Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_4/HUG811
Victor HUGO
LA LÉGENDE DES SIÈCLES
NOUVELLE SÉRIE
1877
XV
LE CYCLE PYRÉNÉEN
Masferrer
I
NEUVIÈME SIÈCLE
PYRÉNÉES
C'est un funeste siècle | et c'est un dur pays. 6+6 a
Oh ! que d'Herculanums | et que de Pompéis 6+6 a
Enfouis dans la cendre | épaisse de l'histoire ! 6+6 a
D'horribles rois sont là ; | la montagne en est noire. 6+6 a
5 Assistés au besoin | par ceux du mont Ventoux, 6+6 a
Ceux-ci basques, ceux-là | catalans, méchants tous, 6+6 a
Ils ont de leurs donjons | couvert la chaîne entière ; 6+6 a
Du pertuis de Biscaye | au pas de l'Argentière, 6+6 a
La guerre gronde, ouvrant | ses gueules de dragon 6+6 a
10 Sur toute la Navarre | et sur tout l'Aragon ; 6+6 a
Tout tremble ; pas un coin | de ravine où ne grince 6+6 a
La mâchoire d'un tigre | ou la fureur d'un prince ; 6+6 a
Ils sont maîtres des cols | et maîtres des sommets. 6+6 a
Ces pays garderont | leurs traces à jamais ; 6+6 a
15 La tyrannie avec | le fer du glaive creuse 6+6 a
Sur la terre sa forme | et sa figure affreuse ; 6+6 a
Là ses dents, là son pied | monstrueux, là son poing ; 6+6 a
Linéaments hideux | qu'on n'effacera point, 6+6 a
Tant avec son épée | impérieuse et dure 6+6 a
20 Chaque despote en fait | profonde la gravure ! 6+6 a
Or jamais ces vieux pics | pleins de tours, exhaussés 6+6 a
De forts ayant le gouffre | et la nuit pour fossés, 6+6 a
N'ont paru plus mauvais | et plus haineux aux hommes 6+6 a
Que dans le siècle étrange | et funèbre où nous sommes ; 6+6 a
25 Ils se dressent, chaos | de blocs démesurés ; 6+6 a
Leur cime, par-delà | les vallons et les prés, 6+6 a
Guette, gêne et menace, | à vingt ou trente lieues, 6+6 a
Les villes dont au loin | on voit les flèches bleues ; 6+6 a
De quelque chef de bande | implacable et trompeur 6+6 a
30 Chacun d'eux est l'abri | redouté ; leur vapeur 6+6 a
Semble empoisonner l'air | d'un miasme insalubre ; 6+6 a
Ils sont la vision | colossale et lugubre ; 6+6 a
La neige et l'ombre font, | dans leurs creux entonnoirs, 6+6 a
Des pans de linceuls blancs | et des plis de draps noirs, 6+6 a
35 L'eau des torrents, éparse | et de lueurs frappée, 6+6 a
Ressemble aux longs cheveux | d'une tête coupée ; 6+6 a
Dans la brume on dirait | que leurs escarpements 6+6 a
Sont d'une boucherie | encor tiède fumants ; 6+6 a
Tous ces géants ont l'air | de faire dans la nue 6+6 a
40 Quelque exécution | sombre qui continue ; 6+6 a
L'air frémit ; le glacier | peut-être en larmes fond ; 6+6 a
Fatals, calmes, muets, | et debout dans le fond 6+6 a
De la place publique | effrayante des plaines, 6+6 a
Sur leurs vagues plateaux, | sur leurs croupes hautaines, 6+6 a
45 Ils ont tous le carré | hideux des castillos, 6+6 a
Comme des échafauds | qui portent des billots. 6+6 a
II
TERREUR DES PLAINES
Certes, c'est ténébreux ; | et, devant deux provinces, 6+6 a
Devant deux gras pays, | un tel réseau de princes 6+6 a
N'attache pas pour rien | des mailles et des nœuds 6+6 a
50 Et des fils aux pitons | des pics vertigineux ; 6+6 a
C'est dans un but qu'armés | et tenant deux rivages, 6+6 a
D'affreux chefs, hérissés | de couronnés sauvages, 6+6 a
Barrant l'isthme espagnol | de l'une à l'autre mer, 6+6 a
Aux pointes des granits, | dans le vent, dans l'éclair, 6+6 a
55 Sur la montagne d'ombre | et d'aurore baignée, 6+6 a
Accrochent cette toile | énorme d'araignée. 6+6 a
Comme en Grèce jadis | les chefs thessaliens, 6+6 a
Ils tiennent tout, la terre | et l'homme, en leurs liens ; 6+6 a
Pas une triste ville | au loin qui ne frissonne ; 6+6 a
60 Vaillante, on la saccage, | et lâche, on la rançonne ; 6+6 a
Pour dernier mot le meurtre ; | ils battent sans remords 6+6 a
Monnaie à l'effigie | infâme de la mort ; 6+6 a
Ils chassent devant eux | les blêmes populaces, 6+6 a
Ils sont les grands marcheurs | de nuit, rasant les places, 6+6 a
65 Brisant les tours, du mal | et du crime ouvriers, 6+6 a
Et de la chèvre humaine | effrayants chevriers. 6+6 a
Être le centre où vient | le butin, où ruisselle 6+6 a
Un torrent de bijoux, | de piastres, de vaisselle ; 6+6 a
Se faire d'un pays | une proie, arrachant 6+6 a
70 Les blés au canton riche | et l'or au bourg marchand, 6+6 a
C'est beau ; voilà leur gloire. | Et c'est leur fait, en outre, 6+6 a
Quand de quelque chaumière | on voit fumer la poutre, 6+6 a
Ou quand, vers l'aube, on trouve | un pauvre homme dagué, 6+6 a
Nu, sanglant, dans le creux | d'un bois, au bord d'un gué : 6+6 a
75 Le vol des routes suit | le pillage des villes ; 6+6 a
Car la chose féroce | amène aux choses viles. 6+6 a
L'été, la bande met | à profit la douceur 6+6 a
De la saison, voyant | dans l'aurore une sœur, 6+6 a
Prenant les plus longs jours | pour sa sanglante escrime, 6+6 a
80 Et donnant à l'azur | un rôle dans le crime ; 6+6 a
Juin radieux consent | à la complicité ; 6+6 a
C'est l'instant d'appliquer | l'échelle à la cité ; 6+6 a
C'est le moment de battre | une muraille en brèche ; 6+6 a
L'air est tiède, la nuit | vient tard, la terre est sèche, 6+6 a
85 La mousse pour dormir | fait le roc moins rugueux ; 6+6 a
Comme le tas de fleurs | cache le tas de gueux ! 6+6 a
Le bruit des pas s'efface | au bruit de la cascade ; 6+6 a
La feuille traître accueille | et couvre l'embuscade, 6+6 a
L'églantier, pour le piège | épaissi tout exprès, 6+6 a
90 Semble ami du sépulcre | autant que le cyprès ; 6+6 a
Aussi, jusqu'à l'hiver, | — quoique janvier lui-même 6+6 a
Parfois aux attentats | prête sa clarté blême, — 6+6 a
Ce ne sont que combats, | assauts et coups de main. 6+6 a
Dès que l'hiver décline, | et quand le pont romain, 6+6 a
95 Le sentier, le ravin | que les brises caressent, 6+6 a
Sous la neige qui fond | vaguement reparaissent, 6+6 a
Quand la route est possible | à des pas hasardeux, 6+6 a
Tous ces aventuriers | s'assemblent chez l'un d'eux, 6+6 a
Noirs, terribles, autour | d'un âtre où flambe un chêne. 6+6 a
100 Ils construisent leurs plans | pour la saison prochaine ; 6+6 a
Ils conviennent d'aller | à trois, à quatre, à dix, 6+6 a
Font quelques mouvements | d'ours encore engourdis 6+6 a
Et préparent les vols, | les meurtres, les descentes ; 6+6 a
Tandis que les oiseaux, | sous les feuilles naissantes, 6+6 a
105 Joyeux, sentant venir | les souffles infinis, 6+6 a
Commencent à choisir | les mousses pour leurs nids. 6+6 a
A quoi bon ta splendeur, | ô sereine nature, 6+6 a
O printemps refaisant | tous les ans l'ouverture 6+6 a
Du mystérieux temple | où la lumière éclôt ? 6+6 a
110 A quoi bon le torrent, | le lac, le vent, le flot ? 6+6 a
A quoi bon le soleil, | et les doux mois propices 6+6 a
Semant à pleines mains | les fleurs aux précipices, 6+6 a
Les sources et les prés | et les oiseaux divins ? 6+6 a
A quoi bon la beauté | charmante des ravins ? 6+6 a
115 La fierté du sapin, | la grâce de l'érable, 6+6 a
Ciel juste ! à quoi bon ? l'homme | étant un misérable, 6+6 a
Et mettant, lui qui rampe | et qui dure si peu, 6+6 a
Le masque de l'enfer | sur la face de Dieu ! 6+6 a
Hélas, hélas, ces monts | font peur ! leurs fondrières 6+6 a
120 D'un bastion géant | semblent les meurtrières ; 6+6 a
Du crime qui médite | ils ont la ride au front. 6+6 a
Malheur au peuple, hélas, | lorsque l'ombre du mont 6+6 a
Tombe sur les forêts | ombre de forteresse ! 6+6 a
III
LES HAUTES TERRES
N'importe, loin des forts | dont l'aspect seul oppresse, 6+6 a
125 Quand on peut s'enfoncer | entre deux pans de rocs, 6+6 a
Et comme l'ours, l'isard | et les puissants aurochs, 6+6 a
Entrer dans l'âpreté | des hautes solitudes, 6+6 a
Le monde primitif | reprend ses attitudes, 6+6 a
Et, l'homme étant absent, | dans l'arbre et le rocher 6+6 a
130 On croit voir les profils | d'infini s'ébaucher. 6+6 a
Tout est sauvage, inculte, | âpre, rauque ; on retrouve 6+6 a
La montagne, meilleure | avec son air de louve 6+6 a
Qu'avec l'air scélérat | et pensif qu'elle prend 6+6 a
Quand elle prête au mal | son gouffre et son torrent, 6+6 a
135 S'associe aux fureurs | que la guerre combine, 6+6 a
Et devient des forfaits | de l'homme concubine. 6+6 a
Grands asiles ! le gave | erre à plis écumants ; 6+6 a
La sapinière pend | dans les escarpements : 6+6 a
Les églises n'ont pas | d'obscurité qui vaille 6+6 a
140 Ce mystère où le temps, | dur bûcheron, travaille ; 6+6 a
Le Pied humain n'entrant | point là, ce charpentier 6+6 a
Est à l'aise, et choisit | dans le taillis entier ; 6+6 a
On entend l'eau qui roule | et la chute éloignée 6+6 a
Des mélèzes qu'abat | l'invisible cognée. 6+6 a
145 L'homme est de trop ; souillé, | triste, il est importun 6+6 a
A la fleur, à l'azur, | au rayon, au parfum ; 6+6 a
C'est dans les monts, ceux-ci | glaciers, ceux-là fournaises, 6+6 a
Qu'est le grand sanctuaire | effrayant des genèses ; 6+6 a
On sent que nul vivant | ne doit voir à l'œil nu, 6+6 a
150 Et de près, la façon | dont s'y prend l'inconnu, 6+6 a
Et comment l'être fait | de l'atome la chose ; 6+6 a
La nuée entre l'ombre | et l'homme s'interpose ; 6+6 a
Si l'on prête l'oreille, | on entend le tourment 6+6 a
Des tempêtes, des rocs, | des feux, de l'élément, 6+6 a
155 La clameur du prodige | en gésine, derrière 6+6 a
Le brouillard, redoutable | et tremblante barrière ; 6+6 a
L'éclair à chaque instant | déchire ce rideau. 6+6 a
L'air gronde. Et l'on ne voit | pas une goutte d'eau 6+6 a
Qui dans ces lieux profonds | et rudes s'assoupisse, 6+6 a
160 Ayant, après l'orage, | affaire au précipice ; 6+6 a
Selon le plus ou moins | de paresse du vent, 6+6 a
Les nuages tardifs | s'en vont comme en rêvant, 6+6 a
Ou prennent le galop | ainsi que des cavales ; 6+6 a
Tout bourdonne, frémit, | rugit ; par intervalles 6+6 a
165 Un aigle, dans le bruit | des écumes, des cieux, 6+6 a
Des vents, des bois, des flots, | passe silencieux. 6+6 a
L'aigle est le magnanime | et sombre solitaire ; 6+6 a
Il laisse les vautours | s'entendre sur la terre, 6+6 a
Les chouettes en cercle | autour des morts s'asseoir, 6+6 a
170 Les corbeaux se parler | dans les plaines le soir ; 6+6 a
Il se loge tout seul | et songe dans son aire, 6+6 a
S'approchant le plus près | possible du tonnerre, 6+6 a
Dédaigneux des complots | et des rassemblements. 6+6 a
Il plane immense et libre | au seuil des firmaments, 6+6 a
175 Dans les azurs, parmi | les profondes nuées, 6+6 a
Et ne fait rien à deux | que ses petits. Huées 6+6 a
De l'abîme, fracas | des rocs, cris des torrents, 6+6 a
Hurlements convulsifs | des grands arbres souffrants, 6+6 a
Chocs d'avalanches, l'aigle | ignore ces murmures. 6+6 a
180 Donc, au printemps, réveil | des rois ; trahisons mûres ; 6+6 a
On parle, on va, l'on vient ; | les guets-apens sont prêts ; 6+6 a
Et les villes en bas, | tremblantes, loin et près, 6+6 a
Pansant leur vieille plaie, | arrangeant leur décombre, 6+6 a
Écoutent tous ces pas | des cyclopes de l'ombre. 6+6 a
185 Éternelle terreur | du faible et du petit ! 6+6 a
Qu'est-ce qu'ils font là-haut, | ces rois ? On se blottit, 6+6 a
On regarde quel point | de l'horizon s'allume, 6+6 a
On entend le bruit sourd | d'on ne sait quelle enclume, 6+6 a
On guette ce qui vient, | surgit, monte ou descend ; 6+6 a
190 Chaque ville en son coin | se cache, frémissant 6+6 a
Des flammèches que l'air | et la nuée apportent 6+6 a
Dans ce jaillissement | d'étincelles qui sortent 6+6 a
Du rude atelier, plein | des souffles de l'autan, 6+6 a
Où l'on forge le sceptre | énorme de Satan. 6+6 a
IV
MASFERRER
195 Or dans ce même temps, | du Llobregat à l'Èbre, 6+6 a
Du Tage au Cil, un nom, | Masferrer, est célèbre ; 6+6 a
C'est un homme des rocs | et des bois, qui vit seul ; 6+6 a
Il prend l'ombre des monts | tragiques pour linceul ; 6+6 a
Avant d'être avec l'arbre, | il était avec l'homme ; 6+6 a
200 Comme un loup refusant | d'être bête de somme, 6+6 a
Fauve, il s'est du milieu | des vivants évadé, 6+6 a
Au hasard, comme sort | du noir cornet le dé ; 6+6 a
Et maintenant il est | dans la montagne immense ; 6+6 a
Sa zone est le désert | redoutable ; où commence 6+6 a
205 La semelle des ours | marquant dans les chemins 6+6 a
Des espèces de pas | horribles presque humains, 6+6 a
Il est chez lui. Cet être | a fui dès son jeune âge. 6+6 a
De l'énormité sombre | il est le personnage ; 6+6 a
Il rit, ayant l'azur ; | ses dents au lieu de pain 6+6 a
210 Cassent l'amande huileuse | et rance du sapin ; 6+6 a
La montagne, acceptant | cet homme sur les cimes, 6+6 a
Trouve son vaste bond | ressemblant aux abîmes, 6+6 a
Sa voix, comme les bois | et comme les torrents, 6+6 a
Sonore, et de l'éclair | ses yeux peu différents ; 6+6 a
215 De sorte que ces monts | et que cette nature 6+6 a
Se sentent augmentés | presque de sa stature. 6+6 a
Il va du col au dôme | et du pic au vallon. 6+6 a
Le glissement n'est pas | connu de son talon ; 6+6 a
Sa marche n'est jamais | plus altière et plus sûre 6+6 a
220 Qu'au bord vertigineux | de quelque âpre fissure ; 6+6 a
Il franchit tout, distance, | avalanche, hasards, 6+6 a
Tempêtes, précédé | d'une fuite d'isards ; 6+6 a
Hier, il côtoyait | Irun ; aujourd'hui l'aube 6+6 a
Le voit se refléter | dans le vert lac de Gaube, 6+6 a
225 Chassant, pêchant, perçant | de flèches les hérons, 6+6 a
Ou voguant, à défaut | de barque et d'avirons, 6+6 a
Sur un tronc de sapin | qui flotte et qu'il manœuvre 6+6 a
Avec le mouvement | souple de la couleuvre. 6+6 a
Il entre, apparaît, sort, | sans qu'on sache par où ; 6+6 a
230 S'il veut un pont, il ploie | un arbre sur le trou ; 6+6 a
La façon dont il va | le long d'une corniche 6+6 a
Fait peur même à l'oiseau | qui sur les rocs se niche. 6+6 a
A-t-il apprivoisé | la rude hostilité 6+6 a
Du vent, du pic, du flot | à jamais irrité, 6+6 a
235 Et des neiges souffrant | en livides bouffées ? 6+6 a
Oui. Car la sombre pierre | oscillante des fées 6+6 a
Le salue. Il vit calme | et formidable, ayant 6+6 a
Avec la ronce et l'ombre | et l'éclair flamboyant 6+6 a
Et la trombe et l'hiver | de farouches concordes. 6+6 a
240 Armé d'un arc, vêtu | de peaux, chaussé de cordes, 6+6 a
Au-dessus des lieux bas | et pestilentiels, 6+6 a
Il court dans la nuée | et dans les arcs-en-ciels. 6+6 a
Il passe sa journée | à l'affût, l'arbalète 6+6 a
Tendue à la cigogne, | au gerfaut, à l'alète, 6+6 a
245 Suit l'isard, ou, pensif, | s'accoude aux parapets 6+6 a
Des gouffres sur les lacs | et les halliers épais, 6+6 a
Et songe dans les rocs | que le lierre tapisse, 6+6 a
Tandis que cet enfer | qu'on nomme précipice, 6+6 a
Faisant vociférer | l'eau dans le gave amer, 6+6 a
250 Dans la forêt la terre | et dans l'ouragan l'air, 6+6 a
Emploie à blasphémer | trois langues différentes. 6+6 a
Avec leurs rameaux d'or | et leurs fleur amarantes, 6+6 a
La lande et la bruyère | au reflet velouté 6+6 a
Lui brodent des tapis | gigantesques l'été. 6+6 a
255 Pour la terre, il s'éloigne, | et, pour l'astre, il s'approche. 6+6 a
Il avait commencé | par bâtir sur la roche, 6+6 a
A la mode des rois | construisant des donjons, 6+6 a
Un bouge qu'il avait | couvert d'un toit de joncs, 6+6 a
Ayant l'escarpement | pour joie et pour défense ; 6+6 a
260 Car l'abîme l'enivre, | et depuis son enfance 6+6 a
Qu'il erre plein d'extase | et de sublime ennui, 6+6 a
Il cherche on ne sait quoi | de grand qui soit à lui 6+6 a
Dans ces immensités | favorables à l'aigle. 6+6 a
L'ouragan emporta | sa cabane. — Espiègle ! 6+6 a
265 Dit l'homme, en regardant | son vieux toit chassieux 6+6 a
S'en aller à travers | les foudres dans les cieux. 6+6 a
A cette heure, parmi | les crevasses bourrues 6+6 a
Pleines du tournoiement | des milans et des grues, 6+6 a
Un repaire ébauchant | une ogive au milieu 6+6 a
270 D'une haute paroi | toute de marbre bleu, 6+6 a
Souterrain pour le loup, | aérien pour l'aigle, 6+6 a
Est son gîte ; le houx, | l'épi barbu du seigle, 6+6 a
L'ortie et le chiendent | encombrent l'antre obscur, 6+6 a
Sorte de trou hideux | dans un monstrueux mur ; 6+6 a
275 Au-dessus du repaire, | au haut du mur de marbre, 6+6 a
Se tort et se hérisse | une hydre de tronc d'arbre ; 6+6 a
Cette espèce de bête | immobile lui sert 6+6 a
A retrouver sa route | en ce morne désert ; 6+6 a
On aperçoit du fond | des solitudes vertes 6+6 a
280 Ce nœud de cous dressés | et de gueules ouvertes, 6+6 a
Penché sur l'ombre, ayant | pour rage et pour tourment 6+6 a
De ne pouvoir jeter | au gouffre un aboiement. 6+6 a
L'antre est comme enfoui | dans les ronces grimpantes ; 6+6 a
Parfois, au loin, le pied | leur manquant sur les pentes, 6+6 a
285 Dans l'entonnoir sans fond | des précipices sourds, 6+6 a
Comme des gouttes d'encre | on voit tomber les ours ; 6+6 a
Le ravin est si noir | que le vent peut à peine 6+6 a
Jeter quelque vain râle | et quelque vague haleine 6+6 a
Dans ce mont, muselière | au sinistre aquilon. 6+6 a
290 Un titan enterré | dont on voit le talon, 6+6 a
Ce dur talon fendu | d'une affreuse manière, 6+6 a
Voilà l'antre. A côté | de la haute tanière, 6+6 a
Un gave insensé gronde | et bave et coule à flots 6+6 a
Dans le gouffre, parmi | les pins et les bouleaux ; 6+6 a
295 L'antre au bord du torrent | s'ouvre sur l'étendue ; 6+6 a
La chute est au-dessous. | Quand la neige fondue 6+6 a
Et la pluie ont grossi | les cours d'eau, le torrent 6+6 a
Monte jusqu'à la grotte, | enflé, hurlant, courant, 6+6 a
Terrible, avec un bruit | d'horreur et de ravage, 6+6 a
300 Et familièrement | entre chez ce sauvage ; 6+6 a
Et lui, laissant frémir | les grands arbres pliés, 6+6 a
Profite de l'écume | et s'y lave les pieds. 6+6 a
Dans un grossissement | de brume et de fumée, 6+6 a
Entouré d'un nuage | obscur de renommée, 6+6 a
305 Quoique invisible au fond | de ses rocs, mais debout 6+6 a
Dans son fantôme allant, | venant, dominant tout, 6+6 a
Cet homme s'aperçoit | de très loin en Espagne. 6+6 a
Chacun des rois a pris | sa part de la montagne. 6+6 a
Fervehen a Lordos, | Bermudo Cauterez ; 6+6 a
310 Sanche a le Canigo, | pic chargé de forêts 6+6 a
Que blanchit du matin | la clarté baptismale ; 6+6 b
Padres a la Prexa, | Juan tient le Vignemale ; 6+6 b
Sforon est roi d'Urgel, | Blas est roi d'Obité ; 6+6 a
La part de Masferrer | s'appelle Liberté. 6+6 a
315 Pas un plus grand que lui | sur ces monts ne se pose. 6+6 b
Qu'est-ce que ce géant ? | C'est un voleur. La chose 6+6 b
Est simple ; tout colosse | a toujours deux côtés ; 6+6 a
Et les difformités | et les sublimités 6+6 a
Habitent la montagne | ainsi que des voisines. 6+6 a
320 Le prodige et le monstre | ont les mêmes racines. 6+6 a
Monstre, jusqu'où ? jamais | de pas vils et rampants ; 6+6 a
Jamais de trahisons, | jamais de guets-apens ; 6+6 a
Masferrer attaquait | tout seul des groupes d'hommes. 6+6 a
Au pâle rustre allant | vendre au marché ses pommes, 6+6 a
325 Il disait : Va ! c'est bien ! | Il laissait volontiers 6+6 a
Aux pauvres gens tremblant | la nuit dans les sentiers, 6+6 a
Leur âne, leur cochon, | leur orge, leur avoine ; 6+6 a
Mais il se gênait moins | avec le sac du moine ; 6+6 a
Il n'écrasait pas tout | dans ce qu'on nomme droit ; 6+6 a
330 Si quelqu'un avait faim, | si quelqu'un avait froid, 6+6 a
Ce n'était pas son nom | qui sortait de la plainte ; 6+6 a
La malédiction, | cette voix fauve et sainte, 6+6 a
Ne le poursuivait point | dans son farouche exil ; 6+6 a
Aux actions des rois | il fronçait le sourcil. 6+6 a
335 Un jour, devant un fait | lugubre et sanguinaire : 6+6 a
— Ces hommes sont méchants, | et plus qu'à l'ordinaire, 6+6 a
Cria-t-il. A-t-il donc | neigé rouge aujourd'hui ? — 6+6 a
Les rois déshonoraient | la montagne; mais lui 6+6 a
N'importunait pas trop | l'ombre du grand Pélage. 6+6 a
340 Voilà ce que disaient | de lui dans le village 6+6 a
Les pâtres de Héas | et de l'Aquatonta. 6+6 a
Du reste confiant | et terrible. Il lutta 6+6 a
Tout un jour contre un ours | entré dans sa tanière ; 6+6 a
L'ours, l'ayant habitée | à la saison dernière, 6+6 a
345 La voulait, vers le soir | l'ours fatigué râla. 6+6 a
— Soit, nous continuerons | demain matin. Dors là, 6+6 a
Dit l'homme. Il ajouta : | — Fais un pas, je t'assomme ! 6+6 a
Puis s'endormit. Au jour, | l'ours, sans réveiller l'homme, 6+6 a
Et se souciant peu | de la suite, partit. 6+6 a
V
LE CASTILLO
350 Noir ravin. Hors un coin | vivant où retentit 6+6 a
Dans la forêt le son | des buccins et des sistres, 6+6 a
Tout est désert. Halliers, | bruit de feuilles sinistres, 6+6 a
Tristesse, immensité ; | c'est un de ces lieux-là 6+6 a
Où se trouvait Caïn | lorsque Dieu l'appela. 6+6 a
355 Le Caïn qui se cache | en cette ombre est de pierre, 6+6 a
C'est un donjon. Des gueux | à la longue rapière 6+6 a
Le gardent ; des soudards | sur ses tours font le guet. 6+6 a
Il date du temps rude | où Rollon naviguait. 6+6 a
A quelque heure du jour | qu'on le voie, il effraie ; 6+6 a
360 Quelque couleur qu'il prenne, | il convient à l'orfraie, 6+6 a
S'il est noir, c'est la nuit ; | s'il est blanc, c'est l'hiver. 6+6 a
L'archer fourmille là | comme au cercueil le ver. 6+6 a
Dans la tour, une salle | aux murailles très hautes. 6+6 a
Avec ses grands arceaux | qui sont comme des côtes, 6+6 a
365 Cette salle, où pétille | un brasier frémissant, 6+6 a
Écarlate de flamme, | a l'air rouge de sang. 6+6 a
Ouvrez Léviathan, | ce sera là son ventre. 6+6 a
Cette salle est un lieu | de rendez-vous.
Au centre, 6+6 a
Autour d'un tréteau vaste | où fument tous les mets, 6+6 a
370 Perdrix, pluviers, chevreuils | tués sur les sommets, 6+6 a
Mouton d'Anjou, pourceau | d'Ardenne ou de Belgique, 6+6 a
Des hommes radieux | font un groupe tragique ; 6+6 a
Ces hommes sont assis, | parlant, buvant, mangeant, 6+6 a
Sur des chaires d'ivoire | aux pinacles d'argent, 6+6 a
375 Ou sur des fronts de bœuf, | entre les larges cornes. 6+6 a
Leur rire monstrueux | et fou n'a pas de bornes ; 6+6 a
Leur splendeur est féroce, | et l'on voit sortir d'eux 6+6 a
Une sorte de lustre | implacable et hideux ; 6+6 a
Le nœud de perles sert | d'agrafe aux peaux de bêtes ; 6+6 a
380 Ils sont comme éblouis | de guerre et de tempêtes ; 6+6 a
Tous, le jeune homme blond | et le vieillard barbu, 6+6 a
Causent, chantent, beaucoup | de vin chaud étant bu, 6+6 a
De la fin du repas | la nappe ayant les rides ; 6+6 a
Chasseurs vertigineux | ou bûcherons splendides, 6+6 a
385 Chacun a sa cognée | et chacun a son cor ; 6+6 a
L'âtre fait flamboyer | leurs torses couverts d'or ; 6+6 a
La flamme empourpre, autour | de la table-fournaise, 6+6 a
Ces hommes écaillés | de lumière et de braise, 6+6 a
Étranges, triomphants, | gais, funèbres, vermeils ; 6+6 a
390 D'un ciel qui serait tombe | ils seraient les soleils. 6+6 a
Ce sont les rois.
Ce sont | les princes de l'embûche 6+6 a
Gigantesque où le nord | de l'Espagne trébuche, 6+6 a
Les seigneurs du glacier, | du pic et du torrent, 6+6 a
Les vastes charpentiers | de l'abatage en grand, 6+6 a
395 Les dieux, les noirs souffleurs | des trompes titaniques 6+6 a
D'où sortent les terreurs, | les fuites, les paniques. 6+6 a
Germes du maître altier | que l'avenir construit, 6+6 a
Semences du grand trône | encor couvert de nuit, 6+6 a
Grains de ce qui sera | plus tard le roi d'Espagne, 6+6 a
400 Ils sont là. C'est Pancho | que la crainte accompagne, 6+6 a
Genialis, Sforon | qu'Urgel a pour fardeau, 6+6 a
Gildebrand, Égina, | Pervehan, Bermudo, 6+6 a
Juan, Blas le Captieux, | Sanche le Fratricide ; 6+6 a
Le vieux tigre, Vasco | Tête-Blanche, préside. 6+6 a
405 Près de lui, deux géants, | Padres et Tarifet ; 6+6 a
L'armure de ceux-ci, | dans les récits qu'on fait, 6+6 a
Avec le plomb bouillant | de l'enfer est soudée, 6+6 a
Et les clous des brassards | sont longs d'une coudée. 6+6 a
Au bas bout de la table | est Gil, prince de Gor, 6+6 a
410 En huque rouge avec | la chapeline d'or. 6+6 a
Cependant le haillon | sur leur pourpre se fronce ; 6+6 a
Ce sont des majestés | qui marchent dans la ronce ; 6+6 a
La montagne est là toute | avec son fauve effroi, 6+6 a
Ils sont déguenillés | et couronnés ; tel roi 6+6 a
415 Qui commence en fleurons | finit en alpargates. 6+6 a
Vases, meubles, émaux, | onyx, rubis, agates, 6+6 a
Argenterie, écrins | étincelants, rouleaux 6+6 a
D'étoffes, se mêlant | l'un à l'autre à longs flots, 6+6 a
Tout ce qu'on peut voler, | tout ce dont on trafique, 6+6 a
420 Fait dans un coin un bloc | lugubre et magnifique. 6+6 a
Rien n'y manque ; ballots | apportés là d'hier, 6+6 a
Joyaux de femme avec | quelque lambeau de chair, 6+6 a
Lourds coffres, sacs d'argent ; | tout ce tas de décombres 6+6 a
Qu'on appelle le tas | de butin.
Dans les ombres 6+6 a
425 Marche et se meut l'armée | horrible des sierras ; 6+6 a
Secouant des tambours, | courant, levant les bras, 6+6 a
Des femmes, qu'effarouche | une sombre allégresse, 6+6 a
Avec des regards d'ange | et des bonds de tigresse, 6+6 a
Tâchant de faire choir | les piastres de leur main 6+6 a
430 A force de seins nus, | de fard et de carmin, 6+6 a
Dansent autour des rois ; | car ils sont les Mécènes 6+6 a
De la jupe effarée | et des groupes obscènes. 6+6 a
Parmi les femmes, deux, | l'une grande aux crins blonds, 6+6 a
L'autre petite avec | des colliers de doublons, 6+6 a
435 Toutes deux gitanas | au flanc couleur de brique, 6+6 a
Mêlent une âpre lutte | au boléro lubrique ; 6+6 a
La petite, ployant | ses reins, tordant son corps, 6+6 a
Rit et raille la grande, | et la géante alors 6+6 a
Se penche sur la naine | avec gloire et furie, 6+6 a
440 Comme une Pyrénée | insulte une Asturie. 6+6 a
La cheminée, où sont | creusés d'étroits grabats, 6+6 a
Remplit un pan de mur | du haut jusques en bas ; 6+6 a
On voit sur le fronton | saint George, et sur la plaque 6+6 a
Le combat d'un satyre | avec un brucolaque. 6+6 a
445 Autour de ces rois luit | le pillage flagrant. 6+6 a
Le deuil, les campagnards | par milliers émigrant, 6+6 a
La plaine qui frémit, | l'horizon qui rougeoie, 6+6 a
Les pueblos dévastés | et morts, voilà leur joie. 6+6 a
C'est de ces noirs seigneurs | que la misère sort. 6+6 a
450 Peut-être ce pays | serait prospère et fort 6+6 a
Si l'on pouvait ôter | à l'Espagne l'épine 6+6 a
Qu'elle porte au talon | et qu'on nomme rapine. 6+6 a
De ce dont ils sont fiers | plus d'un serait honteux ; 6+6 a
Ils sont grands sur un fond | d'opprobre ; devant eux 6+6 a
455 Des parfums allumés | fument ; cet encens pue. 6+6 a
Du reste, arceaux géants, | colonnade trapue ; 6+6 a
Des viandes à des crocs | comme dans un charnier, 6+6 a
La même joie allant | du premier au dernier ; 6+6 a
Plus de cris que le soir | au fond des marécages ; 6+6 a
460 D'affreux chiens-loups gardant | des captifs dans des cages ; 6+6 a
Dans un angle un gibet ; | partout le choc brutal 6+6 a
Du palais riche, heureux, | joyeux, contre l'étal. 6+6 a
Les murs ont par endroits | des trous où s'enracine 6+6 a
Un poing de fer portant | un cierge de résine. 6+6 a
465 Vaguement écouté | par Blas et Gildebrand, 6+6 a
Un pâtre, près du seuil, | sur le sistre vibrant, 6+6 a
Chante des montagnards | la féroce romance ; 6+6 a
Et des trois madriers | brûlant dans l'âtre immense 6+6 a
Il sort tout un dragon | de flamme, ayant pour frein 6+6 a
470 Une chaîne liée | à deux chenets d'airain. 6+6 a
VI
UNE ÉLECTION
Cependant les voilà | qui causent d'une affaire. 6+6 a
Si grands qu'ils soient, la mort | entre en leur haute sphère ; 6+6 a
Guy, roi d'Oloron, veuf | et sans enfants, est mort. 6+6 a
A qui le mont ? à qui | la ville ? à qui le fort ? 6+6 a
475 Question. La querelle | éclaterait. Mais Sanche : 6+6 a
— Paix là ! l'heure est mauvaise | et notre pouvoir penche ; 6+6 a
Les villes contre nous | font pacte avec les bourgs ; 6+6 a
Les hommes des hameaux, | des vignes, des labours, 6+6 a
S'arment pour nous combattre, | et la ligue est certaine 6+6 a
480 Du comte de Castille | et du duc d'Aquitaine. 6+6 a
Est-ce en un tel moment | qu'autour de nous groupés, 6+6 a
Princes, nos ennemis | vont nous voir occupés 6+6 a
A nous mordre en rongeant | un os dans la montagne ? 6+6 a
Par Jésus ! les démons | sont d'accord dans leur bagne ; 6+6 a
485 Va-t-on se quereller | entre rois dans les cieux ? 6+6 a
— La dispute est un mal, | dit Blas le Captieux, 6+6 a
Qui la cherche est félon, | qui l'accepte imbécile ; 6+6 a
Mais comment s'accorder ? |
Sanche dit :
— C'est facile. 6+6 a
— Qui donc ferais-tu roi | d'Oloron ?
— Masferrer. 6+6 a
490 Ce nom sur tous les fronts | passa comme un éclair. 6+6 a
— Mes frères, reprit Sanche, | il faut songer aux guerres ; 6+6 a
(Sanche, étant fratricide, | aimait ce mot : mes frères.) 6+6 a
Et, pardieu, mon avis, | le voici : notre cor 6+6 a
S'entendrait de plus loin | et ferait mieux encor, 6+6 a
495 Et la rumeur, qui sort | de nous dans la campagne 6+6 a
Et la nuée, irait | plus au fond de l'Espagne, 6+6 a
Si Masferrer était | élu roi d'Oloron, 6+6 a
Et si, subitement, | dans notre altier clairon 6+6 a
Ce voleur engouffrait | son souffle formidable. 6+6 a
500 — Mais n'habite-t-il pas | un antre inabordable ? 6+6 a
— Puisqu'il l'aborde, lui ? |
— C'est juste.
— Nous voulons, 6+6 a
Dit Sanche, tout glacer | sous nos rudes talons, 6+6 a
Et jeter bas ce peuple | et cette ligue infime. 6+6 a
Il nous faut de la chute ; | eh bien, prenons l'abîme 6+6 a
505 Il nous faut de la glace ; | eh bien, prenons l'hiver ! 6+6 a
— Soit, cria Fervehan, | nommons roi Masferrer. 6+6 a
— J'y consens, dit Sforon, | la bête est d'envergure. 6+6 a
— Ce serait un roi, cette, | et de haute figure, 6+6 a
Ajouta Bermudo. |
— Le sanglier me plaît, 6+6 a
Dit Juan.
510 — Mais comme roi, | seigneurs, est-il complet ? — 6+6 a
Dit Blas. On passe mal | d'une bauge à la tente. 6+6 a
— Qu'est-ce donc que tu veux | de plus ? je m'en contente, 6+6 a
Hurla Gil. Je le prends | avec ses marcassins, 6+6 a
S'il en a. Ce serait, | j'en jure par les saints, 6+6 a
515 Quelque chose de grand, | d'altier, de salutaire, 6+6 a
Et d'égal à l'effet | que ferait sur la terre, 6+6 a
En s'y dressant soudain, | l'ombre de Totila, 6+6 a
Si l'on voyait un sceptre | entre ces pattes-là ! 6+6 a
Le vieux Vasco dressa | sous le dais de sa chaire 6+6 a
520 Son front blanc éclairé | d'une blême torchère : 6+6 a
Il nous faut du renfort. | Puisque nous en gagnons 6+6 a
En étant de ce gueux | quelconque compagnons, 6+6 a
Amen, l'homme me va. | J'accepte l'épousaille. 6+6 a
Mais, princes, qui l'ira | chercher dans sa broussaille ? 6+6 a
— Deux d'entre nous.
— C'est dit. |
525 Et le sort désigna 6+6 a
Le roi Genialis | et le duc Agina. 6+6 a
VII
LES DEUX PORTES-SCEPTRE
Un torrent effréné | roule entre deux falaises ; 6+6 a
A droite est l'antre ; à gauche, | au milieu des mélèzes, 6+6 a
Un dur sentier fait face | au terrier du bandit, 6+6 a
530 Mince corniche au flanc | du roc ; l'eau qui bondit, 6+6 a
L'affreux souffle sortant | du gouffre, la colère 6+6 a
D'un trou prodigieux | et perpendiculaire, 6+6 a
Séparent le sentier | de l'antre. Pas de pont. 6+6 a
Rien. La chute où l'écho | tumultueux répond. 6+6 a
535 Les antres, là, sont sûrs ; | les abîmes les gardent ; 6+6 a
Les deux escarpements | ténébreux se regardent ; 6+6 a
A peine, en haut, voit-on | un frêle jour qui point. 6+6 a
La fente épouvantable | est étroite à ce point 6+6 a
Qu'on pourrait du sentier | parler à la caverne ; 6+6 a
540 On cause ainsi d'un mur | à l'autre de l'Averne. 6+6 a
Un sentier, mais jamais | de Passants.
Dans ces monts, 6+6 a
Le sol n'est que granits, | herbes, glaces, limons ; 6+6 a
Le cheval y fléchit, | la mule s'y déferre ; 6+6 a
Tout ce que les deux rois | envoyés purent faire, 6+6 a
545 Ce fut de pénétrer | jusqu'au rude sentier. 6+6 a
Parvenus au tournant, | où l'antre tout entier, 6+6 a
Comme ces noirs tombeaux | que les chacals déterrent, 6+6 a
Lugubre, apparaissait, | les deux rois s'arrêtèrent. 6+6 a
Le bandit, que les rois | apercevaient dedans, 6+6 a
550 Raccommodait son arc, | coupait avec ses dents 6+6 a
Les nœuds, de peur qu'un fil | sur le bois ne se torde, 6+6 a
Songeait, et par moments | crachait un bout de corde. 6+6 a
L'eau du gave semblait | à la hâte s'enfuir. 6+6 a
L'homme avait à ses pieds | un vieux carquois de cuir 6+6 a
555 Plein de ces dards qui font | de loin trembler la cible. 6+6 a
On voyait dans un coin | sa femelle terrible. 6+6 a
Une pierre servait | à ce voleur de banc. 6+6 a
Alors, haussant la voix, | car le gave en tombant 6+6 a
Faisait le bruit d'un buffle | échappé de l'étable, 6+6 a
560 L'un des deux rois cria | dans l'antre redoutable : 6+6 a
— Salut, homme, au milieu | des gouffres ! Devant toi 6+6 a
Tu vois Agina, duc, | et Genialis, roi ; 6+6 a
Nous sommes envoyés | par Vasco Tête-Blanche, 6+6 a
Fervehan, Gildebrand, | don Blas, don Juan, don Sanche, 6+6 a
565 Gil, Bermudo, Sforon, | et je te dis ceci 6+6 a
De la part de ceux-là | qui sont des rois aussi : 6+6 a
On te donne Oloron, | ville dans la montagne ; 6+6 a
Sois l'un de nous, sois roi ; | viens ; le sceptre se gagne, 6+6 a
Tu l'as gagné. Nous rois, | nous venons te chercher. 6+6 a
570 Un fils comme toi peut, | du haut de son rocher, 6+6 a
Entrer parmi les rois | de plain-pied, sans démence ; 6+6 a
C'est à ta liberté | que le trône commence. 6+6 a
Règne sur Oloron | et sur vingt bourgs encor. 6+6 a
Tu mettras sur ta tête | une tiare d'or, 6+6 a
575 Et ce qu'on nomme vol | se nommera conquête ; 6+6 a
Car rien n'est crime et tout | est vertu, sur le faîte ; 6+6 a
Et ceux qui t'appelaient | bandit, t'adoreront. 6+6 a
Viens règne. Nous avons | des couronnes au front, 6+6 a
Des raps d'or et d'argent | à dix onces la vare, 6+6 a
580 Des châteaux, des pays, | l'Aragon, la Navarre, 6+6 a
Des femmes, des banquets, | le monde à nos genoux ; 6+6 a
Prends ta part. Tout cela | t'appartient comme à nous. 6+6 a
Entre dans le palais | et sors de la tanière, 6+6 a
Remplace le nuage, | ami, par la lumière : 6+6 a
585 Quitte ta nuit, ton roc, | ton haillon, ton torrent, 6+6 a
Viens ; et sois comme nous | un roi superbe et grand, 6+6 a
N'ayant rien à ses pieds | qui ne soit une fête, 6+6 a
Viens.
Sans lever les yeux | et sans tourner la tête, 6+6 a
Le bandit, sur son arc | gardant toujours la main, 6+6 a
590 Leur fit signe du doigt | de passer leur chemin. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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