Métrique en Ligne
HUG_4/HUG780
Victor HUGO
LA LÉGENDE DES SIÈCLES
NOUVELLE SÉRIE
1877
III
ENTRE GÉANTS ET DIEUX
Le Géant, aux Dieux
LE GÉANT
Un mot. Si, par hasard, il vous venait l'idée 6+6 a
Que cette herbe où je dors, de rosée inondée, 6+6 a
Est faite pour subir n'importe quel pied nu, 6+6 b
Et que ma solitude est au premier venu, 6+6 b
5 Si vous pensiez entrer dans l'ombre où je séjourne 6+6 a
Sans que ma grosse tête au fond des bois se tourne, 6+6 a
Si vous vous figuriez que je vous laisserais 6+6 b
Tout déranger, percer des trous dans mes forêts, 6+6 b
Ployer mes vieux sapins et casser mes grands chênes, 6+6 a
10 Mettre à la liberté de mes torrents des chaînes, 6+6 a
Chasser l'aigle, et marcher sur mes petites fleurs, 6+6 b
Que vous pourriez venir faire les enjôleurs 6+6 b
Chez les nymphes des bois qui ne sont que des sottes, 6+6 a
Que vous pourriez le soir amener dans mes grottes 6+6 a
15 La Vénus avec qui tous vous vous mariez, 6+6 b
Que je n'ai pas des yeux pour voir, que vous pourriez 6+6 b
Vous vautrer sur mes joncs où les dragons des antres 6+6 a
Laissent en s'en allant la trace de leurs ventres, 6+6 a
Que vous pourriez salir la pauvre source en pleurs, 6+6 b
20 Que je vous laisserais, ainsi que des voleurs, 6+6 b
Aller, venir, rôder dans la grande nature ; 6+6 a
Si vous imaginiez cette étrange aventure 6+6 a
Qu'ici je vous verrais rire, semer l'effroi, 6+6 b
Faire l'amour, vous mettre à votre aise chez moi, 6+6 b
25 Sans des soulèvements énormes de montagnes, 6+6 a
Et sans vous traiter, vous, princes, et vos compagnes, 6+6 a
Comme les ours qu'au fond des halliers je poursuis, 6+6 b
Vous me croiriez plus bête encor que je ne suis ! 6+6 b
JUPITER
Calme-toi.
VÉNUS
Nous avons dans l'Olympe des chambres, 6+6 a
Bonhomme.
LE GÉANT
30 Oui, je sais bien, parce que j'ai des membres 6+6 a
Vastes, et que les doigts robustes de mes pieds 6+6 b
Semblent sur l'affreux tronc des saules copiés, 6+6 b
Parce que mes talons sont tout noirs de poussière, 6+6 a
Parce que je suis fait de la pâte grossière 6+6 a
35 Dont est faite la terre auguste et dont sont faits 6+6 b
Les grands monts, ces muets et sacrés portefaix ; 6+6 b
Vu que des plus vieux rocs j'ai passé les vieillesses, 6+6 a
Et que je n'ai pas, moi, toutes vos gentillesses, 6+6 a
Étant une montagne à forme humaine, au fond 6+6 b
40 Du gouffre, où l'ombre avec les pierres me confond, 6+6 b
Vu que j'ai l'air d'un bloc, d'une tour, d'un décombre, 6+6 a
Et que je fus taillé dans l'énormité sombre, 6+6 a
Je passe pour stupide. On rit de moi, vraiment, 6+6 b
Et l'on croit qu'on peut tout me faire impunément. 6+6 b
45 Soit. Essayez. Tâtez mon humeur endurante. 6+6 a
Combien de dards avait le serpent Stryx ? Quarante. 6+6 a
Combien de pieds avait l'hydre Phluse ? Trois cents. 6+6 b
J'ai broyé Stryx et Phluase entre mes poings puissants. 6+6 b
Osez donc ! Ah ! je sens la colère hagarde 6+6 a
50 Battre de l'aile autour de mon front. Prenez garde ! 6+6 a
Laissez-moi dans mon trou plein d'ombre et de parfums. 6+6 b
Que les olympiens ne soient pas importuns, 6+6 b
Car il se pour ait bien qu'on vît de quelle sorte 6+6 a
On les chasse, et comment, pour leur fermer sa porte, 6+6 a
55 Un ténébreux s'y prend avec les radieux, 6+6 b
Si vous venez ici m'ennuyer, tas de dieux ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite de distiques
schéma : 28((aa))
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