Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_4/HUG800
Victor HUGO
LA LÉGENDE DES SIÈCLES
NOUVELLE SÉRIE
1877
VIII
WELF
CASTELLAN D'OSBOR
WELF
CASTELLAN D'OSBOR
WELF
CYADMIS
HUG
OTHON
SYLVESTRE
UNE PETITE FILLE mendiante
L'HUISSIER DE JUSTICE
PAYSANS, BOURGEOIS,
ÉTUDIANTS DE L'UNIVERSITÉ CARLOVINGIENNE,
SOLDATS
Devant le précipice d'Osbor.
Scène première
L'HUISSIER DE JUSTICE, UN GROUPE DE GENS DU PEUPLE
L'huissier de l'empire, en dalmatique d'argent semée d'aigles noires, entre, précédé des quatre massiers de la diète. Il est suivi d'un groupe de paysans et de bourgeois. Il se tourne vers la tour, où l'on ne voit personne
L'HUISSIER
Je fais sommation, | moi l'huissier de l'empire, 6+6 a
A toi, baron, rebelle | à la Diète de Spire. 6+6 a
Rends-toi, sors. Comparais. |
Silence profond dans la tour. On n'y distingue ni un bruit, ni une lumière. Elle semble inhabitée.
UN BOURGEOIS, survenant, aux autres.
A-t-il répondu ?
UN PAYSAN
Non. 6+6 b
L'HUISSIER
J'ai dit.
Il passe, et disparaît avec les quatre massiers.
LE BOURGEOIS, montrant la tour.
Quel fier dédain ! | Quel rude compagnon ! 6+6 b
UN ÉTUDIANT de l'université carlovingienne.
Compagnon de personne. |
LE PAYSAN
5 Oui, pas un ne l'égale. 6+6 a
L'ÉTUDIANT
Parfois aux champs fauchés | il reste une cigale ; 6+6 a
Ainsi cet homme libre | est demeuré debout. 6+6 b
LE BOURGEOIS
Oui, ce mont excepté, | l'esclavage est partout. 6+6 b
L'ÉTUDIANT
Welf, à lui seul, tient tête | aux princes d'Allemagne. 6+6 a
UN VIEILLARD
10 Il ne veut pas qu'on passe | à travers sa montagne, 6+6 a
Il est le protecteur | d'un pays inconnu. 6+6 b
Qui troublerait ces monts | serait le mal venu. 6+6 b
Il est père des bois. | Sa tour fait sentinelle. 6+6 a
Il défend le sapin, | l'if, la neige éternelle, 6+6 a
15 La route avec ses fleurs, | la biche avec ses faons, 6+6 b
Et les petits oiseaux | sont ses petits enfants. 6+6 b
Il guette. Son regard | a des éclairs funèbres 6+6 a
Pour quiconque oserait | attaquer ces ténèbres. 6+6 a
On voit la silhouette | âpre du chevalier 6+6 b
20 Dans l'entre-croisement | des branches du hallier. 6+6 b
Une sérénité | nocturne l'environne. 6+6 a
Son casque n'a jamais | salué de couronne. 6+6 a
Il se tient là, barrant | le chemin, rassurant 6+6 b
La forêt, le ravin, | le rocher, le torrent, 6+6 b
25 Et garde vierge, aux yeux | de toute la contrée, 6+6 a
L'ombre où cette montagne | auguste donne entrée. 6+6 a
LE BOURGEOIS
Il est seul dans sa tour ? |
LE VIEILLARD
Il n'a pas un archer. 6+6 b
LE PAYSAN, à un autre paysan, montrant la tour.
Tiens ! entre les créneaux | on peut le voir marcher. 6+6 b
L'ÉTUDIANT
Tant qu'il vit, la patrie | aux fers n'est pas éteinte. 6+6 a
LE VIEILLARD
30 Il n'a jamais voulu | se marier, de crainte 6+6 a
D'introduire en son antre | une timidité. 6+6 b
L'ÉTUDIANT
Ici l'on rampe.
LE VIEILLARD
Il est | seul de l'autre côté. 6+6 b
LE BOURGEOIS
On dit qu'il vit là, fauve | et noir, sans chefs, sans règle. 6+6 a
Qu'il se fait apporter | à manger par les aigles, 6+6 a
Et qu'il n'a jamais ri. |
LE VIEILLARD
35 Deuil fièrement porté ! 6+6 b
Il est veuf.
LE BOURGEOIS
Veuf de qui ? |
LE VIEILLARD
Veuf de la liberté. 6+6 b
L'ÉTUDIANT
Puissant vieillard !
LE VIEILLARD
Il est | inaccessible ; il garde 6+6 a
Son fossé, tient dressé | son pont-levis, regarde 6+6 a
Par les trous de sa herse, | et n'a jamais d'ennui, 6+6 b
40 Sentant le mont immense | en paix derrière lui. 6+6 b
LE BOURGEOIS, regardant à ses pieds.
Le précipice est sombre. |
L'ETUDIANT, regardant au-dessus de sa tête.
Et la muraille est haute. 6+6 a
LE BOURGEOIS
Mais s'il repousse un maître, | admettrait-il un hôte ? 6+6 a
LE VIEILLARD
Un pauvre, oui.
L'ÉTUDIANT
Jamais roi | dans sa coupe ne but. 6+6 b
LE VIEILLARD
Il vit sans rendre hommage | et sans payer tribut. 6+6 b
LE BOURGEOIS
45 Qu'il est heureux ! Hélas, | les impôts nous obèrent. 6+6 a
LE VIEILLARD
Mais cela va finir, | les princes délibèrent. 6+6 a
Montrant le revers de la montagne opposée au précipice.
Ils sont là.
LE BOURGEOIS
Qui donc ?
LE VIEILLARD
Qui ? | Notre duc Cyadmis, 6+6 b
Le roi d'Arle, et les deux | formidables amis 6+6 b
Qui ne se quittent pas, | — l'un maudit, l'autre frappe, — 6+6 a
50 Othon trois, empereur, | et Sylvestre deux, pape. 6+6 a
L'ÉTUDIANT
Qu'importe ? le rocher | est fort, Welf est viril. 6+6 b
Welf ignore la peur, | mais connaît le péril. 6+6 b
LE BOURGEOIS
Aussi marche-t-il droit | sur lui.
L'ÉTUDIANT
Pas plus qu'Hercule 6+6 a
Il ne tremble, et pas plus | qu'Achille il ne recule. 6+6 a
LE BOURGEOIS
55 Robuste, il songe, au bord | de l'abîme béant. 6+6 b
L'ÉTUDIANT
Une douceur d'étoile, | et le bras d'un géant ! 6+6 b
LE VIEILLARD
Oui. Mais les rois sont las | de voir debout dans l'ombre 6+6 a
Le grand ermite armé | de la montagne sombre. 6+6 a
Il se penche et leur désigne du doigt un point qu'on ne voit pas.
Vous voyez bien d'ici | cette cabane, au flanc 6+6 b
60 Du ravin, à l'abri | de l'aquilon sifflant ? 6+6 b
C'est là que les rois sont | assemblés.
LE BOURGEOIS
Combien ?
LE PAYSAN
Quatre. 6+6 a
LE VIEILLARD
Ce burg les gêne. Ils ont | résolu de l'abattre. 6+6 a
C'est dit. Pour vaincre ils ont | leurs troupes et leurs gens, 6+6 b
Et le dépit amer, | force des assiégeants. 6+6 b
LE PAYSAN
65 Le castellan va-t-il | enfin livrer passage, 6+6 a
Baisser le pont, céder | aux rois ?
LE BOURGEOIS
Oui, s'il est sage. 6+6 a
L'ÉTUDIANT
Non, s'il est grand.
LE VIEILLARD
Il est | sage et grand.
L'ÉTUDIANT, montrant la tour.
La maison 6+6 b
Tiendra ferme, ayant Welf | tout Seul peur garnison : 6+6 b
Le vieux songeur n'est pas | d'humeur accommodante. 6+6 a
70 Il mettra des chaudrons | sur de la braise ardente, 6+6 a
Et saura leur payer, | va, ce qui leur est dû 6+6 b
De poix bouillante, d'huile | en feu, de plomb fondu ! 6+6 b
LE PAYSAN
Certes !
L'ÉTUDIANT
Et l'on verra | si leur peau s'accoutume 6+6 a
Au ruissellement large | et fumant du bitume. 6+6 a
On voit une fumée sortir du haut de la tour.
LE VIEILLARD
75 Tenez, précisément ! | Il allume son feu. 6+6 b
Voyez-vous la fumée ! |
L'ÉTUDIANT
Il va jouer son jeu, 6+6 b
Faire sa fête, Offrir | la bataille.
LE BOURGEOIS
Posture 6+6 a
D'un héros !
LE PAYSAN
Je veux voir | la fin de l'aventure. 6+6 a
LE BOURGEOIS
Nous, en voyant venir | des princes, nous fuyons 6+6 b
80 Devant ce flamboiement | de sinistres rayons ; 6+6 b
Welf les brave.
Montrant le burg.
C'est beau, | cette porte fermée. 6+6 a
L'ÉTUDIANT
D'un côté ce bonhomme, | et de l'autre une armée ! 6+6 a
LE VIEILLARD
A lui seul il est grand | comme une nation. 6+6 b
D'ordinaire, tout est | dans la proportion, 6+6 b
85 Et le petit est grand | près du moindre, et l'arbuste, 6+6 a
Si vous le comparez | au brin d'herbe, est robuste. 6+6 a
Mais Welf dépasse tout. | C'est un dieu.
On entend une fanfare de trompettes.
LE BOURGEOIS
Les clairons ! 6+6 b
Silence ! Où sont nos trous | dans les rochers ? Rentrons. 6+6 b
Tous se dispersent de divers côtés. Entre une troupe de valets de la lance avec de longues piques. En tête les clairons.
Puis un gendarme portant un pennon de guerre.
Derrière le pennon, paraît un homme à cheval entièrement couvert d'une chemise de fer à capuchon, et ayant sur le capuchon une couronne ducale.
Les soldats s'arrêtent, le pennon s'arrête, l'homme à cheval s'arrête, et se tourne vers la tour. Les clairons se taisent.
L'homme à cheval tire son épée.
La tour continue de fumer.
Scène deuxième
CYADMIS, LA TOUR, puis HUG, puis OTHON, puis SYLVESTRE
CYADMIS, parlant à la tour.
Personne n'a le droit | de prendre un coin de terre 6+6 a
90 Au prince armé par Dieu | d'un titre héréditaire. 6+6 a
S'isoler, c'est trahir. | Welf, castellan d'Osbor, 6+6 b
Toi qu'on doit comme un ours | traquer au bruit du cor, 6+6 b
Je te provoque au bruit | du clairon, comme un homme : 6+6 a
Mais d'abord je te parle | en ami. Je te somme 6+6 a
95 D'être un garçon prudent, | docile aux bons avis. 6+6 b
Chevalier, haut la herse | et bas le pont-levis ! 6+6 b
Je veux entrer. Je veux | passer. Cette montagne 6+6 a
N'est pas, comme la Crète | et comme la Bretagne, 6+6 a
Une île, et ce fossé | n'est pas la mer. Baron, 6+6 b
100 Viens, je te chausserai | moi-même l'éperon ; 6+6 b
Je t'admets dans ma troupe, | à vaincre habituée ; 6+6 a
Tu seras capitaine, | avec une nuée 6+6 a
De trompettes courant | et sonnant devant toi. 6+6 b
Descends, ouvre ta porte, | et causons. Par ma foi, 6+6 b
105 Tu n'es pas fait pour vivre | entre quatre murailles. 6+6 a
Ami, nous gagnerons | ensemble des batailles. 6+6 a
C'est beau d'avoir l'épée | au poing, d'être le bras 6+6 b
De la victoire, et d'être | un soldat ! Tu verras 6+6 b
Comme c'est un bonheur | de partir pour la guerre, 6+6 a
110 Et comme avec orgueil, | quittant tout soin vulgaire, 6+6 a
Rois et vassaux, soldats | et chefs, nous nous offrons 6+6 b
Un vaste gonflement | des drapeaux sur nos fronts ! 6+6 b
Quelle joie et quels cris | lorsqu'on force une ville ! 6+6 a
On se vautre à travers | la populace vile ! 6+6 a
115 La femme qu'on fait veuve, | on lui prend un baiser. 6+6 b
Tu n'es pas encor d'âge | à ne point t'amuser. 6+6 b
En échange d'un burg | sur un rocher, je t'offre 6+6 a
Une tente de soie | et de l'or à plein coffre, 6+6 a
Et l'altière rumeur | des camps et des clairons. 6+6 b
120 Nous irons conquérir | le monde, et nous aurons 6+6 b
Des filles et du vin, | et tu feras ripaille, 6+6 a
Au lieu de coucher seul | dans ton trou sur la paille. 6+6 a
Lève ta herse, accepte, | et soyons bons amis. 6+6 b
Ouvre-moi, je tiendrai | tout ce que j'ai promis. 6+6 b
125 Sinon, prends garde à toi. | J'ai l'habitude d'être 6+6 a
Patient à l'affront | comme au feu le salpêtre. 6+6 a
J'aurai bien vite fait | d'écraser ton donjon. 6+6 b
Cueillir un burg ainsi | qu'on sarcle un sauvageon, 6+6 b
Et coucher une tour | tout de son long dans l'herbe, 6+6 a
130 Ce sont mes jeux. Sais-tu, | de ton château superbe 6+6 a
Ce qui restera, dis, | lorsque j'aurai passé ? 6+6 b
Une baraque informe | au fond d'un noir fossé. 6+6 b
Et de ta haute tour | de guerre ? Une masure 6+6 a
Bonne aux moineaux cachant | leurs nids dans l'embrasure. 6+6 a
135 Et du sauvage aspect | de tes créneaux altiers ? 6+6 b
Un tas de pierres, plein | de houx et d'églantiers, 6+6 b
Où les femmes viendront | faire sécher leur linge. 6+6 a
Je suis Cyadmis, duc | et marquis de Thuringe. 6+6 a
Ouvre-moi.
Silence dans la tour.
Paraît un étendard portant à la hampe une couronne de roi.
Entre, derrière un groupe de trompettes, un homme à cheval, vêtu de drap d'or, ayant une couronne royale sur la tête. Il a un sceptre à la main. A sa suite marche une compagnie d'arbalétriers bourguignons couronnés de fleurs ; ils ont de grandes arbalètes, des boucliers faits d'une peau de boeuf et hauts comme un homme, et les pieds nus dans des chaussures de cordes.
Tous s'arrêtent.
Le duc et la troupe se rangent.
L'homme à couronne royale fait face à la tour. La fanfare cesse.
HUG, parlant à la tour.
Je suis roi | d'Arles aux verts coteaux, 6+6 b
140 Et j'ai pour fiefs Orange | et Saint-Paul-Trois-Châteaux ; 6+6 b
A quiconque me brave | on sait ce qu'il en coûte, 6+6 a
Et je m'appelle Hug, | fils de Boron. Écoute, 6+6 a
Homme de ces monts, toi | qui fais de l'ombre ici. 6+6 b
Je ne te vois pas, maître | obscur du burg noirci ; 6+6 b
145 Mais, derrière ton mur, | tu songes je te parle. 6+6 a
Tu n'es pas sans avoir | entendu parler d'Arle, 6+6 a
Dont l'aïeul est Priam, | car sur nos monts chenus 6+6 b
Avant les phocéens | les troyens sont venus ; 6+6 b
Arle est fille de Troie | et mère de Grenoble ; 6+6 a
150 Isidore la nomme | une ville très noble, 6+6 a
Et Théodoric, comte | et roi des goths, l'aima. 6+6 b
Les français ne l'auront | jamais. Gênes, Palma, 6+6 b
Mayorque, Rhode et Tyr | sont mes ports tributaires ; 6+6 a
J'ai le Rhône, et l'Autriche | est une de mes terres, 6+6 a
155 Arle est riche ; à la diète | elle achète des voix ; 6+6 b
Les califes lui font | de précieux envois ; 6+6 b
Elle reçoit par mer | les dons de ces hautesses, 6+6 a
Les odeurs d'Arabie | et les délicatesses 6+6 a
De l'Asie, et telle est | la beauté de ses tours 6+6 b
160 Qu'elles attirent l'aigle | et chassent les vautours. 6+6 b
Mon sceptre est salué | par cent vassaux, tous princes. 6+6 a
J'ai le Rhin aux sept monts, | la Gaule aux sept provinces. 6+6 a
T'attaquer, toi vieillard, | j'en serais bien fâché. 6+6 b
Donne-nous ta montagne | et je t'offre un duché. 6+6 b
165 Je t'offre en ma Bourgogne | autant de bonne terre 6+6 a
Qu'on en voit de mauvaise | en ce mont solitaire. 6+6 a
Accepte, car nos champs | donnent beaucoup de blé. 6+6 b
Le trouvère Éricus | d'Auxerre en a parlé. 6+6 b
Arles t'attend. Je t'offre | en ma ville latine 6+6 a
170 Un palais où, vieillards | à la voix enfantine, 6+6 a
Les poètes viendront, | hôtes mélodieux, 6+6 b
Te chanter, comme au temps | qu'on croyait aux faux dieux. 6+6 b
Tu seras un seigneur | dans mon pompeux cortège, 6+6 a
Et tu présideras | des cours d'amour. La neige, 6+6 a
175 La bise, le brouillard, | les ouragans hurlants, 6+6 b
Font une sombre fête | à tes fiers cheveux blancs ; 6+6 b
Car cet âpre sommet | a, sous le vent sonore, 6+6 a
Plus d'hiver que d'été, | plus de nuit que d'aurore. 6+6 a
Viens te chauffer, vieillard. | Je t'offre le midi. 6+6 b
180 Tu cueilleras la rose | et le lys d'Engaddi. 6+6 b
Accepte. On trouve ainsi | moyen de plaire aux femmes ; 6+6 a
Car il est gracieux | de s'approcher des dames 6+6 a
En souriant, avec | des bouquets dans les mains. 6+6 b
L'aloès, le palmier, | les oeillets, les jasmins 6+6 b
185 Emplissent nos jardins | d'encens et d'allégresse, 6+6 a
Et l'ancien dieu Printemps, | qu'on adorait en Grèce, 6+6 a
N'avait pas plus de fleurs | quand il les rassembla 6+6 b
Toutes, pour les offrir | aux abeilles d'Hybla. 6+6 b
Lève la herse, abats | le pont, ouvre la porte, 6+6 a
190 Accepte ce que moi, | roi d'Arles, je t'apporte. 6+6 a
Silence dans la tour.
La fumée s'épaissit et devient rougeâtre.
Le roi se range près du duc.
Fanfare.
Paraît une bannière de drap d'or, portant un grand aigle de sable, éployé. Des sonneurs de trompes et des batteurs de cymbales la précèdent.
Derrière la bannière entre un homme à cheval, vêtu de pourpre, ayant dans la main un globe, et sur la tête la couronne impériale.
Il est suivi d'une poutre à tête de bélier de bronze, portée par des croates nus, hauts de six pieds. Le bélier est flanqué de montagnards tyroliens en jaquettes bariolées, armés de frondes.
Tout ce cortège s'arrête et fait face à la tour. Les trompes et les cymbales se taisent.
OTHON, tourné vers la tour.
Othon, empereur, parle | à Welf, baron bandit, 6+6 b
Et le bandit se cache, | et l'empereur lui dit : 6+6 b
Vassal, ouvre ton burg. | Je viens te faire grâce. 6+6 a
Welf, quand c'est l'empereur | d'Allemagne qui passe, 6+6 a
195 La clémence au doux front | marche à côté de lui. 6+6 b
Mais l'homme absous, c'est peu ; | je veux l'homme ébloui. 6+6 b
Quand l'empereur pardonne, | il donne une province. 6+6 a
Le duc te fait soldat, | le roi duc, et moi prince. 6+6 a
Chacun de nous, suivant | sa taille, te grandit. 6+6 b
200 Je puis, si je le veux, | te mettre en interdit ; 6+6 b
J'aime mieux t'attirer, | moi centre, dans ma sphère, 6+6 a
Te couvrir de splendeur | et d'aurore, et te faire 6+6 a
Roi près de l'empereur, | astre près du soleil. 6+6 b
Ton pennon couronné | sera presque pareil 6+6 b
205 A ma bannière, alors | qu'on tremble, et que la terre 6+6 a
Se courbe et cherche à fuir | sous mon cri militaire, 6+6 a
Et qu'on voit s'envoler | dans l'orage en avant 6+6 b
L'hydre noire au bec d'aigle | ouvrant son aile au vent 6+6 b
Welf, obéis. Je suis | celui qui tient le globe. 6+6 a
210 J'ai la guerre et la paix | dans les plis de ma robe. 6+6 a
Je t'offre la Hongrie, | un royaume, Veux-tu ? 6+6 b
Silence dans la tour.
Fanfare.
L'empereur se range près du roi et du duc.
Paraît une grande croix d'or à trois branches. Derrière le porte-croix, qui est habillé de violet, vient, sur une aile blanche, un vieillard vêtu de blanc, qui a la tiare en tête. Il est seul, sans gardes. Le porte-croix s'arrête. La fanfare se tait.
Le vieillard parle à la tour.
SYLVESTRE
Moi, j'ai les clefs. La force | est moins que la vertu. 6+6 b
Deux mains jointes font plus | d'ouvrage sur la terre 6+6 a
Que tout le roulement | des machines de guerre. 6+6 a
215 César est grand ; mais Christ, | à la douceur enclin, 6+6 b
Près de l'homme de pourpre | a mis l'homme de lin. 6+6 b
Je suis le père. En moi | la lumière se lève, 6+6 a
Et ce que l'empereur | commence, je l'achève ; 6+6 a
Il absout pour la terre | et j'absous pour le ciel. 6+6 b
220 Le grand césar ne peut | rien donner d'éternel, 6+6 b
Il t'offre une couronne, | et moi je t'offre une âme ; 6+6 a
La tienne. En t'isolant, | comme en un schisme infâme, 6+6 a
Triste excommunié, | tu l'as perdue, hélas ! 6+6 b
Je te la rends. Frémis, | vieillard, tu reculas 6+6 b
225 Vers Satan, et tu fis | outrage au ciel propice 6+6 a
Quand tu mis entre nous | et toi ce précipice, 6+6 a
Fils, veux-tu regagner | ta part du paradis, 6+6 b
Rentrer chez les élus, | fuir de chez les maudits ; 6+6 b
Cède à moi qui suis pape, | héritier des apôtres. 6+6 a
Un homme paraît entre deux créneaux au haut de la tour. Il est tout habillé de fer. Sa barbe blanche passe sous sa visière baissée. Il se découpe en noir sur le fond de neige de la montagne.
La nuit commence à tomber.
Scène troisième
les mêmes, WELF
WELF, du haut de la tour.
230 Que me veut-on ? Passez | votre chemin, vous autres. 6+6 a
Je hais ton glaive, ô duc. | Je hais ton sceptre, ô roi. 6+6 b
César, je hais ton globe | impérial. Et toi, 6+6 b
Pape, je ne crois pas | à tes clefs. Qu'ouvrent-elles ? 6+6 a
Des enfers. Tu mens, pape, | et tes fureurs sont telles 6+6 a
235 Que Rome est le cachot | du Christ, je te le dis. 6+6 b
Et pour voir en toi l'homme | ouvrant le paradis, 6+6 b
Le père, j'attendrai, | pape, que tu dételles 6+6 a
Tous ces hideux chevaux, | Guerre aux rages mortelles, 6+6 a
Haine, Anathème, Orgueil, | Vengeance à l'oeil de feu, 6+6 b
240 Monstres par qui tu fais | traîner le char de Dieu ! 6+6 b
Les chevriers, qu'on voit | rôdant de cime en cime, 6+6 a
Sont de meilleurs pasteurs | que vous, prêtres ; j'estime 6+6 a
Plus que vos crosses d'or | d'archevêque ou d'abbé 6+6 b
Leur bâton d'olivier | sauvage, au bout courbé. 6+6 b
245 Bénis soient leurs troupeaux | paissant dans les cytises ! 6+6 a
Oui, les femmes font faire | aux hommes des sottises, 6+6 a
Roi d'Arles ; mais j'ai, moi, | c'est pourquoi je suis fort, 6+6 b
Pour épouse ma tour, | pour amante la mort 6+6 b
En guise de clairon | l'ouragan m'accompagne. 6+6 a
250 Que peux-tu donc m'offrir | qui vaille ma montagne, 6+6 a
César, roi des romains | et des bohémiens ? 6+6 b
Quand tu me donnerais | ton aigle ! J'ai les miens. 6+6 b
Que venez-vous chercher ? | Qu'est-ce qui vous amène, 6+6 a
Rois ? je suis dans ces bois | la seule face humaine ; 6+6 a
255 La terre sait vos noms | et les mêle à ses pleurs. 6+6 b
Vous êtes des preneurs | de villes, des voleurs 6+6 b
De nations, les chefs | de l'éternel pillage. 6+6 a
Que voulez-vous de moi ? | Je n'ai pas un village. 6+6 a
Vous êtes ici-bas | les semeurs de l'effroi. 6+6 b
260 Le genre humain subit | le duc, souffre le roi ; 6+6 b
Tu l'opprimes, césar ; | saint-père, tu le pilles. 6+6 a
Vos lansquenets font rage, | et violent les filles 6+6 a
Qui plongent leurs bras blancs | dans le van plein de blé ; 6+6 b
Il semble, tant par vous | l'univers est troublé, 6+6 b
265 Que l'air manque aux humains | et la rosée aux plantes 6+6 a
Sur la sainte charrue | on voit vos mains sanglantes. 6+6 a
Rien n'ose croître, et rien | n'ose aimer. Moi, je suis 6+6 b
Un spectre en liberté | songeant au fond des nuits. 6+6 b
Vous êtes des héros | faisant des faits célèbres. 6+6 a
270 Est-ce que j'ai besoin | de vous dans mes ténèbres ? 6+6 a
Je n'ai rien. Pas un homme | auprès de moi ne vit. 6+6 b
On trouve dans ces monts | l'air que rien n'asservit, 6+6 b
Le ravin, le rocher, | des ronces, des cavernes, 6+6 a
Des lacs tristes, pareils | aux antiques avernes, 6+6 a
275 Le bois noir, le vieux mur | par les hiboux choisi, 6+6 b
Le nuage, et c'est tout. | Qui vous attire ici ? 6+6 b
Pourquoi venir ? C'est donc | pour me prendre de l'ombre ? 6+6 a
Moi, baron dans ma tour, | larve dans un décombre, 6+6 a
Je garde ce désert | terrible, et j'en ai soin. 6+6 b
280 L'immense liberté | du tonnerre a besoin 6+6 b
De gouffres, de sommets, | d'espace, de nuées 6+6 a
Sans cesse par le vent | de l'ombre remuées 6+6 a
D'azur sombre, et de rien | qui ressemble à des rois, 6+6 b
Si ce n'est pour tomber | sur leur tête. Je crois 6+6 b
285 En Dieu. Prêtre, entends-tu ? | Quoi ! ce bois où nous sommes 6+6 a
Tente les rois ! Les rois | n'ont pas assez des hommes ! 6+6 a
Mais contentez-vous donc, | compagnons couronnés, 6+6 b
De ce tas de vivants | que vous exterminez ! 6+6 b
Je possède ce mont, | et ce mont me possède ; 6+6 a
290 Il m'abrite, et sur lui | je veille. Ainsi l'on s'aide. 6+6 a
Moi, je suis l'âme, et vous, | vous êtes les démons. 6+6 b
Je descends des géants | qui, marchant sur les monts, 6+6 b
Et les pressant du pied, | faisaient jaillir des marbres 6+6 a
Les sources au-dessus | desquelles sont les arbres. 6+6 a
295 Puisqu'autour du sommet | superbe tout s'éteint, 6+6 b
Puisque la bête brute, | en son auguste instinct, 6+6 b
Proteste, alors que l'homme | à plat ventre se couche, 6+6 a
Ah ! puisque rien n'est libre | à moins d'être farouche, 6+6 a
De mes noirs sangliers, | de mes ours, de mes loups, 6+6 b
300 Vous n'approcherez pas, | princes ; j'en suis jaloux. 6+6 b
Messeigneurs, savez-vous | pourquoi ? C'est que ces bêtes, 6+6 a
Ces êtres lourds et durs, | ces monstres, sont honnêtes, 6+6 a
Ils n'ont pas de Séjan, | ils n'ont pas de Rufin 6+6 b
Leur cruauté n'est pas | le crime, c'est la faim. 6+6 b
305 Vous, rois, dans vos festins, | au bruit sacré des lyres, 6+6 a
Gais, couronnés de fleurs, | échangeant des sourires, 6+6 a
Pour usurper un trône, | ou même sans raison, 6+6 b
Vous vous versez les uns | aux autres du poison 6+6 b
Vos poignards emmanchés | de perles font des choses 6+6 a
310 Horribles, et, parmi | les lauriers et les roses, 6+6 a
Teints de sang, vous restez | éblouissants toujours ; 6+6 b
Moi, je choisis les loups, | et j'aime mieux les ours, 6+6 b
Et je préfère, rois | qu'un vil cortège encense, 6+6 a
A vos crimes riants | leur féroce innocence. 6+6 a
315 Allez-vous-en. — Fuyez. | Quoi ! ne sentez-vous pas 6+6 b
Tout un hérissement | fauve autour de vos pas ? 6+6 b
Vous bravez donc, puissants | aveugles, le murmure 6+6 a
Qui répond dans l'abîme | au bruit de mon armure, 6+6 a
L'amour qu'a pour moi l'ombre, | et l'appui que j'aurais 6+6 b
320 Dans la virginité | des profondes forêts ! 6+6 b
J'ai sous ma garde un coin | de paradis sauvage, 6+6 a
Un mont farouche et doux. | Ici point de ravage 6+6 a
Montrant que l'homme fut | heureux dans ces beaux lieux ; 6+6 b
Point de honte montrant | qu'il y fut orgueilleux. 6+6 b
325 L'onde est libre, le vent | est pur, la foudre est juste. 6+6 a
Rois, que venez-vous faire | en ce désert auguste ? 6+6 a
Le gouffre est noir sans vous, | sans vous le ciel est bleu, 6+6 b
N'usurpez pas ce mont ; | je le conserve à Dieu. 6+6 b
Rois, l'honneur exista | jadis. J'en suis le reste. 6+6 a
330 C'est bien. Partez. S'il est | un bruit que je déteste, 6+6 a
C'est le bourdonnement | inutile des voix. 6+6 b
Il disparaît.
CYADMIS
Il nous brave !
HUG
Couvrons | nos soldats de pavois. 6+6 b
Traînons une baliste. | Apportons les échelles, 6+6 a
A l'assaut !
OTHON
A l'assaut ! |
SYLVESTRE, montrant le précipice.
Si vous n'avez pas d'ailes, 6+6 a
335 Vous ne franchirez pas | cet abîme. Vos ponts 6+6 b
Ne pourront au roc vif | enfoncer leurs crampons, 6+6 b
Les torrents dans ce trou | tombent. Et votre armée, 6+6 a
Comme eux, en y croulant, | y deviendra fumée. 6+6 a
CYADMIS, regardant.
C'est vrai, le précipice | est sans fond
HUG, se penchant.
Quel fossé ! 6+6 b
OTHON, regardant et reculant.
340 On ne peut passer là | que par le pont baissé. 6+6 b
CYADMIS, touchant le rocher.
Auprès de ce granit | le marbre serait tendre. 6+6 a
OTHON, à Sylvestre.
Que nous conseille donc | ta sainteté ?
SYLVESTRE
D'attendre. 6+6 a
La nuit vient. Et le temps | qui s'écoule est pour nous. 6+6 b
Cachez dans le ravin | des gardes à genoux. 6+6 b
Faites le guet.
Tous s'en vont. Il ne reste que des pointes de piques presque indistinctes dans un pli du ravin.
Il commence à neiger.
Crépuscule. Noirceur croissante de la tour et de la montagne. Un enfant paraît dans un coude du rocher. C'est une petite fille, pieds nus, en haillons ; une mendiante.
Elle vient du côté opposé à celui par où les rois sont sortis.
Elle se traîne dans la neige, qui s'épaissit.
Elle regarde autour d'elle avec inquiétude, et monte péniblement la pente qui mène au bord du précipice.
Profond silence. Les pointes des piques restent immobiles.
Scène quatrième
UNE MENDIANTE, Enfant
LA MENDIANTE
345 J'ai froid. | Comme il fait noir ! Personne. 6+6 a
Du bruit ? je crois que c'est | une cloche qui sonne. 6+6 a
Non, c'est le vent.
Apercevant la tour.
Un mur ! | On dirait un beffroi. 6+6 b
Frissonnant.
Il me semble que j'ai | des bêtes près de moi. 6+6 b
Jésus !
Avançant.
Ah ! le chemin | finit ici. Pourrai-je 6+6 a
Aller plus loin ?
Regardant dans le précipice.
Ceci, | C'est un trou.
Grelottant.
350 Comme il neige ! 6+6 a
Pourtant je crois bien voir | en face une maison. 6+6 b
Non, c'est noir.
Songeant.
Est-ce vrai | qu'on vous met en prison 6+6 b
Parce que vous allez | dans les champs toute seule ? 6+6 a
Mon Dieu, j'ai peur ! Et puis | les loups ouvrent la gueule 6+6 a
355 Et marchent dans les bois | avec les revenants. 6+6 b
Où suis-je ? Cette route | est pleine de tournants. 6+6 b
J'ai perdu mon chemin. | Ce n'est plus que des pierres. 6+6 a
Si j'essayais un peu | de dire mes prières ? 6+6 a
Regardant le burg.
Est-ce une maison ? Non. | C'est du rocher que j'ai 6+6 b
360 Pris pour un mur. Je meurs ! | Ah ! je n'ai pas mangé. 6+6 b
J'ai les pieds écorchés | par les cailloux. Ma mère ! 6+6 a
WELF, paraissant entre les créneaux.
Qui m'appelle ?
Scène cinquième
LA MENDIANTE, WELF
WELF, tournant une lanterne sourde vers le précipice.
Quelqu'un | est là ?
LA MENDIANTE
De la lumière ! 6+6 a
WELF, regardant.
On dirait un enfant. | Qu'es-tu ? fille, ou garçon ? 6+6 b
LA MENDIANTE
Monseigneur, je voudrais | entrer dans la maison. 6+6 b
WELF
D'où viens-tu ?
LA MENDIANTE
365 Je n'ai pas | de pays sur la terre. 6+6 a
WELF
Où vas-tu ?
LA MENDIANTE
Je ne sais. |
WELF
Où sont tes père et mère ? 6+6 a
LA MENDIANTE
Je n'en ai pas. Je sais | que les autres en ont. 6+6 b
Voilà tout.
WELF
En venant | du côté de ce mont, 6+6 b
N'as-tu pas rencontré | des gens armés ?
LA MENDIANTE
Personne. 6+6 a
WELF
370 Comme ils ont pris la fuite ! | Ainsi le daim frissonne 6+6 a
Devant l'ours.
LA MENDIANTE
Je suis fille, | et j'ai dix ans ; je vais 6+6 b
Devant moi, je mendie, | et le temps est mauvais, 6+6 b
Je voudrais me chauffer | devant la cheminée, 6+6 a
Et le n'ai pas mangé | de toute la journée. 6+6 a
WELF
375 Entre, enfant. Viens souper, | et viens, sous l'oeil de Dieu, 6+6 b
Dormir sur un bon lit | a côté d'un bon feu. 6+6 b
La montagne est l'aïeule | et je suis le grand-père. 6+6 a
Le burg sera ton nid | comme il est mon repaire. 6+6 a
Le brasier, qui devait | chasser les bataillons, 6+6 b
380 Va faire mieux encore | et sécher tes haillons ; 6+6 b
Au lieu de voir, devant | sa flamme, tout l'empire 6+6 a
Reculer effrayé, | je te verrai sourire. 6+6 a
Dieu soit béni ! je n'ai | pas fait mon feu pour rien. 6+6 b
Cela commençait mal | et cela finit bien. 6+6 b
385 Ah ! tu t'en allais donc | sans savoir où, perdue, 6+6 a
Ne voyant que du noir | dans toute l'étendue ! 6+6 a
Il ne sera pas dit, | ma fille, qu'à ton cri 6+6 b
Le vieux roc foudroyé | ne s'est pas attendri. 6+6 b
Dans la grande montagne | entre, pauvre petite ; 6+6 a
Et sois chez toi. Je vais | baisser le pont.
Il disparaît. La lumière descend de meurtrière en meurtrière. Le pont commence à s'abaisser. On voit la lumière entre les barreaux de la herse. La herse se lève, le pont se baisse et rejoint le bord du précipice.
Welf, la lanterne à la main, traverse le pont et vient à l'enfant.
Viens.
L'enfant prend la main de Welf.
Mouvement dans les piques. Clameurs dans le ravin. Des soldats sortent d'une embuscade et se précipitent sur Welf. Cyadmis est à leur tête.
Scène sixième
Les mêmes, CYADMIS, Soldats, puis les gens du peuple
CYADMIS, l'épée nue.
390 Vite ! 6+6 a
Tous sur lui !
Welf est saisi. Il se débat. On le garrotte. Le pont est occupé. Le burg est envahi. La forteresse s'emplit de soldats portant des torches. Cyadmis regarde avec triomphe Melf enchaîné et silencieux.
Welf est pris ! |
LA MENDIANTE, joignant les mains devant Welf.
Monseigneur !…
LES SOLDATS
Nous l'avons ! 6+6 b
CYADMIS
Le sauvage est pris ! Gloire | aux drapeaux esclavons ! 6+6 b
Accourent les bourgeois et les paysans du commencement. Ils se groupent autour de Welf prisonnier.
LE BOURGEOIS
Tiens, il s'est laissé prendre. | Imbécile.
LE PAYSAN
Une grive 6+6 a
Prise au miroir.
LE BOURGEOIS
Tant mieux. |
LE VIEILLARD
Oui. Vive le duc !
L'ÉTUDIANT
Vive 6+6 a
Le roi !
LE BOURGEOIS
Vive le pape ! |
LE PAYSAN
395 Et vive l'empereur ! 6+6 b
LE VIEILLARD, regardant Welf garrotté.
Je le croyais plus grand | qu'un autre.
LE BOURGEOIS
Quelle erreur ! 6+6 b
Il est petit.
LE PAYSAN, au bourgeois.
Il n'est | pas plus grand que vous n'êtes. 6+6 a
LE BOURGEOIS
Quelle idée avait-il | de défendre les bêtes ? 6+6 a
Les hommes, passe encor. |
LE VIEILLARD
Tout au plus.
L'ÉTUDIANT
C'est un fou. 6+6 b
LE VIEILLARD
400 S'amuser à monter | la garde au bord d'un trou ! 6+6 b
C'est ridicule.
LE BOURGEOIS
Il est | même laid. A tout prendre, 6+6 a
Je le vaux. A bas Welf ! |
LE PAYSAN
Moi, j'irai le voir pendre. 6+6 a
LE BOURGEOIS
Je ne donnerais pas | de sa peau deux écus. 6+6 b
Huées et ricannements autour de Welf.
WELF
Tant le rire est aisé | derrière les vaincus ! 6+6 b
LE POETE, À WELF
405 Tu fus grand, c'est pourquoi | l'on t'outrage. Sois triste, 6+6 a
Et pardonne. La foule | ingrate et vaine existe, 6+6 a
Elle livre quiconque | est par le sort livré, 6+6 b
Et raille d'autant plus | qu'elle a plus admiré. 6+6 b
Que ton souvenir reste | à la sombre vallée, 6+6 a
410 Qu'on entende pleurer | la source inconsolée, 6+6 a
Que l'humble oiseau t'appelle | et te mêle à son chant, 6+6 b
Et que le grand oeil bleu | des biches te cherchant 6+6 b
Se mouille et soit rempli | de lueurs effarées. 6+6 a
Si la mer prononçait | des noms dans ses marées, 6+6 a
415 O vieillard, ce serait | des noms comme le tien. 6+6 b
Tu fus l'ami, l'appui, | le tuteur, le soutien, 6+6 b
En haut, de l'arbre immense, | en bas, du frêle arbuste. 6+6 a
Un jour les voyageurs | sur ton rocher robuste 6+6 a
Monteront, et, penchés, | tâcheront de te voir, 6+6 b
420 Vaincu superbe, au fond | du précipice noir, 6+6 b
Et leurs yeux chercheront | ton fantôme sublime 6+6 a
Sous l'entre-croisement | des branches dans l'abîme. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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