chenil, 6+6
Du Moloch de granitau Jupiter de bronze 6+6
Qu'on rôde, interrogeantle flamine et le bonze, 6+6
Ceux de Dodone, ceuxde Tyr, ceux de Membré, 6+6
140 Hélas ! on trouveraDieu toujours adoré, 6+6
Et l'on constateratoujours, dans tous les cultes, 6+6
Le même amour prouvépar les mêmes insultes ! 6+6
Synagogue ou wigwam,syringe ou parthénon, 6+6
Pas un temple ne saitnommer Dieu par son nom ; 6+6
145 Leur ignorance à voirl'invisible s'obstine. 6+6
O triste erreur ! Védas,croix grecque, croix latine, 6+6
Coran, talmud, tous fontpar Dieu même, a Deo, 6+6
Commettre ce forfaitqu'on appelle un fléau ! 6+6
Ah ! qui que vous soyez,vous qui, dans la mosquée, 6+6
150 Accouplant à l'erreurla vérité masquée, 6+6
Offrant tantôt de l'ombreet tantôt des rayons, 6+6
Vendez ce Dieu, sachezceci, nous y croyons ! 6+6
Et nous ne voulons pasqu'on l'outrage ! O misère ! 6+6
Quoi ! lui le paternel,quoi ! lui le nécessaire, 6+6
155 Il serait sans raison,sans loi, sans cœur, sans yeux ! 6+6
Il tomberait du ciel,stupide et furieux, 6+6
Comme un caillou roulantd'un mont, comme une pierre ! 6+6
Et quand l'homme diraiten le voyant à terre 6+6
Quel est ce projectileimbécile au milieu 6+6
160 De ce ravage atroce ?il reconntrait Dieu ! 6+6
LE PRÊTRE
Courbez vos fronts. C'est justeet même salutaire ; 6+6
Il faut bien que le cielpunisse enfin la terre. 6+6
Le châtiment descenddes éternels sommets. 6+6
LE POËTE
Châtier ! punir ! Quoi ?nos crimes ? Soit. J'admets 6+6
165 Qu'il se fait ici-basbien des actions viles ; 6+6
Il est des fronts souillés ;il est des cœurs serviles ; 6+6
L'homme est souvent hideux.Soit. Eh bien, supposons 6+6
L'impossible, entassonsl'Ossa des trahisons 6+6
Sur l'abject Péliondes lâchetés ; qu'on rêve, 6+6
170 Comme à perte de vueun flot sur une grève, 6+6
Toute la faute et toutle crime, et le frisson 6+6
De la honte emplissantle livide horizon ; 6+6
Oui, supposons l'absurde,imposture ou démence, 6+6
Le culte de l'agneauproduisant l'inclémence, 6+6
175 Un pontife quelconque,indou, juif ou romain, 6+6
Essayant d'arrêterDieu dans l'esprit humain, 6+6
Et ne comprenant rienau foudroyant mystère 6+6
Qui fait surgir, aprèsTorquemada, Voltaire ; 6+6
Imaginons, quoi ? Tout !Qu'on en vienne à bâtir 6+6
180 Dans ce Paris qui futsoldat, qui fut martyr, 6+6
Devant le Panthéonsublime, une pagode ; 6+6
Qu'on mette Messalineet Tartuffe à la mode ; 6+6
Qu'on fasse le mensongeévêque ou sénateur, 6+6
Si bien que la bassesseait droit à la hauteur ; 6+6
185 Supposons ce qu'on n'ajamais vu, la chimère ; 6+6
Un faussaire escroquantl'empire ; notre mère, 6+6
La France, violéeet tombant tout en pleurs 6+6
Du bivouac des hérosdans l'antre des voleurs ; 6+6
Supposons que trahirdevienne une devise ; 6+6
190 Que le juge indignéd'un crime se ravise 6+6
Et lui prête serment,puis, sur la loi monté, 6+6
Fasse de la justiceune fidélité 6+6
A ce crime, toujoursinfâme, mais auguste ; 6+6
Supposons que le vraisoit faux, le juste injuste, 6+6
195 Le scélérat sacré,l'honnête homme puni, 6+6
Et que le prêtre menteet devienne infini 6+6
Dans l'opprobre, à ce pointde donner pour exemple 6+6
Le mal, et d'ébranlerles colonnes du temple 6+6
Par de prodigieuxTe deums bénissant 6+6
200 La griffe impérialeencor rouge de sang ! 6+6
Tout ce que vous voudrezd'attentats, de folies ; 6+6
Soit. Rêvez des horreurssans mesure accomplies 6+6
Par n'importe quel roi,n'importe quel sénat ! 6+6
Eh bien, je ne crois pasque cela me donnât 6+6
205 Le droit d'amoncelerdes gouffres de nuées, 6+6
D'appeler les autanspoussant d'aigres huées 6+6
Au-dessus d'un logispaisible, et de noyer 6+6
L'humble nouveau-né, joieet rayon du foyer, 6+6
Qui dans son petit litchante, rit, jase et cause 6+6
210 En tâchant de baiserle bout de son pied rose ! 6+6
Non, je ne pense pasque tous ces forfaits-là, 6+6
Même en multipliantJudas par Attila, 6+6
Même en mêlant Bismarcket Bonaparte au crime, 6+6
Pourraient à quelque Dieuque ce soit dans l'abîme 6+6
215 Donner, dans l'ombre affreuse le jour s'engloutit, 6+6
Le droit de se ruersur ce pauvre petit 6+6
Et de faire, en versantsur lui l'ombre ou la flamme, 6+6
Rouler le doux berceaudans le sépulcre infâme ! 6+6
LE CHŒUR
Ainsi ces deux fléauxne sont point, l'un, l'erreur 6+6
220 De la science, et l'autre,un crime d'empereur, 6+6
Des coteaux mal boisés,des villes mal gardées ; 6+6
Non, c'est le châtiment,de quoi ? De nos idées, 6+6
Et des pas en avantque fait le genre humain ! 6+6
LE POËTE
C'est pour venir jeterdans notre dur chemin 6+6
225 Cette explicationsourde, bigote, athée, 6+6
Que tu te couronnaisd'une mitre argentée, 6+6
Prêtre, et que d'un camailsacré tu t'empourprais ! 6+6
La France est accablée,et Dieu l'a fait exprès ! 6+6
LE PRÊTRE
Oui.
LE POËTE
Quoi ! l'assassinatdes villes et des plaines, 6+6
230 Quoi ! la peste exhalantses infectes haleines, 6+6
Quoi ! le silence affreuxmêlé d'un affreux bruit, 6+6
Quoi ! toute cette trombreéparse dans la nuit, 6+6
Immense, noyant l'hommeet la terre féconde, 6+6
Et délayant la mortpour engloutir un monde, 6+6
235 Quoi ! ces horribles flotslâchement triomphants, 6+6
Quoi ! ces vieux laboureurs,quoi ! ces petits enfants, 6+6
Ces nouveau-nés cherchantdes seins, trouvant des fosses, 6+6
Quoi ! ces mères pleurantleurs fils, ces femmes grosses 6+6
Qui flottent, l'œil fermé,dans le gouffre écumant, 6+6
240 Et dont le ventre mortappart par moment 6+6
Sous le glissement noirde cette transparence, 6+6
Quoi ! toute cette horreur,toute cette souffrance, 6+6
L'eau jetée au hasardcomme on jette les dés, 6+6
Quoi ! la brutalitédes fleuves débordés, 6+6
245 Ce serait lui ! ce Dieuferait ces catastrophes ! 6+6
Lui qu'adore le rêveobscur des philosophes, 6+6
Lui devant qui l'on senttressaillir la forêt, 6+6
Lui, que l'uléma chanteau haut du minaret 6+6
Et que l'évêque loueen élevant sa crosse, 6+6
250 Lui, ce père ! il seraitcette bête féroce ! 6+6
Ah ! si vous disiez vrai,myopes de l'autel, 6+6
Si ce prodigieuxet sublime Immortel 6+6
Avait de tels accès,et s'il était possible 6+6
Qu'ainsi qu'un archer sombreil t l'homme pour cible, 6+6
255 S'il pouvait être prisdans ce flagrant délit, 6+6
S'il chassait les torrentsfarouches de leur lit, 6+6
S'il tuait, fou lugubre,en croyant qu'il se venge, 6+6
Alors la justice, âpreet formidable archange, 6+6
Se dresserait devantle pâle Créateur, 6+6
260 Questionnerait l'êtreimmense avec hauteur, 6+6
Et le menacerait,elle, cette éternelle, 6+6
De fuir et d'emporterl'aurore dans son aile, 6+6
Et rien ne serait plussinistre, ô gouffre bleu, 6+6
Que le balbutiementépouvanté de Dieu ! 6+6
265 Non ! non ! non ! je vous plains.J'ai l'horreur infinie 6+6
De voir comment un dogmeavorte en calomnie, 6+6
Mais je vous absous. L'ombreest dans vos tristes murs ; 6+6
L'obscurité n'est pasla faute des obscurs. 6+6
Plus qu'ils ne le voudraientles prêtres sont funèbres ; 6+6
270 Votre âme est la noyéeinforme des ténèbres 6+6
Et flotte évanouieau fond des préjugés. 6+6
Je vous plains. Mettez-vousà genoux, et songez. 6+6
LE CHŒUR
Et nous, les survivants,secourons ceux qui meurent. 6+6
Au-dessus des grands deuilsles grands devoirs demeurent. 6+6
275 Donnons ! donnons ! vidonsle reste du sac d'or. 6+6
Les barbares n'ont pastout pris. Donnons encor ! 6+6
Les rois sont les plus fortset les cieux les tolèrent ; 6+6
Mais qu'importe ? faisonsrougir ceux qui volèrent 6+6
Cette France, toujoursprête à tout secourir. 6+6
280 Soyons le cœur profondque rien ne peut tarir ; 6+6
La France a toujours eula bonté pour génie ; 6+6
Donnons, et penchons-noussur la vaste agonie. 6+6
Donnons ! La France, hélas !en est à ne plus voir 6+6
Que des bras suppliantsdans un horizon noir ; 6+6
285 Cette nuit qu'on nous fait,ce n'est pas notre crime, 6+6
Et nous la subissons.Soit. Le peuple est sublime 6+6
Qui n'éteint pas l'amourquand l'ombre emplit le ciel, 6+6
Et devient ténébreux,mais reste fraternel. 6+6
Des misères sont là,nos âmes leur sont dues. 6+6
290 Ah ! que des mains vers noussoient vainement tendues, 6+6
Cela ne se peut pas !Donnons ! donnons ! donnons ! 6+6
Qu'au moins le désespoirnous ait pour compagnons ; 6+6
Que pas un affaméne demeure livide, 6+6
Et que pas une mainne se referme vide. 6+6
295 Donnons. Surtout gardonsl'espoir. L'espoir est beau ; 6+6
Nous sommes dans le deuil,mais non dans le tombeau. 6+6
LE POËTE
Nous sommes un paysdésemparé qui flotte, 6+6
Sans boussole, sans mâts,sans ancre, sans pilote, 6+6
Sans guide, à la dérive,au gré du vent hautain, 6+6
300 Dans l'ondulationobscure du destin ; 6+6
L'abîme, nous roulonscomme une sombre sphère, 6+6
Murmure, comme s'ilcherchait ce qu'il va faire 6+6
De ce radeau chargéde pâles matelots ; 6+6
Délibérationorageuse des flots. 6+6
305 Mais, ô peuple, ayons foi.La vie est nous sommes. 6+6
Je le redis, la Franceest un besoin des hommes ; 6+6
Après sa chute commeavant qu'elle tombât, 6+6
L'immense cœur du mondeen sa poitrine bat. 6+6
Nous vivons. Nous sentonsplus que jamais notre âme. 6+6
310 Ah ! ce que nous a faitle destin est infâme, 6+6
Et j'en suis indigné,moi qui songe la nuit ! 6+6
Hélas ! Strasbourg s'éclipseet Metz s'évanouit ; 6+6
Faut-il donc renoncerau Rhin, notre frontière ? 6+6
Non. Nous ne voulons pas.Et la volonté fière, 6+6
315 Avec l'accroissementde nos ongles, suffit. 6+6
Ce que le sort fait mal,toujours Dieu le défit ; 6+6
Espérons. Il seraiten effet bien étrange 6+6
Que le peuple qui vavers l'aurore, et dérange 6+6
Le vieil ordre du malrien qu'en se remuant, 6+6
320 Aigle, fût désormaiscaptif du chat-huant, 6+6
Que le libérateurdu monde fût esclave, 6+6
Et que ce vaste Etnavît se figer sa lave 6+6
Sous des bouches soufflanton ne sait quels venins, 6+6
Et que ce géant fûtgarrotté par des nains ! 6+6
325 Il serait inouïque cette altière France 6+6
Par qui s'est envolél'archange Délivrance, 6+6
Après avoir sonnéles sublimes beffrois, 6+6
Et mis les nationshors du cachot des rois, 6+6
Et déployé pour tousles peuples sa bannière, 6+6
330 Fût de la libertédes autres prisonnière, 6+6
Et livrée aux geôlierspar ceux dont elle a fait 6+6
La force, en ces grands jours le droit triomphait ! 6+6
Cela ne sera pas !Quelle que soit l'injure, 6+6
Quelque affreuse que sembleêtre cette gageure 6+6
335 Du funeste Aujourd'huicontre le fier Demain, 6+6
Nous sommes les vivantsprofonds du droit humain ; 6+6
Ayons foi. Ces fléauxet ces rois d'un autre âge 6+6
Passeront. Quels que soientl'affront, le deuil, l'outrage, 6+6
L'énigme et la noirceurapparente du sort, 6+6
340 On cesse de haïrla nuit quand l'aube en sort ! 6+6
Et, France, tu vaincras,ô prêtresse, ô guerrière, 6+6
Les tyrans par l'épéeet Dieu par la prière ! 6+6
Oui, prêtres, nous prions.Je crois, sachez-le bien. 6+6
Comme le vert palmiercraint l'autan libyen, 6+6
345 Nous craignons pour nos filsvotre enseignement triste ; 6+6
Ah ! vous ébranlez tout,prêtres. Mais Dieu résiste. 6+6
Nous l'avons dans nos cœurs,et pas déraciné. 6+6
Je veux mourir en lui ;car en lui je suis né ; 6+6
Et je sens dans mon âme tout l'aime et le nomme 6+6
350 Que c'est du droit de Dieuqu'est fait le droit de l'homme. 6+6
LE CHŒUR
Une fois que le vrais'est mis en marche, il va 6+6
Droit au but, et toujoursl'avenir arriva. 6+6
LE POËTE
Esprit humain, nul ventne te cassera l'aile, 6+6
Jamais rien ne pourratroubler le parallèle 6+6
355 Entre l'ordre célesteet l'humaine raison ; 6+6
L'aurore frémiraitderrière l'horizon 6+6
Des propositionsque lui ferait l'abîme. 6+6
L'enchnement sans finsuit une loi sublime ; 6+6
Toute ombre est une fuite,et toujours le moment 6+6
360 Superbe, blanchirale bas du firmament, 6+6
Vient quand il doit venir,et jamais la Chaldée 6+6
Ni l'Inde aux yeux rêveursn'ont vu l'aube attardée ; 6+6
Nul souffle au fond du cieln'éteint l'éternel feu 6+6
L'infini conscientque nous appelons Dieu 6+6
365 Soutient tout ce qui penche,entend tout ce qui pleure ; 6+6
Aucun fléau ne peutdemeurer passé l'heure ; 6+6
Nulle calamitén'a droit de s'arrêter, 6+6
Dieu ne permettra pasà la nuit de rester. 6+6
Dieu ne laissera pascontinuer le crime. 6+6
370 Croit-on que le soleilmanquerait à la cime 6+6
Qui l'attend, lui, le grandvisage souriant ? 6+6
Comprendrait-on l'étoileoubliant l'orient ? 6+6
Le devoir de l'obstacleest de se laisser vaincre. 6+6
Demain nous appartient ;rien ne pourra convaincre 6+6
375 Le jour qu'il ne doit passe lever du côté 6+6
Du droit, de la justiceet de la vérité. 6+6
Dieu supprime le mal,les fléaux, les désastres 6+6
Par la fidélitéformidable des astres. 6+6
LE CHŒUR
France, songe au devoir.Sois grande, c'est ta loi. 6+6
LE POËTE
380 Et fais de ta mémoireun redoutable emploi 6+6
En y gardant toujoursles villes arrachées. 6+6
Enseignons à nos filsà creuser des tranchées, 6+6
A faire comme ont faitles vieux dont nous venons, 6+6
A charger des fusils,à rouler des canons, 6+6
385 A combattre, à mourir,et lisons-leur Homère. 6+6
Et tu nous souriras,quoique tu sois leur mère, 6+6
Car tu sais que de filsqui meurent fièrement 6+6
Sont l'orgueil de leur mèreet son contentement. 6+6
France, ayons l'ennemiprésent à la pensée, 6+6
390 Comme les grands troyensqui, sur la porte Scée, 6+6
S'asseyaient et suivaientdes yeux les assiégeants. 6+6
Ces rois heureux autourde nous sont outrageants ; 6+6
Aimons les peuples, maisn'oublions pas les princes. 6+6
En même temps restonspenchés sur ces provinces 6+6
395 Qui sanglotent, en proieaux fléaux jamais las. 6+6
Soyons amers et doux.La question, hélas ! 6+6
Est toute dans ce motsans fond : les misérables ; 6+6
Ceux-ci sont monstrueux ;ceux-là sont vénérables ; 6+6
Réprimons ceux d'en haut ;secourons ceux d'en bas ; 6+6
400 Prodiguons l'aide immenseen songeant aux combats. 6+6
Peuple, il est deux trésors,l'un clarté, l'autre flamme, 6+6
Qu'il ne faut pas laisserdécrtre dans notre âme, 6+6
Et qui sont de nos cœurschacun une moitié, 6+6
C'est la sainte colèreet la sainte pitié. 6+6
mètre profil métrique : 6+6
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