Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_4/HUG810
Victor HUGO
LA LÉGENDE DES SIÈCLES
NOUVELLE SÉRIE
1877
XV
LE CYCLE PYRÉNÉEN
Gaiffer-Jorge, duc d'Aquitaine
Au bas d'une muraille | on ouvre une tranchée ; 6+6 a
Les travailleurs, bras nus | et la tête penchée, 6+6 a
Vont et viennent, fouillant | dans l'obscur entonnoir ; 6+6 b
Sous la pioche, pareille | au bec d'un oiseau noir, 6+6 b
5 Le rocher sonne, ainsi | que le fer dans la forge ; 6+6 a
Dur labeur. Gaïffer, | qu'on appelle aussi Jorge, 6+6 a
Fait creuser un fossé | large et profond autour 6+6 b
De son donjon, palais | de roi, nid de vautour, 6+6 b
Forteresse où ce duc, | voisin de la tempête, 6+6 a
10 Habite, avec le cri | des aigles sur sa tête ; 6+6 a
On éventre le mont, | on défonce le champ ; 6+6 b
— Creusez ! creusez ! dit-il | aux terrassiers, piochant 6+6 b
De l'aube jusqu'à l'heure | où le soleil se couche, 6+6 a
Je veux faire à ma tour | un fossé si farouche 6+6 a
15 Qu'un homme ait le vertige | en regardant au fond. — 6+6 b
On creuse, et le travail | que les ouvriers font 6+6 b
Trace au pied des hauts murs | un tortueux cratère ; 6+6 a
Il descend chaque jour | plus avant dans la terre ; 6+6 a
Un terrassier parfois | dit : — Seigneur, est-ce assez ? 6+6 b
20 Et Gaïffer répond : | — Creusez toujours, creusez. 6+6 b
Je veux savoir sur quoi | ma demeure est bâtie. — 6+6 a
Qu'est-ce que Gaïffer ? | La fauve dynastie 6+6 a
Qu'installa, sous un dais | fait d'une peau de bœuf, 6+6 b
Le patrice Constance | en quatre cent dix-neuf, 6+6 b
25 Reçut de Rome en fief | la troisième Aquitaine. 6+6 a
Aujourd'hui Gaïffer | en est le capitaine. 6+6 a
De Bayonne à Cahors | son pouvoir est subi ; 6+6 b
Les huit peuples qui sont | à l'orient d'Alby, 6+6 b
Les quatorze qui sont | entre Loire et Garonne, 6+6 a
30 Sont comme les fleurons | de sa fière couronne ; 6+6 a
Auch lui paie un tribut ; | du Tursan au Marsan 6+6 b
Il reçoit un mouton | de chaque paysan ; 6+6 b
Le Roc-Ferrat, ce mont | où l'on trouve l'opale, 6+6 a
Saint-Sever sur l'Adour, | Aire l'épiscopale, 6+6 a
35 Sont à lui ; son état | touche aux deux océans ; 6+6 b
Le roi de France entend | jusque dans Orléans 6+6 b
Le bruit de son épée | aiguisée et fourbie 6+6 a
Aux montagnes d'Irun | et de Fontarabie ; 6+6 a
Gaïffer a sa cour | plénière de barons ; 6+6 b
40 La foule, autour de lui, | se tait, et les clairons 6+6 b
Font un sinistre éclat | de triomphe et de fête ; 6+6 a
Au point du jour, sa tour, | dont l'aube teint le faîte, 6+6 a
Noire en bas et vermeille | en haut, semble un tison 6+6 b
Qu'un bras mystérieux | lève sur l'horizon ; 6+6 b
45 Gaïffer-Jorge est prince, | archer et chasseur d'hommes ; 6+6 a
On le trouve très grand | parmi ses majordomes, 6+6 a
Ses baillis font sonner | sa gloire, et ses prévôts 6+6 b
Sont plus qu'à Dieu le père | à Gaïffer dévots. 6+6 b
Seulement, il a pris, | pour élargir sa terre, 6+6 a
50 Aux infants d'Oloron | leur ville héréditaire : 6+6 a
Mais ces infants étaient | de mauvaise santé, 6+6 b
Et si jeunes que c'est | à peine, en vérité, 6+6 b
S'ils ont su qu'on changeait | leur couronne en tonsure ; 6+6 a
De plus son amitié | n'est pas toujours très sûre, 6+6 a
55 Il a, pour cent francs d'or, | livré son maître Aymon 6+6 b
Au noir miramolin, | flécuba le démon ; 6+6 b
Aymon, ce chevalier | dont tout parlait naguère, 6+6 a
Avait instruit le duc | Gaïffer dans la guerre, 6+6 a
Aymon était un fier | et bon campéador, 6+6 b
60 Mais Gaïffer était | sans le sou, cent francs d'or 6+6 b
Font cent mille tomans, | et son trésor étique 6+6 a
Avait besoin d'un coup | de grande politique ; 6+6 a
Par la vente d'Aymon | il a réalisé 6+6 b
De quoi pouvoir donner | un tournoi, l'an passé, 6+6 b
65 Et bien vivre, et jeter | l'argent par la fenêtre 6+6 a
La grandeur veut le faste, | il ne convient pas d'être 6+6 a
A la fois duc superbe | et prince malaisé ; 6+6 b
Enfin on dit qu'un soir | il a, chasseur rusé, 6+6 b
Conduit, tout en riant, | au fond d'une clairière ; 6+6 a
70 Son frère Astolphe, et l'a | poignardé par derrière ; 6+6 a
Mais ils étaient jumeaux, | Astolphe un jour pouvait 6+6 b
Prétendre au rang ducal | dont Jorge se revêt, 6+6 b
Et pour la paix publique | on peut tuer son frère. 6+6 a
Étançonner le sable, | ôter l'argile, extraire 6+6 a
75 La brèche et le silex, | et murer le talus, 6+6 b
C'est rude. Après les huit | premiers jours révolus : 6+6 b
— Sire, ce fossé passe | en profondeur moyenne 6+6 a
Tous ceux de Catalogne | et tous ceux de Guyenne, 6+6 a
Dit le maître ouvrier, | vieillard aux blancs cheveux. 6+6 b
80 — Creusez ! répond le duc. | Je vous l'ai dit. Je veux 6+6 b
Voir ce que j'ai sous moi | dans la terre profonde. — 6+6 a
Huit jours encore on creuse, | on sape, on fouille, on sonde ; 6+6 a
Tout à coup on déterre | une pierre, et, plus bas, 6+6 b
Un cadavre, et le nom | sur le roc : Barabbas. 6+6 b
85 — Creusez, dit Jorge. — On creuse. | Au bout d'une semaine 6+6 a
Une autre pierre avec | une autre forme humaine 6+6 a
Perce l'ombre, affreux spectre | au fond d'un trou hideux ; 6+6 b
Et ce cadavre était | le plus sombre des deux ; 6+6 b
Une corde à son cou | rampait ; une poignée 6+6 a
90 De drachmes d'or sortait | de sa main décharnée ; 6+6 a
Sur la pierre on lisait : | Judas. — Creusez toujours ! 6+6 b
Allez ! creusez ! cria | le duc du haut des tours. — 6+6 b
Et le bruit du maçon | que le maçon appelle 6+6 a
Recommença ; la pioche | et la hotte et la pelle 6+6 a
95 Plongèrent plus avant | qu'aucun mineur ne va. 6+6 b
Après huit autres jours | de travail, on trouva 6+6 b
Soudain, dans la nuit blême | où rien n'a plus de forme, 6+6 a
Un squelette terrible, | et sur son crâne énorme 6+6 a
Quatre lettres de feu | traçaient ce mot : Caïn. 6+6 b
100 Les pâles fossoyeurs | frémirent, et leur main 6+6 b
Laissa rouler l'outil | dans l'obscurité vide ; 6+6 a
Mais le duc apparaît, | noir sur le ciel livide 6+6 a
— Continuez, dit-il, | penché sur le fossé, 6+6 b
Allez ! — On obéit ; | et l'un d'eux s'est baissé, 6+6 b
105 Morne esclave, il reprend | le pic pesant et frappe, 6+6 a
Et la roche sonna | comme une chausse-trape ; 6+6 a
Au second coup la terre | obscure retentit ; 6+6 b
Du trou que fit la pioche | une lueur sortit, 6+6 b
Lueur qui vint au front | heurter la tour superbe 6+6 a
110 Et fit sur le talus | flamboyer les brins d'herbe 6+6 a
Comme un fourmillement | de vipères de feu ; 6+6 b
On la sentait venir | de quelque horrible lieu ; 6+6 b
Tout le donjon parut | sanglant comme un mystère. 6+6 a
— Allez ! dit Jorge. — Alors | on entendit sous terre 6+6 a
115 Une lugubre voix | qui disait : — Gaïffer, 6+6 b
Ne creuse point plus bas, | tu trouverais l'enfer. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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