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| = césure
HUG_4/HUG842
Victor HUGO
LA LÉGENDE DES SIÈCLES
NOUVELLE SÉRIE
1877
XXI
LE TEMPS PRÉSENT
Jean Chouan
Les blancs fuyaient, les bleus mitraillaient la clairière. 6+6 a
Un coteau dominait cette plaine, et, derrière 6+6 a
Le monticule nu, sans arbre et sans gazon, 6+6 b
Les farouches forêts emplissaient l'horizon. 6+6 b
5 En arrière du tertre, abri sûr, rempart sombre, 6+6 a
Les blancs se ralliaient, comptant leur petit nombre, 6+6 a
Et Jean Chouan parut, ses longs cheveux au vent. 6+6 b
— Ah ! personne n'est mort, car le chef est vivant ! 6+6 b
Dirent-ils. Jean Chouan écoutait la mitraille. 6+6 a
10 — Nous manque-t-il quelqu'un ? — Non. — Alors qu'on s'en aille ! 6+6 a
Fuyez tous ! — Les enfants, les femmes aux abois 6+6 b
L'entouraient, effarés. — Fils, rentrons dans les bois ! 6+6 b
Dispersons-nous ! — Et tous, comme des hirondelles 6+6 a
S'évadant dans l'orage immense à tire-d'ailes, 6+6 a
15 Fuirent vers le hallier noyé dans la vapeur ; 6+6 b
Ils couraient ; les vaillants courent quand ils ont peur ; 6+6 b
C'est un noir désarroi qu'une fuite où se mêle 6+6 a
Au vieillard chancelant l'enfant à la mamelle ; 6+6 a
On craint d'être tué, d'être fait prisonnier ! 6+6 b
20 Et Jean Chouan marchait à pas lents, le dernier, 6+6 b
Se retournant parfois et faisant sa prière. 6+6 a
Tout à coup on entend un cri dans la clairière, 6+6 a
Une femme parmi les balles apparaît. 6+6 b
Toute la bande était déjà dans la forêt, 6+6 b
25 Jean Chouan restait seul ; il s'arrête, il regarde ; 6+6 a
C'est une femme grosse, elle s'enfuit, hagarde 6+6 a
Et pâle, déchirant ses pieds nus aux buissons ; 6+6 b
Elle est seule ; elle crie : A moi, les bons garçons ! 6+6 b
Jean Chouan rêveur dit : C'est Jeanne-Madeleine. 6+6 a
30 Elle est le point de mire au milieu de la plaine ; 6+6 a
La mitraille sur elle avec rage s'abat. 6+6 b
Il eût fallu que Dieu lui-même se courbât 6+6 b
Et la prît par la main et la mît sous son aile, 6+6 a
Tant la mort formidable abondait autour d'elle ; 6+6 a
35 Elle était perdue. — Ah ! criait-elle, au secours ! 6+6 b
Mais les bois sont tremblants et les fuyards sont sourds. 6+6 b
Et les balles pleuvaient sur la pauvre brigande. 6+6 a
Alors sur le coteau qui dominait la lande 6+6 a
Jean Chouan bondit ; fier, tranquille, altier, viril, 6+6 b
40 Debout : — C'est moi qui suis Jean Chouan ! cria-t-il. 6+6 b
Les bleus dirent : — C'est lui, le chef ! et cette tête, 6+6 a
Prenant toute la foudre et toute la tempête, 6+6 a
Fit changer à la mort de cible. — Sauve-toi ! 6+6 b
Cria-t-il, sauve-toi, ma sœur ! — Folle d'effroi, 6+6 b
45 Jeanne hâta le pas vers la forêt profonde. 6+6 a
Comme un pin sur la neige ou comme un mât sur l'onde, 6+6 a
Jean Chouan, qui semblait par la mort ébloui, 6+6 b
Se dressait, et les bleus ne voyaient plus que lui. 6+6 b
— Je resterai le temps qu'il faudra. Va, ma fille ! 6+6 a
50 Va, tu seras encor joyeuse en ta famille, 6+6 a
Et tu mettras encor des fleurs à ton corset ! 6+6 b
Criait-il. — C'était lui maintenant que visait 6−6 b
L'ardente fusillade, et sur sa haute taille, 6+6 a
Qui semblait presque prête à gagner la bataille, 6+6 a
55 Les balles s'acharnaient, et son puissant dédain 6+6 b
Souriait ; il levait son sabre nu… — Soudain 6+6 b
Par une balle, ainsi l'ours est frappé dans l'antre, 6+6 a
Il se sentit trouer de part en part le ventre ; 6+6 a
Il resta droit et dit : — Soit. Ave Maria ! 6+6 b
60 Puis, chancelant, tourné vers le bois, il cria : 6+6 b
— Mes amis ! mes amis ! Jeanne est-elle arrivée ? 6+6 a
Des voix dans la forêt répondirent : — Sauvée ! 6+6 a
Jean Chouan murmura : C'est bien ! et tomba mort. 6+6 b
Paysans ! paysans ! hélas ! vous aviez tort, 6+6 b
65 Mais votre souvenir n'amoindrit pas la France ; 6+6 a
Vous fûtes grands dans l'âpre et sinistre ignorance ; 6+6 a
Vous que vos rois, vos loups, vos prêtres, vos halliers 6+6 b
Faisaient bandits, souvent vous fûtes chevaliers ; 6+6 b
A travers l'affreux joug et sous l'erreur infâme 6+6 a
70 Vous avez eu l'éclair mystérieux de l'âme ; 6+6 a
Des rayons jaillissaient de votre aveuglement ; 6+6 b
Salut ! Moi le banni, je suis pour vous clément ; 6+6 b
L'exil n'est pas sévère aux pauvres toits de chaumes ; 6+6 a
Nous sommes des proscrits, vous êtes des fantômes ; 6+6 a
75 Frères, nous avons tous combattu ; nous voulions 6+6 b
L'avenir ; vous vouliez le passé, noirs lions ; 6+6 b
L'effort que nous faisions pour gravir sur la cime, 6+6 a
Hélas ! vous l'avez fait pour rentrer dans l'abîme ; 6+6 a
Nous avons tous lutté, diversement martyrs, 6+6 b
80 Tous sans ambitions et tous sans repentirs, 6+6 b
Nous pour fermer l'enfer, vous pour, rouvrir la tombe ; 6+6 a
Mais sur vos tristes fronts la blancheur d'en haut tombe, 6+6 a
La pitié fraternelle et sublime conduit 6+6 b
Les fils de la clarté vers les fils de la nuit, 6+6 b
85 Et je pleure en chantant cet hymne tendre et sombre, 6+6 a
Moi, soldat de l'aurore, à toi, héros de l'ombre. 6+6 a
mètre profil métrique : 6−6
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