Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_4/HUG797
Victor HUGO
LA LÉGENDE DES SIÈCLES
NOUVELLE SÉRIE
1877
V
APRÈS LES DIEUX, LES ROIS
II
De Ramire à Cosme de Médicis
Le Comte Félibien
Attendu qu'il faut mettre | à la raison la ville, 6+6 a
Qu'il faut tout écraser | dans la guerre civile 6+6 a
Et vaincre les forfaits | à force d'attentats, 6+6 b
Cosme vient d'égorger, | pêle-mêle, des tas 6+6 b
5 De misérables, vieux, | jeunes, toute une foule, 6+6 a
Dans Sienne où la fierté | des grands siècles s'écroule. 6+6 a
Tous les murs sont criblés | de biscayens de fer. 6+6 b
Le massacre est fini ; | mais un reste d'enfer 6+6 b
Est sur la ville, en proie | aux cohortes lombardes. 6+6 a
10 La fumée encor flotte | aux gueules des bombardes ; 6+6 a
Et l'horreur du combat, | des chocs et des assauts 6+6 b
Est visible partout, | dans les rouges ruisseaux 6+6 b
Et dans l'effarement | des morts, faces farouches ; 6+6 a
On dirait que les cris | sont encor dans les bouches, 6+6 a
15 On dirait que la foudre | est encor dans les yeux, 6+6 b
Tant les cadavres sont | vivants et furieux. 6+6 b
Cependant les marchands | ont rouvert leurs boutiques. 6+6 a
Des gens quelconques vont | et viennent ; domestiques, 6+6 a
Patrons, clercs, artisans, | chacun a son souci ; 6+6 b
20 Chacun a ce regard | qui dit : — C'est bien ainsi. 6+6 b
Finissons-en. Silence ! | un nouveau maître arrive. — 6+6 a
L'indifférence aux morts | qu'on a, pourvu qu'on vive, 6+6 a
L'acceptation froide | et calme des affronts, 6+6 b
Cette lâcheté-là | se lit sur tous les fronts. 6+6 b
25 — Pourquoi ces va-nu-pieds | sortaient-ils de leurs sphères ? 6+6 a
Ils sont morts. C'est bien fait. | Nous avons nos affaires. 6+6 a
Les rois qui sont un peu | tyrans sont presque dieux. 6+6 b
Nous serons muselés | et rudoyés ; tant mieux. 6+6 b
Enterrons. Oublions. | Et parlons d'autre chose. — 6+6 a
30 Ainsi le vieux troupeau | bourgeois raisonne et glose. 6+6 a
Et tous sont apaisés, | et beaucoup sont contents. 6+6 b
Seul, un homme, — on dirait | qu'il a près de cent ans 6+6 b
Et qu'il n'en a pas vingt, | et qu'un astre est son âme, 6+6 a
A voir son front de neige, | à voir ses yeux de flamme, — 6+6 a
35 Cet homme, moins semblable | aux vivants qu'aux aïeux, 6+6 b
Rôde et, quand il s'arrête, | il n'a plus dans les yeux 6+6 b
Qu'un vague reste obscur | de lueurs disparues, 6+6 a
Tant il songe et médite ! | et les passants des rues, 6+6 a
Voyant ce noir rêveur | qui vient on ne sait d'où, 6+6 b
40 Disent : C'est un génie ; | et d'autres : C'est un fou. 6+6 b
L'un crie : — Alighieri ! | c'est lui ! c'est l'homme-fée 6+6 a
Qui revient des enfers | comme en revint Orphée ; 6+6 a
Orphée a vu Pluton, | et Dante a vu Satan. 6+6 b
Il arrive de chez | les morts ; Dante, va-t'en ! — 6−6 b
45 L'autre dit : — Ce n'est pas | Dante, c'est Jérémie. — 6+6 a
La plainte a presque peur | d'avoir été gémie 6+6 a
Et se cache devant | le vainqueur irrité, 6+6 b
Mais cet homme est un tel | spectre dans la cité 6+6 b
Qu'il semble effrayant même | à la horde ennemie. 6+6 a
50 Et pourtant ce n'est point | Dante ni Jérémie, 6+6 a
C'est simplement le vieux | comte Félibien 6+6 b
Qui ne croit que le vrai, | qui ne veut que le bien, 6+6 b
Et par qui fut fondé | le collège de Sienne ; 6+6 a
Il porte haut la tête | étant une âme ancienne, 6+6 a
55 Et fait trembler ; cet homme | affronte les vainqueurs ; 6+6 b
Mais, dans l'écroulement | des esprits et des cœurs, 6+6 b
On le hait ; le meilleur | semble aux lâches le pire, 6+6 a
Et celui qui n'a pas | d'épouvante en inspire. 6+6 a
Qu'importe à ce passant ? | Dans ce vil guet-apens, 6+6 b
60 Les uns étant gisants | et les autres rampants, 6+6 b
Les uns étant la tombe | et les autres la foule, 6+6 a
Il est le seul debout — | il songe ; le sang coule, 6+6 a
Le sang fume, le sang | est partout ; sombre, il va. 6+6 b
Tout à coup, au détour | de la via Corva, 6+6 b
65 Il aperçoit dans l'ombre | une femme inconnue ; 6+6 a
Une morte étendue | à terre toute nue, 6+6 a
Corps terrible aux regards | de tous prostitué 6+6 b
Et dont le ventre ouvert | montre un enfant tué. 6+6 b
Alors il crie : — O ciel ! | un enfant ! guerre affreuse 6+6 a
70 Où donc s'arrêtera | le gouffre qui se creuse ? 6+6 a
Massacrer l'inconnu, | l'enfant encor lointain ! 6+6 b
Supprimer la promesse | obscure du destin ! 6+6 b
Mais on poussera donc | l'horreur jusqu'au prodige ? 6+6 a
Mais vous êtes hideux | et stupides, vous dis-je ! 6+6 a
75 Mais c'est abominable, | ô ciel ! ciel éclatant ! 6+6 b
Et les bêtes des bois | n'en feraient pas autant ! 6+6 b
Qu'on ait tort et raison | des deux côtés, qu'on fasse 6+6 a
Au fond le mal, croyant | bien faire à la surface, 6+6 a
Vous êtes des niais | broyant des ignorants, 6+6 b
80 Cette justice-là, | c'est bien, je vous la rends ; 6+6 b
Je vous hais et vous plains. | Mais quoi ! quand l'empyrée 6+6 a
Attend du nouveau-né | l'éclosion sacrée, 6+6 a
Quoi ! ces soldats, ces rois, | sans savoir ce qu'ils font, 6+6 b
Touchent avec leur main | sanglante au ciel profond ! 6+6 b
85 Ils interrompent l'ombre | ébauchant son ouvrage ! 6+6 a
Ils veulent en finir | d'un coup, et, dans leur rage 6+6 a
D'avoir bien fait justice | et d'avoir bien vaincu, 6+6 b
Ils vont jusqu'à tuer | ce qui n a pas vécu ! 6+6 b
Mais, bandits, laissez donc | au moins venir l'aurore ! 6+6 a
90 Brutes, vous châtiez | ce qui n'est pas encore ! 6+6 a
La femme que voilà | morte sur le pavé, 6+6 b
Qui cachait dans son sein | l'enfant inachevé, 6+6 b
L'avenir, l'écheveau | des jours impénétrables, 6+6 a
Était de droit divin | parmi vous, misérables, 6+6 a
95 Car la maternité, | c'est la grande action ; 6+6 b
Sachez qu'on doit avoir | la même émotion 6+6 b
Devant Ève portant | les races inconnues 6+6 a
Que devant l'astre immense | entrevu dans les nues ; 6+6 a
Sachez-le, meurtriers ! | les respects sont pareils 6+6 b
100 Pour la femme et le ciel, | l'abîme des soleils 6+6 b
Étant continué | par le ventre des mères, 6+6 a
Rois, le vrai c'est l'enfant ; | vous êtes des chimères. 6+6 a
Ah ! maudits ! Mais voyons, | réfléchissez un peu. 6+6 b
Crime inouï ! l'enfant | arrive en un milieu 6+6 b
105 Ignoré, parmi nous ; | il sort des sphères vierges ; 6+6 a
Il quitte les soleils | remplacés par vos cierges ; 6+6 a
Sa mère, qui le sent | remuer, s'attendrit ; 6+6 b
Il n'est pas encor l'homme, | il est déjà l'esprit, 6+6 b
Il cherche à deviner | sa nouvelle patrie ; 6+6 a
110 Et, dans le bercement | de cette rêverie 6+6 a
Où tout l'azur divin | est vaguement mêlé, 6+6 b
Voilà que, brusque, affreux, | de mitraille étoilé, 6+6 b
L'assassinat, au fond | de ce flanc qu'on vénère, 6+6 a
Entre avec le fracas | infâme du tonnerre, 6+6 a
115 Et se rue et s'abat, | monstrueux ennemi, 6+6 b
Sur le pauvre doux être, | ange encor endormi 6+6 b
Qu'est-ce que ce réveil | sans nom, et cette tombe 6+6 a
Ouverte par l'orfraie | horrible à la colombe ! 6+6 a
Ah ! prêtres, qu'a domptés | César, vous qu'à leurs plis 6+6 b
120 Toutes les actions | des grands ont assouplis, 6+6 b
Vous qui leur amenez | chez eux cette servante, 6+6 a
La prière, et mettez | le Te Deum en vente, 6+6 a
Vous qui montrez devant | les rois le Tout-Puissant 6+6 b
Agenouillé, lavant | les pavés teints de sang, 6+6 b
125 Vous qui pourtant parfois, | fronts chauves, barbes grises, 6+6 a
Avez des tremblements | dans vos mornes églises 6+6 a
Et sentez que la tombe | est peut-être un cachot, 6+6 b
Prêtres, que pensez-vous | qui se passe là-haut, 6+6 b
Dans l'abîme du vrai | sans fond, dans le mystère, 6+6 a
130 Dans le sombre équilibre | ignoré, quand la terre 6+6 a
Sinistre, renvoyant | l'innocence au ciel bleu, 6+6 b
Jette une petite âme | épouvantée à Dieu ? 6+6 b
mètre profil métrique : 6−6
logo du CRISCO logo de l'université