Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
HUG_4/HUG792
Victor HUGO
LA LÉGENDE DES SIÈCLES
NOUVELLE SÉRIE
1877
V
APRÈS LES DIEUX, LES ROIS
II
De Ramire à Cosme de Médicis
Le Romencero du Cid
I
L'ENTRÉE DU ROI
Vous ne m'allez qu'à la hanche ; 7 a
Quoique altier et hasardeux, 7 b
Vous êtes petit, roi Sanche ; 7 a
Mais le Cid est grand pour deux. 7 b
5 Quand, chez moi, je vous accueille 7 a
Dans ma tour et dans mon fort, 7 b
Vous tremblez comme la feuille, 7 a
Roi Sanche, et vous avez tort. 7 b
Sire, ma herse est fidèle ; 7 a
10 Sire, mon seuil est pieux ; 7 b
Et ma bonne citadelle 7 a
Rit à l'aurore des cieux. 7 b
Ma tour n'est qu'un tas de pierre, 7 a
Roi, mais j'en suis le seigneur ; 7 b
15 Elle porte son vieux lierre 7 a
Comme moi mon vieil honneur. 7 b
Mes hirondelles sont douces ; 7 a
Mes bois ont un pur parfum, 7 b
Mes nids n'ont pas dans leurs mousses 7 a
20 Un cheveu pris à quelqu'un. 7 b
Tout passant, roi de Castille, 7 a
More ou juif, rabbin, émir, 7 b
Peut entrer dans ma bastille 7 a
Tranquillement, et dormir. 7 b
25 Je suis le Cid calme et sombre 7 a
Qui n'achète ni ne vend, 7 b
Et je n'ai sur moi que l'ombre 7 a
De la main du Dieu vivant. 7 b
Cependant je vous admire, 7 a
30 Vous m'avez fait triste et nu 7 b
Et vous venez chez moi, sire ; 7 a
Roi, soyez le mal venu. 7 b
II
SOUVENIR DE CHIMÈNE
Si le mont faisait reproche 7 a
A l'air froid, aigre et jaloux, 7 b
35 C'est moi qui serais la roche, 7 a
Et le vent ce serait vous. 7 b
Roi, j'en connais qui trahissent, 7 a
Mais je suis le vieux soumis ; 7 b
Tous vos amis me haïssent, 7 a
40 Moi, je hais vos ennemis. 7 b
Et dans mon dédain je mêle 7 a
Tous vos favoris, ô roi ; 7 b
L'épaisseur de ma semelle 7 a
Me suffit entre eux et moi. 7 b
45 Roi, quand j'épousai ma femme, 7 a
J'eus à me plaindre de vous ; 7 b
Pourtant je n'ai rien dans l'âme, 7 a
Dieu fut grand, le ciel fut doux, 7 b
L'évêque avait sa barrette, 7 a
50 On marchait sur des tapis, 7 b
Chimène eut sa gorgerette 7 a
Pleine de fleurs et d'épis. 7 b
J'avais un habit de moire 7 a
Sous l'acier de mon corset. 7 b
55 Je ne garde en ma mémoire 7 a
Que le soleil qu'il faisait. 7 b
Entrez en paix dans ma ville. 7 a
On vous parlerait pourtant 7 b
D'une façon plus civile 7 a
60 Si l'on était plus content. 7 b
III
LE ROI JALOUX
Parce que, Léon, la Manche, 7 a
L'Èbre, on vous a tout donné, 7 b
Et qu'on était grand, don Sanche, 7 a
Avant que vous fussiez né, 7 b
65 Est-ce une raison pour être 7 a
Vil envers moi qui suis vieux ? 7 b
Roi, c'est trop d'être le maître 7 a
Et d'être aussi l'envieux. 7 b
Nous fils de race guerrière, 7 a
70 Seigneur, nous vous en voulons 7 b
Pour vos rires par derrière 7 a
Qui nous mordent les talons. 7 b
Est-ce qu'à votre service 7 a
Le Cid s'est estropié 7 b
75 Au point d'avoir quelque vice 7 a
Dans le poignet ou le pié, 7 b
Qu'il s'entend, sans frein ni règle, 7 a
Moquer par vos gens à vous ? 7 b
Ne suis-je plus qu'un vieux aigle 7 a
80 A réjouir les hiboux ? 7 b
Roi, qu'on mette, avec sa chape, 7 a
Sa mitre et son palefroi, 7 b
Dans une balance un pape 7 a
Portant sur son dos un roi ; 7 b
85 Ils pèseront dans leur gloire 7 a
Moins que moi, Campeador, 7 b
Quand le roi serait d'ivoire, 7 a
Quand le pape serait d'or ! 7 b
IV
LE ROI INGRAT
Je vous préviens qu'on me fâche 7 a
90 Moi qui n'ai rien que ma foi, 7 b
Lorsque étant homme, on est lâche, 7 a
Et qu'on est traître, étant roi. 7 b
Je sens vos ruses sans nombre ; 7 a
Oui, je sens tes trahisons. 7 b
95 Moi pour le bien, toi pour l'ombre, 7 a
Dans la nuit nous nous croisons. 7 b
Je te sers, et je m'en vante ; 7 a
Tu me hais et tu me crains ; 7 b
Et mon cheval t'épouvante 7 a
100 Quand il jette au vent ses crins. 7 b
Tu te fais, tristes refuges, 7 a
Adorer soir et matin 7 b
En castillan par tes juges, 7 a
Par tes prêtres en latin. 7 b
105 Roi, si deux et deux font quatre, 7 a
Un fourbe est un mécréant. 7 b
Quant à moi, je veux rabattre 7 a
Plus d'un propos malséant. 7 b
Quand don Sanche est dans sa ville, 7 a
110 Il me parle avec hauteur ; 7 b
Je suis un bien vieux pupille 7 a
Pour un si jeune tuteur. 7 b
Je ne veux pas qu'on me manque. 7 a
Quand tu me fais défier 7 b
115 Par ton clerc à Salamanque, 7 a
A Jaen par ton greffier ; 7 b
Quand, derrière tes murailles 7 a
Où tu chasses aux moineaux, 7 b
Roi, je t'entends qui me railles, 7 a
120 Moi, l'arracheur de créneaux, 7 b
Je pourrais y mettre un terme ; 7 a
Je t'enverrais, roi des goths, 7 b
D'une chiquenaude à Lerme 7 a
Ou d'un soufflet à Burgos. 7 b
V
LE ROI DÉFIANT
125 Quand je songe en ma tanière, 7 a
Mordant ma barbe et rêvant, 7 b
Regardant dans ma bannière 7 a
Les déchirures du vent, 7 b
Ton effroi sur moi se penche. 7 a
130 Tremblant, par tes alguazils 7 b
Tu te fais garder, roi Sanche, 7 a
Contre mes sombres exils. 7 b
Moi, je m'en ris. Peu m'importe, 7 a
O roi, quand un vil gardien 7 b
135 Couche en travers de ta porte, 7 a
Qu'il soit homme ou qu'il soit chien ! 7 b
Tu dis à ton économe, 7 a
A tes pages blancs ou verts : 7 b
— « A quoi pense ce bonhomme 7 a
140 Qui regarde de travers ? 7 b
A quoi donc est-ce qu'il songe ? 7 a
Va-t-il rompre son lien ? 7 b
J'ai peur. Quel est l'os qu'il ronge ? 7 a
Est-ce son nom ou le mien ? 7 b
145 « Qu'est-ce donc qu'il prémédite ? 7 a
S'il n'est traître, il en a l'air. 7 b
Dans sa montagne maudite 7 a
Ce baron-là n'est pas clair. 7 b
« A quoi pense ce convive 7 a
150 Des loups et des bûcherons ? 7 b
J'ai peur. Est-ce qu'il ravive 7 a
La fraîcheur des vieux affronts ? 7 b
« Le laisser libre est peu sage ; 7 a
Le Cid est mal muselé. » — 7 b
155 Roi, c'est moi qui suis ma cage 7 a
Et c'est moi qui suis ma clé. 7 b
C'est moi qui ferme mon antre ; 7 a
Mes rocs sont mes seuls trésors ; 7 b
Et c'est moi qui me dis rentre ! 7 a
160 Et c'est moi qui me dis : sors ! 7 b
Soit que je vienne ou que j'aille, 7 a
Je tire seul mon verrou. 7 b
Ah ! tu trouves que je bâille 7 a
Trop librement dans mon trou ! 7 b
165 Tu voudrais dans ma vieillesse, 7 a
Comme un dogue dans ta cour, 7 b
M'avoir, moi, le Cid, en laisse, 7 a
Et me tenir dans ma tour, 7 b
Et me tenir dans mes lierres, 7 a
170 Gardé comme les brigands… 7 b
Va mettre des muselières 7 a
Aux gueules des ouragans ! 7 b
VI
LE ROI ABJECT
Roi que gêne la cuirasse, 7 a
Roi qui m'as si mal payé, 7 b
175 Tu fais douter de ta race ; 7 a
Et, dans sa tombe ennuyé, 7 b
Ton vieux père, âme loyale, 7 a
Dit : — Quelque bohémien 7 b
A, dans la crèche royale, 7 a
180 Mis son fils au lieu du mien ! — 7 b
Roi, ma meilleure cuisine 7 a
C'est du pain noir, le sais-tu, 7 b
Avec quelque âpre racine, 7 a
Le soir quand on s'est battu. 7 b
185 M'as-tu nourri sous ta tente, 7 a
Et suis-je ton écolier ? 7 b
M'as-tu donné ma patente 7 a
De comte et de chevalier ? 7 b
Roi, je vis dans la bataille. 7 a
190 Si tu veux, comparons-nous. 7 b
Pour ne point passer ta taille, 7 a
Je vais me mettre à genoux. 7 b
Pendant que tu fais tes pâques 7 a
Et que tu dis ton credo, 7 b
195 Je prends les tours de Saint-Jacques 7 a
Et les monts d'Oviédo. 7 b
Je ne m'en fais pas accroire. 7 a
Toi-même tu reconnais 7 b
Que j'ai la peau toute noire 7 a
200 D'avoir porté le harnais. 7 b
Seigneur, tu fis une faute 7 a
Quand tu me congédias ; 7 b
C'est mal de chasser un hôte, 7 a
Fou de chasser Ruy Diaz. 7 b
205 Roi, c'est moi qui te protège. 7 a
On craint le son de mon cor. 7 b
On croit voir dans ton cortège 7 a
Un peu de mon ombre encor. 7 b
Partout, dans les abbayes, 7 a
210 Dans les forts baissant leurs ponts, 7 b
Tes volontés obéies 7 a
Font du mal, dont je réponds. 7 b
Roi par moi ; sans moi, poupée ! 7 a
Le respect qu'on a pour toi, 7 b
215 La longueur de mon épée 7 a
En est la mesure, ô roi ! 7 b
Ce pays ne connaît guère, 7 a
Du Tage à l'Almonacid, 7 b
D'autre musique de guerre 7 a
220 Que le vieux clairon du Cid. 7 b
Mon nom prend toute l'Espagne, 7 a
Toute la mer à témoin ; 7 b
Ma fanfare de montagne 7 a
Vient de haut et s'entend loin. 7 b
225 Mon pas fait du bruit sur terre, 7 a
Et je passe mon chemin 7 b
Dans la rumeur militaire 7 a
D'un triomphateur romain. 7 b
Et tout tremble, Irun, Coïmbre, 7 a
230 Santander, Almodovar, 7 b
Sitôt qu'on entend le timbre 7 a
Des cymbales de Bivar. 7 b
VII
LE ROI FOURBE
Certe, il tient moins de noblesse 7 a
Et de bonté, vois-tu bien, 7 b
235 Roi, dans ton collier d'altesse, 7 a
Que dans le collier d'un chien ! 7 b
Ta foi royale est fragile, 7 a
Elle affirme, jure et fuit. 7 b
Roi, tu mets sur l'évangile 7 a
240 Une main pleine de nuit. 7 b
Avec toi tout est précaire, 7 a
Surtout quand tu t'es signé 7 b
Devant quelque reliquaire 7 a
Où le saint tremble indigné. 7 b
245 A tes traités, verbiage, 7 a
Je préférerais souvent 7 b
Les promesses du nuage 7 a
Et la parole du vent. 7 b
La parole qu'un roi fausse 7 a
250 Derrière les gens trahis 7 b
N'est plus que la sombre fosse 7 a
De la pudeur d'un pays. 7 b
Moi, je tiens pour périls graves, 7 a
Et je dois le déclarer, 7 b
255 Ce qu'en arrière des braves 7 a
Les traîtres peuvent jurer. 7 b
Roi, vous l'avouerez, j'espère, 7 a
Mieux vaut avoir au talon 7 b
Le venin d'une vipère 7 a
260 Que le serment d'un félon. 7 b
Je suis dans ma seigneurie, 7 a
Parlant haut, quoique vassal. 7 b
Après cela, je vous prie 7 a
De ne pas le prendre mal. 7 b
VIII
LE ROI VOLEUR
265 Roi, fallait-il que tu vinsses 7 a
Pour nous écraser d'impôts ? 7 b
Nous vivons dans nos provinces, 7 a
Pauvres sous nos vieux drapeaux. 7 b
Nous bravons tes cavalcades. 7 a
270 Sommes-nous donc des vilains, 7 b
Pour engraisser des alcades 7 a
Et nourrir des chapelains ? 7 b
Quant à payer, roi bravache, 7 a
Jamais ! et j'en fais serment. 7 b
275 Ma ville est-elle une vache 7 a
Pour la traire effrontément ? 7 b
Je vais continuer, sire, 7 a
Et te parler du passé, 7 b
Puisqu'il est bon de tout dire 7 a
280 Et puisque j'ai commencé. 7 b
Roi, tu m'as pris mes villages, 7 a
Roi, tu m'as pris mes vassaux, 7 b
Tu m'as pris mes grands feuillages 7 a
Où j'écoutais les oiseaux ; 7 b
285 Roi, tu m'as pris mon domaine, 7 a
Mon champ, de saules bordé ; 7 b
Tu m'allais prendre Chimène, 7 a
Roi, mais je t'ai regardé. 7 b
Si les rois étaient pendables, 7 a
290 Je t'aurais offert déjà 7 b
Dans mes ongles formidables 7 a
Au gibet d'Albavieja. 7 b
D'ombre en vain tu t'environnes ; 7 a
Ma colère un jour pensa 7 b
295 Prendre l'or de tes couronnes 7 a
Pour ferrer Babieça. 7 b
Je suis plein de rêves sombres, 7 a
Ayant, vieux suspect vainqueur, 7 b
Toute ma gloire en décombres 7 a
300 Dans le plus noir de mon cœur. 7 b
IX
LE ROI SOUDARD
Quand vous entrez en campagne, 7 a
Louche orfraie au fatal vol, 7 b
On ferait honte à l'Espagne 7 a
De vous nommer espagnol. 7 b
305 Sire, on se bat dans les plaines, 7 a
Sire, on se bat dans les monts ; 7 b
Les campagnes semblent pleines 7 a
D'archanges et de démons. 7 b
On se bat dans les provinces ; 7 a
310 Et ce choc de boucliers 7 b
Va de vous, les petits princes, 7 a
A nous, les grands chevaliers. 7 b
Les rocs ont des citadelles 7 a
Et les villes ont des tours 7 b
315 Où volent à tire-d'ailes 7 a
Les aigles et les vautours. 7 b
La guerre est le cri du reître, 7 a
Du vaillant et du maraud, 7 b
Un jeu d'en bas et peut-être 7 a
320 Un jugement de là-haut ; 7 b
La guerre, cette aventure 7 a
Sur qui plane le corbeau, 7 b
Se résout en nourriture 7 a
Pour les bêtes du tombeau ; 7 b
325 Le chacal se désaltère 7 a
A tous ces sanglants hasards ; 7 b
Et c'est pour les vers de terre 7 a
Que travaillent les césars ; 7 b
Les camps sont de belles choses ; 7 a
330 Mais l'homme loyal ne croit 7 b
Qu'à la justice des causes 7 a
Et qu'à la bonté du droit. 7 b
Car la guerre est folle et rude. 7 a
Pour la faire honnêtement 7 b
335 Il faut une certitude 7 a
Prise dans le firmament. 7 b
Je remarque en mes tristesses 7 a
Que la gloire aux durs sentiers 7 b
Ne connaît pas les altesses 7 a
340 Et s'en passe volontiers. 7 b
Un soldat vêtu de serge 7 a
Est parfois son favori, 7 b
Et l'épée est une vierge 7 a
Qui veut choisir son mari. 7 b
345 Roi, les guerres que vous faites 7 a
Sont les guerres d'un félon 7 b
Qui souffle dans des trompettes 7 a
Avec un bruit d'aquilon ; 7 b
Qui, ne risquant son panache 7 a
350 Qu'à demi dans les brouillards, 7 b
S'il voit des hommes se cache, 7 a
Et vient s'il voit des vieillards ; 7 b
Qui, se croyant Alexandre, 7 a
Ne laisse dans les maisons 7 b
355 Que des os dans de la cendre 7 a
Et du sang sur des tisons ; 7 b
Et qui, riant sous les portes, 7 a
Vous montre, quand vous entrez, 7 b
Sur des tas de femmes mortes 7 a
360 Des tas d'enfants éventrés. 7 b
X
LE ROI COUARD
Roi, dans tes courses damnées, 7 a
Avec tes soldats nouveaux, 7 b
Ne va pas aux Pyrénées, 7 a
Ne va pas à Roncevaux. 7 b
365 Ces roches sont des aïeules, 7 a
Les mères des océans. 7 b
Elles se défendraient seules ; 7 a
Car ces monts sont des géants. 7 b
Une forte race d'hommes, 7 a
370 Pleins de l'âpreté du lieu, 7 b
Vit là loin de vos sodomes 7 a
Avec les chênes de Dieu. 7 b
Y passer est téméraire. 7 a
Nul encor n'a deviné 7 b
375 Si le chêne est le grand frère 7 a
Ou bien si l'homme est l'aîné. 7 b
Ce peuple est là, loin du monde, 7 a
Libre hier, libre demain. 7 b
Sur ces hommes l'éclair gronde ; 7 a
380 Leur chien leur lèche la main. 7 b
Hercule y vint. Tout recule 7 a
Dans ces monts où fuit l'isard. 7 b
Roi, César après Hercule, 7 a
Charlemagne après César, 7 b
385 Ont crié miséricorde 7 a
Devant ces pâtres jaloux 7 b
Chaussés de souliers de corde 7 a
Et vêtus de peaux de loups. 7 b
Dieu, caché sous leur feuillage, 7 a
390 Prit ce noir pays vaillant 7 b
Pour faire naître Pélage, 7 a
Pour faire mourir Roland. 7 b
Si jamais, dans ces repaires, 7 a
Risquant tes hautains défis, 7 b
395 Tu venais voir si les pères 7 a
Vivent encor dans les fils, 7 b
Eusses-tu vingt mille piques, 7 a
Eusses-tu, roi fanfaron, 7 b
Tes bannières, tes musiques, 7 a
400 Tout ton bruit de moucheron, 7 b
Pour que tu t'en ailles vite, 7 a
Fussent-ils un contre cent, 7 b
Et pour qu'on te vole en fuite, 7 a
De mont en mont bondissant, 7 b
405 Comme on voit des rocs descendre 7 a
Les torrents en février, 7 b
Il te suffirait d'entendre 7 a
La trompe d'un chevrier. 7 b
XI
LE ROI MOQUEUR
Quand, barbe grise, je parle 7 a
410 Du saint pays montagnard 7 b
Et du grand empereur Charle 7 a
Et du grand bâtard Bernard, 7 b
Et d'Hercule et de Pélage, 7 a
Roi Sanche, tu me crois fou ; 7 b
415 Tu prends ces fiertés de l'âge 7 a
Pour la rouille d'un vieux clou. 7 b
Mais ton vain rire farouche, 7 a
Roi, n'est pas une raison 7 b
Qui puisse fermer la bouche 7 a
420 A quelqu'un dans ma maison ; 7 b
C'est pourquoi je continue, 7 a
Te saluant du drapeau, 7 b
Et te parlant tête nue 7 a
Quand tu gardes ton chapeau. 7 b
XII
LE ROI MÉCHANT
425 J'ai, dans Albe et dans Girone, 7 a
Vu l'honnête homme flétri, 7 b
Et des gens dignes d'un trône 7 a
Qu'on liait au pilori ; 7 b
J'ai vu, c'est mon amertume, 7 a
430 Tes bourreaux abattre, ô roi, 7 b
Des fronts qu'on avait coutume 7 a
De saluer plus que toi. 7 b
Rois, Dieu fait croître où nous sommes, 7 a
Dans ce monde de péchés, 7 b
435 Une herbe de têtes d'hommes, 7 a
Et c'est vous qui la fauchez. 7 b
Ah ! nos maîtres, quand vous n'êtes, 7 a
Avec vos vils compagnons, 7 b
Occupés que de sornettes, 7 a
440 Nous pleurons et nous saignons. 7 b
Roi, cela fendrait des pierres 7 a
Et toucherait des voleurs 7 b
Que de si fermes paupières 7 a
Versent de si sombres pleurs ! 7 b
445 Sous toi l'Espagne est mal sûre 7 a
Et tremble, et finit par voir, 7 b
Roi, que ta main lui mesure 7 a
Trop d'aunes de crêpe noir. 7 b
J'ai reconnu, car vous êtes 7 a
450 Le sinistre et l'inhumain, 7 b
Des amis dans des squelettes 7 a
Qui pendaient sur le chemin. 7 b
J'ai, dans les forêts prochaines, 7 a
Vu le travail des bourreaux, 7 b
455 Et la tristesse des chênes 7 a
Pliant au poids des héros. 7 b
J'ai vu râler sous des porches 7 a
De vieux corps désespérés. 7 b
Roi, de lances et de torches 7 a
460 Ces pays sont effarés. 7 b
J'ai vu des ducs et des comtes 7 a
S'agenouiller au billot. 7 b
Tu ne nous dois pas de comptes, 7 a
Cœur trop bas et front trop haut ! 7 b
465 Roi, le sang qu'un roi pygmée 7 a
Verse à flots par ses valets 7 b
Fait une sombre fumée 7 a
Sur les dalles des palais. 7 b
O roi des noires sentences, 7 a
470 Un vol de corbeaux te suit, 7 b
Tant les chaînes des potences 7 a
Dans ton règne font de bruit ! 7 b
Vous avez fouetté des femmes 7 a
Dans Vich et dans Alcala, 7 b
475 Ce sont des choses infâmes 7 a
Que vous avez faites là ! 7 b
Tu n'es qu'un méchant, en somme. 7 a
Mais je te sers, c'est la loi ; 7 b
La difformité de l'homme 7 a
480 N'étant pas comptée au roi. 7 b
XIII
LE CID FIDÈLE
Princes, on voit souvent croître 7 a
Des gueux entre les pavés 7 b
Qui font de vous dans un cloître 7 a
Des moines aux yeux crevés. 7 b
485 Je ne suis pas de ces traîtres ; 7 a
Je suis muré dans ma foi, 7 b
Les grands spectres des ancêtres 7 a
Sont toujours autour de moi, 7 b
Comme on a, dans les campagnes 7 a
490 Où rit la verte saison, 7 b
Une chaîne de montagnes 7 a
Qui ferme l'âpre horizon. 7 b
Il n'est pas de cœurs obliques 7 a
Voués aux vils intérêts, 7 b
495 Dans nos vieilles républiques 7 a
De torrents et de forêts. 7 b
Le traître est pire qu'un more ; 7 a
De son souffle il craint le bruit ; 7 b
Il met un masque d'aurore 7 a
500 Sur un visage de nuit ; 7 b
Rouge aujourd'hui comme braise, 7 a
Noir hier comme charbon. 7 b
Roi, moi je respire à l'aise ; 7 a
Et quand je parle, c'est bon. 7 b
505 Roi, je suis un homme probe 7 a
De l'antique probité. 7 b
Chimène recoud ma robe, 7 a
Mais non pas ma loyauté. 7 b
Je sonne à l'ancienne mode 7 a
510 La cloche de mon beffroi. 7 b
Je trouve même incommode 7 a
D'avoir des fourbes chez moi. 7 b
Sous cette fange, avarice, 7 a
Vol, débauche, trahison, 7 b
515 Je ne veux pas qu'on pourrisse 7 a
Le plancher de ma maison. 7 b
Reconnais à mes paroles 7 a
Le Cid aimé des meilleurs, 7 b
A qui les pâtres d'Éroles 7 a
520 Donnent des chapeaux de fleurs. 7 b
XIV
LE CID HONNÊTE
Donc, sois tranquille, roi Sanche, 7 a
Tu n'as rien à craindre ici. 7 b
La vieille âme est toute blanche 7 a
Dans le vieux soldat noirci. 7 b
525 Grondant, je te sers encore. 7 a
Dieu m'a donné pour emploi, 7 b
Sire, de courber le more 7 a
Et de redresser le roi. 7 b
Étant durs pour vous, nous sommes 7 a
530 Doux pour le peuple aux abois, 7 b
Nous autres les gentilshommes 7 a
Des bruyères et des bois. 7 b
Personne sur nous ne marche. 7 a
Il suffit de oui, de non, 7 b
535 Pour rompre à nos ponts une arche, 7 a
A notre chaîne un chaînon. 7 b
Loin de vos palais infâmes 7 a
Pleins de gens aux vils discours, 7 b
La fierté pousse en nos âmes 7 a
540 Comme l'herbe dans nos cours. 7 b
Les vieillards ont des licences, 7 a
Seigneurs, et ce sont nos mœurs 7 b
De rudoyer les puissances 7 a
Dans nos mauvaises humeurs. 7 b
545 Le Cid est, suivant l'usage, 7 a
Droit, sévère et raisonneur. 7 b
Peut-être n'est-ce point sage, 7 a
Mais c'est honnête, seigneur. 7 b
Pour avoir ce qu'il désire 7 a
550 Le flatteur baise ton pied. 7 b
Nous disons ce qu'il faut, sire, 7 a
Et nous faisons ce qui sied. 7 b
Nous vivons aux solitudes 7 a
Où tout croît dans les sentiers, 7 b
555 Excepté les habitudes 7 a
Des valets et des portiers. 7 b
Nous fauchons nos foins, nos seigles, 7 a
Et nos blés aux flancs des monts ; 7 b
Nous entendons des cris d'aigles 7 a
560 Et nous nous y conformons. 7 b
Nous savons ce que vous faites, 7 a
Sire, et, loin de son lever, 7 b
De ses gibets, de ses fêtes, 7 a
Le prince nous sent rêver. 7 b
565 Nous avons l'absence fière, 7 a
Et sommes peu courtisans, 7 b
Ayant sur nous la poussière 7 a
Des batailles et des ans. 7 b
Et c'est pourquoi je te parle 7 a
570 Comme parlait, grave et seul, 7 b
A ton aïeul Boson d'Arle 7 a
Gil de Bivar mon aïeul. 7 b
D'où naît ton inquiétude ? 7 a
D'où vient que ton œil me suit 7 b
575 Épiant mon attitude 7 a
Comme un nuage de nuit ? 7 b
Craindrais-tu que je te prisse 7 a
Un matin dans mon manteau ? 7 b
Et que j'eusse le caprice 7 a
580 D'une ville ou d'un château ? 7 b
Roi, la chose qui m'importe 7 a
C'est de vivre exempt de fiel ; 7 b
Non de glisser sous ma porte 7 a
Ma main jusqu'à Peñafiel. 7 b
585 Roi, le Cid que l'âge gagne 7 a
S'aime mieux, en vérité, 7 b
Montagnard dans sa montagne 7 a
Que roi dans ta royauté. 7 b
Roi, le Cid qu'on amadoue, 7 a
590 Mais que nul n'intimida, 7 b
Ne t'a pas donné Cordoue 7 a
Pour te prendre Lérida. 7 b
Qu'ai-je besoin de Tortose, 7 a
De tes tours d'Alcacébé, 7 b
595 Et de ta chambre mieux close 7 a
Que la chambre d'un abbé, 7 b
Et des filles de la reine, 7 a
Et des plis de brocart d'or 7 b
De ta robe souveraine 7 a
600 Que porte un corrégidor, 7 b
Et de tes palais de marbre ? 7 a
Moi qui n'ai qu'à me pencher 7 b
Pour prendre une mûre à l'arbre 7 a
Et de l'eau dans le rocher ! 7 b
XV
LE ROI EST LE ROI
605 Roi, vous vous croyez moins prince 7 a
Et vous jurez par l'enfer 7 b
Dans cette montagne où grince 7 a
Ma vieille herse de fer ; 7 b
D'effroi votre âme est frappée ; 7 a
610 Vous vous défiez, trompeur ; 7 b
Traître et poltron, mon épée 7 a
Vous fait honte et vous fait peur. 7 b
Vous me faites garder, sire ; 7 a
Vous me faites épier 7 b
615 Par tous vos barons de cire 7 a
Dans leurs donjons de papier ; 7 b
Derrière vos capitaines 7 a
Vous tremblez en m'approchant ; 7 b
Comme l'eau sort des fontaines, 7 a
620 Le soupçon sort du méchant ; 7 b
Votre altesse scélérate 7 a
N'aurait pas d'autre façon 7 b
Quand je serais un pirate, 7 a
Le spectre de l'horizon ! 7 b
625 Vous consultez des sorcières 7 a
Pour que je meure bientôt ; 7 b
Vous cherchez dans mes poussières 7 a
De quoi faire un échafaud ; 7 b
Vous rêvez quelque équipée ; 7 a
630 Vous dites bas au bourreau 7 b
Que, lorsqu'un homme est épée, 7 a
Le sépulcre est le fourreau ; 7 b
Votre habileté subtile 7 a
Me guette à tous les instants ; 7 b
635 Eh bien ! c'est peine inutile 7 a
Et vous perdez votre temps, 7 b
Vos précautions sont vaines ; 7 a
Pourquoi ? je le dis à tous : 7 b
C'est que le sang de mes veines 7 a
640 N'est pas à moi, mais à vous. 7 b
Quoique vous soyez un prince 7 a
Vil, on ne peut le nier, 7 b
Le premier de la province, 7 a
De la vertu le dernier ; 7 b
645 Quoique à ta vue on se sauve, 7 a
Seigneur ; quoique vous ayez 7 b
Des allures de loup fauve 7 a
Dans des chemins non frayés ; 7 b
Quoiqu'on ait pour récompense 7 a
650 La haine de vos bandits ; 7 b
Et malgré ce que je pense, 7 a
Et malgré ce que je dis, 7 b
Roi, devant vous je me courbe, 7 a
Raillé par votre bouffon ; 7 b
655 Le loyal devant le fourbe, 7 a
L'acier devant le chiffon ; 7 b
Devant vous, fuyard, s'efface 7 a
Le Cid, l'homme sans effroi. 7 b
Que voulez-vous que j'y fasse, 7 a
660 Puisque vous êtes le roi ! 7 b
XVI
LE CID EST LE CID
Don Sanche, une source coule 7 a
A l'ombre de mes donjons ; 7 b
Comme le Cid dans la foule 7 a
Elle est pure dans les joncs. 7 b
665 Je n'ai pas d'autre vignoble ; 7 a
Buvez-y ; je vous absous. 7 b
Autant que vous je suis noble 7 a
Et chevalier plus que vous. 7 b
Les savants, ces prêcheurs mornes, 7 a
670 Sire, ont souvent pour refrains 7 b
Qu'un trône même a des bornes 7 a
Et qu'un roi même a des freins ; 7 b
De quelque nom qu'il se nomme, 7 a
Nul n'est roi sous le ciel bleu 7 b
675 Plus qu'il n'est permis à l'homme 7 a
Et qu'il ne convient à Dieu. 7 b
Mais, pour marquer la limite, 7 a
Il faudrait étudier ; 7 b
Il faudrait être un ermite 7 a
680 Ou bien un contrebandier. 7 b
Moi, ce n'est pas mon affaire ; 7 a
Je ne veux rien vous ôter ; 7 b
Étant le Cid, je préfère 7 a
Obéir à disputer. 7 b
685 Accablez nos sombres têtes 7 a
De désespoir et d'ennuis, 7 b
Roi, restez ce que vous êtes ; 7 a
Je reste ce que je suis. 7 b
J'ai toujours, seul dans ma sphère, 7 a
690 Souffert qu'on me dénigrât. 7 b
Je n'ai pas de compte à faire 7 a
Avec le roi, mon ingrat. 7 b
Je t'ai, depuis que j'existe, 7 a
Donné Jaen, Balbastro, 7 b
695 Et Valence, et la mer triste 7 a
Qui fait le bruit d'un taureau, 7 b
Et Zamora, rude tâche, 7 a
Huesca, Jaca, Teruel, 7 b
Et Murcie où tu fus lâche, 7 a
700 Et Vich où tu fus cruel, 7 b
Et Lerme et ses sycomores, 7 a
Et Tarragone et ses tours, 7 b
Et tous les ans des rois mores, 7 a
Et le grand Cid tous les jours ! 7 b
705 Nos deux noms iront ensemble 7 a
Jusqu'à nos derniers neveux. 7 b
Souviens-t'en, si bon te semble ; 7 a
N'y songe plus, si tu veux. 7 b
Je baisse mes yeux, j'en ôte 7 a
710 Tout regard audacieux ; 7 b
Entrez sans peur, roi mon hôte ; 7 a
Car il n'est qu'un astre aux cieux ; 7 b
Cet astre de la nuit noire, 7 a
Roi, ce n'est pas le bonheur, 7 b
715 Ni l'amour, ni la victoire, 7 a
Ni la force ; c'est l'honneur. 7 b
Et moi qui sur mon armure 7 a
Ramasse mes blancs cheveux, 7 b
Moi sur qui le soir murmure, 7 a
720 Moi qui vais mourir, je veux 7 b
Que, le jour où sous son voile 7 a
Chimène prendra le deuil, 7 b
On allume à cette étoile 7 a
Le cierge de mon cercueil. 7 b
725 Ainsi le Cid, qui harangue 7 a
Sans peur ni rébellion, 7 b
Lèche son maître, et sa langue 7 a
Est rude, étant d'un lion. 7 b
mètre profil métrique : 7
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